Micromonde
Un micromonde est le nom donnĂ© Ă un environnement informatique particulier, oĂč l'utilisateur, et particuliĂšrement, l'enfant, est mis dans une situation de grande autonomie. Les micromondes appartiennent au cadre des rĂ©flexions sur les mĂ©thodes de pĂ©dagogie active, et ils sont l'un des objets d'Ă©tude des EIAH (environnements informatiques pour l'apprentissage humain).
GenĂšse
à la fin des années soixante, les théories béhavioristes qui ont largement prévalu jusque-là , sont profondément remises en cause par les avancées de la psychologie du développement. à la suite de personnes comme James Baldwin ou Jean Piaget, le processus de formation des connaissances est revu et l'idée que la connaissance relÚve d'une construction individuelle se développe. Piaget base ainsi sa théorie sur l'idée qu'on construit ses connaissances à partir de la reconceptualisation d'expériences vécues, théorie qui va prendre le nom de constructivisme avec Jerome Bruner.
Inspirés par le travail de Piaget d'une part et leurs expériences en intelligence artificielle d'autre part, des gens comme Seymour Papert ou Marvin Minsky se sont rapidement posés la question de savoir quelle place pouvait avoir l'ordinateur dans cette démarche constructiviste : il n'était plus temps de proposer à l'enfant un apprentissage programmé, celui-ci devait devenir véritablement acteur de la construction de ses connaissances.
« Dans bien des écoles aujourd'hui, « enseignement assisté par ordinateur » signifie que l'ordinateur est programmé pour enseigner à l'enfant. On pourrait dire que l'ordinateur sert à programmer l'enfant. Dans ma vision des choses, l'enfant programme l'ordinateur et, ce faisant, acquiert la maßtrise de l'un des éléments de la technologie la plus moderne et la plus puissante, tout en établissant un contact intime avec certaines des notions les plus profondes de la science, des mathématiques, et de l'art de bùtir des modÚles intellectuels. »[1]
Papert cite ainsi trĂšs souvent John Dewey, dont la conception de l'Ă©ducation est fondĂ©e sur l'activitĂ© des apprenants et l'analyse de ses besoins et de ses intĂ©rĂȘts plus que sur une organisation dĂ©taillĂ©e et prĂ©alable des connaissances Ă apprendre. La connaissance n'apparaĂźt plus seulement comme la somme d'un certain nombre de compĂ©tences Ă©lĂ©mentaires, mais comme la valeur ajoutĂ©e issue de l'agrĂ©gation de multiples concepts.
Cette vision avait besoin d'ĂȘtre concrĂ©tisĂ©e en informatique, et Papert et Minsky conçoivent alors, en 1972, le langage de programmation Logo. Plus qu'un simple langage, le Logo s'apparente Ă un environnement de programmation complet, dotĂ© d'une partie graphique dans laquelle on peut interagir dynamiquement avec un objet, la tortue, et d'une partie textuelle, l'Ă©diteur de programme. L'idĂ©e de cet outil est d'offrir aux enfants un grand espace de libertĂ©, facilement accessible, et dans lequel ils pourront exprimer leurs idĂ©es et en explorer les consĂ©quences.
Le Logo a fortement influencé la communauté EIAH au sens large et consacre l'expression « micromonde » pour décrire des environnements basés sur l'expérimentation et l'autonomie de l'enfant. De multiples micromondes ont depuis vu le jour, plus ou moins spécialisés dans un domaine.
Objectifs des micromondes
De l'ordinateur-outil, on passe à l'ordinateur-médiateur (qui permet d'exprimer et donc d'agir sur ses modÚles de représentation). D'aprÚs Bruillard[2], « dans l'apprentissage par la programmation, les langages utilisés sont un moyen, le but étant de construire quelque chose. Il s'agit, pour l'apprenant, de traduire ses intuitions sous la forme d'un programme. Il convient de trouver une forme de communication entre l'élÚve et la machine qui ne perturbe pas trop les apprentissages visés. On peut penser à une interface transparente (dans le sens immédiat, sans obstacle) ou suffisamment cohérente avec les objets manipulés. L'expression de Papert, « outil pour penser avec » correspond bien à cette derniÚre idée. »
Pour que ce fonctionnement se concrĂ©tise, Bruillard Ă©numĂšre un certain nombre de caractĂ©ristiques importantes : tout d'abord, ces langages doivent ĂȘtre faciles Ă apprendre et faciles Ă utiliser, ce qui induit une certaine proximitĂ© avec une classe de problĂšmes, mais peut constituer par ailleurs une limitation s'il est nĂ©cessaire d'apprendre une nouvelle syntaxe pour aborder une nouvelle classe de problĂšmes. Ensuite, l'interactivitĂ© et l'extensibilitĂ© (c'est-Ă -dire la possibilitĂ© d'enrichir le langage de base, de travailler sur des couches successives, on pourrait penser Ă la mĂ©taphore du rĂ©seau) semblent ĂȘtre importantes. L'apprenant doit pouvoir contrĂŽler la consĂ©quence de ses actions, suivre une dĂ©marche naturelle et contrĂŽlable en utilisant une syntaxe proche de la langue naturelle. Une liste de problĂšmes et d'activitĂ©s intĂ©ressants doit pouvoir ĂȘtre proposĂ©e (scĂ©narios pĂ©dagogiques) et la structure du langage considĂ©rĂ© doit correspondre aux objets manipulĂ©s. Enfin, au-delĂ de certaines facilitĂ©s de mise en Ćuvre, le langage doit offrir une puissance suffisante, en intĂ©grant des concepts efficaces de programmation.
L'Ă©volution des micromondes
Les micromondes ont pendant longtemps été influencé par le langage Logo et le micromonde de géométrie créé initialement par Papert. Pendant une trÚs grande période, les micromondes sont donc restés étroitement lié au domaine mathématique et à ses dérivés dont la physique.
En 2008, le micromonde le plus significatif en termes d'utilisation sur le terrain est Squeak, descendant lointain de Logo, dĂ©veloppĂ© autour du langage Smalltalk par Alan Kay notamment. Sa diffusion a Ă©tĂ© fortement accĂ©lĂ©rĂ©e par le projet XO-1 de la fondation OLPC. L'un des autres micromondes cĂ©lĂšbre au sein du systĂšme Ă©ducatif français est Cabri-GĂ©omĂštre : c'est un environnement d'apprentissage de la gĂ©omĂ©trie, oĂč l'enfant peut trĂšs facilement construire des figures en faisant intervenir toutes sortes de notions comme le parallĂ©lisme, la tangence, etc.
Ces derniĂšres annĂ©es, cependant, plusieurs recherches ont explorĂ© de nouvelles possibilitĂ©s pour les micromondes. Mavrikis et coll. (2013) ont testĂ© ce concept pour enseigner lâalgĂšbre, Clary et Wandersee (2014) ont testĂ© ce concept pour enseigner la biologie, Wang et coll. (2018) ont testĂ© ce concept pour lâenseignement des mathĂ©matiques (Chiung-Wen, Ho et Chueh, 2019)[3].
Toutefois, il reste encore de nombreuses recherches Ă mener. Martinho Costa et al. (2020)[4] ont suggĂ©rĂ© plusieurs pistes Ă explorer pour les futures recherches sur les micromondes. Parmi leurs propositions on retrouve le fait dâallonger la durĂ©e dâutilisation, de tester la diffĂ©rence dâeffet entre lâutilisation de la mĂ©thode dâapprentissage constructionniste et celle dâautres mĂ©thodes dâapprentissage ainsi que le fait de tester de maniĂšre quantitative lâeffet du micromonde sur lâacquisition des compĂ©tences. Chiung-Wen, Ho et Chueh (2019)[3], pour leur part, proposent de comparer les effets de lâutilisation du micromonde selon lâĂąge des participants et le niveau des apprenants.
Limites des micromondes
- La conception d'un micromonde demande une expertise dans 3 domaines : l'éducation, l'informatique et un domaine d'application. Elle implique donc de faire appel à une équipe pluridisciplinaire, ce qui déformera un peu la vision de chaque domaine. Il serait donc préférable qu'une seule personne soit chargée de la conception du micromonde, mais de tels experts sont rares.
- La motivation de l'apprenant est au cĆur de la mĂ©thode d'apprentissage constructiviste, car on rend l'apprenant responsable de son apprentissage. La façon la plus simple pour garder l'apprenant motivĂ© est de retombĂ© dans le modĂšle traditionnel d'enseignement centrĂ© sur l'enseignant dans lequel on donne comme rĂŽle Ă l'enseignant de fournir une motivation extrinsĂšque Ă l'apprenant. Toutefois, en agissant ainsi, on perd complĂštement la vision de Papert et le micromonde redevient un outil qui sert d'exemple plutĂŽt qu'un environnement d'apprentissage. Heureusement, l'utilisation d'outils informatique perçus comme utiles et satisfaisant favorise la crĂ©ation d'une motivation intrinsĂšque pour l'apprenant (Valverde-Berrocoso et coll., 2020)[5]. La difficultĂ© reste donc de rĂ©ussir Ă crĂ©er un micromonde qui sera perçu comme tel.
- Le micromonde, seul, devient trĂšs vite stĂ©rile, de la mĂȘme maniĂšre que la meilleure terre ne donnera jamais de blĂ© si on n'y met pas de graines. Ceci sous-entend que pour qu'un tel type d'environnements informatiques pour l'apprentissage humain soit intĂ©ressant, il demande un travail important de prĂ©paration de situations Ă explorer. Ensuite, le micromonde permet Ă l'enfant de mener ses investigations, mais il n'apporte pas, intrinsĂšquement, de connaissances. Si l'utilisateur dispose d'un environnement idĂ©al pour construire des raisonnements, se crĂ©er des schĂšmes et des reprĂ©sentations, la « matiĂšre premiĂšre » reste essentielle, et il faut rĂ©flĂ©chir en amont aux moyens de l'amener.
Plus généralement, les critiques exprimées à l'égard des principes de la pédagogie active s'appliquent au modÚle pédagogique sous-tendu par les micromondes.
Influence dans le monde de l'Ă©ducation
Sujets Ă critiques pour certains de leurs aspects, les micromondes ont Ă©tĂ© et sont toujours, d'une certaine maniĂšre, le symbole dans le monde informatique des thĂ©ories de l'Ă©ducation nouvelle. Ils portent notamment cette vision de l'Ă©ducation oĂč l'enfant est « l'auteur de ses connaissances » qu'il construit Ă partir de l'expĂ©rimentation.
L'influence et l'impact réel de ces environnements dans l'éducation a été variable, mais Logo et Cabri, deux outils utilisés à large échelle, ont été (et sont toujours pour Cabri) indéniablement des vecteurs d'une certaine vision de l'éducation à l'école, dont on a parlé plus haut.
Par ailleurs, le projet XO-1 de la fondation OLPC, qui propose une version adaptée de Squeak sur son ordinateur portable à 100$, a donné, depuis 2006, un nouvel élan trÚs important à l'environnement Squeak, puisque ce sont des millions d'enfants à travers le monde qui utilisent désormais cet outil dans le cadre de l'école.
Voir aussi
Les micromondes
- Le langage Logo (avec des liens vers de nombreuses implémentations du Logo)
- Le logiciel de géométrie dynamique Cabri GéomÚtre
- L'environnement Squeak
- Le logiciel propriétaire MicroMondes
Les personnes influentes dans l'univers des micromondes
- Seymour Papert
- Alan Kay
- Evgenia Sendova
Liens externes
- (fr) Site officiel des créateurs de MicroWorlds et MicroMondes
- (en) Lifelong Kindergarten, le Lifelong Kindergarten Group de Mitchel Resnick, au MIT
Notes et références
- Seymour Papert, Mindstorms: childrens, computers and powerful ideas, 1993, (ISBN 978-0465046744)
- Ăric Bruillard, Machines Ă enseigner, HermĂšs, 1997, (ISBN 978-2866016104)
- (en) ChiungâWen Liu, LiâAn Ho et TingâYu Chueh, « Exploring the learning effectiveness of financial literacy from the microworld perspective: Evidence from the simulated transactional interactive concurrent system », Journal of Computer Assisted Learning, vol. 36, no 2,â , p. 178â188 (ISSN 0266-4909 et 1365-2729, DOI 10.1111/jcal.12395, lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) Joana Martinho Costa, SĂ©rgio Moro, Guilhermina Miranda et Taylor Arnold, « Empowered learning through microworlds and teaching methods: a text mining and meta-analysis-based systematic review », Research in Learning Technology, vol. 28,â (ISSN 2156-7077, DOI 10.25304/rlt.v28.2396, lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) JesĂșs Valverde-Berrocoso, MarĂa del Carmen Garrido-Arroyo, Carmen Burgos-Videla et MarĂa BelĂ©n Morales-Cevallos, « Trends in Educational Research about e-Learning: A Systematic Literature Review (2009â2018) », Sustainability, vol. 12, no 12,â , p. 5153 (ISSN 2071-1050, DOI 10.3390/su12125153, lire en ligne, consultĂ© le )