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Octeto Buenos Aires

L' Octeto Buenos Aires était un ensemble formé par l'arrangeur, bandonéoniste, compositeur et chef d'orchestre Ástor Piazzolla en 1955 qui, composé de personnalités de haut niveau, a atteint un niveau de créativité qu'Astor lui-même n'égalera que rarement par la suite[1]. En 1958, l'Octeto est dissous et Piazzolla retourne à New York avec sa famille où il s'efforce de gagner sa vie en tant que musicien et arrangeur dans la prochaine étape de sa carrière qui s'avérera si révolutionnaire dans l'histoire du tango.

Octeto Buenos Aires
Description de cette image, également commentée ci-après
Photo promotionnelle de l'Octeto Buenos Aires.
Informations générales
Pays d'origine Buenos Aires, Drapeau de l'Argentine Argentine
Genre musical Tango nuevo
Années actives 1955 - 1958
Composition du groupe
Membres
  • Astor Piazzolla (direction et bandonéon),
  • Mario Francini, Hugo Baralis (violon),
  • Leopoldo Federico (bandonéon),
  • Atilio Stampone (piano),
  • José Bragato (violoncelle),
  • Eduardo Vasalo (contrebasse),
  • Horacio Malvicino (guitare électrique).

Histoire

Pendant sa jeunesse, Astor Piazzolla (né en 1921) avait fait son apprentissage musical en tant que bandonéoniste de tango dans plusieurs orquesta típica, dont ceux de Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino (es). À la recherche de nouveaux moyens d'expression musicale, Piazzolla forme son propre orchestre de ce type en 1946, l'Orquesta Típica de Piazzolla. Incertain de la voie à suivre, il a dissous son orchestre en 1950 et a commencé à étudier la musique classique, ce qui l'a conduit à Paris en 1954, où il a étudié la composition musicale et le contrepoint avec Nadia Boulanger.

En 1954, Piazzolla a vu et entendu de nombreux ensembles de jazz moderne pendant son séjour à Paris, dont l'octette de Gerry Mulligan. Il dira plus tard qu'il a été émerveillé par le plaisir individuel dans les improvisations, l'enthousiasme avec lequel ces jazzmen jouaient, ce qu'il n'avait jamais observé chez les musiciens de tango. Il ressentait le besoin de sortir le tango de ce qu'il considérait comme une monotonie harmonique, mélodique, rythmique et esthétique qui l'enveloppait, de lui donner une hiérarchie musicale et de donner aux instrumentistes d'autres moyens de se mettre en valeur ; il voulait que le tango, sans cesser d'être du tango, enthousiasme et ne lasse pas l'interprète et l'auditeur, et qu'il soit, plus que jamais, de la musique[2].

Gerry Mulligan (New York, 6 avril 1927 - Darien, 20 janvier 1996) est un musicien de jazz Américain, saxophoniste baryton et arrangeur considéré comme l'une des figures légendaires du saxophone de jazz, et l'un des principaux représentants du Cool jazz. Il commence comme pianiste avant d'apprendre à jouer de la clarinette et des différents types de saxophone et acquiert une réputation d'arrangeur dans l'orchestre radiophonique de Johnny Warrington, dans les œuvres de Tommy Tucker et George Paxton et, en 1946, dans l'orchestre de Gene Krupa. D'une grande souplesse stylistique, Mulligan a apporté un son assez révolutionnaire à un instrument qui, jusqu'à son arrivée, était plutôt piéton, jouant avec la vitesse et la dextérité d'un saxophone alto. Il a participé à l'enregistrement de Birth of the Cool, un album de Miles Davis, initialement publié par Capitol en 1954, sur un LP qui ne comprenait que 8 pistes et qui a reçu un grand retentissement. Les morceaux avaient été enregistrés bien plus tôt, entre 1949 et 1950. En 1957, Capitol réédite le disque, incluant les 11 titres des sessions originales. Il est considéré par les critiques comme l'une des bases du jazz moderne, paradigme du cool, avec une forte influence sur le développement du jazz West Coast et du bop[3]. Une autre formation qui a servi à la diffusion de Mulligan a été son quartet qui, en n'incluant pas de piano, a donné une plus grande liberté aux solistes improvisateurs, car ils n'étaient pas conditionnés à l'harmonie préétablie de cet instrument.

Astor Piazzola a décidé de former l'Octeto Buenos Aires à son retour à Buenos Aires en 1955.

L'histoire brève mais significative de l'Octeto Buenos Aires est considérée comme le tournant entre deux époques et deux types de tango. L'ensemble a été le pionnier du tango nuevo, une nouvelle approche du tango qui, jusqu'alors, avait été dominée par les orquesta típica traditionnels des années 1930 et 1940. Cela a marqué un tournant dans l'histoire du tango et a mis Piazzolla sur une trajectoire de rupture avec l'establishment du tango. L'Octeto Buenos Aires a eu une grande influence sur certains des musiciens qui réfléchissaient à différentes façons de moderniser le tango à la même époque.

Répétition de l'Octeto Buenos Aires.

Astor Piazzolla s'est laissé emporter par une certaine démesure dans la musique qu'il a écrite pour cet octuor, basé sur le sextet classique du tango, avec l'ajout d'un violoncelle et d'une guitare électrique (une nouveauté pour l'époque). Cependant, vu en perspective, ce qui semble être une explosion chaotique de créativité est plutôt basé sur un manifeste artistique que Piazzolla respectait très strictement. Ce manifeste visait à faire passer l'aspect commercial au second plan ; à incorporer au répertoire des arrangements de tangos classiques ainsi que de nouvelles créations ; à ne pas inclure d'œuvres chantées ; et à ne pas se produire dans les bals, mais uniquement à la radio, à la télévision ou en concert, ou pour des enregistrements. Les œuvres seraient expliquées avant de les exécuter, afin d'en faciliter la compréhension. Le but du projet était d'améliorer la qualité du tango, de convaincre ceux qui s'en étaient détournés, ainsi que les détracteurs du genre, des valeurs incontestables du tango, d'attirer les auditeurs de musique étrangère et de conquérir le grand public.

Le premier arrangement de Piazzolla pour l'Octeto fut le tango Arrabal de José Pascual, qu'il rêvait de jouer depuis qu'il en avait entendu la version d'Elvino Vardaro lorsqu'il était enfant. L'Octeto a créé un nouveau son proche de la musique de chambre et sans chanteur, qui fait normalement partie d'un "orquesta típica". Ni les improvisations jazz de Malvicino à la guitare électrique, par exemple dans la composition Marrón y Azul de Piazzolla en 1955, ni les solos de violoncelle de Bragato, de formation classique, n'avaient jamais été entendus auparavant dans le tango.

Piazzolla était fatigué des contraintes imposées par le tango traditionnel et voulait utiliser son Octeto pour introduire de nouveaux rythmes, harmonies, mélodies, timbres et formes, tout en conservant l'essence du tango. Son inclusion du contrepoint, des fugues et de nouvelles formes harmoniques va susciter les premières controverses parmi les tangueros traditionnels, qui viendront plus tard le hanter. Sa musique commence à plaire moins aux danseurs et plus aux personnes qui vont l'écouter. Le Nuevo tango est arrivé et Piazzolla est à l'avant-garde.

Au début, il a eu des difficultés à équilibrer le son de l'Octeto en raison du manque de cordes, ce qui signifie que celles qu'il avait devaient jouer d'une manière inhabituelle pour compenser. Les cordes étaient également appelées à imiter des instruments à percussion et les deux bandonéons devaient jouer des harmonies à six voix. Le piano et la contrebasse fournissaient la force rythmique. Peu après la formation de l'Octeto, Piazzolla commence à se demander s'il n'a pas trop éloigné le tango de ses racines et fait appel au très respecté Osvaldo Pugliese pour arbitrer. Tout le monde a été grandement soulagé quand, après les avoir écoutés jouer, il les a rassurés en leur disant qu'ils jouaient toujours de la musique dans le genre.

D'autre part, Piazzolla, voyant un côté plus amer, se rappellera plus tard :

« L'Octeto Buenos Aires, en 1955, a eu un impact artistique, mais l'œuvre n'a pas duré longtemps. Pour l'enregistrer, nous avons dû faire des concessions, en cédant pratiquement les droits. La même chose m'est arrivée avec un autre LP, Tango en hi-fi. Les gens ne savent pas ou ne se soucient pas de savoir qui est l'homme d'affaires qui la met en vente, mais ils connaissent et admirent l'artiste qui l'a réalisée. C'est moi qui ai sorti l'argent de ma poche pour payer la plupart des musiciens qui ont fait l'enregistrement, alors que le bénéfice depuis lors a été pris par d'autres, et nous sommes toujours en conflit. Nous sommes toujours en procès, mais qui s'en soucie, qui défend les créateurs ? »

— Astor Piazzolla[1]

En 1958, l’Octeto est dissous car il n’était pas viable, personne ne prenant le risque de le programmer.

Formation

La formation initiale était composée des violonistes Enrique Mario Francini (es) et Hugo Baralis (es), des bandonéonistes Piazzolla et Roberto Pansera (es), du pianiste Atilio Stampone (es), du guitariste Horacio Malvicino -avec une guitare électrique, alors une nouveauté pour le genre-, le violoncelliste José Bragato (es) et le contrebassiste Aldo Nicolini (es) ; par la suite, Pansera et Nicolini -qui n'ont jamais enregistré- ont été remplacés par Leopoldo Federico (es) et Juan Vasallo (de), respectivement[1] - [2].

Luis Adolfo Sierra a dit:« L'Octeto Buenos Aires, dans ses conceptions esthétiques modernes et ses réalisations techniques avancées, rompt complètement et sans concessions avec les conventionnalismes régressifs, qui raidissent le tango, dans sa richesse potentielle de contenu et de forme[2]. ».

Activité et enregistrements

Le répertoire complet de l'octuor comprend dix-neuf arrangements, dont huit sont inclus dans un album. Parmi les compositions, les débuts du tango traditionnel sont représentés par Rosendo Mendizábal. Les principaux compositeurs de l'école décarienne sont également présents, dont Julio De Caro lui-même et le bandonéoniste Pedro Maffia, ainsi que leur homologue très apprécié Juan Carlos Cobián, dont les œuvres présentent un grand intérêt harmonique et mélodique. Enfin, plusieurs représentants du tango moderne sont inclus, comme Horacio Salgán et José Pascual, en plus des compositions d'Horacio Malvicino et de Piazzolla lui-même.

Comme cela s'était produit avec les formations précédentes de Piazzolla, l'Octeto Buenos Aires se produisait de manière très sporadique, de sorte que ses membres devaient participer à d'autres groupes afin d'obtenir des revenus que l'octuor, en raison de son niveau de créativité, ne pouvait fournir. Une de leurs prestations a été diffusée sur Canal 7[4].

L'octuor adopte une recette simple composée de 50 % de tangos traditionnels, 25 % de compositions de Piazzolla, 25 % de composition des membres du groupe.

Ils ont enregistré deux albums complets, le second ayant une qualité technique d'enregistrement médiocre.

Les titres du premier album, sur le label Disc Jockey, sont les arrangements suivants[2] :

  • Octeto Buenos Aires, 1957
    • Haydée
    • Neotango
    • Anoné
    • El entrerriano (es)
    • Tangology
    • Marrón y azul (Ástor Piazzolla)
    • Los mareados (es)
    • El Marne (es)
    • Arrabal
    • A fuego lento
Pochette de l'album Tango progresivo.

Le deuxième album, enregistré pour le label Allegro, comprend six tangos qui le placent comme l'un des jalons fondamentaux de la discographie du tango nuevo :

  • Tango progresivo, 1957
    • Boedo (es) (Julio De Caro (es))
    • Mi refugio (Juan Carlos Cobián)
    • Taconeando (Pedro Maffia (es))
    • Lo que vendrá (Ástor Piazzolla)
    • La revancha (Pedro Laurenz)
    • Tema otoñal (Enrique Mario Francini (es))

Un album postérieur à l'arrêt de l'Octeto embarque une composition phare réalisée pour un court métrage qui n'est jamais sorti en salle:

  • "1944-1964: 20 años de Vanguardia", 1964

L'Octeto Buenos Aires a également enregistré une autre version de Taconeando qui a été incluse dans un CD de Music Hall intitulé Piazzolla/Berlingieri.

La composition Marrón y azul est inspirée de " Marrones y Azules " de Georges Braque et a été arrangée en 1955 ; Piazzolla et Federico les interprètent en contrepoint avec Hugo Baralis, puis Francini joue un de ses solos les plus heureux. C'est au tour de Malvicino d'improviser la variation rythmique du final, improvisé par Horacio Malvicino. Los mareados est traité avec de nouvelles harmonies sans dénaturer la partie originale. Francini, Malvicino et Piazzolla interprètent les solos et il contient un magnifique repos final basé sur l'accord parfait de si majeur.

Le seul manuscrit original d'un arrangement de l'Octeto Buenos Aires qui subsiste est celui du tango Arrabal, car Piazzolla a brûlé une grande partie de ses partitions. Les sept autres arrangements inclus dans l'album ont dû être transcrits à partir des enregistrements, qui ont tous été commercialisés, à l'exception de Tierra Querida, conservé grâce à un enregistrement live non commercial d'un concert de 1956 à la Sala Verdi de Montevideo.

L'héritage de la musique de l'Octeto Buenos Aires

La musique de l'Octeto Buenos Aires n'a plus jamais été jouée depuis que Piazzolla a démantelé cette formation révolutionnaire. En septembre 2021, dans le cadre des célébrations des 100 ans de la naissance de Piazzolla, le groupe de tango bruxellois Sonico[5] (créé en 2015) publie son troisième album Piazzolla - Rovira : The Edge of Tango. Le répertoire de cet album comprend 8 partitions de l'Octeto Buenos Aires qui ont été en grande partie détruites par Piazzolla lui-même. Le travail de recherche pour cet album a non seulement permis de retrouver un répertoire précédemment enregistré (mais perdu), mais aussi des morceaux qui n'ont jamais été enregistrés. Après plus de 60 ans, cet ensemble est retourné aux origines du tango d'avant-garde pour donner un nouveau souffle à cette musique.

Bibliographie

  • Piazzolla, Ástor. A Memoir, Natalio Gorin, Amadaeus, 2001
  • (en) Maria Suzana Azzi et Simon Collier, Le Grand Tango: The Life and Music of Ástor Piazzolla, Oxford University Press, , 344 p. (ISBN 978-0195127775).

Notes et références

  1. (es) Julio Nudler, Aldo Delhor et Laureano Fernández, « Astor Piazzolla - Octeto Buenos Aires. La revolución post-francesa. », Astor Piazzolla El tango culminante, La Página S.A., (consulté le )
  2. (es) Diego Fischerman, « Le meilleur début de tous », sur pagina12.com.ar, (consulté le )
  3. (es) Michael Lydon : Discos históricos y discos que harán historia, Heineken- Random House Mondadori, Barcelone, 2008
  4. (es) José María Otero, « Octeto Buenos Aires », sur tangosalbardo.blogspot.com.ar, (consulté le ).
  5. « Sonico », sur sonicomania.com.

Liens externes

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