Négligence spatiale unilatérale
La négligence spatiale unilatérale (abrégée NSU, ou héminégligence) est définie comme l'incapacité à « détecter, s'orienter vers, ou répondre à des stimuli porteurs de signification lorsqu'ils sont présentés dans l'hémiespace contralésionnel » (opposé à la lésion)[1].
Spécialité | Neurologie et neuropsychologie |
---|
Mise en garde médicale
Neuroanatomie
Selon la dominance hémisphérique du patient pour l'espace, ce syndrome peut intervenir soit à la suite d'une lésion de l'hémisphère droit (cas le plus courant)[2] soit à la suite d'une lésion de l'hémisphère gauche (négligence du côté droit). Ces derniers cas sont beaucoup plus rares et la négligence souvent décrite comme moins sévère[3] - [4]. Environ 80% des patients subissant une lésion cérébral droite par AVC souffrent d'une NSU[5] - [6]. À noter également que quelques cas d'héminégligence ipsilésionnelle ont été recensés [7].
La négligence survient couramment à la suite d'un AVC situé dans la région de l'artère cérébrale moyenne [8]. Si ce syndrome survient lors d'une lésion du cortex du lobe pariétal droit (e.g., lobule pariétal inférieur correspondant aux aires de Brodmann 39 et 40), on parle alors de négligence gauche. Ainsi, dans cette dernière, le patient néglige l'hémi-espace gauche.
Enfin, certaines lésions sous-corticales sont susceptibles de mener à une héminégligence par phénomène de diaschisis[9].
Perspective hodologique
Pour la perspective hodologique de l’héminégligence, ce n’est non pas les aires corticales lésées qui importent et expliquent la sémiologie du trouble, mais les lésions concernant les faisceaux de substance blanche reliant les diverses aires corticales impliquées dans le traitement de l’espace. En pratique, il semble qu’une lésion concernant la deuxième branche du fascicule longitudinal supérieur, composé de fibres intra-hémisphériques, corrèle à la persistance d’une négligence chronique ; de même que les lésions calleuses susceptibles d’empêcher la suppléance par l’hémisphère contro-lésionnel[10] - [11] - [12].
Symptomatologie
Le patient héminégligent est susceptible de présenter une anosognosie[13], une négligence corporelle traduite par son toilettage (rasage d’un seul côté du visage par exemple), une anosodiaphorie, une allochirie (le patient répond uniquement aux stimuli présentés sur le côté droit de leur corps comme s’ils étaient du côté opposés, tout en négligeant pourtant les stimuli présentés du côté gauche), une allesthesie (en s’approchant du patient du côté négligé il répond en regardant du côté ipsilésionnel), ou encore une somatoparaphrenie (le patient pense que la partie négligée de son corps appartient à une autre personne)[14]. La vision des patients négligents est parfaite puisqu'ils ne présentent ni troubles ophtalmologiques, ni troubles du traitement visuel par les aires corticales postérieures (occipitales). Il existe une double dissociation entre négligence d'un hémiespace (NSU) et amputation d'un hémichamp visuel (hémianopsie latérale homonyme)[15].
Tout se passe comme si le monde, tel qu'il est consciemment perçu par le patient, était réduit à la moitié droite de ce qu'il perçoit. En effet, dans ce que l’on appelle la « négligence représentationelle », l’espace représenté mentalement est négligé et il existe une asymétrie dans l’exploration de cet espace qui ne peut être contournée qu’en demandant une rotation mentale[16]. Toutefois, la capacité à traiter les informations négligées, mais cette fois-ci de manière strictement implicite, resterait préservée : il existerait donc une dissociation entre les capacités sous-tendant le blindsight et celles déficitaires dans l’héminégligence [17].
Plusieurs études de dissociations neuropsychologiques ont portées sur la NSU. Il existe notamment une dissociation possible entre la négligence corporelle et extracorporelle[18], entre négligence égocentrée et allocentrée[19], entre négligence attentionnelle et intentionnelle (concernant les aspects prémoteurs des gestes dirigés vers l’hémiespace controlésionnel)[20], ou encore entre la négligence concernant l’espace péripersonnel, extra-personnel proche et lointain[21].
Tests neuropsychologiques
Il existe des batteries d'évaluation de la négligence. L'une d'entre elles est la Batterie d'Évaluation de la Négligence (BEN)[22], composée notamment de plusieurs épreuves papier-crayon. Parmi ces tests, on retrouve des tests classiques comme les cloches[23] (entourer le plus de cloches présentes sur une feuille parmi d'autres items distracteurs) et le barrage de traits (barrer tous les traits présentés une feuille sans items distracteurs). Dans tous les cas, les patients négligent les items cibles présentés dans leur hémiespace gauche.
Diagnostic différentiel
Lors de l'évaluation clinique du patient, il est important de différencier l'héminégligence de l'hémiparésie ataxique, du syndrome de Gerstmann et du syndrome de Balint (ou plus généralement, de l'atrophie corticale postérieure), du syndrome d'Anton (cécité corticale), de troubles moteurs primaires et somatosensoriels, et de dysfonctionnement vestibulaires[14].
Théories explicatives
Il existe plusieurs théories explicatives de la NSU :
- Attentionelle. a) Selon Mesulam, il existe une dominance de l’hémisphère droit pour l’attention spatiale, et celle-ci expliquerait la survenue de l’héminégligence majoritairement après la survenue de lésions droites. Pour cette première théorie attentionnelle, l’hémisphère droit serait en mesure de traiter les deux hémi-espaces tandis que l’hémisphère gauche n’effectuerait des traitements restreints qu’à l’hémisespace droit[24]. b) Selon Posner l'attention se décompose en trois phases : l’alerte, l’engagement attentionnel, et le désengagement de l’attention. Selon cette théorie, le patient héminégligent souffrirait d’une incapacité de désengagement de l’attention de l’hémiespace droit plutôt que d’une incapacité à engager leur attention vers l’hémiespace gauche. Cette théorie est susceptible d’expliquer le phénomène d’attraction magnétique des yeux du côté de la lésion[25].
- Représentationnelle. Ce serait la représentation mentale de l’espace qui serait défaillante chez ces patients. Dans une étude de Bisiach et Luzzatti (1978), deux patients qui doivent se remémorer une place connue en Italie négligent systématiquement les détails de l'hémiespace gauche sauf si ceux-ci effectuent une rotation mentale, se représentant dès lors ce qui était auparavant négligé dans l'hémi-espace ipsi-lésionnel. Cette expérience démontre ainsi une dissociation entre les capacités de mémoire et de représentation de l'espace[26] ;
- Référentielle. Selon cette théorie, l'espace serait représenté en relation avec des coordonnées corporelles (référence égocentrique). Cette référence égocentrée serait superposée à l’axe sagittal chez le sujet sain. Selon cette théorie, la négligence serait une déviation vers la droite de la référence égocentrique, due à la distorsion du système de coordonnées spatiales. Cette déviation pourrait s’observer sur demande d’un pointage droit devant soi. Seulement, il existe une dissociation entre capacité de référence égocentrée et négligence spatiale ; en effet, la perturbation de cette référence n’est pas systématique chez les patients négligents. Pour la théorie référentielle allocentrée, le patient héminégligent néglige un hémiespace de chacun des objets qu’il observe[19].
Articles fondamentaux
- Beis JM, Frenay C, André JM, Datié AM & Baumgarten A (1996). Occultation oculaire et négligence spatiale unilatérale. Intérêt en rééducation. In Annales de réadaptation et de médecine physique (, vol 39, N°8, pp. 527-533). Elsevier Masson.(résumé)
- Chevignard M (2006) Évaluation de la négligence spatiale unilatérale chez l'enfant et des troubles des fonctions exécutives dans la vie quotidienne chez l'adulte après lésion cérébrale acquise ; Thèse de doctorat soutenue à l'université de Paris 6 (résumé).
- Cochin JP, Hannequin D, Auzou P, Fosil D, Dreano E, Mihout B & Augustin P (1996) Latences saccadiques et négligence spatiale unilatérale par lésion pariétale. Revue neurologique, 152(1), 32-37 (résumé et notice Inist-CNRS).
- Chokron S, Bartolomeo P & Sieroff E (2008) La négligence spatiale unilatérale: trente ans de recherches, de découvertes, d’espoirs et (surtout) de questions. Revue neurologique, 164, S134-S142 (résumé).
- Chokron S & Bartolomeo P.(1999) Réduire expérimentalement la négligence spatiale unilatérale: revue de la littérature et implications théoriques. Revue de neuropsychologie, 9(2-3), 129-165. (résumé)
- Gainotti, G. (1968). Les manifestations de négligence et d'inattention pour l'hémispace. Cortex, 4(1), 64-91.(résumé)
- Jacquin-Courtois S (2002) Influence de la négligence spatiale unilatérale sur le contrôle intentionnel de l'action: analyse cinématique 3D de mouvements de préhension ; Thèse de Doctorat.
- Lacour S, Jacquin S & Rosetti Y (2004) Liens entre représentations spatiales et représentations numériques: apport de la négligence spatiale unilatérale et de la plasticité visuomotrice. Vision, espace et cognition: fonctionnement normal et pathologique, 61-72.
- Laurent-Vannier A, Pradat-Diehl P, Chevignard M & Abada G (2001) Négligence spatiale unilatérale et motrice chez l'enfant. Revue neurologique, 157(4), 414-422 (résumé).
- Rossetti Y, Rode G, Pisella L & Boisson D (1999) Plasticité senso-motrice et récupération fonctionnelle: les effets thérapeutiques de l'adaptation prismatique sur la négligence spatiale unilatérale ; ipubli.inserm.fr
- Rousseaux M, Beis J-M, Pradat-Diehl P, Martin Y, Bartolomeo P, Bernati T, ... & Azouvi P (2001) Présentation d’une batterie de dépistage de la négligence spatiale. Revue neurologique, 157, 1385-1400.
Références
- (en) Stevan Harnard, Lateralization in the nervous system, New York, New York: Academic, (ISBN 978-0-12-325750-5, lire en ligne), p. 285-302
- (en) Hedna VS, Ansari S, Falchook AD, Stead L, Heilman KM et Waters MF, « Hemispheric differences in ischemic stroke: is left-hemisphere stroke more common? », Journal of Clinical Neurology, , p. 97-102 (lire en ligne)
- Vincent de La Sayette, Les Syndromes de négligence unilatérale,
- http://www.lscp.net/persons/dupoux/teaching/QUINZAINE_RENTREE_CogMaster_2014-15/Bloc_neuropsychologie/Sieroff_2004_chap1.pdf
- (en) Daniel B. Hier, Janice Mondlock et Louis R. Caplan, « Behavioral abnormalities after right hemisphere stroke », Neurology, (lire en ligne)
- (en) Aiko Osawa et Shinichiro Maeshima, « Aphasia and unilateral spatial neglect due to acute thalamic hemorrhage: clinical correlations and outcomes », Neurological sciences, (lire en ligne)
- (en) M. Kim, D. L. Na, G. M. Kim et J. C. Adair, « Ipsilesional neglect: behavioural and anatomical features », Journal of Neurology, Neurosurgery & Psychiatry, vol. 67, no 1, , p. 35–38 (ISSN 0022-3050 et 1468-330X, PMID 10369819, PMCID PMC1736416, DOI 10.1136/jnnp.67.1.35, lire en ligne, consulté le )
- (en) Korina Li et Paresh A. Malhotra, « Spatial neglect », Practical Neurology, vol. 15, no 5, , p. 333–339 (ISSN 1474-7758 et 1474-7766, PMID 26023203, PMCID PMC4602245, DOI 10.1136/practneurol-2015-001115, lire en ligne, consulté le )
- (en) Michel Thiebaut de Schotten, Francesco Tomaiuolo, Marilena Aiello, Sheila Merola, Massimo Silvetti, Francesca Lecce, Paolo Bartolomeo et Fabrizio Doricchi, « Damage to White Matter Pathways in Subacute and Chronic Spatial Neglect: A Group Study and 2 Single-Case Studies with Complete Virtual “In Vivo” Tractography Dissection », Cerebral Cortex, , p. 691-706 (lire en ligne)
- (en) Paolo Bartolomeo, Michel Thiebaut de Schotten et Fabrizio Doricchi, « Left unilateral neglect as a disconnection syndrome », Cerebral Cortex, , p. 2479-90 (lire en ligne)
- (en) Paolo Bartolomeo, Michel Thiebaut de Schotten et Ana B. Chica, « Brain networks of visuospatial attention and their disruption in visual neglect », Frontiers in Human Neuroscience, (lire en ligne)
- (en) Marine Lunven, Michel Thiebaut De Schotten, Clémence Bourlon, Christophe Duret, Raffaella Migliaccio, Gilles Rode et Paolo Bartolomeo, « White matter lesional predictors of chronic visual neglect: a longitudinal study », Brain, , p. 746-760 (lire en ligne)
- (en) E Bisiach, G Vallar, D Perani, C Papagno et A Berti, « Unawareness of disease following lesions of the right hemisphere: anosognosia for hemiplegia and anosognosia for hemianopia », Neuropsychologia, , p. 471-82 (lire en ligne)
- (en) Ayesha Sarwar et Prabhu D. Emmady, « Spatial Neglect », sur https://www.ncbi.nlm.nih.gov/, (consulté le )
- Gainotti G, « Les manifestations de négligence et d'inattention pour l'hémispace », Cortex, , p. 64-91 (lire en ligne)
- (en) Edoardo Bisiach et Claudio Luzzatti, « Unilateral Neglect of Representational Space », Cortex, , p. 129-133 (lire en ligne )
- (en) John C. Marshall et Peter W. Halligan, « Blindsight and insight in visuo-spatial neglect », Nature, , p. 766-767 (lire en ligne)
- (en) E Bisiach, D Perani, G Vallar et A Berti, « Unilateral neglect: personal and extra-personal », Neuropsychologia, , p. 759-67 (lire en ligne)
- (en) E. Bisiach, E. Capitani et E. Porta, « Two basic properties of space representation in the brain: evidence from unilateral neglect », Psychology, (lire en ligne)
- (en) Heilman, K. M., Watson, R. T. et Valenstein, E., Localization and neuroimaging in neuropsychology, New York, New York: Academic Press, (ISBN 978-0124050457, lire en ligne), p. 495-524
- (en) P W Halligan et J C Marshall, « Spatial compression in visual neglect: a case study », Cortex, , p. 623-9 (lire en ligne)
- Groupe d’Etude sur la Rééducation et l’Evaluation de la Négligence, « Batterie d’Evaluation de la Négligence unilatérale » [PDF], sur batterienegligenceben.wordpress.com (consulté le )
- (en) L. Gauthier, F. Dehaut et Y. Joanette, « The Bells Test: A quantitative and qualitative test for visual neglect », Psychology, (lire en ligne [PDF])
- (en) Marcel Mesulam, Principles of behavioral and cognitive neurology, Oxford, Oxford University Press, , 560 p. (ISBN 9780195134759, lire en ligne)
- (en) Michael I. Posner, « Orienting of Attention », Quaterly journal of experimental psychology, (lire en ligne)
- (en) Edoardo Bisiach et Claudio Luzzatti, « Unilateral Neglect of Representational Space », Cortex, vol. 14, no 1, , p. 129-133 (DOI 10.1016/S0010-9452(78)80016-1, lire en ligne).