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Infrapsychisme

L'infrapsychisme est en philosophie des sciences une notion délicate, qui laisse entendre qu'il existe un psychisme (de la conscience, de la mémoire) de façon au moins implicite, en dehors de l'homme, dans les atomes ou les êtres naturels (animaux, végétaux et même minéraux).

Histoire

Thalès de Milet "confère une âme aux êtres inanimés, en se fondant sur les propriétés de la pierre magnétique et de l'ambre" (Diogène Laërce, I, 24).

Selon les stoïciens, il est deux principes du monde, l'un actif, l'autre passif, tous deux corporels. Le principe actif est Zeus, la cause divine, le souffle (pneûma), le destin, il se mêle au principe passif (la matière), dans un "mélange total" (krâsis di'holôn)[1]. Il pénètre tout d'une même "qualité déterminante" (hexis έζις), qui sont des gaz (aera), un "feu artiste", un souffle, une raison séminale (λόγος σπερματικός : des principes créateurs qui révèlent, dans la matière, la présence d'une intelligence organisatrice). Cette qualité prend successivement les formes de pneûma hektikon (souffle cohésif, dans les êtres inanimés), phusis ("nature", dans les végétaux), de psuchè ("psychisme", dans les animaux), de noûs ("esprit", chez les humains)[2].

"La substance tout entière est unifiée par un 'pneûma' [πνευμα : souffle, psychisme] qui la parcourt entièrement ; sous l'effet de celui-ci, l'univers est contenu et rendu consistant et sympathique à soi-même."[3]

Giordano Bruno conçoit un univers doté d'une Âme. Tout est animé, c'est-à-dire doté d'une âme, selon son Cause, Principe et Unité (1584).

"Toutes les choses sont donc animées ? Oui (...). Une chose, si petite et si minuscule qu'on voudra, renferme en soi une partie de substance spirituelle ; laquelle, si elle trouve le sujet [support] adapté, devient plante, animal (...) ; parce que l'esprit se trouve dans toutes les choses et qu'il n'est pas de minime corpuscule qui n'en contienne une certaine portion et qui n'en soit animé."[4]

En 1591, à Francfort, Giordano Bruno a écrit en latin deux poèmes sur la monade : Du triple minimum (De triplici minimo) et De la monade, du nombre et de la figure (De monade, numero et figura). Il appelle minimum ou monade une entité indivisible qui constitue l'élément minimal des choses matérielles et spirituelles. La monade, qui correspond au point des mathématiques et à l'atome de la physique, est cet être primitif, impérissable, de nature aussi bien corporelle que spirituelle, qui engendre par des rapports réciproques, la vie du monde. C'est une individualisation extrinsèque de la divinité ; existence finie, elle est un aspect de l'essence infinie. Dieu, minimum et maximum, est la Monade suprême d'où s'échappent éternellement une infinité de monades inférieures.

Pierre Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique (1695-1697), à l'article "Lucrèce", soutient l'idée que « les plantes, les pierres sont substances pensantes ».

Diderot, dans Le rêve de d'Alembert (1769) admet une sensibilité de la matière. Le monde n'est que matière en mouvement ; la matière est universellement douée de sensibilité, latente ou vive ; elle s'organise elle-même, par les générations spontanées et les mutations.

Schelling, idéaliste, soutient ceci dans des Essais qui ont été regroupés : "Le système de la Nature est en même temps le système de notre Esprit", il y a "identité absolue de l'Esprit en nous et de la Nature en dehors de nous" (Schelling, Essais, trad., Aubier, p. 71, 87).

Schopenhauer dans Le monde comme volonté et comme représentation (1819) soutient que l'homme ou le monde sont habités par une Volonté (Wille), qui n'est pas une valeur rationnelle (Wille), mais une tendance aveugle, impulsive, inconsciente, issue du besoin et du désir. Cette tendance se traduit chez l'homme par la "volonté" et, dans la nature, elle est force causale.

Les théories psychophysiques de Gustav Fechner et Wilhelm Wundt sont panpsychistes. Fechner, que l'on connaît plus scientifique dans sa psychologie expérimentale, dit dans Nanna ou De la vie sensitive des plantes (1848), dans Zendavesta (1851), dans La question de l'âme (1861), que l'univers est un ensemble d'unités physiques, que différencient leurs degrés de complexité et auquel correspond un ensemble toujours plus englobant d'unités psychiques. Même les unités psychiques humaines, tant individuelles que collectives, sont les éléments constitutifs d'une unité psychique supérieure, celle de la grande Âme de la Terre. Sur l'échelle des organismes, la Terre est une unité supérieure, à laquelle correspond une unité psychique parallèle. Pareillement à la Terre, chaque étoile possède à son tour sa propre conscience, que Fechner identifie à ce qu'étaient les anges dans la tradition théologique.

Le savant indien Jagadish Chandra Bose, à partir de 1900, attribue du psychisme aux plantes et même aux métaux.

Pierre Teilhard de Chardin croit en une progression spiritualisante de la matière. Chez lui, le mot "conscience" désigne toute forme de psychisme, depuis la plus diluée et la plus élémentaire, jusqu'à la plus concentrée, où le mot conscience, au seuil du psychisme humain, est relayé par le terme Conscience réfléchie, ou Réflexion. Teilhard inscrit sa pensée dans l'évolutionnisme. "Je crois que l'Univers est une Évolution. Je crois que l'Évolution va vers l'Esprit. Je crois que l'Esprit s'accomplit en quelque chose d'Universel. Je crois que l'Individuel suprême est le Christ-Universel" (Comment je crois, 1934, publié en 1969).

En 1963, Olivier Costa de Beauregard, dans Le Second Principe de la science du temps, entropie, information, irréversibilité, prenant comme point de départ les théories de l’information, a postulé l’existence d’un “infrapsychisme” coextensif à l'espace quadridimensionnel de Minkowski, infrapsychisme qui contiendrait un savoir ou une information de “survol du Tout”.

En 1966 Cleve Backster[5], spécialiste en détecteurs de mensonges, "a réalisé des centaines d'expériences montrant que non seulement les plantes vivantes, mais aussi les feuilles coupées ou écrasées, les œufs (fertilisés ou non), le yoghourt, les frottis du palais de la bouche, le sperme, etc. réagissent à nos émotions et intentions. Il découvrit que des leucocytes buccaux (globules blancs provenant de la bouche d'une personne) placés dans une éprouvette répondent électrochimiquement aux états émotionnels du donneur, même lorsque celui-ci se trouve dans une autre pièce, un autre bâtiment, voire, un autre pays". L'expérience a été contestée[6].

Jean-Émile Charon, théoricien de la Relativité complexe, rappelle que l'onde psi correspond au probabilisme de la mécanique quantique et permet de dire que cette particule possède telle probabilité de se trouver à tel instant en tel point de l'espace. Il admet deux regards, celui de la conscience (onde psi) et celui de la mémoire (onde sigma), pour toute particule. Chaque particule, appelée "éon, essentiellement les électrons et les quarks, posséderait à la fois un dehors porteur de ses caractéristiques physiques, et un dedans contenant ses propriétés spirituelles situé dans un autre espace-temps.

Gregory Bateson, en 1979, est arrivé à la conclusion qu'il n'est pas seulement légitime mais encore logiquement inévitable de supposer qu'il existe des processus mentaux à tous les niveaux des phénomènes naturels présentant une complexité suffisante : cellules, organes, tissus, organismes, groupes animaux et humains, écosystèmes, et même la Terre et l'univers[7].

David Bohm, physicien en mécanique quantique, suppose que "quelque chose d'analogue à l'esprit existe dans la matière inanimée", donc que "le mental et le matériel sont deux aspects d'une seule et même réalité" (La danse de l'esprit. Unfolding Meaning, 1985, trad., Éditions Séveyrat, 1989).

Bibliographie

  • Diderot, Le rêve de d'Alembert, 1769.
  • Jeremy Narby, Intelligence dans la nature. En quête du savoir, trad., Buchet/Chastel, 2005.
  • Olivier Costa de Beauregard, Le second principe de la science et du temps, 1963.
  • Jean-Émile Charron, L’Esprit, cet inconnu, Albin Michel (Paris), 1977.
  • Gregory Bateson, La nature et la pensée, Seuil, Paris, 1984. (Mind and Nature: A Necessary Unity (Advances in Systems Theory, Complexity, and the Human Sciences, 1979)
  • David John Chalmers, "Consciousness and its Place in Nature", in Philosophy of Mind: Classical and Contemporary Readings, Oxford University Press, 2002.

Notes et références

  1. Stoicorum Veterum Fragmenta (S.V.F.), I. von Arnim édi., Vienne, 1902, t. II, 112, 29 ; 137, 30 ; 145,17, 155, 29 ; 157, 7, etc.
  2. Chrysippe, in Stoicorum Veterum Fragmenta, t. II, p. 205 = fragment 716. G. Verbeke, L'évolution de la doctrine du pneuma du Stoïcisme à saint Augustin, Paris, 1945.
  3. Chrysippe. Stoicorum Veterum Fragmenta, t. II, p. 473. Victor Goldschmidt, Le système stoïcien et l'idée de temps, Vrin, 1979, p. 106.
  4. Giordano Bruno (trad. Emile Namer), Cause, principe et unite, Paris, Editions d'aujourd'hui, coll. « Les introuvables » (no 458), , 218 p. (ISBN 978-2-7307-0284-3, OCLC 1097218442).
  5. C. Backster, "Evidence of a Primary Perception in Plant Life", International Journal of Parapsychology, vol. X, no 4, 1968, p. 329-348.
  6. Géraldine Fabre, « La perception primaire des plantes. L’effet Backster », sur zetetique.fr (consulté le )
  7. Gregory Bateson (trad. de l'anglais par Alain Cardoën, Marie-Claire Chiarieri et Jean-Luc Giribone), La nature et la pensée esprit et nature, une unité nécessaireMind and Nature: A Necessary Unity (Advances in Systems Theory, Complexity, and the Human Sciences »], Paris, Éd. du Seuil, coll. « Couleur des idées », , 242 p. (ISBN 978-2-02-011039-6, OCLC 220744567)

Voir aussi

Articles connexes

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