ModĂšle de Black-Litterman
Le modĂšle de Black et Litterman est un modĂšle dâoptimisation de portefeuille sous contraintes mis au point par Fischer Black et Robert Litterman. Il a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© pour pallier le manque de fiabilitĂ© et de souplesse des modĂšles quantitatifs dâallocation dâactifs. Le fonctionnement du modĂšle de Black et Litterman est dĂ©crit dans leur article « Global Portfolio Optimization » paru en 1992[1].
Le modĂšle de Black-Litterman combine lâĂ©quilibre de marchĂ© avec les anticipations des investisseurs pour produire une allocation pertinente et qui reflĂšte les prĂ©visions des investisseurs. Il sâappuie sur deux modĂšles de rĂ©fĂ©rence de la thĂ©orie moderne du portefeuille que sont lâoptimisation moyenne-variance de Harry Markowitz[2] et le modĂšle d'Ă©valuation des actifs financiers de Sharpe[3] et Lintner aussi appelĂ© MEDAF. De plus, le modĂšle de Black-Litterman offre un degrĂ© de flexibilitĂ© supplĂ©mentaire en permettant Ă l'investisseur de qualifier le niveau de confiance quâil a dans ses anticipations.
Initialisation par lâĂ©quilibre de marchĂ©
Les modĂšles dâoptimisation de portefeuille, en dĂ©pit de leur sophistication et de la puissance de calcul disponible, souffrent dâun dĂ©ficit de crĂ©dibilitĂ© liĂ© aux rĂ©sultats aberrants quâils produisent parfois. Par exemple, les allocations proposĂ©es peuvent inclure dâimportantes positions de vente Ă dĂ©couvert ou bien des positions nulles sur tous les actifs sauf un petit nombre dâentre eux. Par ailleurs, la plupart des modĂšles utilise lâoptimisation moyenne-variance de Markowitz qui est trĂšs sensible aux anticipations de rendement. Ainsi une variation dâune fraction de pourcentage sur le rendement attendu dâun actif peut accroĂźtre de façon disproportionnĂ©e la part de cet actif dans lâallocation calculĂ©e.
L'utilisation du modĂšle dâĂ©quilibre du MEDAF dans le modĂšle de Black-Litterman permet dâĂ©viter ces difficultĂ©s. Aussi, les allocations calculĂ©es par le modĂšle de Black-Litterman apparaissent-elles plus raisonnables et plus naturelles que celles fournies par les modĂšles traditionnels. Pour schĂ©matiser, le modĂšle de Black-Litterman est une optimisation de portefeuille de Markowitz mais dont lâinitialisation serait faite en utilisant le modĂšle du MEDAF. En effet, dans lâoptimisation de Markowitz traditionnelle, il est nĂ©cessaire de spĂ©cifier les corrĂ©lations entre tous les actifs mais Ă©galement le rendements prĂ©visionnels des actifs. Ainsi, il y a autant de rendements prĂ©visionnels Ă dĂ©terminer quâil existe dâactifs dans le portefeuille. En lâabsence dâanticipations de lâinvestisseur, il est nĂ©cessaire d'indiquer des valeurs par dĂ©faut des rendements prĂ©visionnels pour l'optimisation. On parlera alors d'initialisation des hypothĂšses de rendement.
L'initialisation des hypothĂšses de rendement pour lâoptimisation peut ĂȘtre faite de plusieurs façons mais la mĂ©thode dâĂ©quilibre du MEDAF leur est supĂ©rieure. Parmi celles-ci on trouve lâutilisation de rendements historiques pour prĂ©dire les rendements futurs, lâhypothĂšse de rendements Ă©gaux quelle que soit la classe dâactifs et le pays, lâhypothĂšse de rendements ajustĂ©s pour le risque. MĂȘme dans le cas de lâhypothĂšse de rendements ajustĂ©s pour le risque qui est une amĂ©lioration des deux prĂ©cĂ©dentes mĂ©thodes, deux aspects sont nĂ©gligĂ©s. PrĂ©cisons que dans l'hypothĂšse de rendements ajustĂ©s pour le risque, le rendement par unitĂ© de volatilitĂ© est le mĂȘme quel que soit lâactif. Dâune part, les corrĂ©lations entre actifs ne sont pas prises en compte mais surtout lâinfluence de la demande pour les actifs est absente.
Le modĂšle dâĂ©quilibre du MEDAF intĂšgre les effets de lâoffre et de la demande dans les marchĂ©s financiers et permet d'obtenir une vision neutre des rendements attendus par le marchĂ©. En voici le mĂ©canisme. Lorsque la demande dâun actif augmente, le prix de cet actif augmentera ce qui aura pour effet de rĂ©duire le rendement de lâactif.
LâĂ©quilibre du MEDAF correspond Ă une situation oĂč lâensemble des rendements sâajustent pour Ă©quilibrer lâoffre et la demande si tous les investisseurs avaient des anticipations identiques. Le modĂšle de Sharpe et Lintner montre que, dans un contexte de marchĂ© global, lâĂ©quilibre est obtenu avec le portefeuille de marchĂ©.
Le rendement dâĂ©quilibre des actifs est reliĂ© Ă leur capitalisation dans le portefeuille de marchĂ©. Au moins deux mĂ©thodes sont disponibles pour faire ce calcul. La premiĂšre mĂ©thode fait intervenir l'aversion au risque tandis que la seconde repose sur le concept de prime de risque. L'article de Black et Litterman emploie aussi l'aversion au risque au travers d'une constante mais sans dĂ©tailler de mĂ©thode d'estimation et en renvoyant vers un autre article[4]. Quant au calcul basĂ© sur la prime de risque, il s'effectue par lâintermĂ©diaire des BĂȘta[5]. Le coefficient mesure la sensibilitĂ© du rendement de l'actif i au rendement du portefeuille de marchĂ©.
oĂč est la volatilitĂ© du rendement du portefeuille de marchĂ©. Soient la matrice de covariance du vecteur des rendements , et la capitalisation de l'actif i dans le portefeuille de marchĂ©, alors on peut exprimer en fonction de et du vecteur :
Notons les rendements oĂč est le rendement de lâactif sans risque. On a alors : , oĂč la quantitĂ© est la prime de risque du marchĂ©. Une fois dĂ©terminĂ©e la prime de risque, les sur-rendements neutres sâen dĂ©duisent immĂ©diatement. Dans la suite, on sâintĂ©ressera davantage aux sur-rendements qu'aux rendements Ă proprement parler.
LâintĂ©gration des anticipations de rendement
Voici un autre avantage du modĂšle de Black-Litterman. Lâinvestisseur nâa pas besoin dâindiquer des anticipations de rendement pour tous les actifs mais uniquement pour ceux sur lesquels il a un avis. Les autres rendements des actifs nĂ©cessaires Ă lâoptimisation moyenne-variance sont calculĂ©s Ă partir de lâĂ©quilibre de marchĂ© du MEDAF et des anticipations que lâinvestisseur aura saisies.
Le modĂšle de Black-Litterman permet la saisie dâanticipations sous des formes variĂ©es. Il peut sâagir dâune anticipation absolue : lâactif A aura un rendement de x %, ou dâune anticipation relative : lâactif A surperformera lâactif B de y %. Plus gĂ©nĂ©ralement, toute anticipation qui peut ĂȘtre dĂ©crite sous la forme dâune combinaison linĂ©aire des rendements dâactifs est possible.
Dans le cas oĂč lâinvestisseur nâa pas dâanticipation sur les performances Ă venir des actifs, lâallocation proposĂ©e correspond Ă la vision neutre issue du MEDAF, câest-Ă -dire au portefeuille de marchĂ©.
Le modĂšle de Black-Litterman intĂšgre deux donnĂ©es, une information de marchĂ© sous la forme des sur-rendements dâĂ©quilibre, câest-Ă -dire la partie supĂ©rieure au taux dâintĂ©rĂȘt sans risque , et les anticipations des investisseurs. Les deux donnĂ©es sont incertaines par nature et sont raisonnablement reprĂ©sentĂ©es par deux variables alĂ©atoires. Il est remarquable que mĂȘme si un actif ne fait pas lâobjet dâanticipation de rendement, le sur-rendement de ce dernier est calculĂ© pour ĂȘtre aussi cohĂ©rent que possible avec les donnĂ©es de marchĂ© et dâanticipation.
ModÚle simplifié
On suppose quâil nâexiste que trois actifs A,B et C. Le sur-rendement de chacun des actifs est dĂ©terminĂ© par lâĂ©quilibre de marchĂ© et dâĂ©ventuelles surprises, dâune part sur un facteur de risque commun aux trois actifs, et, dâautre part sur trois facteurs de risques individuels. MathĂ©matiquement, on pourrait dĂ©crire le modĂšle comme suit :
OĂč est le sur-rendement de l'actif i, est le sur-rendement d'Ă©quilibre de l'actif i, reprĂ©sente l'influence de le facteur de risque commun, et correspond Ă la surprise indĂ©pendante sur l'actif i. Dans ce modĂšle, le risque relatif aux sur-rendements des actifs A, B et C est mesurĂ© par une matrice de covariance qui combine les quatre facteurs de risque: le facteur commun et les trois facteurs individuels indĂ©pendants et propres Ă chaque actif. Il faut noter qu'il n'est pas possible d'isoler les diffĂ©rents facteurs de risque Ă partir de la seule observation de .
Le vecteur des sur-rendements attendus des actifs est fonction des primes de risque d'équilibre, de l'espérance mathématique du facteur de risque commun et de l'espérance mathématique du vecteur des surprises indépendantes de chaque actif. Ainsi l'espérance du sur-rendement de l'actif A s'écrit:
Ici, est elle-mĂȘme une variable alĂ©atoire qui est conditionnĂ©e par les anticipations sur les sur-rendements. L'espĂ©rance de correspond Ă la prime de risque d'Ă©quilibre, tandis que l'incertitude sur dĂ©pend de l'incertitude sur le facteur commun et sur les facteurs individuels . Black et Litterman font l'hypothĂšse que l'incertitude des variables alĂ©atoires et est proportionnelle, respectivement, Ă la volatilitĂ© de et de .
Cette hypothĂšse entraĂźne que le vecteur alĂ©atoire formĂ© des admet une matrice de covariance proportionnelle Ă , soit . D'aprĂšs Black et Litterman, la valeur de est proche de 0 puisque selon leurs termes[1], lâincertitude sur lâespĂ©rance dâune variable alĂ©atoire est plus faible que lâincertitude sur la variable alĂ©atoire elle-mĂȘme. Mais cette valeur fait l'objet d'une controverse. Certains auteurs utilisent parfois la valeur 0 pour comme Meucci[6], Krishnan et Mains en faisant lâhypothĂšse simplificatrice quâil nây a pas dâerreur dâestimation sur lâespĂ©rance des . D'autres tels que Satchell and Scowcroft[7] considĂšrent que est souvent Ă©gal Ă 1. Alternativement, Meucci[6] Ă©value lâerreur dâestimation et donc Ă partir du nombre de donnĂ©es disponibles. DâaprĂšs le mĂȘme auteur, la valeur de semble normalement devoir se situer entre 0 et 1. NĂ©anmoins, J. Walters indique que certains auteurs envisagent la possibilitĂ© d'une valeur [8].
Si un investisseur souhaite exprimer une anticipation certaine à 100 % à l'intérieur du modÚle, il peut le faire par l'intermédiaire d'une contrainte linéaire. Par exemple, s'il prévoit que l'actif A surperforme l'actif B d'une certaine valeur , cela se traduira par la contrainte: .
En faisant l'hypothĂšse plus forte d'une distribution gaussienne pour le vecteur alĂ©atoire: , il devient possible de dĂ©terminer la nouvelle distribution du vecteur alĂ©atoire conditionnellement Ă la contrainte oĂč est le vecteur . LâespĂ©rance de la nouvelle distribution, qui reprĂ©sente les sur-rendements en tenant compte des anticipations est:
En rĂ©alitĂ©, les calculs prĂ©cĂ©dents sont valables en toute gĂ©nĂ©ralitĂ© quel que soit le nombre d'actifs pour une anticipation certaine Ă 100 %. Lorsqu'il y a plus d'une anticipation, prend la forme d'une matrice Ă lignes et colonnes oĂč la colonne j dĂ©crit la jĂšme contrainte, certaines colonnes pouvant ĂȘtre nulles tandis que prend la forme d'un vecteur ligne Ă composantes oĂč la composante j correspond Ă la valeur de la jĂšme contrainte, certaines composantes pouvant ĂȘtre nulles.
Jusquâici les anticipations Ă©taient supposĂ©es certaines Ă 100 %. Une des innovations qu'apporte le modĂšle de Black-Litterman est la possibilitĂ© de moduler le niveau de confiance d'une anticipation et donc d'intĂ©grer des anticipations plus ou moins fiables.
Niveau de confiance
L'incertitude sur la qualité d'anticipation est prise en compte dans le modÚle de Black-Litterman en intégrant un paramÚtre à la contrainte.
oĂč est une vecteur ligne gaussien centrĂ© de matrice de covariance la matrice diagonale . L'Ă©lĂ©ment diagonal j dĂ©termine le niveau de confiance dans l'anticipation j. Plus sa valeur est faible, plus la confiance dans l'anticipation j est Ă©levĂ©e et inversement.
La distribution du vecteur conditionnellement aux anticipations et au niveau de confiance dans ces anticipations a pour espérance:
Ce vecteur reprĂ©sente les sur-rendements attendus une fois pris en compte les anticipations et le niveau de confiance dans ces anticipations. Disposant dĂ©sormais, d'une part des rendements des actifs issus de l'Ă©quilibre de marchĂ© et des anticipations, et d'autre part des corrĂ©lations entre les rendements des actifs, l'optimisation moyenne-variance de Markowitz peut ĂȘtre effectuĂ©e pour fournir l'allocation cherchĂ©e.
Bibliographie
- (en) Fischer Black et Robert Litterman, « Global Portfolio Optimization », Financial Analysts Journal,â , p. 28â43 (JSTOR 4479577)
- (en) Harry Markowitz, « Portfolio Selection », Journal of Finance,â , p. 77-91 (DOI 10.2307/2975974, JSTOR 2975974)
- (en) William Sharpe, « Capital Asset Prices - A Theory of Market Equilibrium Under Conditions of Risk », Journal of Finance vol. 19 No. 3,â , p. 425â442 (JSTOR 2977928)
- (en) Fischer Black, « Universal Hedging: Optimizing Currency Risk and Reward in International Equity Portfolios », Financial Analysts Journal Vol. 45, No. 4,â , p. 16â22 (JSTOR 4479236)
- (en) Attilio Meucci, « The Black-Litterman Approach: Original Model and Extensions », (consulté le )
- (en) Stephen Satchell et Alan Scowcroft, « A demystiïŹcation of the BlackâLitterman model: Managing quantitative and traditional portfolio construction »,â (consultĂ© le )
Notes et références
- Black et Litterman 1992
- Markowitz 1952
- Sharpe 1964
- Black 1989
- Daniel Herlemont, « FrontiĂšre EïŹciente - lâapproche de Black Litterman » (consultĂ© le )
- Meucci 2010
- Satchell et Scowcroft 2000
- Jay Walters, « Comparison of Author's Methods », sur http://www.blacklitterman.org/ (consulté le )
Liens externes
- Daniel Herlemont: FrontiĂšre EïŹciente - lâapproche de Black Litterman
- Philippe Bernard: Le modĂšle de Black et Litterman - Opinions et Ă©quilibre
- Guangliang He and Robert Litterman: The Intuition Behind Black-Litterman Model Portfolios
- Jay Walters: The Black-Litterman Model in Detail
- Thomas M. Idzorek: A Step-By-Step Guide to the Black-Litterman Model - Incorporating user-specified confidence levels
- Charlotta Mankert: The Black-Litterman Model - mathematical and behavioral finance approaches towards its use in practice
- Blacklitterman.Org un site web indépendant et complet sur le modÚle de Black-Litterman, par J. Walters