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Joan Wallach Scott

Joan Wallach Scott /dÍĄÊ’oʊn ˈwɒlək skɑt/[1], nĂ©e le Ă  Brooklyn (New York), est une historienne amĂ©ricaine dont les travaux, initialement consacrĂ©s au mouvement ouvrier français, se sont orientĂ©s Ă  partir des annĂ©es 1980 vers l'histoire des femmes dans une perspective du genre. Elle a Ă©tĂ© initialement influencĂ©e par le marxisme et les mobilisations de gauche des annĂ©es 1960, puis par le fĂ©minisme dans les annĂ©es 1970, par la French Theory dans les annĂ©es 1980[2] puis par la psychanalyse.

Parcours universitaire

Joan Scott sort diplĂŽmĂ©e de l'universitĂ© Brandeis en 1962. En 1969, elle obtient son doctorat de l'universitĂ© du Wisconsin. Puis elle enseigne successivement Ă  l'universitĂ© de l'Illinois Ă  Chicago, Ă  l'universitĂ© Northwestern, Ă  l'universitĂ© de Caroline du Nord Ă  Chapel Hill, Ă  l'universitĂ© Rutgers et Ă  l'universitĂ© Johns-Hopkins. AprĂšs avoir briĂšvement occupĂ© en 1984 le poste de directeur d'Ă©tudes associĂ© Ă  l'École des hautes Ă©tudes en sciences sociales, elle obtient en 1985 la chaire Harold F. Linder de l'Institute for Advanced Study[3]. En , elle intĂšgre le comitĂ© de rĂ©daction de The Journal of Modern History.

Travaux

Histoire ouvriĂšre et influence du marxisme

Les premiers travaux de Joan Scott ont portĂ© sur la grĂšve des verriers de Carmaux[4] Ă  la fin du XIXe siĂšcle, elle y dĂ©veloppe une analyse de l’évĂ©nement sur le temps long afin de montrer que l’émergence d’une conscience de classe est liĂ©e Ă  une constitution complexe de l’identitĂ© individuelle et collective mais n’est ni naturelle ni dĂ©terminĂ©e[5]. Elle y emploie les outils conceptuels du marxisme sans en reprendre le dĂ©terminisme.

L'apport du féminisme (années 1970)

Au cours des annĂ©es 1970, Joan Scott se tourne vers le fĂ©minisme, participant activement Ă  l’essor du fĂ©minisme universitaire amĂ©ricain. Elle entame, avec sa collĂšgue Louise Tilly, l’étude de la question peu documentĂ©e dans l’histoire du monde ouvrier, des femmes et du travail fĂ©minin. En analysant l’histoire du travail salariĂ© fĂ©minin, ces deux chercheuses montrent la dimension asymĂ©trique et sexuĂ©e du marchĂ© du travail. Elles placent leurs travaux dans une perspective subversive de lutte contre les structures sociales patriarcales : « ce que nous voulions en examinant ce passĂ©, c’était dĂ©stabiliser le prĂ©sent, dĂ©fier les institutions patriarcales et les modes de pensĂ©e qui en appellent Ă  la nature pour s’autolĂ©gitimer »[6].

L'apport du genre et de la french theory (années 1980)

Insatisfaite des limites du cadre conceptuel marxiste dans lequel s’inscrivait ses travaux pour comprendre la continuitĂ© historique des inĂ©galitĂ©s sexuelles, Joan Scott en appelle Ă  une Ă©pistĂ©mologie plus vaste du processus de domination masculine[7]. L’apport de la french theory au dĂ©but des annĂ©es 1980 l’incite Ă  une historicisation des catĂ©gories, Ă  une dĂ©construction des catĂ©gories d’« homme » et de « femme » qui organisent la sociĂ©tĂ© en un systĂšme binaire et inĂ©galitaire. Dans cet esprit, elle Ă©tudie l’essentialisation des fonctions fĂ©minines durant le XIXe siĂšcle (rĂŽle maternel, mĂ©nager, etc.) et introduit la notion de genre dans son analyse des processus historiques de domination dans un article publiĂ© en 1986 dans l'American Historical Review (en) « Le genre : une catĂ©gorie utile de l'analyse historique » (Gender : a useful category of historical analysis), qui joua un rĂŽle majeur dans l’émergence de l'histoire des femmes et du genre. Son ouvrage Gender and the politics of history est venu deux ans plus tard dĂ©velopper cet effort initial. Selon Joan Scott, le genre est non seulement « un Ă©lĂ©ment constitutif des rapports sociaux fondĂ© sur des diffĂ©rences perçues entre les sexes », mais aussi une « façon premiĂšre de signifier des rapports de pouvoir »[8], un champ de normes et de pratiques par le moyen duquel le pouvoir est articulĂ©. Elle entame un questionnement critique sur l’emploi des catĂ©gories d’ Â« hommes » et de « femmes » dans la production du rĂ©cit historique, dans la mesure oĂč ces concepts vĂ©hiculent un jugement de valeur.

L'apport de la psychanalyse (années 1990)

Au cours des annĂ©es 1990, Joan Scott intĂšgre la psychanalyse Ă  ses travaux sur le genre et l’Histoire, la considĂ©rant comme une « thĂ©orie pour faire progresser notre comprĂ©hension du dilemme insoluble que la diffĂ©rence sexuelle continue d’engendrer »[9]. Elle introduit ainsi dans ses travaux les concepts hĂ©ritĂ©s du freudisme d‘identification et de fantasme. Pour elle, le genre est le lieu d’une tension dans le processus d’identification de chaque individu et elle considĂšre son Ă©tude comme l’étude des « relations entre le normatif et le psychique ». Selon la psychanalyste et universitaire Laurie Laufer, elle s’attache Ă  dĂ©terminer les conditions de production historique des fantasmes qui conditionnent et solidifient les diffĂ©rences sexuelles[10].

Étude du fĂ©minisme français

Elle s'est intĂ©ressĂ©e dans La Citoyenne paradoxale, paru en 1996 aux États-Unis, Ă  l'histoire du fĂ©minisme français. Elle y met notamment en exergue la tension irrĂ©ductible entre la valorisation de l'identitĂ© fĂ©minine et la revendication de l'Ă©galitĂ© dans le positionnement stratĂ©gique des mouvements fĂ©ministes Ă  partir de la fin du XVIIIe siĂšcle. Les femmes, bien que privĂ©es de droits politiques au nom de leur prĂ©tendue « nature », n'avaient souvent d'autres choix que de s'appuyer sur les qualitĂ©s « naturelles » qu'on leur prĂȘtait pour revendiquer un statut Ă©gal Ă  celui des hommes.

Elle a Ă©galement analysĂ© de façon critique l’interdiction du port du voile islamique dans les Ă©coles comme une manifestation des spĂ©cificitĂ©s du rĂ©publicanisme français[11].

Interventions dans le débat public en France

Dans le contexte de l'affaire Dominique Strauss-Kahn et du dĂ©bat sur l'identitĂ© nationale, Joan W. Scott a publiĂ© dans le quotidien LibĂ©ration une tribune[12] analysant ces sujets, intitulĂ©e « La sĂ©duction comme une thĂ©orie française ». Elle y dĂ©veloppe l'idĂ©e selon laquelle un courant de pensĂ©e français a promu « l'attirance naturelle » entre les femmes et les hommes, illustrĂ©e par la sĂ©duction, comme modĂšle pour les rapports sociaux entre les sexes en niant la rĂ©alitĂ© des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes[13]. AttaquĂ©es nommĂ©ment par Scott, Claude Habib, IrĂšne ThĂ©ry et Mona Ozouf Ă©crivent une tribune en retour pour dĂ©fendre le « fĂ©minisme Ă  la française »[14]. À la suite de l'affaire Weinstein et de la loi sur le harcĂšlement de rue adoptĂ©e en en France, Claude Habib ajoutait que, contrairement Ă  ce qu'avance Scott, le galant homme « serviable, charmeur et toujours lĂ©ger, est l’anti-Weinstein ».

ƒuvre

Ouvrages parus en français

  • ThĂ©orie critique de l'histoire. IdentitĂ©s, expĂ©riences, politiques, Paris, Ă©ditions Fayard, coll. « Ă  venir »[15], 2009
  • De l'utilitĂ© du genre, Paris, Ă©ditions Fayard, 2012

Ouvrages traduits en français

  • Les Verriers de Carmaux. La naissance d'un syndicalisme, Paris, Flammarion, 1982 Trad. de The glassworkers of Carmaux, Harvard university press, 1974[16].
  • Avec Louise A. Tilly, Les Femmes, le travail et la famille, Paris, Rivages, 1987, rĂ©Ă©d. 2002. Trad. de Women, work, and family, 1978.
  • La Citoyenne paradoxale : les fĂ©ministes françaises et les droits de l'homme, Paris, Albin Michel, 1998 Trad. de Only paradoxes to offer. French Feminists and the Rights of Man, Harvard University Press, 1996.
  • ParitĂ© ! : l'universel et la diffĂ©rence des sexes, Paris, Albin Michel, 2005 Trad. de ParitĂ© ! Sexual equality and the crisis of french universalism, 2005.
  • La Politique du voile, Ă©ditions Amsterdam, 2017 Trad. de The Politics of the Veil, Princeton University Press, 2007.
  • La Religion de la laĂŻcitĂ©, Flammarion, 2018 Trad. de Sex and Secularism, Princeton University Press, 2017.

Ouvrages non traduits

  • Gender and the Politics of History, New York: Columbia University Press, 1988; Ă©dition remaniĂ©e, 1999
  • The Fantasy of Feminist History. Durham, Duke University Press, 2011.
  • Knowledge, Power, and Academic Freedom, Columbia University Press, 2019

Distinctions

Prix

Honneurs

Notes et références

  1. Prononciation en anglais américain retranscrite selon la norme API.
  2. « History trouble », sur vacarme.org.
  3. Pour plus de précision, voir le CV de Joan Scott
  4. Joan W. Scott,, Les verriers de Carmaux  : la naissance d’un syndicalisme,, Paris, Flammarion,
  5. « Joan W. Scott ou l’histoire critique des inĂ©galitĂ©s », sur laviedesidees.fr.
  6. Joan W. Scott, Le “lourd passĂ©â€ du fĂ©minisme, p. 210.
  7. Joan W. Scott, « « Dix ans d’histoire des femmes aux États-Unis » », Le DĂ©bat, no 10,‎ , p. 131
  8. Joan W. Scott, Genre : une catĂ©gorie utile d’analyse historique, p. 56
  9. Joan Scott, De l'utilité du genre, Fayard, , p. 8.
  10. Laurie Laufer, « Scott Joan W., De l’utilitĂ© du genre », Genre, sexualitĂ© & sociĂ©tĂ© [En ligne], 8 | Automne 2012, mis en ligne le 01 dĂ©cembre 2012, consultĂ© le 14 avril 2020, URL : http://journals.openedition.org/gss/2593 « Scott Joan W., De l’utilitĂ© du genre », sur gss.revues.org.
  11. (en) Joan Wallach Scott, The Politics of the Veil, Princeton, Princeton University Press., .
  12. «Féminisme à la française», sur www.liberation.fr
  13. Clyde Plumauzille, « Joan W. Scott ou l'histoire critique des inĂ©galitĂ©s », La vie des idĂ©es,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  14. « Féminisme à la française : la parole est à la défense », sur liberation.fr,
  15. Voir sur collectionavenir.blogspot.com.
  16. L'éditeur précise que l'ouvrage a obtenu, en 1974, le prix Herbert Baxter attribué par l'Association des historiens américains.
  17. (en) « Herbert Baxter Adams Prize Recipients », sur American Historical Association (consulté le ).
  18. (en) « Nancy Lyman Roelker Mentorship Award Recipients », sur American Historical Association (consulté le ).
  19. (en) « Hans Sigrist Prize Winners », sur Université de Berne (consulté le ).
  20. (en) « Award for Scholarly Distinction Recipients », sur American Historical Association (consulté le ).
  21. (en) « Joan Wallach Scott », sur Académie américaine des arts et des sciences (consulté le ).
  22. (en) « Honorary Degrees », sur Université Harvard (consulté le ).
  23. « Docteurs honoris causa », sur Université Paris 8 (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • Laurie Laufer, « Scott, Joan W., De l’utilitĂ© du genre », Genre, sexualitĂ© & sociĂ©tĂ©, 8 | automne 2012, mis en ligne le , consultĂ© le 14 avril 2020, [lire en ligne]
  • Françoise ThĂ©baud, « Joan W. Scott, La citoyenne paradoxale : les fĂ©ministes françaises et les droits de l'homme, Paris, Albin Michel, 1998, 286 pages (traduction française de Only Paradoxes to Offer. French Feminists and the Rights of Man, Harvard University Press, 1996, 229 pages) », Clio. Histoire, femmes et sociĂ©tĂ©s, 12 | 2000, mis en ligne le 20 mars 2003, consultĂ© le 14 avril 2020, [lire en ligne]

Articles connexes

Liens externes

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