Lettre de protection
Une lettre de protection (en allemand Schutzbrief) est un document juridique octroyant une protection (souvent diplomatique) à son détenteur.
Elle est notamment utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale pour sauver des Juifs, auquel cas elle est liée à un passeport collectif (en allemand Kollektivpass).
Seconde Guerre mondiale
La lettre de protection est un des deux instruments qui permettent la protection de Juifs dans les territoires occupés par le IIIe Reich, l'autre moyen étant le passeport collectif (en allemand Kollektivpass). Ce système peut se mettre en place lors de la guerre, étant donné que les parties aux conflits ne savent pas forcément quelles sont les pratiques des États neutres[1].
La lettre de protection indique qu'une personne se trouve sous la protection d'un pays neutre (par exemple la Suisse ou la Suède). Ceci permet aux Juifs en possession d'une telle lettre de ne pas être soumis au travail forcé ou à la déportation[2]. Les détenteurs de telles lettres sont ensuite inscrits dans un passeport collectif[2]. Par la suite, ces lettres portent la mention qu'elles peuvent être utilisées pour des fins de voyage (au même titre que les passeports)[2].
Passeport collectif Ă©tabli par la Suisse en Hongrie
La légation suisse à Budapest négocie également l'établissement de quatre passeports collectifs. Il s'agit de quatre documents (pratiquement quatre volumes), dont la première page est pourvue de la mention suivante : « La section des intérêts étrangers de la légation suisse demande à toutes les autorités civiles et militaires de laisser passer et laisser voyager, librement et sans obstacle, les ayants-droit de ce passeport collectif. Notre section conseille à toutes les autorités et tous les offices de soutenir et de protéger ces personnes, si celles-ci devaient en avoir le besoin face à ces autorités »[N 1]. À l'intérieur du volume apparaît le numéro (de 1 à 967 pour le premier volume établi le ) des personnes, leur nom et leur date de naissance, de même qu'une photo des personnes listées[4]. Le premier donne l'autorisation pour émigrer de Hongrie d'ici le , délai qui serait repoussé plusieurs fois par le gouvernement hongrois[5]. Le deuxième passeport collectif contient 1 233 noms[6].
Les personnes inscrites au passeport collectif ayant pourvus d'une photo ont alors le droit à obtenir un passeport de protection (établi à titre individuel)[4]. Il s'agit d'un document d'une demi-page, rédigée sur un papier à l'entête de la légation suisse à Budapest (« Schweizer. Gesandtschaft, Abteilung Fremde Interessen, Vadász utca 29 »[N 3])[4]. Le document atteste que les détenteurs du passeport de protection sont présents sur les listes officielles comme des candidats à l'émigration en Palestine[4].
Principe
Alors que les Croix fléchées prennent le pouvoir à l'automne 1944, augmentant ainsi l'insécurité pour les Juifs à Budapest. Lutz[N 4] trouve alors une nouvelle solution pour essayer de protéger plus de Juifs : la lettre de protection (en allemand Schutzbrief[8]). La lettre est établie sur un papier à l'entente de la légation suisse à Budapest (« Schweizer. Gesandtschaft, Abteilung Fremde Interessen, Vadász utca 29 »[N 3]), en allemand et en hongrois, avec les armoiries de la Suisse au centre[9]. La lettre, écrite à la machine à écrire, indique la formulation suivante en allemand et en hongrois :
« La légation suisse, section des intérêts étrangers, atteste par la présente que [nom du titulaire de la lettre] est listé dans le passeport collectif suisse pour l'émigration ; pour cela, la personne concernée doit être considérée comme en position d'un document de voyage valable. Budapest, [date].[N 5] »[10]
Le document est dépourvu d'une signature, mais dispose du sceau de la légation et d'un filigrane[10]. Le fait que la lettre n'indique que le nom de son détenteur (et pas d'autres informations) permet une production accélérée des lettres[11].
Pour des raisons de contingentement apposées par les Britanniques, la légation suisse ne peut établir plus de 7 800 lettres ; lorsque ce chiffre est atteint, Lutz et son équipe recommence alors de 1[11] - [12].
Faux en circulation
En , lors d'un contrôle, les autorités hongroises constatent que les faux représentent jusqu'à 30 % des titres en circulation ; dans un camp de travail, même 1 100 sur 15 000 détenteurs[13].
Il y a au moins deux types de falsification[14]. Un premier groupe de faux épelle de manière erronée le nom de la légation suisse : « Légation de Susse »[14]. Le second groupe remplace le fond rouge de l'écusson suisse par un fond noir[14].
D'autres faux, plus raffinés, ne sont identifiables comme tels que par des yeux avertis, mais pas par des gardes des Croix fléchées ou de la SS[14]. Certains faux sont tellement bien faits que Lutz lui-même y voit des copies authentiques[14].
Lettres de protection et passeports collectifs octroyés par la Suède
Le , le ministère hongrois des affaires étrangères atteste que 4 500 personnes sont titulaires d'un passeport de protection octroyé par la Suède[15].
Notes et références
Notes
- Citation originale : (de) « Die Abteilung Fremde Interessen der Schweizer Gesandtschaft bittet alle zivilen und militärischen Behörden, die Berechtigten des Kollektivpasses frei und ohne Hindernis passieren und durchreisen zu lasssen. Unsere Abteilung empfiehlt allen behörden und Ämtern, diese Personen zu unterstützen, zu beschützen, sofern sie mit einem solchen Anliegen an die Behörden gelangen »[3].
- Selon Vámos, les noms dans ce documents sont des pseudonymes, les vraies identités deux personnes en photo sont Ernő Teichmann et Franciska Schechter[7].
- Traduction en français : « Légation suisse, section des intérêts étrangers, rue du chasseur 29 ».
- Il y a une querelle biographique concernant Lutz et Raoul Wallenberg, consul de Suède et également Juste, sur la paternité originelle de cet instrument qui permet le sauvetage de milliers de vie. Pour Erika Rosenberg, la paternité revient sans aucun doute à Lutz, cf. Rosenberg 2016, p. 110 ; voir également Grossman 1986, p. 137.
- Citation originale : (de) « Die Schweizerische Gesandtschaft, Abteilung Fremde Intreessen, bescheinigt hiermit, dass X.Y. ... im schweizerischen Kollektivpass zur Auswanderung eintragen ist; daher ist der (die) Betreffende als Besitzer eines gültigen Passes zu betrachten. Budapest, [Datum] »[10].
Références
- (de) Erika Rosenberg, Das Glashaus : Carl Lutz und die Rettung ungarischer Juden vor dem Holocaust, Munich, Herbig, , 223 p. (ISBN 978-3-7766-2787-9), p. 110.
- Rosenberg 2016, p. 112.
- (de) György Vámos (trad. du hongrois par Agnes Hirschi), Carl Lutz (1895-1975) : Schweizer Diplomat in Budapest 1944 : ein Gerechter unter den Völkern, Genève, Éditions de Penthes, coll. « Suisses dans le Monde » (no 9), , 130 p. (ISBN 978-2-8847-4670-0), p. 72.
- Vámos 2012, p. 73.
- (de) Alexander Grossman, Nur das Gewissen, Wald, Im Waldgut, , 284 p. (ISBN 3-7294-0026-6), p. 56-57.
- Grossman 1986, p. 56.
- Vámos 2012, p. 116.
- György Vámos postule qu'il y a une confusion récurrente entre le passeport de protection et la lettre de protection, cf. Vámos 2012, p. 83.
- Vámos 2012, p. 89.
- Vámos 2012, p. 90.
- Grossman 1986, p. 138.
- Vámos 2012, p. 91.
- (de) Theo Tschuy (préf. Simon Wiesenthal), Carl Lutz und die Juden von Budapest, Zurich, NZZ Verlag, , 446 p. (ISBN 3-8582-3551-2), p. 248.
- Tschuy 1995, p. 249.
- Vámos 2012, p. 93.