La Mâchoire de Caïn
La Mâchoire de Caïn (titre original : Cain's Jawbone) est un roman policier écrit par l'auteur britannique Edward Powys Mathers, sous le pseudonyme « Torquemada ». Publié pour la première fois en 1934 au Royaume-Uni, sous le titre The Torquemada Puzzle Book, ce livre est l'une des plus vieilles et plus difficiles énigmes littéraires. Il préfigure les chasses publiques au trésor, dont la plus connue en France est La chouette d'or.
La Mâchoire de Caïn | |
Auteur | Edward Powys Mathers |
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Genre | roman à énigme roman policier |
Version originale | |
Langue | Anglais |
Titre | Cain's Jawbone |
Lieu de parution | Royaume-Uni |
Date de parution | 1934 |
Version française | |
Éditeur | Le Livre de poche |
Lieu de parution | Paris |
Date de parution | 2023 |
Nombre de pages | 224 |
ISBN | 978-2-253-94026-5 |
Dans ce roman à énigme, les 100 pages ont été imprimées et reliées dans le désordre. Le lecteur est invité à les remettre dans l'ordre afin de résoudre les six crimes, en trouvant les victimes et leurs meurtriers. La publication du livre s'accompagne d'un concours qui offre un prix au premier lecteur à résoudre le puzzle.
En 2019, le livre est publié une seconde fois, et connaît une nouvelle popularité à la suite de nombreux partages sur le réseau social TikTok[1]. En 2023, il est publié en français par Le Livre de poche[2].
Au total, entre 1934 et 2021, seuls 4 lecteurs seraient parvenus à résoudre l'énigme[3].
Histoire du livre
Première publication (1934)
En 1934, l'auteur de mots croisés Edward Powys Mathers, alias Torquemada, publie un recueil de son travail intitulé Torquemada Puzzle Book. À la fin de ce livre se trouve « Cain's Jawbone ». La particularité du livre est d'être imprimé dans le désordre, invitant le lecteur à réorganiser les pages, pour en résoudre le mystère. Le puzzle extrêmement difficile – il y a plus de 32 millions de combinaisons de pages possibles, mais un seul ordre est correct – n'a été résolu que par deux personnes dans les années 1930 : Saxon Sydney-Turner et W. S. Kennedy[4]. En récompense, ils ont tous les deux reçu un prix de 25 livres (soit environ 2 500 $ aujourd'hui)[5], et la solution au puzzle est par la suite restée secrète.
Seconde publication (2019)
En 2016, l'association Laurence Sterne Trust, qui collectionne les œuvres littéraires insolites, reçoit un exemplaire du livre. Elle l'intègre à la collection de son musée, mais ne dispose pas de la solution au puzzle.
Le conservateur du musée, Patrick Wildgust se lance alors la mission de le résoudre. Après des mois de recherches – qu'il qualifie d'« entreprise compliquée et parsemée d'embûches » –, Wildgust réussit à dénicher la solution en parcourant son vaste réseau de libraires et en trouvant finalement un vieil homme dans une maison de retraite qui avait encore ses propres réponses, ainsi qu'une note signée de Torquemada lui-même le félicitant d'avoir réussi[1].
Une fois le mystère résolu, le livre a été réédité en 2020 par l'éditeur Unbound, ce dernier offrant un prix de 1 000 £ à quiconque pourrait le résoudre durant l'année suivant sa parution. L'éditeur avertit toutefois que « la compétition n'est pas pour les âmes sensibles » et que le puzzle est « phénoménalement difficile »[6].
Quelque mois plus tard, l'énigme est résolue par le comédien britannique John Finnemore, qui raconte avoir passé environ quatre mois pendant le confinement à travailler à la résolution de l'énigme. Patrick Wildgust et John Finnemore sont convenus de garder la solution « un secret bien gardé, afin que le puzzle puisse être apprécié par les générations futures ». L'éditeur décide alors de poursuivre le concours, le Laurence Sterne Trust se chargeant de confirmer toute autre solution correcte qui lui est soumise.
En novembre 2021, une vidéo au sujet du livre publiée sur TikTok est vue 6,6 millions de fois. Par la suite, le livre connaît une nouvelle popularité, vendu à 325 000 exemplaires et traduit en 12 langues[5]. Il paraît en France en 2023, au Livre de poche qui écoule 20 000 exemplaires du livre en dix jours[2].
En février 2023, Finnemore annonce qu'il écrit la suite de La Mâchoire de Caïn, dont la sortie est prévue pour fin 2024 ou début 2025[7] - [8].
Une exception littéraire
L’énigme à résoudre, telle que présentée par l’éditeur, se résume à deux questions : quel est l’ordre logique des pages ? Qui sont les six meurtriers et les six victimes ? De manière sous-jacente, le lecteur est invité à se demander : quelle est la cause immédiate de chaque meurtre ? Dans quel complot général s’inscrivent-ils ?
Rompant avec la tradition du whodunit (histoire policière se terminant invariablement par l’intervention du détective, révélant l’identité du coupable aux protagonistes comme au lecteur), le livre ne porte pas la solution de l’énigme, cette solution demeure cachée, derrière, peut-être, un millier de références (soit une dizaine pour chacune des cent pages).
L'auteur recourt à différents procédés, littéraires et ludiques, visant à mettre le lecteur sur la voie de la solution, voire à le dérouter : références littéraires (parmi lesquelles Shakespeare, Stevenson, Whitman et surtout Oscar Wilde) ; indices temporels et géographiques, indications érudites historiques, voire végétales et météorologiques ; périphrases (un reste de dessert glacé est « un verdoiement », une cigarette Nestor est évoquée à travers la figure shakespearienne du « vénérable dont Achille voulait chasser l’hiver des lèvres de Cressida »…) ; homonymies (un même nom désigne plusieurs personnages, voire objets ou animaux) et leur contraire (un même personnage est désigné sous plusieurs noms) ; contrepèteries ; définitions en abyme (dans son introduction « Éloge de Torquemada » à l’édition française, Hervé Le Tellier, membre de l’Oulipo, cite Georges Perec – grand maître des romans « à contrainte »-, qui pour le mot « érosio » donnait pour définition : « elle a déjà commencé », tandis que Torquemada, dans la version originale de La Mâchoire de Caïn, évoque les « ickets », qui sont des tickets... compostés puisqu’il en manque un morceau) ; jeux de mots (Sir Roland et Sir Weedon Mowthalorn, pour « Roll and Mow the Lawn » et « Weed and Mow the Lawn”, soit rouler, semer, tondre la pelouse) ; peut-être l’anagramme ou l'acrostiche…
La Mâchoire de Caïn, objet littéraire unique, mélange de puzzle, de roman policier, de mots croisés, se présente comme un récit déconstruit, d’abord parce que ses cent pages sont dans le désordre, ensuite parce qu’il apparaît assez rapidement que la trame en est composée, comme dans Rashomon, par une pluralité de narrateurs primaires, derrière le flux de pensées desquels peuvent se cacher un certain nombre de narrateurs secondaires bien qu’illustres, volontiers cités de manière cryptique (sans guillemets ni italiques).
Certains procédés présents dans La Mâchoire de Caïn avaient été utilisés par Faulkner dans son roman Le Bruit et la Fureur paru en 1929 : pluralité des narrateurs, narration issue d'un "courant de conscience" faisant fi des règles typographiques qui veulent qu'une citation soit entre guillemets ou en italiques, attribution d'un même nom à plusieurs personnages. Concernant ce dernier procédé utilisé par Faulkner, Nathalie Sarraute écrivait : "Ce prénom qu'il promène d'un personnage à l'autre sous l'œil agacé du lecteur, comme le morceau de sucre sous le nez d'un chien, force le lecteur à se tenir constamment sur le qui-vive. (...) il doit, pour identifier les personnages, les reconnaître aussitôt, comme l'auteur lui-même, par le dedans, grâce à des indices qui ne lui sont révélés que si, renonçant à ses habitudes de confort, il plonge en eux aussi loin que l'auteur et fait sienne sa vision"[9].
Dix conseils pour progresser dans la résolution des énigmes de « La Mâchoire de Caïn »
1. Assembler les quelques paires de pages dont l’assemblage, sans être celui proposé initialement, est évident compte tenu de l’enchaînement entre la fin de la première et le début de la seconde. Ne pas se préoccuper de la casse ou de l'espacement des lignes (variables suivant les pages pour préserver un espace de notes intangible, mais sans effet sur la résolution des énigmes).
2. Caractériser chaque page en fonction de critères normés (figures de style, temps de la narration, citations, personnages, auteurs, lieux, dates, objets, aliments, animaux, indications météorologiques, etc.), ce qui peut nécessiter le recours à des moteurs de recherche, des forums spécialisés, etc., car l’érudition de l’honnête homme ou femme des années 2020 n’est pas celle des lecteurs et lectrices de l’Angleterre des années 1930.
3. Choisir un système de classement de l’information adapté (un tableur, de préférence).
4. Si possible, se référer à la version originale (langue anglaise) de préférence à une traduction. A noter : un certain nombre de pages comprennent des contrepèteries. Elles sont évidemment intraduisibles de l’anglais au français. Les traducteurs ont donc choisi de mettre des contrepèteries dans les mêmes pages mais pas nécessairement au même endroit. Cela n’a pas d’incidence sur la résolution de l’énigme.
5. Se familiariser avec les dispositifs narratifs de l’auteur : périphrases, références littéraires plus ou moins cachées, fausses pistes, utilisation d’un même nom pour plusieurs personnages, objets, animaux, plantes, …
6. Se référer aux sources de l’auteur : le « Chambers Book of Days »[10], le « Chambers's Twentieth Century Dictionary » (1908)[11], l’ouvrage évoqué page 28, …
7. Classer les pages par séquence (l’ouvrage « dans l’ordre » étant composé d’un certain nombre de séquences, chaque séquence ayant un facteur narratif majeur commun).
8. Ordonner les pages au sein de chaque séquence, après avoir identifié le système (temporel, géographique, …) d’indices propre à chacune d’elles.
9. Identifier et caractériser chaque meurtre : causes, modalités, auteur, victime.
10. Chercher à comprendre la logique globale du complot initial.
Publication
- La Mâchoire de Caïn (trad. Claire Watson), Le Livre de poche, , 224 p. (ISBN 978-2-253-94026-5).
Notes et références
- (en-GB) Alison Flood, « Cain’s Jawbone: TikTok helps reissued literary puzzle fly off the shelves », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
- Juliette Geay, « "Je suis tombé dans le piège" : ils ont tenté de résoudre l'énigme diabolique de "La Mâchoire de Caïn" », France Inter, (lire en ligne, consulté le )
- (en-US) « The Strange Literary Puzzle Only Four People Have Ever Solved », sur Mental Floss, (consulté le )
- (en) Hannah Natanson, « A 1934 murder mystery’s pages were printed out of order. Now the world is obsessed. », The Washington Post, (lire en ligne)
- (en-GB) Alison Flood, « Literary puzzle solved for just third time in almost 100 years », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
- (en) Cain’s Jawbone – A Novel Problem (ISBN 978-1-78352-741-0, lire en ligne)
- (en-GB) Sarah Shaffi, « John Finnemore to write Cain’s Jawbone murder-mystery sequel », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
- « Une suite pour le livre-enquête La Mâchoire de Caïn », sur ActuaLitté.com (consulté le )
- Nathalie Sarraute, L'ère du soupçon, Temps Modernes, février 1950, repris dans le recueil du même nom, Folio.
- « Chambers Book of Days »
- « Chambers's Twentieth Century Dictionary (1908) »