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Lewis Binford

Lewis Roberts Binford ( - ) est un archĂ©ologue amĂ©ricain. EngagĂ© dans l'armĂ©e amĂ©ricaine dans les annĂ©es 1950, il s'est formĂ© Ă  la fouille et Ă  l'archĂ©ologie dans le Pacifique et au Japon avant de suivre des Ă©tudes d'archĂ©ologie Ă  son retour aux États-Unis. Très actif durant toute sa vie, il enseigna dans de nombreuses universitĂ©s amĂ©ricaines tout en engageant des fouilles et en organisant des expĂ©ditions. Il est l'un des fondateurs de la « Nouvelle ArchĂ©ologie Â» dans les annĂ©es 1960 avec son cĂ©lèbre article « Archaeology as Anthropology » mais aussi un des initiateurs de l'ethnoarchĂ©ologie. Ses travaux, tout autant que sa personne, ont suscitĂ© des dĂ©bats parfois animĂ©s qui ne l'ont pas empĂŞchĂ© d'ĂŞtre reconnu par le monde scientifique.

Biographie

Jeunesse et formation

Lewis Roberts Binford est né à Norfolk en Virginie le dans une famille modeste composée de son père, Joseph Lewis Binford, ancien électricien, et de sa mère Eoline Roberts, une descendante d'une riche famille de Virginie[1]. Enfant intéressé par les animaux et la nature[2], Binford décida, après avoir fini le lycée, d'étudier la sylviculture et la protection de la nature à l'Institut polytechnique de Virginie[3]. Auparavant un élève médiocre, Binford a excellé à l'université et désirait poursuivre une carrière académique en biologie[4]. C'est lors de son engagement dans l'armée en 1952 que Binford s'intéressa pour la première fois à l'anthropologie et à l'archéologie. Effectivement, après avoir obtenu son diplôme, il a été assigné à un groupe d'anthropologues chargé de la réinstallation des populations dans les îles du Pacifique occupées par les États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. De plus, il a été impliqué, durant son engagement, dans la récupération de vestiges archéologiques dans les tombes d'Okinawa, qui devaient être enlevées pour faire place à une base militaire. Bien qu'il n'ait aucune formation en archéologie, Binford excavait et identifiait lui-même les artefacts qui étaient ensuite replacés dans le musée détruit de Shuri[4].

Après avoir quitté l'armée, Binford est parti étudier l'anthropologie à l'université de Caroline du Nord (UNC). L'argent qu'il avait reçu de l'armée n'étant pas suffisant pour financer complètement ses études, Binford a utilisé ses compétences dans la construction, acquises dans sa jeunesse, afin de lancer une modeste entreprise de construction. Il obtient une licence à l'UNC en 1957 avant de partir pour l'université du Michigan afin de finir, en 1958, sa maîtrise et en 1964 son doctorat qui portait sur l'interaction entre les amérindiens et les premiers colons en Virginie, un sujet auquel il avait commencé à s'intéresser plus tôt à l'UNC[5] - [6].

Un professeur actif

Il décrocha son premier poste académique à l'université de Chicago où il pensa et élabora l'archéologie processuelle et les méthodes statistiques en archéologie. En 1965, il quitta Chicago – rejeté, selon lui, à cause du regain de tension entre lui-même et les vieux archéologues de la faculté, particulièrement Robert Braidwood[7] – afin de s'installer à l'Université de Californie de Santa Barbara pour une année, avant de partir pour l'université de Californie à Los Angeles (abrégé en UCLA) en 1966. Toutefois, Binford n'appréciait pas l'atmosphère de la grande faculté de l'UCLA qu'il quitta au profit de l'université du Nouveau-Mexique en 1968[8]. C'est à cette période que Binford a décidé d'entreprendre un travail de terrain parmi les Nunamiut (en), un peuple d'esquimaux d'Alaska, afin de mieux comprendre l'environnement périglaciaire occupé par les hommes du Moustérien, et aussi pour voir comment le comportement des chasseurs-cueilleurs se reflétait dans les vestiges archéologiques[9]. Cette expédition relevant de l'ethnoarchéologie, c'est-à-dire la conduite de travaux ethnologiques sur le terrain afin d'établir une corrélation entre le comportement et la culturelle matérielle, est une des premières du genre et on a pu créditer Binford d'être un des initiateurs de ce type d'expédition[10]. Il rejoint, en 1991, l'université méthodiste du Sud de Dallas avant de prendre sa retraite en 2002 à l'âge de 71 ans[3]. Tout au long de sa carrière, Lewis Binford a écrit 18 livres et plus de 130 articles, chapitres de livre ou comptes-rendus dont certains ont marqué la discipline, comme son dernier ouvrage Constructing Frames of Reference: An Analytical Method for Archaeological Theory Building Using Ethnographic and Environmental Data Sets qui est une référence en ce qui concerne l'étude des populations de chasseurs-cueilleurs[11].

Vie privée

Binford s'est marié à six reprises. Le premier de ces mariages était avec Jean Riley Mock, dont il a eu seulement une fille, Martha. Il a aussi eu un fils, Clinton, qui est mort dans un accident de voiture en 1976. Binford a fréquemment collaboré avec sa troisième femme, avec qui il s'est marié pendant qu'ils étaient encore étudiants à l'université de Chicago, Sally Binford, une archéologue elle aussi. Cette dernière a participé à de nombreux travaux dont le célèbre New Perspectives in Archaeology. Après la fin de son mariage avec Sally, Lewis Binford a épousé Mary Ann, une institutrice d'école élémentaire. Sa cinquième femme, Nancy Medaris Stone était, tout comme Sally Binford, une archéologue. Au moment de sa mort, Binford était marié à Amber Johnson, une professeur d'anthropologie à la Truman State University, qui avait aussi travaillé avec lui à la Southern Methodist University de Dallas[12] - [13] - [14].

RĂ´le dans la « Nouvelle ArchĂ©ologie Â»

C'est Lewis Binford qui entame dans les annĂ©es 1960, dans une sĂ©rie d'articles et d'ouvrages, un travail de dĂ©molition des anciennes conceptions archĂ©ologiques, avec la volontĂ© de faire souffler un vent de nouveautĂ© sur la discipline, afin d'Ă©laborer une « Nouvelle ArchĂ©ologie Â»[15]. Il Ă©tait en effet très hostile aux considĂ©rations jusqu'alors en vigueur, et tout particulièrement en lutte contre l'approche historico-culturelle qui associait Ă  chaque ensemble archĂ©ologique, un groupe ethnique[16]. Cette opposition s'est concrĂ©tisĂ©e dans un dĂ©bat avec le prĂ©historien français François Bordes sur l'interprĂ©tation de l'outillage lithique moustĂ©rien retrouvĂ© dans des sites de Dordogne. Bordes avait soigneusement identifiĂ© cinq diffĂ©rents types d'outils en pierre qui montraient, selon lui, qu'il existait cinq tribus de NĂ©andertal distinctes, tandis que le Britannique Paul Mellars expliquait que les diffĂ©rences dans l'outillage lithique permettaient de montrer une Ă©volution dans le temps. Binford, lui, rĂ©futait ces deux hypothèses et pensait plutĂ´t que chaque modèle de pierre correspondait, non pas Ă  une pĂ©riode ou Ă  un groupe ethnique, mais Ă  une utilisation prĂ©cise circonscrite Ă  un territoire[12]. Ce dĂ©bat, qui n'a pas vĂ©ritablement apportĂ© de rĂ©ponses dĂ©finitives, a eu le mĂ©rite de raviver le dĂ©bat sur les causes des Ă©volutions et des changements des vestiges archĂ©ologiques. Dans le mĂŞme ordre d'idĂ©es, cette controverse a encouragĂ© les Ă©changes d'opinions et de thĂ©ories entre les Ă©coles amĂ©ricaines et europĂ©ennes qui divergeaient tant par leurs mĂ©thodes que par leurs objectifs[3].

La « Nouvelle ArchĂ©ologie Â» portĂ©e par Binford Ă©tait aussi très marquĂ©e par l’anthropologie. Effectivement, Binford dans son article, publiĂ© en 1962 et passĂ© Ă  la postĂ©ritĂ©, « Archaeology as Anthropology » affiche les nouveaux objectifs de l'archĂ©ologie qui devrait se rapprocher de la pratique de l'anthropologie. Suivant Willey et Philips, il assène que « l'archĂ©ologie est anthropologie ou rien »[17]. DĂ©jĂ  Ă  l'universitĂ© du Michigan, il avait vu le contraste saisissant entre la vivacitĂ© du dĂ©partement d'anthropologie (composĂ© entre autres de Leslie White) et ces « gens en blouse blanche en train de compter leurs tessons de poterie » de la facultĂ© d'archĂ©ologie[18]. Il expliquera toutefois que si l'anthropologie permet de « faire face scientifiquement Ă  la problĂ©matique du pourquoi les cultures changent », elle a besoin de donnĂ©es historiques qui ont une certaine profondeur. C'est ainsi qu'il s'est tournĂ© vers l'archĂ©ologie mais tout en ne perdant pas de vue l’anthropologie et ses objectifs[19]. Cela se traduit par une nouvelle approche de l'archĂ©ologie qui ne devrait plus seulement dĂ©crire les ensembles archĂ©ologiques importants ou s'attarder sur des pièces rares mais s'intĂ©resser, comme l'anthropologie, aux processus sociaux, technologiques, religieux ou culturels qui touchaient les sociĂ©tĂ©s anciennes. Le parallèle avec l'anthropologie ne s'arrĂŞte pas lĂ  car Binford voulait atteindre, Ă  travers les vestiges archĂ©ologiques, l'homme et ses comportements. C'est d'ailleurs lui qui est Ă  l'origine des « middle range theory Â» qui devaientt relier les restes archĂ©ologiques actuels aux comportements des hommes du passĂ©[20].

Le renouveau de l'archĂ©ologie passe aussi, pour Binford et ses compères, par une plus grande objectivitĂ© et par l'utilisation de mĂ©thodes plus rigoureuses afin que l'archĂ©ologie devienne une discipline plus scientifique, comme le disait David Meltzer, professeur Ă  luniversitĂ© mĂ©thodiste du Sud, « Lewis Binford a menĂ© la charge qui a poussĂ©, tirĂ© sinon persuadĂ© l'archĂ©ologie Ă  devenir une entreprise plus scientifique Â»[11] - [21]. Cette volontĂ© de rationalisation a Ă©tĂ© notamment mise Ă  mal par les partisans de l'archĂ©ologie post-processuelle (un courant nĂ© en opposition Ă  la « Nouvelle ArchĂ©ologie Â» qui affirmait que les recherches des archĂ©ologues Ă©taient fortement marquĂ©es par leurs Ă©poques et leurs prĂ©jugĂ©s) avec lequel Binford a entretenu de nombreux dĂ©saccords, qui se matĂ©rialisaient dans des dĂ©bats plus ou moins houleux. D'ailleurs, du dĂ©bat avec François Bordes des annĂ©es 1970 aux controverses avec les archĂ©ologues post-processuels des annĂ©es 1980 et 1990, Binford a marquĂ© son Ă©poque et sa discipline par ces nombreuses querelles scientifiques et par ses rĂ©actions contre un certain nombre d'Ă©coles de pensĂ©e, dont le mouvement post-processuel[22].

Lewis Binford est considéré par beaucoup comme étant un des archéologues les plus influents, si ce n'est le plus influent, du XXe siècle. Effectivement, bien qu'il n'ait que rarement conduit des travaux de terrain ou fait des découvertes remarquables[23], il a réussi à changer la perception qu'avaient les chercheurs des vestiges archéologiques mais il a eu aussi, plus largement, un impact sur les objectifs et les théories de l'archéologie[3] - [12].

Distinctions et honneurs

Lewis Binford a été reconnu tardivement comme un des archéologues les plus influents du XXe siècle et a donc reçu de nombreuses distinctions et hommages, parmi les plus importants :

Principales publications

  • (en) « Archaeology as Anthropology », American Antiquity, vol. 28, no 2,‎ , p. 217-225 [lire en ligne]
  • (en) New Perspectives in Archaeology, Chicago, Aldine Publishing Company, , 373 p.
  • (en) Nunamiut Ethnoarchaeology, Eliot Werner Publications Inc, , 530 p.
  • (en) Bones, Ancient Men and Modern Myths, Academic Press Inc, , 320 p.
  • (en) Constructing Frames of Reference: An Analytical Method for Archaeological Theory Building Using Ethnographic and Environmental Data Sets, University of California Press, , 583 p.
  • (en) In Pursuit of the Past: Decoding the Archaeological Record, University of California Press, , 260 p.

Notes et références

  1. (en) David Meltzer, Lewis Roberts Binford 1931-2011, Washington, Académie nationale des sciences, , 39 p., p. 4 [lire en ligne].
  2. (en) David Meltzer, Lewis Roberts Binford 1931-2011, Washington, Académie nationale des sciences, , 39 p., p. 5 [lire en ligne].
  3. (fr) Jean-Philippe Rigaud, « Lewis R. Binford (1931-2011) », Paléo, no 22,‎ , p. 19-25 [lire en ligne].
  4. (en) Colin Renfrew, « An Interview With Lewis Binford », Current Anthropology, vol. 28, no 5,‎ , p. 683-684.
  5. (en) Colin Renfrew, « An Interview With Lewis Binford », Current Anthropology, vol. 28, no 5,‎ , p. 684-685.
  6. (en) David Meltzer, Lewis Roberts Binford 1931-2011, Washington, Académie nationale des sciences, , 39 p., p. 5-7 [lire en ligne].
  7. (en) Lewis Binford, An Archaeological Perspective, New York, Seminar Press, , p. 11-13.
  8. (en) Colin Renfrew, « An Interview With Lewis Binford », Current Anthropology, vol. 28, no 5,‎ , p. 687-689.
  9. (en) Colin Renfrew, « An Interview With Lewis Binford », Current Anthropology, vol. 28, no 5,‎ , p. 691.
  10. (en) Bruce Trigger, A History of Archaeological Thought, Cambridge University Press, , 710 p., p. 399, 405.
  11. (en) « SMU’s Lewis Binford left legacy of change, innovation », sur Southern Methodist University, (consulté le ).
  12. (en) Clive Gamble, « Lewis Binford obituary, Advocate of a rigorous, scientific approach to archaeology », sur The Guardian, (consulté le ).
  13. (en) Stephen Miller, « Archaeologist Binford Dug Beyond Artifacts », sur The Wall Street Journal, (consulté le ).
  14. (en) Lloyd Jojola, « Lewis Binford: Prof Changed Archaeology », sur Albuquerque Journal, (consulté le ).
  15. (fr) Histoire de l'Humanité : Le XXe siècle de 1914 à nos jours, Paris, Éditions Unesco, , 2295 p., p. 661-662 [lire en ligne].
  16. (fr) Nicolas Cauwe, Le NĂ©olithique en Europe, Paris, Armand Colin, [lire en ligne]
  17. (en) Lewis Binford, « Archaeology as Anthropology », American Antiquity, vol. 28, no 2,‎ , p. 217-225 [lire en ligne].
  18. (en) Colin Renfrew, « An Interview With Lewis Binford », Current Anthropology, vol. 28, no 5,‎ , p. 685.
  19. (en) David Meltzer, Lewis Roberts Binford 1931-2011, Washington, Académie nationale des sciences, , 39 p., p. 6 [lire en ligne].
  20. (en) David Meltzer, Lewis Roberts Binford 1931-2011, Washington, Académie nationale des sciences, , 39 p., p. 12 [lire en ligne].
  21. (fr) Joëlle Burnouf, Manuel d'archéologie médiévale et moderne, Paris, Armand Colin, [lire en ligne].
  22. (en) David Meltzer, Lewis Roberts Binford 1931-2011, Washington, Académie nationale des sciences, , 39 p., p. 16-19 [lire en ligne].
  23. (en) David Meltzer, Lewis Roberts Binford 1931-2011, Washington, Académie nationale des sciences, , 39 p., p. 3 [lire en ligne].
  24. (en) Centre des planètes mineures, « Liste des objets mineurs », sur minorplanetcenter.net (consulté le ).

Liens externes

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