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Grippe espagnole au Canada

Ă€ la fin de la Première Guerre mondiale, le Canada et le QuĂ©bec sont frappĂ©s, comme le reste du monde, par une Ă©pidĂ©mie d’influenza, dite grippe espagnole. Entre les annĂ©es 1918 et 1920, ce virus de type H1N1 porte un bilan de mort plus important que celui de la Grande Guerre[1].  Au Canada, mĂŞme les rĂ©gions Ă©loignĂ©es du Grand Nord sont touchĂ©es. Dans les mĂ©dias, une comparaison est Ă©tablie avec la peste noire pour qualifier l’importance de cette pandĂ©mie[2].

Alors qu’à l’époque l’Espagne est accusée d’être le foyer de la maladie, des études récentes démontrent que son origine provient principalement des soldats américains envoyés au front en Europe[3]. La propagation de l’influenza de 1918 et 1920 au Canada amène les dirigeants politiques et les autorités de l’Église à élaborer des solutions pour diminuer son impact sur la population[4]. Au Québec, les régions sont touchées à différents niveaux. Plusieurs villes comme Victoriaville, Drummondville, Montréal et Québec, sont des foyers imposants de propagation[5]. Plusieurs enjeux politiques sont au cœur de la crise. De leur côté, les médias jouent un rôle important sur le plan social où des spéculations et des théories de remèdes inusités marquent l’imaginaire de la population[2].

L'origine de la grippe espagnole

Le virus de l’influenza est arrivĂ© en avril 1918. Alors que la guerre se continue sur le continent europĂ©en, plusieurs spĂ©culations de l’origine de la grippe voient le jour[6]. Au dĂ©part, les mĂ©dias français croyaient que le virus provenait de l’Asie[6]. Des Ă©tudes rĂ©centes montrent cependant que la grippe espagnole serait originaire des camps militaires du Middle West amĂ©ricain. Le patient zĂ©ro aurait Ă©tĂ© diagnostiquĂ© le 4 mars 1918 dans le camp militaire de Funston au Kansas[6]. Les traces relatant les dĂ©buts de la pandĂ©mie restent vagues et l’évènement est peut documentĂ© puisque dans les dĂ©buts, la grippe espagnole n’est pas meurtrière. Après la première vague d’avril 1918, une seconde vague frappe l’Europe Ă  la fin du mois d’aoĂ»t[6]. Le virus ne se propage plus uniquement au sein de l’armĂ©e, mais Ă©galement dans la population[5]. Le taux de mortalitĂ© est de 5‰, ce qui est cinq fois plus Ă©levĂ© que la grippe « Russe » qui a fait rage au siècle prĂ©cĂ©dent en 1889 et 1890[6]. Une des raisons de la propagation rapide du virus est la dĂ©sorganisation des mesures sanitaires employĂ©e durant la guerre[6]. En effet, les soldats malades Ă©taient renvoyĂ©s dans leur pays d’origine. La grande mobilisation des troupes et les mouvements d’une grande quantitĂ© de soldats autour du globe alourdit le bilan des cas Ă  l’échelle mondial. En raison de la guerre, avec un ratio d’en moyenne d’un mĂ©decin pour environ 200 hommes dans les armĂ©es alliĂ©es, les pays sont en pleine pĂ©nurie de mĂ©decins et de corps mĂ©dical pour venir en aide Ă  la population civile afin de faire face Ă  la maladie[6].

La censure militaire

Au cours du XVIIIe siècle, l’évolution de la force de frappe des armĂ©es vient modifier les caractères des conflits entre les nations. L’issue des combats n’est plus du ressort de la supĂ©rioritĂ© en nombre d’une armĂ©e, mais plutĂ´t de la mobilisation des troupes sur le plan physique et psychologique des populations en guerre[7].  Les mĂ©dias viennent jouer un rĂ´le de justification des guerres modernes en amenant un sentiment nationaliste dans leurs communiquĂ©s Ă  la population[7]. Il s’agit d’un pouvoir de sensibilisation assez important qui amène des populations entières Ă  se mobiliser pour participer Ă  l’effort de guerre. Bien que les mĂ©dias puissent exercer une telle influence sur les populations de sorte Ă  rendre l’effort de guerre plus efficace, il n’en reste pas moins qu’ils peuvent amener certains dangers pour les stratĂ©gies militaires[7]. C’est pourquoi, durant la Première Guerre mondiale, les gouvernements appliquaient une censure sur les mĂ©dias de masse pour Ă©viter de dĂ©voiler des secrets militaires[7]. La censure est utilisĂ©e comme stratĂ©gie militaire qui vise le contrĂ´le des mĂ©dias sur des sujets qui pourraient ĂŞtre nĂ©fastes aux pratiques militaires. Il n’était donc pas possible de critiquer les autoritĂ©s militaires ou de divulguer de l’information compromettante Ă  caractère militaire[7].

L'Ă©tymologie du terme de grippe espagnole

Cette censure militaire prĂ©sente au cours de la Première Guerre mondiale est Ă  l’origine du nom dĂ©signĂ© pour la grippe espagnole. Tous les mĂ©dias des pays alliĂ©s ne pouvaient faire mention du virus. Il Ă©tait interdit de mentionner le nombre de cas et les nombres de morts au sein des soldats. En France, les mĂ©dias parlaient de la grippe espagnole puisqu’il s’agissait du premier pays Ă  en faire mention dans ses journaux[6]. En effet, l’Espagne Ă©tait un pays neutre durant la Première Guerre mondiale et elle n’était pas contrainte Ă  la censure militaire[8]. Tout dĂ©pendant de la rĂ©gion du monde oĂą le virus Ă©tait mentionnĂ©, les appellations diffèrent. En France, il est question de la grippe espagnole, en Espagne il est mentionnĂ© qu’il s’agit de la grippe française et la Russie fait rĂ©fĂ©rence Ă  la grippe chinoise[8]. En fait, la provenance de la maladie Ă©tait difficilement repĂ©rable Ă  l’époque. Au Canada, les mĂ©dias mentionnent principalement le terme de grippe espagnole ou de l’influenza.

La grippe espagnole au Canada

Le Canada et la réponse à la pandémie

MalgrĂ© les premières Ă©closions dispersĂ©es dans le pays, la propagation Ă  grande Ă©chelle de la grippe espagnole causa un choc important Ă  l’État canadien et Ă  sa structure administrative[9]. La consĂ©quence fut une incapacitĂ© des unitĂ©s administratives locales Ă  rĂ©agir promptement et habilement Ă  la crise. Les autres provinces canadiennes imposèrent des mesures similaires Ă  celles du QuĂ©bec : quarantaine obligatoire, isolement, placardage des rĂ©sidences infectĂ©es et rĂ©quisition de lieux publics pour Ă©tablir des hĂ´pitaux improvisĂ©s[10].

Propagation de la maladie par l'effort de guerre canadien

La grippe espagnole a longtemps Ă©tĂ© associĂ©e aux conditions difficiles auxquelles les soldats devaient faire face durant la Première Guerre mondiale[11]. Dans les tranchĂ©es, les hommes vivaient durement et Ă©taient confrontĂ© au froid, Ă  une mauvaise alimentation et Ă  une mauvaise hygiène. C’est pourquoi, Ă  l’époque les autoritĂ©s militaires et les mĂ©dias associaient le retour des troupes Ă  la l’infection de l’influenza[11]. Contrairement aux croyances populaires, la grippe espagnole ne s’est pas propagĂ©e de l’Europe vers le Canada[10]. Elle est plutĂ´t arrivĂ©e avec les corps expĂ©ditionnaires amĂ©ricains qui passaient par le port de MontrĂ©al et d’Halifax pour se rendre en Europe[10]. Ă€ la fin de l’annĂ©e 1918, le gouvernement canadien voulait augmenter son effort de guerre en dĂ©ployant ses troupes en SibĂ©rie[10]. Bien qu’il ne s’agissait pas d’un effet de guerre destinĂ© au front europĂ©en pour la Première Guerre mondiale, mais plutĂ´t Ă  freiner les soviĂ©tiques qui Ă©tait sorties victorieux de la rĂ©volution de 1917, ce nouvel effort de guerre amène une mobilisation plus massive des troupes canadiennes, ce qui accentue la propagation du virus[10].

Les politiques militaires canadiennes ont Ă©galement contribuĂ© Ă  l’éclosion de l’influenza au sein de la population civile[11]. En effet, l’organisation militaire Ă©tait principalement orientĂ©e en fonction de la conscription[10]. Les jeunes hommes devaient se prĂ©senter dans les bases militaires et faire leur service militaire. Ainsi, il y avait une forte interaction entre le monde militaire et la population civile[10]. L’armĂ©e visitait de petites villes pour le recrutement et les soldats participaient Ă  certaines cĂ©lĂ©brations ou Ă  des Ă©vènements qui Ă©taient Ă©galement frĂ©quentĂ©s par des civils[10]. La maladie s’est donc facilement transmise entre le monde militaire et le monde civil[10].

L’effort de guerre canadien a principalement Ă©tĂ© mis de l’avant au dĂ©triment de la gestion de la pandĂ©mie de la grippe espagnole. Certaines mesures ont Ă©tĂ© prises pour diminuer les risques de contamination, mais le premier ministre de l’époque, Robert Borden, ne s’est attardĂ© Ă  la maladie une fois les troupes furent affectĂ©es sĂ©vèrement[5]. Les mesures de protection des troupes canadiennes contre les sous-marins allemands Ă©taient la prioritĂ© du premier ministre Borden[3]. Cette initiative, Ă  la base stratĂ©gique, a cependant permis de prĂ©venir la propagation de la maladie[3]. Le gouvernement canadien ne dĂ©sirait pas que les soldats utilisent les ports du pays pour leur retour de l’Europe[3]. Cependant, l’effort de guerre Ă©tait la prioritĂ© dans la politique canadienne[3]. Elle ne consistait pas uniquement Ă  mobiliser le plus de troupes, mais les industries, l’agriculture et la sociĂ©tĂ© canadiennes avaient comme objective de remporter la guerre[3]. Les mesures pour soutenir l’effort de guerre comme la vente des bonds de la victoire et le recrutement sont rapidement entrĂ©s en conflit d’intĂ©rĂŞts avec les mesures de gestion de la crise sanitaire[3]. Cependant, en 1919, le gouvernent fĂ©dĂ©ral met en place de nouvelles structures administratives qui deviendra le ministère de la santĂ© du Canada[3].

La grippe espagnole au Québec

L'arrivée de la grippe dans la province

Ă€ l’époque, le Conseil supĂ©rieur d’hygiène de la province de QuĂ©bec (CSHPQ) rapportait plus de 530 000 cas de grippe espagnole Ă  l’automne 1918 ainsi que 13 880 dĂ©cès liĂ©s Ă  ce virus[12]. Ă€ l’échelle de la planète, c’est plus de 100 millions de morts, dont au moins 50 000 Canadiens qui sont morts de ce virus[3].

La province de Québec a connu deux vagues de grippe espagnole autrement connue sous le nom d’influenza. La première vague, qui fut plus virulente que la seconde, débuta en septembre 1918 pour se terminer en décembre de la même année. Cette première vague au Québec n’est pas du même ordre que celle vécue sur le reste de la planète, car celle-ci a débuté au printemps 1918 aux États-Unis pour ensuite se développer en Europe dans le contexte de la Première Guerre mondiale. La deuxième vague de la grippe espagnole au Québec eut lieu en 1920, de février jusqu’au printemps, c’est-à-dire en avril[5].

Les donnĂ©es d’époque disponibles indiquent que la pandĂ©mie au QuĂ©bec aurait commencĂ© dans le camp militaire Saint-Jean Ă  Saint-Jean-sur-Richelieu ainsi que par l’entraĂ®nement de troupes amĂ©ricaines en Ontario au dĂ©but de l’étĂ© 1918[3] Cependant, d’autres donnĂ©es indiquent que le virus se serait propagĂ© Ă  l’automne par l’arrivĂ©e de troupes blessĂ©es rapatriĂ©es de Grande-Bretagne par bateaux Ă  Halifax en Nouvelle-Écosse en septembre, troupes qui amenèrent le virus avec elles lors de leur retour Ă  la vie civile[3] - [5]. Les spĂ©cialistes ne sont pas parvenus Ă  un consensus en la matière.

Les régions les plus touchées

Durant les années de la pandémie de grippe espagnole, le Québec n’était pas administré en région, mais en comtés et en cités. Les comtés les plus durement touchés (nombre de cas déclarés) en 1918 et situés sur la Rive-Sud du fleuve Saint-Laurent sont les suivants : Arthabaska (14 431), Bagot (7 710), Drummond (5 914), Nicolet (9 631), Richmond (7 288), Sherbrooke (11 682), Wolfe (5 962) et Yamaska (8 271). Pour ce qui est des comtés de la Rive-Nord du fleuve Saint-Laurent, ce sont les comtés de Charlevoix (7 655), du Lac Saint-Jean (14 076) et Montmorency (5 087) qui ont été les plus touchés lors de la première vague de la pandémie en 1918[5].

Les mesures sanitaires

Depuis l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867, aussi connue comme la Loi constitutionnelle, la distribution des pouvoirs entre l’État fédéral et les provinces prévoit que la gestion de la santé et services publics liés à celle-ci soit gérée par les provinces. Dès lors, les provinces établissent des politiques différentes les unes des autres. Les mesures sanitaires établies par la province du Québec ont été influencées par la gravité des situations locales, c’est-à-dire par les municipalités ainsi que par les institutions provinciales.

À Sherbrooke, le 3 octobre 1918, le bureau d’hygiène local prit la décision de fermer les lieux publics tels les écoles, les collèges et tous les lieux d’amusements. Une interdiction de réunions publiques fut imposée avec une participation de la police dans la dispersion de tels évènements. Les villes de Québec, Saint-Hyacinthe, Hull, Westmount et Trois-Rivières imposèrent des mesures similaires une semaine après Sherbrooke[5].

Ce n’est que lorsque la pandémie s’installa dans la ville de Montréal que des mesures dites antiépidémiques furent instaurées par le CSHPQ avec l’octroi de pouvoirs extraordinaires pour faciliter leur implantation. Les écoles privées et publiques ainsi que les lieux de rassemblements publics durent fermer, tout comme les tribunaux et les magasins à rayons à partir de 16 h 00[5].

Annexes

Notes et références

  1. Denis Goulet, Brève histoire des épidémies au Québec: Du choléra à la Covid-19, Québec, Septentrion, , 180 p., p. 31
  2. Jérôme Boivin, « De la place du passé dans le présent : maladies vénériennes et mémoires collectives dans le Québec contemporain », Conserveries mémorielles. Revue transdisciplinaire, no #4,‎ (ISSN 1718-5556, lire en ligne, consulté le )
  3. Mark Humphries, « The Horror at Home: The Canadian Military and the “Great” Influenza Pandemic of 1918 », Journal of the Canadian Historical Association / Revue de la Société historique du Canada, vol. 16, no 1,‎ , p. 235–260 (ISSN 0847-4478 et 1712-6274, DOI 10.7202/015733ar, lire en ligne, consulté le )
  4. Réjean Lemoine, « La grippe espagnole de 1918 à Québec », Cap-aux-Diamants : la revue d'histoire du Québec, vol. 1, no 1,‎ , p. 39–39 (ISSN 0829-7983 et 1923-0923, lire en ligne, consulté le )
  5. Francis Dubois, « La grippe espagnole au Québec, 1918-1920 : essai en géographie de la santé », Université de Montréal (mémoire),‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. Patrick Zylberman, « Comme en 1918! La grippe espagnole et nous », M/S: médecine sciences,‎ , p. 767-770
  7. Myriam Levert, « Le Québec sous le règne d'Anastasie: l'expérience censoriale durant la Première Guerre mondiale », Revue d'histoire de l'Amérique française,‎ , p. 333-364
  8. Janice Dickin, de-1918-au-canada « La grippe espagnole de 1918 au Canada », sur L'Encyclopédie canadienne,
  9. (en) Maureen K. Lux, « The Bitter Flats: The 1918 Influenza Epidemix in Saskatchewan », Saskatchewan History,‎
  10. (en) Mark O. Humphries, The Last Plague: Spanish Influenza and the Politics of Public Health in Canada, Toronto, University of Toronto Press, , 348 p.
  11. (en) Janice McGinnis, « The Impact of Epidemic Influenza: Canada, 1918-1919 », Historical Papers / Communications historiques, vol. 12, no 1,‎ , p. 120–140 (ISSN 0068-8878 et 1712-9109, DOI 10.7202/030824ar, lire en ligne, consulté le )
  12. « BAnQ numérique », sur numerique.banq.qc.ca (consulté le )

Bibliographie

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  • (en) Shenghai Zhang, Ping Yan, Brian Winchester et Jun Wang, « Transmissibility of the 1918 pandemic influenza in Montreal and Winnipeg of Canada », Influenza and other respiratory viruses, vol. 4, no 1,‎ , p. 27-31 (DOI 10.1111/j.1750-2659.2009.00117.x)
  • Patrick Zylberman, « Comme en 1918 ! La grippe « espagnole » et nous », M/S : mĂ©decine sciences, vol. 22,‎ aoĂ»t–septembre 2006, p. 767–770 (lire en ligne Accès libre)
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