Grève de Homestead
La grève de Homestead est un lock-out et une grève industriels qui ont débuté le à l'aciérie Homestead Steel Works (en) de Homestead (Pennsylvanie). Le conflit opposait la Amalgamated Association of Iron and Steel Workers (en) (AA) à la Carnegie Steel Company (en). Il a culminé avec une bataille entre les grévistes et des agents de sécurité privés le , qui a mené à la défaite des grévistes et à une diminution de la volonté de syndiquer les travailleurs de l'acier.
La bataille de Homestead est la deuxième plus grande bataille de l'histoire du syndicalisme aux États-Unis (en) après celle de Blair Mountain.
Contexte
Au cours des années 1880, l'AA s'implique dans certaines activités à Homestead. Elle met en place l’aciérie indépendante Pittsburgh Bessemer Steel Works en 1881, puis prend part à une grève lancée le visant à empêcher l'établissement de contrats de jaune. La grève est dure et marquée par la violence et l'engagement, à de multiples reprises, de briseurs de grève. Elle prend fin le et amène plusieurs gains syndicaux[1] - [2].
À la même époque, la compagnie Carnegie Steel procède à plusieurs innovations technologiques, particulièrement dans ses installations de Homestead en 1886. La nouvelle technologie permet notamment la création de pièces d'acier pour les bâtiments ainsi que le blindage véhiculaire pour l'United States Navy. Les nouvelles installations entraînent un fort accroissement de la production, qui amène à son tour une augmentation du nombre d'ouvriers à l'usine, dont peu sont qualifiés[3] - [4].
Andrew Carnegie met Henry Clay Frick à la tête des opérations de la compagnie en 1881. Frick a pour objectif de briser le syndicat. Dans une lettre écrite à Carnegie, il écrit « L'usine n'a jamais été capable de produire au rythme où elle serait supposé le faire en raison des hommes de Amalgamated[trad 1]. »[5].
Publiquement, Carnegie est en faveur des syndicats. Il condamne l'utilisation de briseurs de grève et affirme à des associés qu'aucune aciérie ne mérite de verser une seule goutte de sang[6]. Cependant, il est d'accord avec l'objectif de Frick de « restructurer le tout [...] Beaucoup trop d'hommes sont nécessaires selon les règles d'Amalgamated[trad 2]. »[7] Carnegie ordonne une accumulation de surplus à l'usine afin que cette dernière puisse soutenir une grève.
Grève de 1889
Le , l'échec des négociations d'une nouvelle convention collective de trois ans entraîne une nouvelle grève des travailleurs affiliés à l'AA. Les grévistes s'emparent de la ville et font cause commune avec divers groupes d'immigrants. Le , avec l'aide de 2 000 habitants, les grévistes repoussent des briseurs de grève engagés par la compagnie. Deux jours plus tard, le shérif revient avec 125 nouveaux agents, mais il est confronté à 5 000 personnes ralliées par les grévistes à leur cause. Malgré sa victoire, le syndicat accepte des coupures de salaire significatives qui entraînent un taux horaire plus de la moitié plus faible que celui des travailleurs de la Jones and Laughlin Steel Company (en), où aucune amélioration technologique n'a été faite[8] - [9]. Après la grève de 1889, l'usine de Homestead est principalement dirigée par le syndicat[10]. L'AA double son membership et les relations entre les travailleurs et les administrateurs sont tendues[11].
La convention collective prend fin le . Frick débute des négociations avec les leaders syndicaux en février. L'industrie de l'acier se portant bien, AA demande une augmentation de salaire pour ses membres (elle représente environ 800 des quelque 3 800 travailleurs de l'usine). Frick émet une contre-offre : une baisse de salaire de 22 % pour à peu près la moitié des membres ainsi que la coupure de postes prévus par la convention précédente. Carnegie encourage Frick à utiliser les négociations pour briser le syndicat. Dans une lettre datée du , Carnegie écrit « [...] la compagnie a décidé que la minorité doit céder à la majorité. Le travail se fera sans syndicat après l'expiration de l'entente actuelle[trad 3]. »[12]. Carnegie perçoit AA comme un obstacle à l'efficacité et non représentatif des travailleurs, n'admettant qu'un petit groupe de travailleurs qualifiés. Selon lui, l'organisation est élitiste, discriminatoire et indigne de la République[13].
En avril, Frick engage des agents de la Pinkerton National Detective Agency afin d'assurer la sécurité des installations. Le , il annonce qu'il négociera encore 29 jours. S'il n'obtient aucune entente, Carnegie Steel ne reconnaîtra plus le syndicat. Carnegie approuve la stratégie le . Par la suite, Frick parle d'accorder une légère augmentation de salaire et ordonne au surintendant de passer le mot aux travailleurs. « Qu'un homme soit membre ou pas d'un syndicat ne nous intéresse pas. Il peut appartenir à autant de syndicats ou d'organisations qu'il le désire, nous ne voulons pas interférer. Nous croyons cependant que nos employés de l'aciérie d'Homestead auraient avantage à travailler selon le système en place à Edgar Thomson (en) et Duquesne[trad 4]. »[14] - [15].
Lock-out et grève de 1892
Le matin du , Frick décrète un lock-out sur une partie des installations de l'usine. Toujours sans entente le , Frick étend le lock-out au reste de l'usine. Une clôture surmontée de barbelés, débutée en janvier, est terminée et coupe l'accès aux travailleurs. Des tours de garde avec des phares sont construites près de chaque bâtiments et des canons à eau sont installés à chaque entrée. Plusieurs autres mesures de défense de l'usine sont instaurées[16] - [17].
Lors d'une assemblée générale tenue le , les leaders locaux de l'AA affirment que la compagnie a brisé le contrat en décrétant un lock-out une journée avant son expiration. Les Chevaliers du travail acceptent de se joindre aux membres AA. Des travailleurs des installations de Carnegie à Pittsburgh, Duquesne, Union Mills et Beaver Falls font la grève par solidarité[18].
Le comité de grève (Strike Committee publie une déclaration datée du [19] :
« Les employés des usines de M. Karnegie, Phipps & Co à Homestead, Pa, ont construit à cet endroit une ville avec ses maisons, ses écoles et ses églises. Ils ont été des coopérants dévoués pendant plusieurs années avec la compagnie dans le domaine industriel, ont investi des milliers de dollars de leurs économies dans ladite compagnie dans l'attente en retour de passer leur vie à Homestead et de travailler à l'usine leur vie active [...] Ainsi, le comité désire exprimer au public sa croyance ferme qu'à la fois le public et les employés de l'usine ont des droits et intérêts légitimes qui ne peuvent pas être changés ou modifiés sans un processus législatif légitime, que les employés ont le droit d'avoir un travail stable dans ladite usine tant qu'ils sont efficaces et qu'ils ont un bon comportement sans égard de leur opinions religieuse, politique, économique ou syndicale, que le refus d'employer une communauté de travailleurs, ou toute autre souffrance sociale, en raison qu'elle est membre d'une église, d'un parti politique ou d'un syndicat, est contraire à la morale publique et aux principes fondamentaux de la liberté américaine, qu'en tant que citoyens américains, il est de notre devoir de résister par tous les moyens légaux et autres aux politiques inconstitutionnelles, anarchiques et révolutionnaires de la Carnegie Company qui semble manifester un mépris [pour] les intérêts publics et privés ainsi qu'un dédain [de] la conscience publique[trad 5]. »
Les lockoutés décident de garder l'usine fermée. Ils s'emparent de plusieurs embarcations afin de patrouiller la rivière Monongahela, qui longe les installations. Ils se divisent en groupes et établissent des piquets de grève et effectuent des tours de garde 24 heures sur 24. Les ferry et trains sont surveillés. Les étrangers sont interrogés sur leur présence en ville et ceux qui n'étaient pas attendus sont escortés hors des limites de la ville. Les communications avec les représentants locaux de l'AA d'autres villes sont établies afin de s'informer sur les tentatives de la compagnie de recruter des briseurs de grève. Les journalistes reçoivent des badges spéciaux leur permettant de se déplacer librement dans la ville, mais ces derniers peuvent être retirés selon l'information produite. On demande aux propriétaires de débits de boissons de prévenir toute consommation excessive d'alcool[20] - [21] - [22].
De son côté, la compagnie publie plusieurs annonces pour trouver des briseurs de grève dans les journaux, jusqu'à Boston, Saint-Louis (Missouri) et même en Europe[23]. Cependant, les briseurs de grève sont chassés.
Le , Frick demande formellement l'intervention du shérif William H. McCleary afin que les superviseurs puissent accéder à l'usine. Le lendemain, l'avocat de Carnegie Philander Knox donne le feu vert au shérif et McCleary envoie 11 hommes distribuer des prospectus ordonnant aux grévistes d'arrêter de nuire aux opérations de l'usine. Les grévistes affirment aux hommes de McCleary qu'il ne laisseront pas les installations à des employés non syndiqués. Ils placent les hommes sur un bateau et les envoient en aval à Pittsburgh[24].
Frick ordonne la construction d'une barricade surmontée de barbelés autour de l'usine. Les travailleurs nomment la « fortification » le « Fort Frick ».
Bataille du 6 juillet
La nuit du , à 22 h 30, 300 agents de Pinkerton se rassemblent sur le barrage de Davis Island, sur la rivière Ohio. Ils sont armés de Winchester et sont embarqués sur deux embarcations. Ils remontent la rivière dans le but d'accéder au terrain des installations et de faire quitter les grévistes des lieux par la force[23] - [25].
L'AA est mise au courant de l'arrivée des agents dès leur départ pour leur lieu d'embarcation et les grévistes sont avertis. Une petite flotte d'embarcations de grévistes descend la rivière à la rencontre des agents. Ils tirent quelques coups au hasard vers les embarcations des agents, puis alertent les autres. Les grévistes font sonner le sifflet de l'usine à 2 h 30 et rameutent des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants sur les lieux[23] - [26].
Les agents, voulant bénéficier du couvert de l'obscurité, tentent de mettre pied à terre aux environs de 4 heures. Des coups de feu sont échangés. Les deux premiers blessés sont Frederick Heinde, capitaine des agents[27] et William Foy, un travailleur. À ce moment, les agents à bord ouvrent le feu sur la foule, tuant deux personnes et en blessant 11 autres. La foule riposte, tue également 2 personnes et en blesse 12. L'échange dure environ 10 minutes[28].
Les grévistes se cachent derrière des installations et les agents percent des trous à travers les côtés des embarcations afin de pouvoir tirer sur tout ce qui peut les approcher. Les grévistes se mettent à construire un rempart plus haut sur la rive à l'aide de poutres d'acier.
Notes et références
Notes
- (en) « The mills have never been able to turn out the product they should, owing to being held back by the Amalgamated men, »
- (en) « reorganize the whole affair, and . . . exact good reasons for employing every man. Far too many men required by Amalgamated rules. »
- (en) « ...the Firm has decided that the minority must give way to the majority. These works, therefore, will be necessarily non-union after the expiration of the present agreement. »
- (en) « We do not care whether a man belongs to a union or not, nor do we wish to interfere. He may belong to as many unions or organizations as he chooses, but we think our employees at Homestead Steel Works would fare much better working under the system in vogue at Edgar Thomson and Duquesne. »
- (en) « The employees in the mill of Messrs. Carnegie, Phipps & Co., at Homestead, Pa., have built there a town with its homes, its schools and its churches; have for many years been faithful co-workers with the company in the business of the mill; have invested thousands of dollars of their savings in said mill in the expectation of spending their lives in Homestead and of working in the mill during the period of their efficiency. . . . “Therefore, the committee desires to express to the public as its firm belief that both the public and the employees aforesaid have equitable rights and interests in the said mill which cannot be modified or diverted without due process of law; that the employees have the right to continuous employment in the said mill during efficiency and good behavior without regard to religious, political or economic opinions or associations; that it is against public policy and subversive of the fundamental principles of American liberty that a whole community of workers should be denied employment or suffer any other social detriment on account of membership in a church, a political party or a trade union; that it is our duty as American citizens to resist by every legal and ordinary means the unconstitutional, anarchic and revolutionary policy of the Carnegie Company, which seems to evince a contempt [for] public and private interests and a disdain [for] the public conscience. . . . »
Références
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- Brody 1969, p. 50-51.
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- Krass 2002.
- (en) George Harvey, Henry Clay Frick : The Man, New York, Beard Books, (réimpr. 2002), 392 p. (ISBN 1-58798-127-0, lire en ligne), p. 177
- (en) Les Standiford, Meet You in Hell : Andrew Carnegie, Henry Clay Frick, and the Bitter Partnership That Transformed America, Crown Publishing Group, , 304 p. (ISBN 978-0-307-23837-5, lire en ligne), p. 161
- (en) James H. Bridge, The Inside History of the Carnegie Steel Company, New York, Presses de l'Université de Pittsburgh, (réimpr. 1992) (ISBN 0-405-04112-8), p. 206
- Brody 1969, p. 52.
- Krause 1992, p. 42, 174, 246-249.
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- Foner 1955, p. 207.
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- Krause 1992, p. 284-310.
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- Krause 1992, p. 302, 310.
- Foner 1955, p. 207-208, 210-211.
- Écrite sur une plaque commémorative en bronze : http://www.battleofhomesteadfoundation.org/archives/2005_Jan.pdf
- Foner 1955, p. 208-209.
- Krause 1992, p. 311.
- Brody 1969, p. 59.
- Foner 1955, p. 209
- Krause 1992, p. 26.
- Krause 1992, p. 15, 271.
- Krause 1992, p. 16.
- (en) « The Wounded at Pittsburg », New York Times,
- Krause 1992, p. 19-20.
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
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- Cohen, Steven R. "Steelworkers Rethink the Homestead Strike of 1892," Pennsylvania History, 48 (April 1981), 155-77
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- (en) Peter Krass, Carnegie., , 612 p. (lire en ligne).
- (en) Paul Krause, The Battle for Homestead, 1890-1892 : Politics, Culture, and Steel., Pittsburgh, PA, Presses de l'Université de Pittsburgh, (ISBN 0-8229-5466-4).
- Krause, Paul. "Labor Republicanism and 'Za Clebom': Anglo-American and Slavic Solidarity in Homestead," in Struggle a Hard Battle": Essays on Working-Class Immigrants, edited by Dirk Hoerder (1986), 143-69
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- Miner, Curtis. Homestead: The Story of a Steel Town (Pittsburgh 1989)
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- Oates, William C. "The Homestead Strike. I. A Congressional View," North American Review Vol. 155 Issue 430 (September 1892) pp. 355–376 online
- (en) Kenenth Warren, Triumphant Capitalism : Henry Clay Frick and the Industrial Transformation of America, .
- Wright, Carroll D. "The Amalgamated Association of Iron and Steelworkers," Quarterly Journal of Economics, 7 (July 1893), 400-32. in JSTOR
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- (en) Battle of Homestead Foundation
- (en)Homestead: A Complete History of the Struggle of July, 1892, disponible sur le site du projet Gutenberg. (Contemporary book by Pittsburgh journalist Arthur Gordon Burgoyne.)