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Les Éditions du Jour

Les Éditions du Jour est une maison d'édition québécoise fondée en 1961 et dont les activités cessent en 1980. Fondée par Jacques Hébert, elle est principalement reconnue pour sa collection des « Romanciers du Jour », qui accueille, tout au long de l'existence de la maison d'édition, certains auteurs promis à une reconnaissance durable, comme Marie-Claire Blais et Roch Carrier, de même que d'autres déjà confortablement installés dans le paysage littéraire québécois, comme Jacques Ferron et Yves Thériault.

Histoire

Jacques Hébert et les Éditions de l'Homme

Dans les annĂ©es 1950, Jacques HĂ©bert, alors globe-trotter, journaliste, auteur dont les rĂ©cits de voyage sont publiĂ©s chez Fides, fait ses armes en matières Ă©ditoriale et intellectuelle. Le plongeon dans le monde de l'Ă©dition s'entame en 1954 avec la fondation de Vrai, journal hebdomadaire publiĂ© jusqu'en 1959 et qui a pour objectif de dĂ©noncer les travers du gouvernement de Maurice Duplessis qui, selon HĂ©bert, « n'en finissait plus de se dĂ©composer[1] ». C'est dans ce journal qu'il publie une sĂ©rie d'articles visant Ă  discrĂ©diter le gouvernement dans sa dĂ©cision d'exĂ©cuter en 1956 Wilbert Coffin, prospecteur accusĂ© d'avoir tuĂ© trois touristes amĂ©ricains en GaspĂ©sie en 1953. Plus tard, il Ă©crit un pamphlet, Coffin Ă©tait innocent, qu'il publie dans la première maison d'Ă©dition qu'il fonde en 1958, les Éditions de l'Homme. HĂ©bert est Ă©galement l'artisan derrière la publication des Insolences du frère Untel, ouvrage vendu Ă  plus de 100 000 exemplaires dans les mois suivant sa publication en 1960[2], une pièce maĂ®tresse du dĂ©bat sur la particularitĂ© et la lĂ©gitimitĂ© du français quĂ©bĂ©cois qui fait rage Ă  l'Ă©poque.

Des romans Ă  prix modiques

Jacques Hébert avait la volonté de créer une collection de romans au prix modique de un dollar, répétant ainsi la formule qu'il avait employée pour publier Coffin était innocent – le livre était imprimé sur du papier journal et vendu dans les tabagies et kiosques à journaux[3]. Edgar Lespérance, imprimeur du journal Vrai et associé de Hébert aux Éditions de l'Homme, n'approuve cependant pas le projet. Aussi, le , Hébert ne renouvelle-t-il pas son contrat et crée de son côté les Éditions du Jour avec en poche déjà quelques manuscrits.

En examinant les premières annĂ©es du Jour en rapport avec la pĂ©riode de l'apogĂ©e, que Claude Janelle situe entre 1968 et 1974, la maison d'Ă©dition se dĂ©veloppe Ă  grande vitesse, malgrĂ© des dĂ©buts aux succès modestes. Très tĂ´t, les livres sont publiĂ©s dans une large sĂ©rie de collections dont les sujets sont plus variĂ©s les uns que les autres – dans la seule saison littĂ©raire de 1962, ce sont 30 livres publiĂ©s dans huit collections diffĂ©rentes[4]. Si Jacques HĂ©bert se montre consciencieux pour dĂ©busquer les talents de jeunes auteurs, on ne peut en dire autant de l'organisation et de l'unicitĂ© de ses collections. Jusqu'Ă  la fin, excluant les coĂ©ditions avec d'autres maisons, on en compte 26; les livres qu'elles regroupent sont interchangeables et mĂŞme les titres des collections entrent parfois en contradiction : ainsi, on retrouve les « Proses du Jour » Ă  cĂ´tĂ© des « Romanciers du Jour » (sans que l'on prenne la peine de dĂ©finir ce qu'est la « prose »), des titres figurant dans la « Petite collection » (qui inclut Le Nouveau parti de Stanley Knowles, fondateur du Nouveau Parti dĂ©mocratique) pourraient tout aussi bien se retrouver dans « Essais » ou « IdĂ©es du Jour », et la curieuse « Hors-collection » se veut un capharnaĂĽm de titres sans rapport les uns avec les autres alors qu'une partie des publications de la maison est dĂ©jĂ  publiĂ©e « sans dĂ©signation de collection[5] ».

Malgré tout, une constante demeure. Au cours de l'existence de la maison, la collection la plus stable demeure celle des « Romanciers du Jour » – 1978 est la seule année où rien n'y est publié – ce qui porte à croire que Jacques Hébert, tout le temps qu'il tient la barre du Jour, reste fidèle à son objectif : fournir sur le marché du livre québécois une série de romans accessibles à prix modiques et résolument actuels.

Chercher la relève

Avant 1968, quelques exemples de romans illustrent le renouveau désiré par Jacques Hébert dans la littérature québécoise – et tous ou presque sont portés par de jeunes auteurs. La guerre, yes sir!, premier roman que Roch Carrier publie au Jour, marque une rupture avec l'urbanité et la cosmogonie de la ville explorées dans les romans des années 1950 par, entre autres, Gabrielle Roy et André Langevin. Carrier publie quatre autres romans au Jour, préambule à une longue carrière d'écrivain.

D'autres romans tentent d'innover au sein d'une littérature largement dominée par l'écriture et les thématiques abordées par des auteurs comme Yves Thériault (qui publie sept romans au Jour) ou Gérard Bessette (qui y publie Le Cycle). Jean Basile, dans La jument des mongols paru en 1964, raconte la fraternité de trois jeunes Montréalais. C'est un roman placé sous le thème de l'affection et de l'interdépendance dans les rapports humains. L'écriture installe un univers qui, selon Claude Janelle, « s'apparente à l'univers romanesque de [Réjean] Ducharme, et particulièrement L'Hiver de force[6]. » De fait, L'avalée des avalés paraît deux ans plus tard chez Gallimard.

Marie-Claire Blais au Salon du livre de Montréal 2010

C'est au Jour que Marie-Claire Blais s'impose dans le paysage littéraire québécois comme auteure prometteuse de la relève. En 1966, lorsque Une saison dans la vie d'Emmanuel, publié un an plus tôt, remporte le prix Médicis, c'est la révélation d'un exploit digne de l'attribution du prix Femina en 1947 pour Bonheur d'occasion. Cette reconnaissance fait des Éditions du Jour le centre d'attention médiatique au sein du monde littéraire québécois. Sur le plan financier, les coffres sont renfloués et la production augmente. C'est à l'Institut littéraire de Québec que Blais avait fait quelques années auparavant ses débuts en tant qu'écrivaine et on y avait refusé Le Jour est noir sous prétexte d'inaccessibilité. Jacques Hébert, en acceptant de publier l'auteure, ne sait peut-être pas qu'il s'apprête à entamer une collaboration de laquelle naîtra 11 romans.

Sans verser dans un ésotérisme inspiré, il convient de rappeler que les Éditions du Jour, durant leurs premières années, doivent leur reconnaissance d'abord au flair de Jacques Hébert et à sa capacité à réunir autour de lui des auteurs qui ne sont pas pour lui de simples collaborateurs, mais des individus participant à la vie d'un organe du monde littéraire, voire des membres d'une famille. Les manifestations d'affection et de solidarité à son endroit seront encore plus marquées lorsque Jacques Hébert se départira de ses actions, cédées à la Fédération des caisses d'économie du Québec, ce qui préparera le déclin des Éditions du Jour.

La prospérité: 1968-1974

Cette pĂ©riode est marquĂ©e par une prospĂ©ritĂ© Ă©ditoriale et une reconnaissance sans cesse grandissante. En tĂ©moignent la qualitĂ© des ouvrages publiĂ©s dans la collection « Romanciers du Jour » et la production d'auteurs dĂ©jĂ  dĂ©couverts, des jeunes (Marie-Claire Blais, AndrĂ© Major) comme des moins jeunes (Jacques Ferron, GĂ©rard Bessette). De nouveaux auteurs, qui partageaient dĂ©jĂ  quelque accointance avec Jacques HĂ©bert (dont Jean-Marie Poupart, qui fait partie du comitĂ© de lecture) ou qui arrivent d'autres organes du milieu littĂ©raire quĂ©bĂ©cois, viennent consolider les fondations dĂ©jĂ  bien solides du Jour. Parmi eux, il convient de souligner l'Ă©quipe des dĂ©funtes Ă©ditions EstĂ©rel, fondĂ©es en 1964 par Michel Beaulieu : Beaulieu lui-mĂŞme, mais aussi Nicole Brossard, Gilbert Langevin, Roger Des Roches et Michèle Lalonde. L'arrivĂ©e de cette cohorte de poètes et de Michel Beaulieu, dont l'avis devient dĂ©terminant pour l'admission des manuscrits, est corollaire Ă  une augmentation des titres publiĂ©s dans la collection « Poètes du Jour » : 42 livres de poĂ©sie y voient le jour, contre 11 seulement dans les premières annĂ©es[7].

Le roman nationaliste et le roman féministe

Une vague de romans particulièrement ancrés dans l'époque d'effervescence culturelle et intellectuelle des années 1960 et 1970 paraît au cours de cette période. Parmi eux, des romans à valeur nationaliste et féministe. C'est l'époque de la fondation du Parti québécois, des revendications du FLQ, de l'enthousiasme soixante-huitard et des appels aux égalités entre les hommes et les femmes, pour une société contemporaine qui tranche véritablement avec les préjugés du passé, à l'endroit d'une hiérarchie sexuelle injuste et injustifiée. Jacques Hébert avait déjà mené un combat rude contre toute forme de censure et d'obscurantisme social, dans les années 1950 et aux débuts des activités éditoriales de sa maison – il dira, entre autres, à Robert Guy Scully du Devoir, que Dupuis Frères refusaient de vendre ses livres, de même que d'autres libraires, car le contenu de ses ouvrages était susceptible de choquer[8]. Fidèle à ses habitudes, Hébert emprunte, avec sa maison d'édition, une tangente résolument orientée vers les mouvements sociaux qui animent l'époque.

Roch Carrier

La littérature au cours de la décennie 70 au Québec, sans pour autant se détacher des questions esthétiques vers lesquelles elle tend, est rigoureusement politique. Le roman nationaliste et le roman féministe sont deux chevaux de bataille des auteurs du Jour. En ce qui a trait au roman nationaliste, Le ciel de Québec est de ces livres incontournables dont on doit la mémoire aux Éditions du Jour. Encore considéré aujourd'hui comme un classique de la littérature québécoise[9], il prend part à cette œuvre du pays que Jacques Ferron s'est évertué à construire. L'élaboration de cette œuvre n'est pas cependant exclusive aux Éditions du Jour – Ferron avait auparavant publié La Nuit aux éditions Parti pris et sera publié par la suite chez VLB éditeur après le départ de Jacques Hébert. Marie-Claire Blais avait entamé la consécration par capital symbolique (en un temps où la reconnaissance française compte beaucoup dans la prospérité du l'auteur et de la littérature québécoise) et capital économique du Jour; Ferron, en y publiant son Ciel de Québec, mais aussi L'amélanchier, vient amarrer la maison d'édition de Jacques Hébert au flanc de la cause nationale. D'autres romans, tels que ceux de Pierre Turgeon, Paul Villeneuve et Roch Carrier, confirment le bagage nationaliste du Jour. De même, cette recrudescence du roman s'arrogeant la question nationale dans les années 1970 vient un peu briguer ce qui était auparavant l'apanage de la poésie dans les années 1950 et 60. Les Gaston Miron, Roland Giguère, Gérald Godin et Paul-Marie Lapointe, déjà consacrés, cèdent quelque peu la place à une génération d'écrivains qui prennent pour véhicule du nationalisme la forme romanesque.

Pour le roman féministe, il faut moins s'attarder à la mémoire qu'on en garde aujourd'hui (pratiquement aucun n'a eu le succès populaire des romans nationalistes ou des autres auteurs précédemment publiés) qu'à la richesse du contenu de cette thématique. Les auteures qui se réclament de cette tendance d'écriture aux Éditions du Jour adoptent différentes postures à l'égard de la condition de la femme. Nicole Brossard esquisse déjà cette réflexion dans ses deux romans Un livre et Sold-out. Hélène Ouvrard, dans Le corps étranger, cherche à déconstruire l'asservissement de la femme par l'homme et à démontrer ce qui l'empêche de se constituer en tant qu'être à part entière, soit cet enfermement masculin, qui implique tromperie, torture et abaissement. Michèle Mailhot, dans un roman intitulé La mort de l'araignée, expose un cas particulier d'oppression masculine à l'endroit de la femme et ce, avec une violence que n'égale pas le roman d'Hélène Ouvrard.

Résistance générique: l'exemple d'Emmanuel Cocke

Emmanuel Cocke

D'autres auteurs abondent dans le sens d'autres « courants » tout en exerçant une forme de rĂ©sistance Ă  la tendance classificatrice induite par la question du genre littĂ©raire. Ce qui, en soi, est assez distinctif des Ĺ“uvres publiĂ©es au Jour : une disparitĂ© d'Ă©crivains et d'Ĺ“uvres dont la cohabitation va de soi. L'un de ces Ă©crivains, dont les Ĺ“uvres ont Ă©tĂ© redĂ©couvertes et republiĂ©es en 2014 aux Ă©ditions TĂŞte première et Coups de tĂŞte, est Emmanuel Cocke. ImmigrĂ© français nĂ© en 1945 et mort tragiquement Ă  PondichĂ©ry en 1973, il publie Va voir au ciel si j'y suis et L'emmanuscrit de la mère morte aux Éditions du Jour en 1971 et 1972. L'univers de Cocke est constituĂ© de personnages dĂ©lurĂ©s et atypiques ancrĂ©s dans des dystopies science-fictionnelles, très loin donc des contes d'un Ferron attachĂ© Ă  la cause nationale ou des romans coup de poing de Nicole Brossard.

Victor-LĂ©vy Beaulieu

Si Jacques Hébert est l'artisan du Jour, les actions et décisions de son entourage sont toutes aussi déterminantes. Un de ces acteurs est précisément celui à qui on doit la publication d'Emmanuel Cocke. Victor-Lévy Beaulieu vient de quitter les éditions Estérel, après avoir publié ses Mémoires d'outre-tonneau, lorsqu'il arrive aux Éditions du Jour en 1969. Très tôt, il y exerce la double fonction d'auteur publié (Race de monde!, Jos Connaissant, Les grands-pères, Un rêve québécois) et de directeur littéraire jusqu'en 1973. Sous sa tutelle, la collection « Romanciers du Jour » offre une « constante qualité littéraire sur le plan de la recherche de nouvelles formes d'écriture et du renouvellement des thèmes[10]. » L'exemple est flagrant avec l'entrée, entre autres, d'Emmanuel Cocke et de Jacques Ferron (que Beaulieu affectionne tout particulièrement) dans le catalogue de la maison.

Son départ, qui aurait eu « plus d'échos que de suites[11] », effectué avec fors retentissements et non sans une pointe de rancune, marque durablement les esprits, au sein de la famille du Jour. Victor-Lévy Beaulieu n'a jamais caché son parti pris pour la cause de l'indépendance du Québec. De même, Jacques Hébert est un fédéraliste avoué et ami personnel de Pierre-Eliott-Trudeau. L'éditeur n'a cependant jamais cherché à orienter son catalogue en fonction de ses positions politiques - en témoignent la sélection de romans nationalistes. De même, le Jour a été un ardent publicitaire du Parti québécois dès sa fondation en 1968, en publiant son programme politique. Il est donc intéressant de constater que le contenu indépendantiste du catalogue du Jour ne date pas de l'arrivée de Victor Lévy-Beaulieu à titre de directeur littéraire.

Toujours est-il que ce dernier claque la porte de la maison d'édition au lendemain des élections de 1973 qui reportent Robert Bourassa et les Libéraux au pouvoir. À la suite de l'événement, dans une lettre d'Hélène Ouvrard contresignée par plusieurs romanciers du Jour, on constate que les raisons idéologiques qui expliquent le départ de Beaulieu ne sont pas endossées par les auteurs, qui se rangent derrière Jacques Hébert. Ouvrard insiste sur le désavantage qu'aurait le Québec à s'affranchir aussi radicalement de tout fédéralisme, vante le « respect […] extraordinaire de la liberté d'expression » de son patron et accuse Victor-Lévy Beaulieu de « forcer les éditions du Jour à se déclarer fédéralistes en les privant de l'aspect culturel qui […] leur servirait de couverture[12]. » L'entêtement de l'auteur de Race de monde! cause tout un fracas qui annonce sans doute la funeste destinée des Éditions du Jour.

Le départ de Jacques Hébert

En 1974, c'est au tour de Jacques Hébert lui-même de quitter la barre des Éditions du Jour. Malgré un communiqué de presse qui banalise son départ, la vérité derrière cette décision se tourne consignée dans un document écrit de la main d'Hébert lui-même et qui révèle une situation qui est le fruit d'actions bien plus sournoises qu'une simple démission[13].

Depuis ses dĂ©buts, les Éditions du Jour sont une compagnie dont les actions sont dĂ©tenues Ă  50% par Jacques HĂ©bert; l'autre moitiĂ© est la propriĂ©tĂ© d'associĂ©s avec lesquels il fait affaire. Les Éditions du Jour sont une compagnie incorporĂ©e qui possède deux filiales, toutes ayant leur propre comptabilitĂ© : le Club du livre du QuĂ©bec et les Messageries du Jour, maison de distribution ayant l'exclusivitĂ© des droits de distribution du Jour ainsi que de Robert Laffont – l'entente est le fruit d'une collaboration entre HĂ©bert et l'Ă©diteur français du temps oĂą Victor-LĂ©vy Beaulieu Ă©tait directeur littĂ©raire. En 1972, l'associĂ© prĂ©cĂ©dent de Jacques HĂ©bert se dĂ©part de ses actions. Celles-ci sont rachetĂ©es par la FĂ©dĂ©ration des caisses d'Ă©conomie du QuĂ©bec (FCEQ), une fĂ©dĂ©ration regroupant des caisses auparavant indĂ©pendantes ou affiliĂ©es Ă  la Ligue des caisses d'Ă©conomie du QuĂ©bec et qui se disaient mĂ©contentes du service linguistique de cette dernière. La FCEQ connaĂ®t alors une croissance fulgurante depuis sa fondation en 1962 : en 1976, elle regroupe 141 caisses, 212 millions d'actifs et 194 000 membres[14]. Sa particularitĂ© rĂ©side en une filiale nommĂ©e Sofeda inc, sociĂ©tĂ© de gestion dont le mandat est de consentir des investissements industriels et commerciaux au QuĂ©bec. C'est par l'entremise de celle-ci que la FCEQ approche Jacques HĂ©bert et parvient Ă  acquĂ©rir l'autre moitiĂ© des actions des Éditions du Jour – et par consĂ©quent, du Club du live du QuĂ©bec et des Messageries.

Les dernières années

Une sĂ©rie d'inepties installe cependant un climat tendu entre HĂ©bert et ses nouveaux associĂ©s. Tout d'abord, les comptabilitĂ©s des trois compagnies sont fondues en une seule, ce qui complique leurs gestions individuelles. Ensuite, le poste de directeur gĂ©nĂ©ral des Messageries est comblĂ© par des personnes affiliĂ©es Ă  Sofeda inc. n'ayant pas les compĂ©tences nĂ©cessaires pour en assumer les responsabilitĂ©s, puis est finalement abandonnĂ© pour Ă©pargner un salaire. Par la suite, les associĂ©s d'HĂ©bert, qui disent devoir solliciter de nouveaux prĂŞts de la FCEQ, craignent de ne pouvoir obtenir les sommes et forcent HĂ©bert Ă  se dĂ©partir de ses actions dans les Messageries du Jour. Dès lors, les Messageries deviennent Ă  100 % la propriĂ©tĂ© de la FCEQ. Se produit alors un phĂ©nomène Ă©trange. Alors que les Éditions du Jour fonctionnaient avant sur des emprunts bancaires et des effets Ă  payer qui ne dĂ©passaient par les 180 000 dollars, cette somme grimpe Ă  676 000 dollars en 1974. Une rĂ©partition des sommes Ă  payer par les trois compagnies avait Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e par les associĂ©s d'HĂ©bert, rĂ©partition malavisĂ©e puisque Jacques HĂ©bert dĂ©couvre lui-mĂŞme plus tard qu'une partie de ces sommes normalement solvables par les Messageries avait Ă©tĂ© attribuĂ©es aux Éditions du Jour. De plus, une sĂ©rie de mĂ©sententes et de manĹ“uvres commerciales sont venues noircir le tableau; entre autres, Sofeda inc. aura cherchĂ© Ă  exiger Ă  Robert Laffont des frais de 26,5% sur toutes les coĂ©ditions avec l'Ă©diteur français (alors qu'ils Ă©taient normalement de 14 %), et elle aura tentĂ© de faire grimper la remise consentie aux Messageries par les Éditions du Jour Ă  60% au lieu de 55 %. Enfin, les Messageries se mettent Ă  payer leurs factures aux Éditions du Jour avec un retard considĂ©rable, ce qui met en pĂ©ril les situations Ă©ditoriale et financière de la maison.

Lorsque Jacques Hébert apprend que ses associés tentent de vendre, à son insu, leur part des actions dans les trois compagnies à de « puissants groupes capitalistes qui s'intéressent au secteur de l'information et de la distribution[15] », il quitte les Éditions du Jour. Les derniers acquéreurs des actions, durant la deuxième moitié des années 1970, cèdent ces dernières à diverses personnes jusqu'à ce que Sogides achète l'ensemble au début des années 1980. Les Éditions du Jour deviennent alors les éditions Le Jour. Toujours en activité, elles publient « des essais, des récits et des livres pratiques abordant cinq grandes thématiques : spiritualité, religion, philosophie, bien-être et écologie[16]. » Sogides est aujourd'hui une société de l'empire Québecor.

Les conséquences du départ de Jacques Hébert sur les Éditions du Jour ne se font pas attendre. Dès 1975, les écrivains se réunissent sous l'égide du Front des écrivains du Jour et se chargent de dénoncer publiquement les exactions de la nouvelle administration, qu'ils jugent incompétente. Mauvaise gestion des stocks, pilonnage des œuvres non autorisé par les auteurs, non-respect des clauses de contrats, chiffres inventés : la maison d'édition se trouve, selon eux, entre des mains qui ne connaissent rien à la chose éditoriale. Quelques-uns de ces écrivains dissidents se regroupent et forment leur propre maison, les éditions Quinze, dont la durée de vie est éphémère – un an à peine. La production des œuvres au Jour est réduite et de moins bonne qualité. Jusqu'au rachat par Sogides, la maison accumule le discrédit au sein du milieu littéraire québécois. On se tourne vers d'autres éditeurs – Victor Lévy-Beaulieu, notamment, qui avait fondé les éditions de l'Aurore peu après son départ.

Voir aussi

Bibliographie

  • JANELLE, Claude. Les Éditions du Jour. Une gĂ©nĂ©ration d'Ă©crivains, MontrĂ©al, Hurtubise HMH (coll. Cahiers du QuĂ©bec, collection LittĂ©rature), 1983, 338 p.
  • MICHON, Jacques (dir.). Histoire de l'Ă©dition littĂ©raire au QuĂ©bec au XXe siècle. La bataille du livre : 1960-2000, MontrĂ©al, Fides, 2010, 511 p.
  • BIRON, Michel et als. Histoire de la littĂ©rature quĂ©bĂ©coise, MontrĂ©al, BorĂ©al, 2007, 689 p.
  • COCKE, Emmanuel. Va voir au ciel si j'y suis/L'emmanuscrit de la mère morte, MontrĂ©al, TĂŞte première, 2013, 508 p.
  • PICARD, Jean (TREMBLAY, BenoĂ®t, dir.), Cahier de recherche S-77 : aperçu gĂ©nĂ©ral des caisses selon l'affiliation, MontrĂ©al, Centre d'Ă©tudes Desjardins en gestion des coopĂ©ratives de services financiers, 1977, 55 p.

Articles connexes

Références et citations

  1. Jacques Hébert, cité dans MICHON, Jacques (dir.). Histoire de l'édition littéraire au Québec au XXe siècle. La bataille du livre : 1960-2000, Montréal, Fides, 2010, p. 328-329
  2. MICHON, Jacques (dir). Op. cit., p. 26
  3. Ibid., p. 25
  4. JANELLE, Claude. Les Éditions du Jour. Une génération d'écrivains, Montréal, Hurtubise HMH (coll. Cahiers du Québec, collection Littérature), 1983, p. 288-289
  5. Idem.
  6. JANELLE, Claude. Op. cit., p. 27
  7. JANELLE, Claude. Op. cit., p. 288-289
  8. Propos recueillis dans MICHON, Jacques (dir.). Op. cit., p. 329
  9. Voir à ce sujet: BIRON, Michel et als. Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal, 2007, p. 432-439
  10. JANELLE, Claude. Op. cit., p. 43
  11. Ibid., p. 51
  12. Hélène Ouvrard, citée dans Ibid., p. 53
  13. L'ensemble des informations et chiffres concernant la chute des Éditions du Jour qui suivent sont tirées de ce document reproduit dans l'ouvrage de Claude Janelle.
  14. PICARD, Jean (TREMBLAY, BenoĂ®t, dir.), Cahier de recherche S-77 : aperçu gĂ©nĂ©ral des caisses selon l'affiliation, MontrĂ©al, Centre d'Ă©tudes Desjardins en gestion des coopĂ©ratives de services financiers, 1977, p. 4
  15. Jacques Hébert, cité dans JANELLE, Claude, Op. cit., p. 129
  16. Groupe Sogides inc. Éditions Le Jour : maison d'édition de livres francophones (http://www.edjour.com/apropos.aspx) [consulté le 16 décembre 2014]
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