Instructions de Shuruppak
Les Instructions de Shuruppak sont un texte de la littérature sapientiale mésopotamienne, rédigé en sumérien, contenant une liste de conseils de sagesses.
Ce texte se présente comme un enseignement de Shuruppak, fils d'Ubara-tutu, à son fils Ziusudra. Ces personnages sont connus par d'autres textes sumériens : dans la Liste royale sumérienne, texte historiographique débutant par une liste de souverains légendaires du pays de Sumer, Ubara-tutu et Ziusudra sont présentés comme des rois de la ville de Shuruppak, les derniers à avoir régné avant le Déluge. Ziusudra est par ailleurs le « Noé » du récit sumérien du Déluge (le GenÚse d'Eridu).
Les Instructions de Shuruppak font partie des plus anciennes Ćuvres littĂ©raires connues, puisque les plus anciennes versions retrouvĂ©es sont rĂ©digĂ©es sur des tablettes fragmentaires exhumĂ©es Ă Abu Salabikh et Adab et datant de 2500 av. J.-C. environ. Elles ont en outre fait l'objet de copies plus tardives, notamment du dĂ©but du IIe millĂ©naire av. J.-C., dont la quantitĂ© atteste leur popularitĂ©.
Les conseils de sagesse mésopotamiens
Les conseils de sagesse, aussi appelĂ©s texte de sagesse, sont une tradition rĂ©pandue dans lâhistoire mĂ©sopotamienne. Il sâagit avant tout de transmettre aux nouvelles gĂ©nĂ©rations la sagesse traditionnelle[2]. Il faut considĂ©rer cette Sagesse, nam-kĂč-zu en sumĂ©rien et nÄmequ[2] en akkadien, comme un adjectif positif dĂ©signant « lâhabiletĂ© et la compĂ©tence », notamment dans « les sciences liturgiques » et non une assertion de type moral[2]. Les Instructions de Shuruppak en sont un exemple.
DĂ©couverte de la tablette
Historiographie
Le Tel de Fara, en Irak, a fait l'objet de multiples fouilles du dĂ©but du XXe siĂšcle jusquâĂ aujourdâhui. Les fouilles prĂ©liminaires commencent en 1900 avec H. V. Hilprecht[3]. Puis les fouilles reprennent sous la direction du D.O.G (Deutsche Orient-Gesellschaft) entre 1902 et 1903[3]. Une nouvelle campagne de recherche, dirigĂ©e par E.J. Banks, est lancĂ©e en 1903[4] et plus tard, en 1926, une troisiĂšme fouille est entreprise par Raymond P. Dougherty[3] pour the American Schools Of Oriental Research[3]. Ensuite, lâInstitut ArchĂ©ologique de Pennsylvanie continue les fouilles en 1931[3].
La tablette des Instructions de Shuruppak est trouvée dans les fouilles de Bismaya (Adab) entre 1903 et 1904[4] et est alors envoyée à The Oriental Institute of University of Chicago[5], elle y sera translittérée et traduite.
Le texte
Les Instructions de Shuruppak sont des imprĂ©cations visant Ă conseiller un fils pour le bien-ĂȘtre du royaume, de sa famille et de lui-mĂȘme. Le texte est divisĂ© en trois parties. Chacune des parties commence par une exhortation Ă ĂȘtre Ă©coutĂ© (Ligne 1-13, ligne 76-82, ligne 146-152). Dans lâensemble le texte est rĂ©pĂ©titif et rĂ©cursif. Cette rĂ©pĂ©tition est caractĂ©ristique dâune tradition orale qui persiste dans la mise en Ă©crit. Il existe plusieurs versions du texte original des Instructions de Shuruppak; les connues sont celles dâAdab[6], celle dâAbu Salabikh[7] ainsi quâune version akkadienne[6].
La traduction du texte souffre de plusieurs lacunes liĂ©es Ă la prĂ©servation des tablettes et Ă la disponibilitĂ© des fragments archĂ©ologiques, certains signes Ă©tant devenus illisibles[6]. De plus, des mots sont parfois omis conformĂ©ment aux mĂ©thodes dâĂ©critures archaĂŻques[6]. Ensuite, la difficultĂ© de traduction est aussi liĂ©e aux Ă©volutions grammaticales, selon les Ă©poques et les rĂ©gions, d'une version Ă l'autre du texte[6]. Le cas de la tablette trouvĂ©e Ă Adab est un exemple montrant que certains mots sont abrĂ©gĂ©s, Ă la diffĂ©rence de que l'on trouve dans des versions antĂ©rieures: Dumu-ni-ra devenant Dumu-ni ou bien Dumu-ni-ir[6].
La traduction des Instructions de Shuruppak fut compilée grùce aux fragments des tablettes découvertes dans les différents sites archéologiques mésopotamiens. Certaines parties du texte manquent encore (lignes 88 à 96[6] et lignes 234 à 243[6]).
Portée
Le texte semble avoir eu une certaine popularitĂ© Ă son Ă©poque puisquâon le retrouve dans dâautres sites de fouilles de la rĂ©gion dont Adab, Fara et Abu Salabikh ainsi que dans une lettre akkadienne. Les conseils de sagesse sont une tradition rĂ©pandue du Proche-Orient ancien[8]; les Instructions de Shuruppak est lâenseignement sumĂ©ro-akkadien le mieux conservĂ© dĂ©couvert jusqu'Ă prĂ©sent[2].
Sens
Le texte se rapproche des Dix Commandements du premier testament biblique avec entre autres des allusions au respect filial (lignes 255-260), au vol (lignes 28-31), au viol (lignes 61-62) et au meurtre (lignes 252-253). De plus, il indique comment bien gĂ©rer et organiser un royaume, en fournissant des instructions sur les esclaves (lignes 28-31, 49,154-164, 193-201) et sur lâorganisation sociale. Lâappel au fils est rĂ©current, rappelant les textes de proverbes bibliques[8].
Dans son ensemble, les instructions se rapportent au sens commun et aux actions concrĂštes de lâĂ©poque[8]. Les termes « Vous ne devriez pas » reviennent 64 fois, soulignant lâinstruction et lâexigence apportĂ©es dans le corps du texte. Le propos du texte vante la supĂ©rioritĂ© de la vie des SumĂ©riens par rapport aux coutumes des autres peuples « barbares »[2]. Par ailleurs, la forme dĂ©clamatoire employĂ©e dans les Instructions de Shuruppak est caractĂ©ristique des textes de sagesse mĂ©sopotamiens.
Auteur
Le texte est écrit par une femme du nom de Nisaba et lui fut dicté par Shuruppak, fils de Ubara-Tutu, pour son fils Zid-ud-sura. Nisaba était la déesse des céréales, ainsi que de la calligraphie et de la pédagogie[2].
Shurrupak apparaĂźt comme Ă©tant un roi dans certains textes sumĂ©riens et une ville antĂ©diluvienne dans dâautres. Rappelons que son fils Zid-ud-sura est comparĂ© au "NoĂ©" biblique[2]. Le Shuruppak de ce texte pourrait ĂȘtre un « patronage » dâun compilateur cherchant Ă sâappuyer sur la sagesse dâun roi ancestral[2].
Références
- (en) « ancient Mesopotamia », sur http://mesopotamia.lib.uchicago.edu/learningcollection/search.php?lcid=45&&a=name (consulté le )
- Jean LĂ©vĂȘque, Sagesse de mĂ©sopotamie, Paris, Cahier Ăvangile, , 130 p., p. 42
- (en) Harriet P. Martin, Fara : a reconstruction of the ancient Mesopotamian city of Shuruppak, U.K., Birmingham, , 300 p., p. 22
- (en) Edith Porada, « Reviewed Works: by Harriet P. Martin ; by Norbert Karg », Americain Journal of Archeology, Vol. 95, No. 1,â , p. 170
- (en) « Ancient mesopotamia », sur http://mesopotamia.lib.uchicago.edu/learningcollection/search.php?a=name&lcid=45 (consulté le )
- (en) Bendt Alster, The instructions of Shurrupak; a sumerian proverb collection, Copenhag, Akademisk Forlag, , 157 p., p. 47
- (en) Bendt Alster, The instructions of Shurrupak; a sumerian proverb collection, Copenhag, Akademisk Forlag, , 157 p., p. 11
- (en) Sara J. Denning-Bolle, « Wisdom and Dialogue in the Ancient near East », Numen Vol. 34, no.2,â , p. 220
Bibliographie
Monographies
- (en) B. Alster, Wisdom of Ancient Sumer, Bethesda, 2005, p. 31-220
- (en) ALSTER, Bendt. The instructions of Shurrupak; a sumerian proverb collection, Akademisk Forlag, Copenhagen, 1974, 157 pages.
- LĂVĂQUE, Jean. Sagesse de MĂ©sopotamie, Cahier Ăvangile, Paris, 1993, 130 pages
- (en) MARTIN, Harriet P. Fara : a reconstruction of the ancient Mesopotamian city of Shuruppak, Birmingham, United-Kingdom, 1988, 300 pages
PĂ©riodiques
- DENNING-BOLLE, Sara J. Wisdom and Dialogue in the Ancient near East, Numen, 1987, Vol. 34, no.2, p. 214-234
- PORADA, Edith. Reviewed Works: by Harriet P. Martin ; by Norbert Karg , American Journal of Archaeology, Vol. 95, No. 1 , 1991, p. 170-173.
Sites internet
- Site de la traduction des instructions de Shuruppak: http://etcsl.orinst.ox.ac.uk/section5/tr561.htm
- site du département de la défense U.S.A sur le site de fouille de Tell Fara: https://www.cemml.colostate.edu/cultural/09476/iraq05-086.html
- Site de lâOrient Institute of Chicago: http://mesopotamia.lib.uchicago.edu/learnin.gcollection/search.php?a=name&lcid=45