Locomobile automotrice
Une locomobile automotrice, une routière à vapeur ou un tracteur à vapeur est, au départ, une machine à vapeur, qui, contrairement à la locomobile ordinaire, peut se déplacer par elle-même.
On a continué à appeler locomobiles ces machines lorsqu'on est passé de la vapeur au moteur à explosion[1]. Mais cet usage est rapidement tombé en désuétude au profit de tracteur ou camion.
Historique
Vers 1850, on commence à produire industriellement des locomobiles actionnant elles-mêmes leurs roues. Elles sont d'abord utilisées par les armées pour déplacer les canons.
En 1859 Thomas Aveling crée la première locomobile automotrice (traction engine au Royaume-Uni) facilement utilisable sur la route[2]. En France, ces machines sont bientôt familièrement appelées routières à vapeur pour les distinguer des locomotives sur rail. Étant donné leur poids, elles faisaient aussi d'excellents rouleaux-compresseurs.
Munies de roues à crampons et souvent d'un treuil, elles sont adaptées à l'agriculture et aux chantiers. Elles peuvent creuser des tranchées de drainage ou traîner le rouleau destiné à égaliser une chaussée. L'essentiel de leur travail se fait cependant à poste fixe à la poulie : entraînement de batteuses, pompes, moulins, broyeurs, presses à paille et fourrages stationnaires…
Ces machines à vapeur n'étaient pas à la portée des petites exploitations mais les entrepreneurs et syndicats de battage les ont beaucoup utilisées.
Aux États-Unis, on utilise bientôt des modèles plus petits en traction directe pour le labour au lieu de la charrue tirée par câble et treuil. Ils prennent alors le nom de « tracteurs à vapeur » (Steam tractors) et sont les ancêtres des tracteurs modernes.
En 1910 la firme allemande Heinrich Lanz AG présenta à l'exposition universelle de Bruxelles la plus grosse locomobile au monde d'une puissance de 1000 chevaux.
Transports
D'abord utilisées par l'armée pour déplacer les canons, les locomobiles servirent à toutes sortes de transport y compris de voyageurs.
Travail au treuil
Charrues et défonceuses
La charrue à vapeur consiste en une locomobile portant une poulie motrice horizontale qui constitue un véritable treuil moteur. L'appareil est placé au bout du sillon à tracer et peut avancer perpendiculairement au sillon. Sur le côté opposé de ce sillon, on installe une poulie de renvoi horizontale appelée « ancre » (il fallait en effet l'ancrer au sol). Elle est portée par un charriot qui peut avancer parallèlement à la locomobile. Un câble sans fin qui s'enroule sur la poulie motrice et passe sur la poulie de renvoi peut tirer une charrue à bascule (à versoirs opposés de chaque côté du train de roues), de l'ancre vers la machine puis inversement. Le déplacement simultané de la locomobile et de l'ancre permet ensuite de poursuivre le travail sillon après sillon sans avoir à tourner la charrue en bout de champ. Une locomobile lourde entraînant une charrue multisocs abattait en 1868, trois à quatre hectares de la journée[3]. Elle nécessitait cependant deux attelages et de préférence trois personnes (deux chauffeurs et le laboureur assis sur la charrue).
À la ferme de la Briche, Jean-François Cail, concurrent de John Fowler et qui fabriquait aussi des locomobiles, utilisait une deuxième locomobile à treuil à la place du charriot de la poulie de renvoi (image). Ces locomobiles étaient si lourdes qu'elles pouvaient treuiller perpendiculairement à leur axe sans ancrage, ce qui ne serait guère possible avec des tracteurs actuels beaucoup plus légers.
Ces systèmes étaient particulièrement intéressants en terre humide car ils évitaient que ces lourdes machines ne compactent le sol ou s'enlisent. Elles se déplaçaient ainsi lentement seulement sur les fourrières. Ils étaient aussi utilisés pour les travaux de défonçage (défrichage) , les socs multiples étaient alors remplacés par un énorme soc unique travaillant à 40 cm de profondeur au moins.
Autres
Le treuil mobile était aussi apprécié dans les carrières, le travail dans les vignes sur forte pente et pour le débardage par câble en forêt.
Travail à la poulie
De nombreuses machines en agriculture et sur les chantiers devaient être déplacées de poste en poste où elles étaient entraînées par des transmissions à poulies et courroie plate.
La locomobile automotrice était particulièrement appréciée pour les battages car elle permettait d'amener en un seul voyage la batteuse et la presse d'une ferme à l'autre, ce qui nécessitait auparavant plusieurs attelages. Elle permettait aussi de prétendre facilement la grande courroie de transmission.
La fin des tracteurs à vapeur
Avec les débuts de l'électrification, les locomobiles sont concurrencées dans cet usage par le moteur électrique, puis à partir de 1910, les gros monocylindres (parfois bicylindres) semi-diesel deux temps, Lanz (Le Percheron en France, Doyen en Belgique), Vierzon, Landini, Bolinder-Munktell, Le Robuste, Marshall (devenu Field marshall (en) ...) prennent leur place. On continue parfois à les appeler locomobiles. Toutes ces marques ont fabriqué auparavant des locomobiles.
L'architecture de ces machines et leur utilisation principale (travail stationnaire à la poulie) était très proche de celle des locomobiles à vapeur, aussi au départ on a continué à les appeler locomobiles. Le moteur est disposé à plat, à l'avant du tracteur, avec le vilebrequin en position transversale, ce qui permet de le prolonger par une (ou deux) poulie en prise directe sur le flanc du tracteur. Il y en eût aussi à moteur à essence, au kérosène et à gazogène.
En Europe, on utilise le semi-diesel généralement monocylindre, plus économique. Il conserve l'avantage d'une grande poulie motrice placée directement sur le vilebrequin sans démultiplication du fait de sa rotation lente, comme sur la locomobile, ce qui permet un rendement optimal pour le travail stationnaire à la poulie avec les mêmes machines. On peut aussi leur adjoindre un treuil. Les vibrations engendrées par l'imposant piston du monocylindre rendent la conduite pénible pour le chauffeur; ces tracteurs apparaissent aujourd'hui comme avoir été des machines de transition. Très simple et fiable, consommant très peu d'eau, le semi-diesel peut fonctionner de longues journées, presque sans intervention humaine, alors que la locomobile à vapeur nécessite les soins et la surveillance d'un mécanicien à plein temps. Il peut aussi continuer à tourner à bas régime sous charge nulle (contrairement à la machine à vapeur), ce dont on ne se prive pas car leur démarrage est laborieux. L'efficacité énergétique du carburant passe de 6 % pour la chaudière à vapeur sans condenseur à 12 % pour le semi-diesel deux temps. En allemand, du fait de son immense succès, Bulldog, au départ un modèle de Lanz, est synonyme de Traktor jusqu'après la Seconde Guerre mondiale.
- Tracteur américain Advance-Rumely construit à partir de 1910 selon le design des locomobiles. Il fonctionnait au kérosène et était refroidi à l'huile.
- Lanz Bulldog de 1928, un des premiers semi-diesel, essentiellement conçu pour le travail stationnaire.
- Monocylindre semi-diesel Landini VL 30 (entre 1935 et 1940)
- Vierzon H1 de 1936 : 38 chevaux à la poulie
- John Deere model D bicylindre essence à plat, avec sa poulie de battage
- Ursus C 45, variante polonaise du très populaire Lanz D 9506.
De plus, le risque d'incendie est moindre avec le moteur à combustion interne, quoique on ait utilisé des courroies très longues pour éloigner la locomobile de la batteuse et du gerbier.
Aux États-Unis, on utilise surtout des bicylindres à essence montés à plat et à vilebrequin transversal, toujours appelés tractors, ainsi le John Deere model D produit de 1923 à 1953 fournit de 27 à 42 chevaux à la poulie selon les versions. Ces tracteurs lourds s'opposent aux nouveaux tracteurs légers inspirés par la construction automobile, à moteur à essence puis diesel disposé longitudinalement, qui vont démocratiser réellement l'utilisation du tracteur et dont le design général est toujours d'actualité ; le Fordson construit par Ford à partir de 1917 et utilisant un moteur très proche de celui de l'automobile model T en est l'exemple emblématique.
Notes et références
- Dictionnaire encyclopédique Quillet, 1946
- Bonnett, Harold., Discovering traction engines, Shire Publications, (ISBN 0852633181 et 9780852633182, OCLC 4152736)
- Louis Figuier. Les merveilles de la science, ou Description populaire des inventions modernes : machine à vapeur. Furne, Jouvet et Cie., 1868. Consulter en ligne