Madame tirailleur
« Madame tirailleur » ou « Madame Sénégal » est le nom donné à l'épouse d'un tirailleur d'Afrique noire ou d'Afrique du Nord, autorisée à suivre son mari au cantonnement et parfois en campagne, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.
Le rôle de ces épouses, accompagnées de leurs enfants, permettait aux tirailleurs de n'être pas dépaysés et de bénéficier de l'environnement familial. Elles participaient aussi à la logistique et montaient parfois au front approvisionner les combattants en munitions et rechargeaient leurs armes. Elles étaient parfois tuées au combat ; plusieurs d'entre elles ont été citées à l'ordre du régiment ou même à l'ordre de l'Afrique occidentale.
Historique
Le rôle de « Madame tirailleur » est d'assurer l'intendance pour son mari et parfois pour des célibataires. Ce rôle logistique comprend la préparation des repas, comme l'approvisionnement en munitions et parfois le rechargement des armes[1].
Le maréchal Faidherbe lui-même, dès l'époque de la création du corps des tirailleurs, est favorable à la présence féminine accompagnant les combattants[2]. Les bénéfices de la présence familiale auprès des tirailleurs sont unanimement reconnus et appréciés au cantonnement[2]. L'autorisation donnée aux tirailleurs d'être accompagnés de leur famille date de 1873[3]. En plus des tâches logistiques et de la préparation des repas, l'apport le plus appréciable est le soutien moral que ces femmes apportent aux combattants[3].
Pour le capitaine Marceau, les femmes ne rechignent pas au transport des charges et sont des ménagères économes, sachant préparer les repas, assurer le blanchiment, avec efficacité et en soulageant les hommes des tâches matérielles. Selon lui, ce système est plus rentable que les fourgons et l'intendance classiques[4]. Elles ne se plaignent pas et sont aussi courageuses que leurs maris[4]. Elle n'occasionnent pas de surcoût, vivant sur la ration de leur mari[5].
À chaque cantonnement, c'est tout un village africain traditionnel traditionnel qui se reconstitue, à côté du camp règlementaire des hommes. Dans ce camp construit par les femmes, les tirailleurs s'y retrouvent chez eux[6]. Le système est bénéfique à leur moral comme sur le plan matériel[6].
Les femmes servant au front y sont parfois tuées ou blessées[1]. Elles peuvent alors faire l'objet d'une citation, comme l'ordre du jour célébrant « Mouina, épouse du caporal goumier Ahmed Yacoub, blessée mortellement au combat de Talmeust, en distribuant des cartouches sur la ligne de feu »[1].
Le général Mangin raconte l'action des femmes lors de ce combat de Talmeust le 14 juin 1908 : ce jour-là, après la défection des conducteurs du convoi qui refusent d'approvisionner les combattants en munitions, les femmes s'en chargent malgré les dangers[7]. Une femme est tuée, deux autres blessées ; toutes les trois sont citées à l’ordre des troupes de l'Afrique occidentale[7].
Marceau témoigne avec admiration d'actions similaires de ces femmes aux combats de l'Adrar, après la fuite des porteurs de munitions[4]. Cependant d'autres officiers français raillent ces femmes, leur culture, leur comportement[8].
Les femmes accompagnatrices sont autorisées jusqu'en 1913. Lorsque les troupes coloniales débarquent à Marseille pour participer au défilé du 14 juillet de cette année-là, les tirailleurs sénégalais sont parfois encore accompagnés de « Madame tirailleur » et de leurs enfants[9]. Plusieurs photographies et cartes postales témoignent de l'événement[9].
L'année suivante, au début de la Première Guerre mondiale, les tirailleurs ne sont plus accompagnés de leurs épouses[1].
Notes et références
- « Madame Tirailleur », sur rfi.fr, Radio France internationale, (consulté le ).
- Thilmans et Rosière 2008, p. 152.
- Youssouf Sane, « L’histoire méconnue de «Madame tirailleur» », sur seneweb.com, (consulté le ).
- Capitaine Marceau, Le tirailleur soudanais, Paris, Berger-Levrault, 1911, cité dans « Madame Tirailleur », sur rfi.fr, .
- Thilmans et Rosière 2008, p. 154.
- Faye 2018, p. 41.
- Général Mangin, La Force Noire, Paris, Hachette, 1910, cité dans « Madame Tirailleur », sur rfi.fr, .
- Faye 2018, p. 42.
- « La « Force Noire » (1900-1913) », sur achac.com, Groupe de recherche Achac (consulté le ).
Bibliographie et sources
- « Madame Tirailleur », dans Guy Thilmans et Pierre Rosière, Les Tirailleurs sénégalais: aux origines de la Force noire, les premières années du Bataillon, 1857-1880, Éditions du Musée historique du Sénégal, , p. 152-158.
- János Riesz, « Les femmes des « tirailleurs sénégalais » : Histoire et histoires », dans Régis Antoine, Carrefour de cultures: mélanges offerts à Jacqueline Leiner, Gunter Narr Verlag, (ISBN 3-8233-4610-5), p. 385-404.
- « Madame Tirailleur », sur rfi.fr, Radio France internationale, (consulté le ).
- Youssouf Sane, « L’histoire méconnue de «Madame tirailleur» », sur seneweb.com, (consulté le ).
- (en) Sarah J. Zimmerman, « Mesdames Tirailleurs and Indirect Clients: West African Women and the French Colonial Army, 1908-1918 », The International Journal of African Historical Studies, Boston University African Studies Center, vol. 44, no 2, , p. 299-322.
- (en) Sarah J. Zimmerman, Militarizing Marriage: West African Soldiers’ Conjugal Traditions in Modern French Empire, Athens, Ohio University Press, coll. « War and Militarism in African History », , 316 p. (ISBN 978-0-8214-2422-3 et 978-0-8214-2447-6, OCLC 1291710603, BNF 46616284, LCCN 2019059725, DOI https://doi.org/10.2307/j.ctv224tzjw, SUDOC 254160573, présentation en ligne), chap. 3 (« Mesdames Tirailleurs and Black Villages »), p. 88-113.
- « La « Force Noire » (1900-1913) », sur achac.com, Groupe de recherche Achac (consulté le ).
- Ousseynou Faye, Les tirailleurs sénégalais entre le Rhin et la Méditerranée (1908-1939) : Parcours d'une aristocratie de la baïonette, Paris, L'Harmattan, , 296 p. (ISBN 978-2-343-14081-0 et 2-343-14081-2, lire en ligne), p. 41-43.