Paiement en droit civil français
En droit des obligations, le paiement est un acte par lequel le débiteur exécute volontairement son obligation, quel qu'en soit l'objet. Le paiement est le mode naturel d'extinction de l'obligation. Selon l'article 1302 du Code civil, tout paiement suppose une dette : un paiement sans dette est normalement indu et répétible, sauf pour les obligations naturelles qui sont moralement contraignantes, mais juridiquement facultatives.
Le paiement est dit simple lorsqu'il éteint la dette du débiteur, et subrogatoire lorsqu'un créancier subrogeant se substitue au créancier subrogé dans le rapport d'obligation, sans libérer le débiteur. Ainsi, le paiement simple produit deux effets indissociables, la libération du débiteur et l'extinction de la dette.
La notion de paiement
Le paiement est une opération classique et fréquente, mais la doctrine est divisée sur sa nature juridique. L'enjeu de cette qualification réside dans le régime de la preuve applicable au paiement. Deux théories s'affrontent[1].
Une premiÚre théorie énonce que le paiement est un fait juridique, qui résulterait de la seule volonté du débiteur. Le consentement du créancier n'est pas nécessaire, sauf lorsque l'objet du paiement diffÚre de celui prévu au contrat (dation en paiement). Dans ce cas, la preuve du paiement pourrait se faire par tous moyens.
Une seconde thĂ©orie Ă©nonce que le paiement est un acte juridique, Ă savoir d'un acte fait en vue de produire des effets de droit, et qui nĂ©cessite l'accord des deux parties. Dans ce cas, la preuve du paiement ne pourrait rĂ©sulter que de l'acte lui-mĂȘme.
L'utilité du paiement
Dans un contrat synallagmatique, le paiement constitue la cause de l'obligation pour le créancier. Le paiement emporte deux effets principaux :
- il donne satisfaction au créancier de l'obligation ;
- il éteint la créance, mais pas nécessairement la dette (paiement subrogatoire).
Le régime du paiement simple
Les parties au paiement
Les parties au paiement ne sont pas toujours les parties au rapport d'obligation. Ainsi, le payeur est dénommé solvens, et le payé accipiens.
Les qualités du solvens
Les qualités juridiques du solvens sont visées à l'article 1238 du Code civil :
- le solvens doit ĂȘtre propriĂ©taire de la chose, si le paiement se caractĂ©rise par le transfert de propriĂ©tĂ© d'une chose, Ă peine de nullitĂ© absolue ;
- le solvens doit avoir la capacité de disposer de la chose, à peine de nullité relative.
Il est à noter que ces rÚgles ne valent que lorsque le paiement porte sur une chose. à l'inverse, lorsque le paiement porte sur une somme d'argent, le défaut de propriété ou de capacité du solvens est en principe indifférent : s'il est effectué de bonne foi, ce paiement est réputé valable.
L'identité du solvens
L'article 1236 du code civil envisage deux hypothÚses quant à l'identité du solvens.
En principe, le solvens est une personne directement intéressée au paiement, et donc à l'extinction de l'obligation. Il peut s'agir du débiteur du rapport d'obligation, d'un coobligé ou d'une caution. Le mandataire, agissant au nom et pour le compte du débiteur, est bien une personne intéressée au paiement de l'obligation.
Le code civil envisage un paiement réalisé par un tiers au rapport d'obligation, et l'admet dans deux cas :
- soit le tiers agit au nom et pour l'acquit du débiteur (gestion d'affaires) ;
- soit le tiers agit en son nom propre, à titre de libéralité envers le débiteur.
Ni le crĂ©ancier, ni le dĂ©biteur ne peuvent s'opposer seuls au paiement simple d'un tiers. En effet, le crĂ©ancier et le dĂ©biteur ont tous deux un intĂ©rĂȘt au paiement de la dette, et Ă l'extinction de l'obligation. Toutefois, la jurisprudence admet que le crĂ©ancier et le dĂ©biteur puisse s'opposer conjointement au paiement d'un tiers pour un motif valable[2]. Enfin, le crĂ©ancier peut refuser le paiement d'un tiers s'il a intĂ©rĂȘt Ă ce que le paiement provienne du dĂ©biteur lui-mĂȘme (obligation intuitu personae). Cette souplesse permet ainsi une substitution au dĂ©biteur.
Lorsque le paiement porte sur une chose consomptible, et que le créancier a consommé la chose de bonne foi, ni le solvens ni l'accipiens ne pourront se prévaloir d'une cause de nullité.
L'accipiens
L'accipiens (le payĂ©) est en principe le crĂ©ancier du rapport d'obligation. Il peut ne pas ĂȘtre le crĂ©ancier originel, dans l'hypothĂšse d'une cession de crĂ©ance ou d'un hĂ©ritage. Le paiement peut ĂȘtre fait dans les mains d'un tiers et rester libĂ©ratoire, lorsque le paiement est reçu par le reprĂ©sentant du crĂ©ancier. En revanche, le paiement fait Ă une personne sans pouvoir du crĂ©ancier est nul, et expose le solvens Ă payer une seconde fois.
Par exception, l'article 1240 du code civil dispose que le paiement fait de bonne foi au possesseur de la crĂ©ance reste valable. Le code civil reconnaĂźt la possibilitĂ© mĂȘme de la possession d'une chose immatĂ©rielle. Le vrai propriĂ©taire de la crĂ©ance pourra intenter une action en enrichissement sans cause contre le possesseur. Enfin, l'accipiens doit avoir la capacitĂ© de disposer du paiement, qualitĂ© qui conforte l'hypothĂšse du paiement comme un acte juridique.
Les rÚgles générales
Les rÚgles générales sont l'identité entre l'objet du paiement et l'objet de l'obligation d'une part, et l'indivisibilité du paiement d'autre part.
Selon l'article 1243 du code civil, le crĂ©ancier ne peut ĂȘtre contraint de recevoir une autre chose que celle prĂ©vue au contrat. L'identitĂ© du paiement et de l'obligation est valable quel que soit l'objet du paiement, y compris les sommes d'argent dans une certaine devise[3]. Le crĂ©ancier pourra refuser le paiement sur le fondement de la force obligatoire du contrat[4]. Si l'accipiens accepte que le paiement soit rĂ©alisĂ© par le versement d'autre chose, il s'agira d'une dation en paiement.
Si la créance porte sur une chose de genre, le débiteur devra livrer une chose de genre de qualité moyenne. à l'inverse, si la créance porte sur un corps certain, le débiteur sera contraint de payer la chose prévue au contrat, en l'état au jour de la livraison.
Enfin, l'article 1244 al. 1 du code civil prévoit l'indivisibilité du paiement. Le débiteur ne peut imposer un paiement partiel au créancier : il doit payer la totalité de la dette, sauf accord des parties (paiement fractionné ou remise de dette), et exceptions prévues par la loi (division de la dette entre les cohéritiers et les cautions).
Les obligations spécifiques aux sommes d'argent
Selon le principe du nominalisme monétaire, le montant d'une somme d'argent à payer n'est que la somme numérique prévue au contrat. La jurisprudence distingue deux types de contrats :
- pour les contrats internes, la somme d'argent stipulĂ©e au contrat doit ĂȘtre libellĂ©e dans la monnaie officielle de la France (l'euro), et payĂ©e dans cette mĂȘme monnaie ;
- pour les contrats internationaux, la jurisprudence accepte les clauses-or de paiement (ou tout autre référence et devise), et les clauses de valeur (avec indexation), afin de valoriser les échanges internationaux.
Les clauses d'indexation sont interdites et réputées non-écrites dans les contrats internes[5]. L'interdiction des clauses d'indexation vise à prévenir l'inflation. La jurisprudence reconnaßt toutefois la validité des clauses qui reposent sur un indice spécial, en relation avec l'objet du contrat ou l'activité des parties :
- dans les contrats de prĂȘt immobilier, l'indexation de la valeur de l'emprunt sur le coĂ»t de la construction ;
- dans les contrats de cession de clientÚle médicale, l'indexation sur le montant des consultations médicales.
La réalisation du paiement
Le paiement est quĂ©rable : le crĂ©ancier doit aller chercher le paiement chez le dĂ©biteur. Ce paiement doit ĂȘtre effectuĂ© Ă l'Ă©chĂ©ance du contrat ou du terme suspensif, mais cette Ă©chĂ©ance ne vaut pas de mise en demeure automatique du dĂ©biteur. Enfin, les frais Ă©ventuels du paiement sont Ă la charge du dĂ©biteur.
La preuve du paiement
Selon l'article 1353 du code civil, la charge de la preuve du paiement incombe au débiteur.
Les moyens de preuve admissibles dĂ©pendent de la qualification juridique du paiement. Jusqu'Ă prĂ©sent, le paiement Ă©tait un acte juridique, qui devait ĂȘtre prouvĂ© par un Ă©crit, tel un acte sous seing privĂ©. Cependant, la datation d'un acte sous seing privĂ© n'est en principe pas opposable aux tiers[6].
Un arrĂȘt rĂ©cent de la Cour de cassation[7] a remis en cause la nature du paiement comme acte juridique. La Cour a admis que la preuve du paiement puisse ĂȘtre rapportĂ©e par tous moyens, conformĂ©ment aux moyens de preuve admissibles en matiĂšre de fait juridique. La portĂ©e de l'arrĂȘt est discutĂ©e, et certains auteurs dissocient le paiement (acte juridique) du montant du paiement (fait juridique).
Les incidents de paiement
Lorsque le crĂ©ancier refuse le paiement ou ne peut le recevoir, les intĂ©rĂȘts de la dette courent aussi longtemps que le refus demeure. Le dĂ©biteur peut demander la consignation de la somme auprĂšs de la Caisse des dĂ©pĂŽts et consignations, aprĂšs une offre rĂ©elle de paiement par huissier ou notaire[8]. Cette consignation permettra au dĂ©biteur de se mettre Ă l'abri des poursuites, d'arrĂȘter le cours des intĂ©rĂȘts, et de transfĂ©rer la propriĂ©tĂ© de la chose.
Notes et références
- Loiseau G., « Réflexions sur la nature juridique du paiement », JCP G, 2006, I, p. 171.
- Civ. 2e, . D. 1953, p. 516.
- Cass. civ. 1re, 7 octobre 1995, pourvoi no 95-16671
- Article 1134 du code civil
- Article L.112-1 du code monétaire et financier
- Article 1328 du code civil
- Cass. civ. 1re, 6 juillet 2004, pourvoi n°01-14618. Rev. contrats, 2005, II, p. 286.
- Articles 1257 et suivants du code civil
- Article 1253 du code civil
- Article 1256 du code civil