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Melmoth ou l'Homme errant

Melmoth ou l'Homme errant[1] (Melmoth the Wanderer) est un roman gothique de Charles Robert Maturin publié en 1820 au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande et traduit (une première fois, mais partiellement) en français par Jean Cohen en 1821.

Melmoth ou l'Homme errant
Image illustrative de l’article Melmoth ou l'Homme errant
L'intérieur d'un couvent dominicain à Madrid, un tableau d'Eugène Delacroix en 1831.

Auteur Charles Robert Maturin
Pays Drapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni
Genre Roman gothique
Version originale
Langue anglais britannique
Titre Melmoth, the Wanderer
Date de parution 1820
Version française
Traducteur Jean Cohen
Éditeur G.C. Hubert
Date de parution 1821

Présentation

Ce roman met en scène des personnages de la famille Melmoth, en Irlande. Lors de la mort de son oncle, le jeune Melmoth apprend à connaître un de ses aïeuls au passé résolument trouble. La seule requête de l'oncle est de faire jurer à Melmoth de détruire le portrait de son ancêtre. Or, celui-ci est toujours vivant et peu à peu, le récit va éclairer son étrange et effrayante destinée.

Le passé est révélé par une série d'analepses mises en abyme dans la narration repère, selon le principe du récit dans le récit, l'auteur ayant recours pour les introduire à des artifices, tels que le paquet de lettres retrouvé dans un grenier.

D'une grande complexitĂ© narrative, le roman se compose d'un premier rĂ©cit encadrant cinq narrations emboĂ®tĂ©es Ă  la manière du Manuscrit trouvĂ© Ă  Saragosse de Jan Potocki, les dernières pages renouant avec le dĂ©but du livre. Il mobilise l'arsenal classique du roman gothique : architectures inquiĂ©tantes, Ă©vĂ©nements surnaturels, orages et tremblements de terre, usurpateurs et moines sadiques, parricides et foules meurtrières. Plusieurs scènes ont un impact terrifiant : dĂ©lire d'un fou dans un incendie, mort de deux amants emmurĂ©s dans un souterrain, noces sĂ©pulcrales de Melmoth et Immalie. Et tout au long du roman revient le regard insoutenable et ce « rire qui ne dort jamais Â», le « rire terrible de Melmoth »[2], selon l'expression de Baudelaire, qui avait le projet de traduire ce roman.

Thèmes

Renouvelant le thème faustien du pacte démoniaque, le roman de Maturin, considéré généralement comme l'apogée du roman gothique, est plus qu'un simple récit fantastique. C'est une critique sociale de l'Angleterre du XIXe siècle, une mise en accusation de la vie monacale et de l'église catholique (à travers notamment une critique de l'Inquisition), comparée au protestantisme, dont l'auteur loue les vertus de réserve et de simplicité. C'est aussi une fable métaphysique sur la quête spirituelle de l'homme et ses insolubles contradictions.

Critique

En France, le roman est notamment saluĂ© par HonorĂ© de Balzac, qui s'en inspire pour une nouvelle intitulĂ©e Melmoth rĂ©conciliĂ© (1835), et plus tard par AndrĂ© Breton, qui Ă©crit une prĂ©face Ă  sa rĂ©Ă©dition, dans laquelle il dresse le panorama des influences de ce roman sur le romantisme et la littĂ©rature populaire en France, et prĂ©cise notamment : « il n'est pas douteux que LautrĂ©amont a pourvu Maldoror de l'âme mĂŞme de Melmoth. Il s'agit bien dans les deux cas, non point du dĂ©mon lui-mĂŞme, mais de l'agent du dĂ©mon : l'“ennemi du genre humain”[3] ».

Charles Baudelaire, insatisfait par la première traduction en français de Jean Cohen, qui selon lui collait trop Ă  la phrase anglaise, et surtout ne donnait pas l'ouvrage entier, admirait particulièrement ce roman, qu'il projeta de traduire Ă  la fin de sa vie, sans avoir le temps de rĂ©aliser son rĂŞve. HantĂ© par le rire glacial de Melmoth, il le mentionne souvent dans ses Ĺ“uvres comme l'emblème satanique par excellence : « Aussi comme il rit, comme il rit, se comparant sans cesse aux chenilles humaines, lui si fort, si intelligent, lui pour qui une partie des lois conditionnelles de l’humanitĂ©, physiques et intellectuelles, n’existent plus ! Et ce rire est l’explosion perpĂ©tuelle de sa colère et de sa souffrance. Il est, qu’on me comprenne bien, la rĂ©sultante nĂ©cessaire de sa double nature contradictoire, qui est infiniment grande relativement Ă  l’homme, infiniment vile et basse relativement au Vrai et au Juste absolus. Melmoth est une contradiction vivante. Il est sorti des conditions fondamentales de la vie ; ses organes ne supportent plus sa pensĂ©e. C’est pourquoi ce rire glace et tord les entrailles. C’est un rire qui ne dort jamais, comme une maladie qui va toujours son chemin et exĂ©cute un ordre providentiel. Â»[4] Selon le poète, le pouvoir surhumain de Melmoth fait aussi son malheur, puisqu'il se trouve dĂ©classĂ©, situĂ© entre les dernières limites de la vie humaine et les frontières de la vie supĂ©rieure, Ă©tant finalement « le Lucifer latent qui est installĂ© dans tout cĹ“ur humain[5] Â».

Karl Edward Wagner classait ce roman parmi l'un des treize meilleurs récits d'horreur et de fantastique[6], et H. P. Lovecraft le cite comme « un bond en avant dans l'évolution du récit macabre »[7].

Traductions en français

  • Traduction de Jean Cohen, Ă©ditĂ©e en 6 tomes chez G.C. Hubert, Palais-Royal, Paris, 1821 (disponible sur gallica). Cette traduction de Jean Cohen a notamment le dĂ©faut d'ĂŞtre incomplète, avec le retranchement d'importants passages : un bon quart de l'ouvrage, principalement dans le RĂ©cit de l'Espagnol et dans l'Histoire des Indiens[8]. C'est une des raisons pour lesquelles Charles Baudelaire rĂŞva d'entreprendre une nouvelle traduction, projet qu'il ne put mener Ă  bien.
  • La première traduction intĂ©grale en français est due Ă  Jacqueline M.-Chadourne et a Ă©tĂ© initialement Ă©ditĂ©e par Jean-Jacques Pauvert en 1954, avec une prĂ©face d'AndrĂ© Breton[9].

Notes et références

  1. « Melmoth, ou l'Homme errant », sur gallica.bnf.fr,
  2. Charles Baudelaire, « De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques », in Curiosités esthétiques (1868), Classiques Garnier, 1986, p. 253.
  3. André Breton, préface à Melmoth (1954), rééd. Phébus, 1996, p. 20.
  4. Charles Baudelaire, « De l'essence du rire et gĂ©nĂ©ralement du comique dans les arts plastiques Â», in CuriositĂ©s esthĂ©tiques (1868), Classiques Garnier, 1986, p. 249.
  5. Charles Baudelaire, L’Art romantique (1869), Classiques Garnier, 1986, p. 769-770.
  6. N. G. Christakos, « Three By Thirteen: The Karl Edward Wagner Lists dans Black Prometheus: A Critical Study of Karl Edward Wagner (Prométhée noir ; étude critique de Karl-Edouard Wagner), édité par Benjamin Szumskyj, Gothic Press, 2007.
  7. « An enormous stride in the evolution of the horror-tale » : Howard Phillips Lovecraft, Supernatural Horror in Literature, Dover Publications, 1973.
  8. Jacqueline M.-Chadourne prĂ©cise que ces parties retranchĂ©es correspondent surtout aux passages oĂą le romancier « donne le plus libre cours Ă  ses assauts contre les jĂ©suites, l'Église romaine, l'Inquisition en Espagne, les misères des couvents, le sadomasochisme monacal, bref contre toutes les perversions d'une religion, fondĂ©e selon lui, sur la souffrance et les tourments. LĂ , Maturin pousse aux extrĂŞmes la dialectique de la rĂ©volte lucifĂ©rienne Â», note du traducteur de la première traduction intĂ©grale en français par Jacqueline M.-Chadourne, PhĂ©bus, 1996, p. 29.
  9. RĂ©Ă©dition en poche, Paris, Éditions PhĂ©bus, coll. « Libretto Â», 1996.
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