Français du Missouri
Le français du Missouri, autrefois appelĂ© français de Haute-Louisiane ou français du Pays des Illinois, aussi connu sous le nom de Paw Paw French, est une variĂ©tĂ© rĂ©gionale de français parlĂ©e au nord de la VallĂ©e du fleuve Mississippi, dans le Midwest des Ătats-Unis dâAmĂ©rique, et notamment Ă lâest de lâĂtat du Missouri (dâoĂč son nom courant de français du Missouri, bien quâil serait plus juste de parler de français du Pays des Illinois ou de français du Mississippi).
Français du Missouri | |
Pays | Ătats-Unis |
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RĂ©gion | Missouri Illinois Indiana |
Nombre de locuteurs | Probablement moins d'une centaine aujourd'hui |
Classification par famille | |
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Statut officiel | |
Langue officielle | Non |
Ătendue | langue individuelle |
Type | langue vivante |
Ăchantillon | |
Extrait de t's Good To Tell You: French Folk Takes from Missouri de Rosemary H. Thomas, 1982 :
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Carte | |
RĂ©partition du français du Missouri dans les trois Ătats du Missouri, de lâIllinois et de lâIndiana. | |
Le français du Missouri descend du français parlĂ© par des colons venus du Canada français Ă partir de la fin du XVIIe siĂšcle, il est donc particuliĂšrement proche du français du Michigan, du français de lâOntario ainsi que du français quĂ©bĂ©cois. Jusquâaux annĂ©es 1960, il Ă©tait largement rĂ©pandu dans de nombreuses villes des Ătats du Missouri, de lâIllinois et de lâIndiana (notamment Ă Bonne-Terre, Valles Mines, Desloges, De Soto, Sainte-GeneviĂšve, La Vieille Mine, Saint-Louis, Richwoods, Prairie du Rocher, Cahokia, Kaskaskia et Vincennes), mais son dĂ©clin depuis lors fut fulgurant et La Vieille Mine (Missouri) semble ĂȘtre devenu le dernier bastion de cette variĂ©tĂ© pluricentenaire et unique de français[1] - [2].
Les locuteurs du français du Missouri ont coutume de sâappeler eux-mĂȘmes crĂ©oles.
L'estimation du nombre de locuteurs est aujourdâhui difficile Ă Ă©tablir. De plusieurs milliers au dĂ©but des annĂ©es 1980, ils seraient descendus Ă une centaine de locuteurs natifs aujourd'hui, voire moins, et la plupart ĂągĂ©s. Cet Ă©tat des lieux est peu optimiste quant Ă l'avenir du français du Missouri, mais il faut cependant noter un renouveau de la langue auprĂšs des gĂ©nĂ©rations plus jeunes ces derniĂšres annĂ©es, notamment grĂące Ă la fondation de la Illinois Country French Preservation Inc. et l'organisation de cours d'apprentissage dans diverses villes du Missouri et de l'Illinois ainsi qu'en ligne.
Le français du Missouri n'en demeure pas moins aujourdâhui globalement considĂ©rĂ© comme une variĂ©tĂ© de français sĂ©rieusement en danger.
Présentation
Un tĂ©moignage de 1930 du chercheur amĂ©ricain W. M. Miller rapporte que ce dialecte Ă©tait encore parlĂ© par une partie substantielle de la population de Vieille Mine, prĂšs de la ville de Potosi dans le sud-est de lâĂtat, oĂč sont installĂ©s les Mines de plomb du sud du Missouri. Les habitants sâĂ©taient Ă©tablis dans la rĂ©gion en lâan 1785 et avaient rĂ©ussi Ă Ă©viter le phĂ©nomĂšne dâanglicisation pendant plusieurs gĂ©nĂ©rations consĂ©cutives. Toutefois, au mĂȘme titre que le français cadien, ce dialecte fit de nombreux emprunts lexicaux et syntaxiques Ă lâanglais[3].
Cet hĂ©ritage français sâexplique en grande partie par le fait quâau XVIIIe siĂšcle, la Nouvelle-France fut cĂ©dĂ©e au Royaume-Uni, ce qui nâempĂȘcha pas la continuation de la colonisation francophone. Par exemple, la ville de St-Louis, nommĂ©e en lâhonneur de Louis IX, est la deuxiĂšme plus grande ville de lâĂtat. Le premier Ă©vĂȘque de cette localitĂ©, Mgr Guillaume-Valentin Dubourg, avait Ă©tĂ© nommĂ© pour servir les nombreux colons de la rĂ©gion[4].
Dans les annĂ©es 1980, le nombre de locuteurs dâorigine ayant pour langue maternelle le français Ă©tait Ă©valuĂ© Ă un peu plus dâun millier de personnes[5].
En 2014, le Paw Paw French était fortement menacé[6] - [7] - [8].
Caractéristiques phonétiques
D'un point de vue phonétique, le français du Missouri est bien plus proche du français du Québec que du français de Louisiane, bien que tous les français de Nouvelle-France partagent de nombreuses caractéristiques phonétiques communes.
Le français quĂ©bĂ©cois ayant Ă©voluĂ© dans sa prononciation depuis la RĂ©volution Tranquille et s'Ă©tant quelque peu rapprochĂ© du français europĂ©en sur plusieurs points (oi prononcĂ© oua et non ouĂš comme autrefois, r roulĂ© disparaissant progressivement de l'accent montrĂ©alais, etc.), cette proximitĂ© des accents quĂ©bĂ©cois et missourien tend Ă sâestomper, l'accent du français du Missouri demeurant rĂ©ellement conservateur. L'accent du français missourien conserve en effet inchangĂ©es de grandes caractĂ©ristiques autrefois communes Ă©galement du QuĂ©bec et qui dĂ©coulent tout droit de la langue que parlaient les colons français aux XVIIe et XVIIIe siĂšcles.
Affrication de d et t
Tout comme le français quĂ©bĂ©cois, le français missourien transforme les t et les d en ts et dz devant les voyelles i et u. Ainsi, pour le verbe dire, un Français du Missouri dira dzire tout comme les Français du QuĂ©bec lĂ oĂč un Français europĂ©en prononcera dire. De mĂȘme, un Français du Missouri, tout comme son cousin du QuĂ©bec, dira partsir au lieu de partir dans la bouche d'un Français europĂ©en. Les mots aujourd'hui et nature seront de mĂȘme prononcĂ©s aujourdz'hui et natsure par les Français du Missouri tout comme par les Français du QuĂ©bec.
R roulé
L'Ă©volution de r en français d'un r roulĂ© vers le r que nous connaissons actuellement (dit r uvulaire) commença Ă se faire dans le parler de la noblesse de cour vers le milieu du XVIIe siĂšcle. Le r roulĂ© restait trĂšs largement majoritaire dans les autres couches de la sociĂ©tĂ©, seule une minoritĂ© noble l'ayant abandonnĂ© pour prononcer un r dit uvulaire ou grasseyĂ© qui est le r standard du français parisien d'aujourd'hui. Cette diffĂ©rence de caste dans la langue se rĂ©percuta en Nouvelle-France : les cadres de la colonie, d'ascendance noble, s'installaient plutĂŽt Ă QuĂ©bec tandis que le peuplement se faisait ailleurs avec des personnes issues du Tiers Ătat. C'est l'accent de ces marins ou fils de paysans installĂ©s en Nouvelle-France, et particuliĂšrement en Haute-Louisiane, qui lĂ©gua au français du Missouri son accent si caractĂ©ristique qui conserve ce r roulĂ©. Le français du QuĂ©bec sera, lui, tiraillĂ© entre la prononciation du r parisien de QuĂ©bec et celle roulĂ©e des autres rĂ©gions, en particulier de MontrĂ©al. Au QuĂ©bec, cette premiĂšre prononciation, plus proche de celle du français europĂ©en, triomphera finalement, tandis que dans le Missouri, c'est l'ancien accent qui fut conservĂ© jusqu'Ă nos jours.
Oi prononcé ouÚ
Avant le dĂ©but du XIXe siĂšcle et l'installation de la bourgeoisie parisienne au sommet du pouvoir social et culturel en France (consĂ©cutivement Ă la RĂ©volution française), la prononciation normale de la diphtongue oi Ă©tait ouĂš. Dans la France d'Ancien RĂ©gime, la prononciation de oi en ouĂą Ă©tait considĂ©rĂ©e comme fautive voire vulgaire et Ă©tait spĂ©cifique de la Champagne et de l'est de l'Ăle-de-France. La colonie en AmĂ©rique ayant Ă©tĂ© fondĂ©e et dĂ©veloppĂ©e avant la RĂ©volution française et donc avant ce changement dans la norme de prononciation, il est donc naturel que les colons français en AmĂ©rique aient parlĂ© le français suivant la norme du rouĂš et prononcĂ© ouĂš la diphtongue oi. Ce trait, s'il tend Ă s'effacer au QuĂ©bec du fait de l'influence du français europĂ©en, reste cependant de norme en français du Missouri, la diphtongue oi est donc systĂ©matiquement prononcĂ©e ouĂš et la prononciation ouĂą n'y existe pas.
Un Français du Missouri prononcera donc croyez-moi de cette façon crouÚyez-mouÚ et des mots comme roi, foi, droit seront prononcés rouÚ, fouÚ, drouÚte.
Prononciation de /o/ au lieu de /u/
La mutation du son /o/ en /u/ nâĂ©tant pas encore pleinement aboutie au XVIIe siĂšcle, le français de Nouvelle-France a gardĂ© quelques exemples de lâancienne prononciation inchangĂ©s tandis que le français europĂ©en a continuĂ© lâĂ©volution. Plus tard, le français quĂ©bĂ©cois sâalignera sur la prononciation française europĂ©enne tandis que le français du Missouri restera fidĂšle Ă la langue du XVIIe siĂšcle (de mĂȘme pour le français de Louisiane). Ainsi, lĂ oĂč le Français europĂ©en et le QuĂ©bĂ©cois diront « poumon », le français du Missouri et de Louisiane dira « pomon » (comme en ancien français). Le mot « gourdon » est de mĂȘme restĂ© « gordon » comme en ancien français.
Prononciation de -onn- et -omm-
De mĂȘme que pour le point prĂ©cĂ©dent, le français du Missouri a gardĂ© la particularitĂ© de prononcer « bon-ne » ou « pon-me » les mots « bonne » et « pomme », et il en va de mĂȘme pour tous les mots en -onn- ou -omm- (connaĂźtre, commun, homme, comme, donner, honnir, connaissance, etc.). Câest un signe que la dĂ©nasalisation de ces voyelles, commencĂ©e au XVIIe siĂšcle, sâest produite en France aprĂšs le dĂ©part des colons. En ancien et moyen français, la prononciation missourienne de ces mots Ă©tait la norme.
Maintien de la prononciation de quelques consonnes finales
Ce trait, commun dans plusieurs parlers régionaux dans la France d'Ancien Régime, se retrouve dans le français du Nouveau-Monde. Tout comme le français québécois, le français du Missouri a tendance à prononcer le -t final dans certains mots : fait (participe passé de faire et nom commun) est prononcé faite, tout est prononcé toute, droit est prononcé drouÚte, lit se dit litte. On note également le mot coup prononcé coupe.
Caractéristiques grammaticales
Le français du Missouri partage avec le français de Louisiane, le français acadien et le français québécois, quelques divergences dans la grammaire. Certaines de ces particularités lui sont propres mais la plupart sont également connues en Louisiane, en Acadie et au Québec, ainsi que dans de nombreux parlers régionaux en France (dont ils tiennent leur origine) :
Verbe aller
Comme dans beaucoup de parlers régionaux en France ainsi que tous les autres dialectes français d'Amérique, le français du Missouri connaßt la forme je vas et l'emploie trÚs souvent au lieu de la forme classique je vais.
Cette forme est parfois contractée à l'oral en j'vas (sans liaison avec l's) ou, plus familiÚrement, en m'as, une derniÚre forme que connaßt également le français québécois et qui semble tenir son origine de Normandie (la forme m'as signifiant je vais est en effet attestée jusque dans les années 1950 en parler cauchois de Seine-Maritime). Cette derniÚre forme semble venir d'une contraction non pas de je vas directement mais de l'expression (je) m'en vas.
Le français du Missouri contracte Ă©galement Ă l'oral tu vas en t'as, ce qui est une Ă©volution qui lui est propre, on ne la retrouve en effet dans aucun dialecte français d'AmĂ©rique (il sâagit probablement dâun analogie avec mâas).
Imparfaits calqués sur le présent
Comme en acadien, parfois en québécois, ainsi que plus souvent en louisianais, le français du Missouri a tendance à calquer les formes de l'imparfait de ses verbes irréguliers sur leur conjugaison au présent. En français du Missouri, ce sont surtout les formes ils ontvaient et ils sontaient (pour ils avaient et ils étaient, calquées sur ils ont et ils sont) qui sont attestées, mais on peut légitimement penser que d'autres de ces formes ont été utilisées par le passé comme en louisianais (on trouve en Louisiane les formes je suitais, j'aivais, je vadais pour j'étais, j'avais et j'allais, calquées sur le présent je suis, j'ai et je vas).
Unique auxiliaire avoir au passé
Le français du Missouri n'utilise souvent que le verbe avoir comme auxiliaire pour former le passĂ© composĂ©, mĂȘme avec les verbes rĂ©flexifs. Ainsi, il est parti ce matin se dira lâa parti Ă matin (prononcĂ© lâa partsi Ă matin), il s'est fait mal deviendra il s'a fait du mal (prononcĂ© i' s'a fait dzu mĂąl) etc.
Contraction de Ă la en Ă '
Comme le français quĂ©bĂ©cois et Ă la diffĂ©rence du français louisianais, le français du Missouri contracte l'article avec la prĂ©position dans certains cas d'une maniĂšre diffĂ©rente du français classique. Ainsi, Ă la se trouve contractĂ© en Ă ' : il est parti Ă la maison se dira ainsi ainsi lâa parti Ă ' maisonne, prononcĂ© l'a partsi Ă maison-ne.
Contractions facultatives
De la mĂȘme maniĂšre qu'en français louisianais mais Ă la diffĂ©rence du français quĂ©bĂ©cois, le français du Missouri ne contracte de le et de les en du et des que facultativement, il n'est pas rares d'entendre les formes pleines de le et de les alterner avec du et des dans la bouche des locuteurs natifs.
Pronoms
Contrairement au français québécois, le français du Pays des Illinois redouble réguliÚrement le sujet : le chien l'a sorti asteur, les femmes ils ontvaient faim, l'herbe alle était haute.
Il et alle
Le pronom masculin de la troisiĂšme personne du singulier est il comme en français classique. Il est toujours prononcĂ© iâ. Devant une voyelle cependant, il devient lâ. Ainsi : il sâen est allĂ© se dira il sâa en allĂ© mais il est allĂ© Ă lâĂ©picerie deviendra lâa allĂ© Ă â grocerie.
Le pronom fĂ©minin de la troisiĂšme personne du singulier est alle prononcĂ© aâ devant une consonne et alâ devant une voyelle.
Nous-autres, vous-autres et eux-autres
Comme les autres dialectes français d'Amérique, le français du Missouri fait un grand usage des pronoms rallongés nous-autres, vous-autres et eux-autres.
On Ă la place de nous
Le pronom on est utilisé de préférence au lieu de nous, comme c'est aussi souvent le cas en français européen à l'oral ainsi que dans les autres dialectes français d'Amérique.
Omission de que
Comme complémenteur, que est parfois omis à l'oral. Un Français du Missouri pourra ainsi dire (i') faut je fasse au lieu de il faut que je fasse. Cette particularité se trouve aussi en français louisianais.
Récurrence de ça fait que
Comme les autres parlers français d'Amérique, le français du Missouri fait un usage trÚs récurrent de la locution ça fait que qui se trouve parfois sans le que, comme de nombreuses autres locutions.
Caractéristiques lexicales
On trouvera dans le Wiktionnaire une nomenclature exhaustive et mots et expressions typiques du français du Missouri.
Quelques exemples de vocabulaire
Français du Missouri | Français classique |
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beaujour | bonjour |
Ă c't'heure | maintenant |
droit lĂ | tout de suite |
aussitte, itou | aussi |
icitte | ici |
un char | une voiture |
une piastre | un dollar ou l'argent |
quocé ça-là ? | qu'est-ce que c'est que ça ? |
un bétail | un insecte |
une borgnasse | une borgnesse, vieille femme (borgne) |
une brindgĂšme | une aubergine |
un candi | une bonbon |
un chat-chouage | un raton-laveur |
une esquilette | une poĂȘle |
un estourneau | un Ă©tourneau |
une fĂšve | un haricot |
une maisonne | une maison |
un maringouin | un moustique |
une metche | une allumette |
un oiseau Ă mouches | un colibri |
une patate | une pomme de terre |
une pistache | une cacahuĂšte |
une rabiole | un navet |
amarrer | attacher |
haler | tirer |
barrer | fermer |
s'adonner | s'entendre |
Notes et références
- « La fĂȘte annuelle de lâautomne Ă la Vieille Mine au Missouri », Texte en français rĂ©appropriĂ© du Missouri, (consultĂ© le )
- « Parlez-vous le français paw-paw? », sur canada.ca, Radio-Canada, (consulté le ).
- (en) W. M. Miller, « Missouri's Paw Paw French », vol. 3, (consulté le ).
- Annabelle Malville, Louis William Dubourg, Chicago, vol. 2, 1986.
- (en) (en)Les Francophones dâorigine dans le Missouri, (consultĂ© le ).
- Laurent Pointecouteau, « Le «paw-paw French», un dialecte français en voie de disparition aux Ătats-Unis », Slate.fr, (consultĂ© le )
- Bridgi Bowden, « Le français paw-paw sâĂ©teint Ă petit feu », courrierinternational.com, (consultĂ© le )
- http://languedutravail.org/nouvelle/etats-unis-le-francais-paw-paw-seteint-petit-feu (consulté le ).
Voir aussi
Sources et bibliographie
- Bridgi Bowden, Jake Godin et Ryan Schuessler, « Le français paw-paw sâĂ©teint Ă petit feu », Courrier international, no 1245,â , p. 36-37 (ISSN 1154-516X) â Initialement publiĂ© en anglais le dans Al Jazeera America, New York.