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Pensées (Montesquieu)

Pensées, aussi appelé Mes Pensées, est un recueil de Montesquieu dans lequel l'auteur a consigné librement des notes et réflexions provenant de ses lectures, de ses rencontres, de ses expériences, de ses conversations avec des tiers.

Si la concision, le goût de la formule et le modèle de la maxime, ne sont pas absents de ce recueil, il remplit une fonction d’espace de travail et de préparation des ouvrages plus qu’il ne relève d’un genre défini auquel on rattache les œuvres homonymes de Marc Aurèle et de Pascal. Ces cahiers accompagnent pendant presque trente ans la rédaction des œuvres de l’auteur de L’Esprit des lois. Il s'agit donc d'un document irremplaçable pour reconstituer la chronologie de la documentation et de l'élaboration des ouvrages de Montesquieu.

Le manuscrit 

ConservĂ© Ă  la bibliothèque municipale de Bordeaux, il est composĂ© de trois volumes reliĂ©s rassemblant des fragments et des annotations en marge, Ă©crits par Montesquieu lui-mĂŞme ou par ses secrĂ©taires sur des sujets très divers[1]. Les recherches pionnières de Robert Shackleton (en), poursuivies par d’autres chercheurs, ont confrontĂ© les Ă©critures de la correspondance, datĂ©e, de l’auteur avec celles prĂ©sentes dans ces recueils[2]. Grâce Ă  cette comparaison, il est possible de connaĂ®tre approximativement les pĂ©riodes d’intervention de chaque secrĂ©taire. On peut ainsi reconstituer la chronologie des PensĂ©es, source de renseignements sur le contexte et les Ă©tapes de la documentation et de la rĂ©flexion de Montesquieu.

Ce recueil a été initié probablement dans la période 1726-1727, après les Lettres persanes (1721) et le Temple de Gnide (1725) et à la suite d’un projet de Traité des devoirs. Montesquieu continuera à utiliser ce recueil jusqu’en 1754, juste avant sa mort qui survient au début de l’année 1755[3].

La transmission et la publication

Les PensĂ©es n’étaient pas destinĂ©es Ă  la publication et malgrĂ© des Ă©ditions partielles subreptices parues dès la fin du XVIIIe siècle, les hĂ©ritiers refusèrent tout au long du XIXe siècle de le communiquer aux Ă©diteurs dĂ©sireux de le publier. Finalement, ils participèrent eux-mĂŞmes Ă  cette publication par l’intermĂ©diaire de la SociĂ©tĂ© des bibliophiles de Guyenne qui donna Ă  partir de 1899 la première Ă©dition presque intĂ©grale des PensĂ©es, rĂ©alisĂ©e par Henri Barckausen. Il fallut encore attendre une cinquantaine d’annĂ©es et l’édition de Louis Desgraves pour lire les fragments dans l’ordre du manuscrit et voir s’imposer la numĂ©rotation correspondante qui prĂ©vaut aujourd’hui[4].

Les Pensées, un recueil à part

Montesquieu, pour prĂ©parer ses ouvrages, accumulait une vaste documentation dans des domaines divers : juridique, politique, historique, gĂ©ographique… Il consignait ou faisait consigner par des secrĂ©taires dans des recueils des notes prises Ă  partir de ses lectures, pratiquant un art de l’extrait existant depuis l’AntiquitĂ© qui consiste Ă  copier des citations ou informations prĂ©levĂ©es dans les livres ou pĂ©riodiques[5]. Ces notes Ă©taient rassemblĂ©es par Montesquieu dans des cahiers spĂ©cialisĂ©s comme l’un des volumes des Geographica parvenu jusqu’à nous qui rassemble des notes compilĂ©es Ă  partir de la lecture de relations de voyage[6].

Les PensĂ©es, comme le Spicilège, autre recueil de l’auteur, sont toutefois diffĂ©rentes de ces compilations spĂ©cialisĂ©es car elles couvrent des domaines très divers. Par ailleurs les PensĂ©es, si elles contiennent des notes, des citations et des informations, sont orientĂ©es vers la rĂ©flexion personnelle et le travail d’élaboration de l’œuvre, alors que les commentaires propres Ă  l’auteur demeurent marginaux dans le Spicilège. Les remarques orales faites par lui-mĂŞme ou par d’autres au cours de conversations sont consignĂ©es dans les PensĂ©es, avec l’indication du locuteur. C’est aussi un des traits qui spĂ©cifient ce recueil, avec la rĂ©currence de formules comme : « Je disais Â», « Fontenelle disait Â», etc.[7]

Une fonction de mise en attente et d’archivage

Montesquieu annonce son projet au dĂ©but du premier volume : « Ce sont des idĂ©es que je n’ai point approfondies et que je garde pour y penser dans l’occasion Â» (n° 2). Il dĂ©signe son recueil tantĂ´t par le titre « Mes pensĂ©es Â»  (n° 690, 1003, 1816), tantĂ´t par celui de « RĂ©flexions Â» (n° 1620, 1631bis)[8] : il s'agit lĂ  en fait d'une distinction importante, le travail de collecte Ă©tant dĂ©signĂ© par  Â« RĂ©flexions Â», le recueil (au sens matĂ©riel du terme) Ă©tant dĂ©signĂ© sous le titre « Mes pensĂ©es Â»[9].

La fonction est double : il s’agit de mettre en attente des rĂ©flexions pour les retravailler et les utiliser dans des ouvrages destinĂ©s Ă  la publication et, quand elles n’ont pas Ă©tĂ© utilisĂ©es, de les archiver. Une des caractĂ©ristiques du manuscrit est la mention rĂ©currente en marge, placĂ©e après coup, de la destination finale de certains fragments : « Mis dans les lois « (pour « Mis dans L’Esprit des lois Â») ; « Mis dans les Romains Â» (pour « Mis dans les ConsidĂ©rations sur la grandeur des Romains Â»). La reprise de certains Ă©noncĂ©s modifiĂ©s dans le cours du recueil tĂ©moigne aussi du travail stylistique, mais surtout intellectuel, opĂ©rĂ© par Montesquieu. Dans le dernier volume de ce manuscrit des PensĂ©es, alors que l’auteur, dĂ©jĂ  âgĂ©, a achevĂ© son Ĺ“uvre maĂ®tresse, L’Esprit des lois, la fonction d’archivage prĂ©domine. Montesquieu signale alors ces « Morceaux qui n’ont pu entrer Â» dans tel ou tel de ses ouvrages publiĂ©s[10].

Cet archivage permet de voir apparaĂ®tre Ă  travers les titres d’ouvrages mentionnĂ©s des projets abandonnĂ©s et des ouvrages fantĂ´mes, comme ce projet plusieurs fois transformĂ© sur les devoirs des Princes, dont le titre a variĂ©, comme en tĂ©moignage le recueil (nÂş 140)[11].

Bibliographie

Éditions

  • PensĂ©es et fragments inĂ©dits de Montesquieu, Barckhausen Henri (Ă©d.), Bordeaux, G. Gounouilhou, 1899, t. I ; 1901, t. II.
  • PensĂ©es, Roger Caillois (Ă©d.), dans Ĺ’uvres complètes, Paris, Gallimard, 1949, t. I, p. 975-1574.
  • PensĂ©es, Daniel Oster (Ă©d.), dans Ĺ’uvres complètes, Paris, Le Seuil, 1964, p. 853-1082.
  • PensĂ©es, Louis Desgraves (Ă©d.), dans Ĺ’uvres complètes, Paris, Nagel, 1950, t. II, p. 1-677.
  • PensĂ©es, Spicilège, Louis Desgraves (Ă©d.), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins Â», 1991.
  • Montedite, Édition critique des PensĂ©es de Montesquieu, Presses Universitaires de Caen, 2013, (« en ligne »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?))
  • Montesquieu, Mes pensĂ©es (anthologie), Ă©d. critique par C. Volpilhac-Auger, Gallimard, Folio-Classiques, 2014, 544 pages.

Études

  • Barckhausen Henri, « Introduction Â», dans Montesquieu, PensĂ©es et fragments inĂ©dits de Montesquieu, Bordeaux, G. Gounouilhou, 1899, t. I, p. XI-XXXIV.
  • CĂ©leste Raymond, « Histoire des manuscrits inĂ©dits de Montesquieu Â», dans MĂ©langes inĂ©dits de Montesquieu, Bordeaux, G. Gounouilhou, 1892, t. 1, p. IX-XLII ; reproduit dans Montesquieu, Cahiers (1716-1755), B. Grasset et A. Masson (Ă©d.), Paris, Grasset, 1941, p. 267-290.
  • Desgraves Louis, « Introduction Â», dans Montesquieu, PensĂ©es, Masson, t. II, p. XLV-LXV.
    • « La mĂ©thode de travail de Montesquieu. Les PensĂ©es de Montesquieu et L’Esprit des lois Â», dans Louis Desgraves, Montesquieu, l’œuvre et la vie, Bordeaux, L’Esprit du Temps, 1994, p. 63-87.
  • Dornier Carole, « Les PensĂ©es de Montesquieu et la tradition des formes brèves Â», dans PoĂ©tique de la pensĂ©e, mĂ©langes offerts Ă  Jean Dagen et rĂ©unis par B. Guion et al., Paris, Champion, 2006, p. 363-377.
    • « Notes,additions, intercalations : les incertitudes du statut textuel dans les PensĂ©es de Montesquieu Â», dans Notes. Études sur l’annotation en littĂ©rature, J.-C. Arnould et C. Poulouin (dir.), Mont-Saint-Aignan, Publications des UniversitĂ©s de Rouen et du Havre, 2008, p. 63-72.
    •  Â« Les PensĂ©es de Montesquieu comme espace de constitution de l’auteur Â», Studi francesi, n° 161, 2010, p. 304-314.
    •  Â« De la compilation de fragments au texte intĂ©gral : histoire de l’édition des PensĂ©es de Montesquieu Â», Revue française d’histoire du livre, n° 132, 2011, p. 231-250.
    • « L'histoire du manuscrit des PensĂ©es de Montesquieu Â», Revue d'histoire littĂ©raire de la France, n° 3, , p. 593-600.
  • Grasset Bernard, « Introduction Â», dans Montesquieu, Cahiers (1716-1755), B. Grasset et A. Masson (Ă©d.), Paris, Grasset, 1941, p. VII-XXVIII.
  • Masson AndrĂ©, « Note bibliographique sur les Cahiers de Montesquieu Â», dans Montesquieu, Cahiers (1716-1755), B. Grasset et A. Masson (Ă©d.), Paris, Grasset, 1941, p. 295-299.
  • Revue Montesquieu, nÂş 7, 2003-2004, numĂ©ro spĂ©cial consacrĂ© aux PensĂ©es, en ligne : http://montesquieu.ens-lyon.fr/spip.php?article329
  • Volpilhac-Auger Catherine, Dictionnaire Ă©lectronique Montesquieu, art. Â« PensĂ©es Â», http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/fr/article/1376399996/fr/
  • Volpilhac-Auger Catherine, « Le chantier ou le miroir ? Éditer les PensĂ©es de Montesquieu Â», Dix-huitième siècle 45 (2013), p. 663-680.

Notes et références

  1. « Réflexions et pensées de Montesquieu (Ms. 1866, 3 t.) », sur Bibliothèque municipale de Bordeaux.
  2. Robert Shackleton, « Les secrĂ©taires de Montesquieu Â», dans Montesquieu, Ĺ’uvres complètes, Paris, Nagel, 1950, Masson (Ă©d.), t. II, p. xxxv-xliii ; Cahiers Montesquieu, Naples â€“ Oxford â€“ Paris, Liguori â€“ Voltaire Foundation â€“ Universitas, n° 8, 2004, Les Manuscrits de Montesquieu. SecrĂ©taires, Ă©critures, datations, Georges Benrekassa (Ă©d.) ; Rolando Minuti, « Introduction Â», dans Spicilège, Ĺ’uvres complètes, Oxford â€“ Naples,Voltaire Foundation â€“ Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, 2002, t. 13, p. 37-77 ; Catherine Volpilhac-Auger, « De la main Ă  la plume. Montesquieu et ses secrĂ©taires : une mise au point Â», dans Montesquieu en 2005, C. Volpilhac-Auger (Ă©d.), Oxford, Voltaire Foundation (Studies on Voltaire and the eighteenth century ; 2005, 05), p. 103-151.
  3. Carole Dornier, « Histoire de la constitution du recueil Â», Introductions, dans Montedite, Édition critique des PensĂ©es de Montesquieu, Presses universitaires de Caen, 2013, prĂ©sentation en ligne
  4. Carole Dornier, « De la compilation de fragments au texte intĂ©gral : histoire de l’édition des PensĂ©es de Montesquieu Â», Revue française d’histoire du livre, n° 132, 2011, p. 231-250 ; id., « L'histoire du manuscrit des PensĂ©es de Montesquieu Â», Revue d'Histoire littĂ©raire de la France, n° 3, juillet 2012, p. 593-600. Catherine Volpilhac-Auger, Un auteur en quĂŞte d’éditeurs ? Histoire Ă©ditoriale de l’œuvre de Montesquieu (1748-1964), ENS Éditions, « MĂ©tamorphoses du livre Â», 2011, avec la collab. de G. Sabbagh et F. Weil.
  5. Voir Louis Desgraves, « Les extraits de lecture de Montesquieu Â», Dix-huitième siècle, n° 25, 1993, p. 483-491 ; Catherine Volpilhac-Auger, art. « Extraits et notes de lecture Â», Dictionnaire Ă©lectronique Montesquieu, http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/fr/article/1376399717/fr/.
  6. Montesquieu, Extraits et notes de lectures I, Geographica, C. Volpilhac-Auger dir., Ĺ’uvres complètes, Oxford â€“ Naples, Voltaire Foundation â€“ Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, t. 16, 2007.
  7. Dornier Carole, « La mise en archive de la rĂ©flexion dans les PensĂ©es Â», Revue Montesquieu, no 7, 2003-2004, p. 25-39, http://montesquieu.ens-lyon.fr/spip.php?article329.
  8. http://www.unicaen.fr/services/puc/sources/Montesquieu, onglet texte, consultation par numéro.
  9. « Pensées »
  10. Carole Dornier, « Projets, Ă©bauches, matĂ©riaux de l’œuvre Â», Introductions, dans Montedite, Édition critique des PensĂ©es de Montesquieu, Presses universitaires de Caen, 2013, http://www.unicaen.fr/services/puc/sources/Montesquieu
  11. Catherine Volpilhac-Auger, « Montesquieu, l’œuvre à venir », Revue Montesquieu, no 4,‎ , p. 5-25 (lire en ligne)

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