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FenĂȘtre d'Overton

La fenĂȘtre d'Overton, aussi connue comme la fenĂȘtre de discours, est une allĂ©gorie qui situe l'ensemble des idĂ©es, opinions ou pratiques considĂ©rĂ©es comme plus ou moins acceptables dans l'opinion publique d'une sociĂ©tĂ©. Ce terme est un dĂ©rivĂ© du nom de son concepteur, Joseph P. Overton (1960-2003)[1], un ancien vice-prĂ©sident du Mackinac Center for Public Policy (en)[2] qui, dans la description de sa fenĂȘtre, affirme que la viabilitĂ© politique d'une idĂ©e dĂ©pend principalement du fait qu'elle se situe dans la fenĂȘtre, plutĂŽt que des prĂ©fĂ©rences individuelles des personnalitĂ©s politiques[3] - [4].

Selon la description d'Overton, sa fenĂȘtre comprend une gamme de politiques considĂ©rĂ©es comme politiquement acceptables au regard de l'opinion publique existante, et qu'une personnalitĂ© politique peut donc proposer sans ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme trop extrĂȘme, pour gagner ou conserver une fonction publique.

AprĂšs la mort d'Overton, d'autres ont examinĂ© le concept d'ajustement de cette fenĂȘtre d'idĂ©es acceptables, par la promotion dĂ©libĂ©rĂ©e d'idĂ©es en dehors de cette fenĂȘtre (ou d'idĂ©es situĂ©es Ă  la « frange externe ») avec l'intention de rendre acceptables, par comparaison, des idĂ©es jusqu'alors considĂ©rĂ©es comme marginales[5]. La technique de persuasion ou de manipulation « porte-au-nez » est similaire.

Les mĂ©dias, en tant qu'acteurs influents de l'opinion publique, sont susceptibles d'ĂȘtre un outil du dĂ©placement de cette fenĂȘtre[6]. Les mĂ©dias polĂ©mistes peuvent en particulier contribuer Ă  l'Ă©tape 1 d'une telle opĂ©ration.

Concept

Overton dĂ©crit une carte des idĂ©es du « plus libre » au « moins libre » concernant l'action du gouvernement, reprĂ©sentĂ©e sur un axe vertical. Comme la fenĂȘtre change de taille ou se dĂ©place, une idĂ©e Ă  un endroit donnĂ© peut devenir plus ou moins politiquement acceptable. Les degrĂ©s d'acceptation[7] des idĂ©es publiques sont Ă  peu prĂšs comme suit :

FenĂȘtre d'Overton
  • Impensable
  • Radical
  • Acceptable
  • Raisonnable
  • Populaire
  • Politique publique

La fenĂȘtre d'Overton est une approche permettant d'identifier les idĂ©es dĂ©finissant le domaine d'acceptabilitĂ© des politiques gouvernementales possibles dans le cadre d'une dĂ©mocratie.

Les partisans de politiques en dehors de la fenĂȘtre d'Overton cherchent Ă  persuader ou Ă©duquer l'opinion publique afin de dĂ©placer et/ou d'Ă©largir la fenĂȘtre. Les partisans dans la fenĂȘtre — soutenant les politiques actuelles, ou similaires — cherchent Ă  convaincre l'opinion publique que les politiques situĂ©es en dehors de la fenĂȘtre doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme inacceptables.

Fonctionnement

Le concept n'est pas seulement descriptif, il donne Ă©galement des outils aux groupes de pression pour dĂ©placer la fenĂȘtre d’Overton, « c’est-Ă -dire le pĂ©rimĂštre de ce qui peut ĂȘtre dit et discutĂ© au sein d’une sociĂ©tĂ© »[8]. L'exemple du cannibalisme a Ă©tĂ© popularisĂ© par le rĂ©alisateur russe Nikita Mikhalkov pour illustrer le fonctionnement de la fenĂȘtre d'Overton[9].

Étape 1 : De l'impensable au radical

Dans la premiĂšre Ă©tape, la pratique du cannibalisme est considĂ©rĂ©e comme immorale et rĂ©prĂ©hensible au sein de la sociĂ©tĂ© Ă©tudiĂ©e. Les sociĂ©tĂ©s occidentales actuelles se trouvent dans ce cas. À ce moment, le cannibalisme se trouve au niveau de tolĂ©rance le plus bas de la fenĂȘtre d'Overton : impensable.

Pour faire changer la position de l'opinion publique, on commence par transformer le sujet en question scientifique. Des savants renommĂ©s en parlent, des petites confĂ©rences et des colloques sont organisĂ©s autour du cannibalisme. Puisque la science (exacte ou non) ne doit pas avoir de limites d'investigation, le sujet cesse alors d'ĂȘtre un tabou absolu. Il n'est plus impensable, et un petit groupe d'« extrĂ©mistes » pro-cannibalisme se crĂ©e et fait des percĂ©es dans les mĂ©dias. Cette opinion est alors perçue comme simplement radicale[10] - [11] - [12].

Étape 2 : Du radical à l'acceptable

Dans cette Ă©tape c'est l'acceptation qui est recherchĂ©e. Avec les conclusions scientifiques, ceux qui s'opposent de maniĂšre inflexible Ă  l'ouverture sont traitĂ©s en intransigeants, fanatiques opposĂ©s Ă  la science. Un jargon pseudo-scientifique pourra ĂȘtre crĂ©Ă©. Dans le cas du cannibalisme on prĂ©fĂšrera parler d'anthropophagie. Les connotations nĂ©gatives associĂ©es au mot cannibalisme seront alors adoucies[10] - [11] - [12]. MĂȘme si l'idĂ©e n'est pas encore largement acceptĂ©e, elle intĂšgre progressivement le dĂ©bat public.

Étape 3 : De l'acceptable au raisonnable

Il s'agit ici de transformer le jugement de principe portĂ© sur le cannibalisme. D'une chose en principe inacceptable on doit passer Ă  une pratique « raisonnable ». La consommation de chair humaine trouve une justification ; par exemple, dans le cas d'une famine, un tel comportement semble devoir se lĂ©gitimer par le principe hobbesien de conservation. L'homme recherche sa propre conservation, et dans un cas extrĂȘme il doit pouvoir se nourrir de tout. L'application d'un tel raisonnement au cas gĂ©nĂ©ral se fait d'autant plus facilement que le concept Ă©tait considĂ©rĂ© au dĂ©part comme impensable, et donc n'Ă©tait en butte Ă  aucun des contre-arguments usuellement produits lors de l'Ă©mergence d'un dĂ©bat intellectuel.

D'un autre cĂŽtĂ©, les « anthropophages » se targuent d'ĂȘtre pro-choix, dĂ©fenseurs d'une libertĂ© somme toute fondamentale. Les irrĂ©ductibles de l'idĂ©e sont, quant Ă  eux, perpĂ©tuellement critiquĂ©s pour leur position devenue radicale. Si nĂ©cessaire, la communautĂ© scientifique, conjointement aux mĂ©dias, saura fournir les preuves que l'histoire est truffĂ©e d'exemples d'anthropophagie, laquelle ne posait d'ailleurs pas de problĂšme aux sociĂ©tĂ©s primitives[10] - [11] - [12].

Étape 4 : Du raisonnable au populaire

Il s'agit d'intĂ©grer la pratique dĂ©fendue Ă  la mentalitĂ© populaire. Cela passe par les canaux de diffusion culturelle comme les films, les romans, les journaux ou mĂȘme la musique. Dans le cas de l'anthropophagie, les films de zombies peuvent recouvrir une toute nouvelle signification par exemple. On pourra noter l'utilisation de cĂ©lĂ©britĂ©s ou de figures historiques dĂ©crites comme franchement cannibales[10] - [11] - [12].

Étape 5 : Du populaire à la politique publique

Une fois ancrés dans la société civile, les groupes de pression cherchent une représentation politique, au travers de partis par exemple, et demandent une représentation légale. Dans le cas du cannibalisme, il serait ainsi question de légalisation. Ici, la possibilité de création d'un nouveau marché de consommation de chair humaine directe ou par produits dérivés pourrait renforcer la position des courants anthropophages avec le concours de l'industrie agro-alimentaire.

Les Ă©tapes prĂ©sentĂ©es ci-dessus forment un exemple de la mĂ©thode de dĂ©placement radical de la fenĂȘtre d'Overton d'une position de l'opinion publique Ă  son contraire. Cependant, chacune des Ă©tapes, prise individuellement, constitue en soi une ouverture non nĂ©gligeable de la fenĂȘtre. De plus, la fenĂȘtre d'Overton peut ĂȘtre utilisĂ©e pour favoriser des idĂ©es impopulaires en introduisant dans le dĂ©bat des concepts bien plus radicaux qui font pĂąlir l'impopularitĂ© de ceux que l'on dĂ©fend en rĂ©alitĂ©[13].

Antécédents historiques

Une idĂ©e semblable Ă  la fenĂȘtre d'Overton a Ă©tĂ© exprimĂ©e par Anthony Trollope en 1868 dans son roman PhinĂ©as Finn (en) :

« Beaucoup de ceux qui, auparavant, considĂ©raient la lĂ©gislation sur le sujet comme invraisemblable, la verront dĂ©sormais simplement comme dangereuse, voire juste difficile. Et ainsi, avec le temps, elle en viendra Ă  ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une possibilitĂ©, puis comme quelque chose de probable, et enfin elle deviendra l'une des quelques mesures dont le pays a absolument besoin. C'est de cette maniĂšre que se forge l'opinion publique. »

« Ce n'est pas une perte de temps », dit Phinéas, « d'avoir franchi la premiÚre grande étape dans sa réalisation ». « La premiÚre grande étape a été franchie il y a longtemps », déclara M. Monk « par des hommes qui étaient considérés comme des démagogues révolutionnaires, presque comme des traßtres, parce qu'ils l'ont fait. Mais c'est une bonne chose de franchir toute étape nous permettant d'aller de l'avant. »

Dans son discours West India Emancipation à Canandaigua, New York, en 1857[14], le chef abolitionniste Frederick Douglass a décrit comment l'opinion publique limite la capacité des personnes au pouvoir d'agir en toute impunité :

« Trouvez simplement ce qu'un peuple est prĂȘt Ă  subir en silence, cela vous donnera la mesure exacte de l'injustice et du mal qui lui seront imposĂ©s, et cela continuera jusqu'Ă  ce que se manifeste une rĂ©sistance par les mots ou la violence, ou les deux. Les limites des tyrans sont fixĂ©es par l'endurance de ceux qu'ils oppriment. »

L'idĂ©e est trĂšs similaire Ă  une thĂ©orie antĂ©rieure qui allait ĂȘtre connue sous le nom de « sphĂšres de Hallin ». Dans son livre de 1986 The Uncensored War[15], le chercheur en communication Daniel C. Hallin pose trois domaines de couverture mĂ©diatique dans lesquels un sujet peut tomber. Les domaines sont schĂ©matisĂ©s par des cercles concentriques appelĂ©s sphĂšres. Du centre jusqu'au cercle extĂ©rieur, il y a la SphĂšre du consensus, la SphĂšre de la controverse lĂ©gitime, et la SphĂšre de dĂ©viance. Les propositions et avis peuvent ĂȘtre placĂ©s plus ou moins loin du centre mĂ©taphorique, et les acteurs politiques peuvent lutter afin de faire bouger ces positions.

La thĂ©orie de Hallin est dĂ©veloppĂ©e et appliquĂ©e principalement comme une thĂ©orie explicative des diffĂ©rents niveaux d'objectivitĂ© dans la couverture mĂ©diatique mais il tient Ă©galement compte du tiraillement permanent entre les mĂ©dias et les acteurs politiques Ă  propos de ce qui est considĂ©rĂ© comme un dĂ©saccord lĂ©gitime, ce qui — potentiellement — modifierait les frontiĂšres entre les sphĂšres.

Comme l'une des études appliquant la théorie de Hallin l'explique : « les frontiÚres entre les trois sphÚres sont dynamiques, en fonction du climat politique et de la ligne éditoriale des différents médias »[16]. Vue ainsi, l'idée inclut également le bras de fer concernant les frontiÚres entre le discours politique normal et le discours déviant.

Dans la culture populaire

Le roman de Christopher Buckley DĂ©parts anticipĂ©s (Boomsday) applique la fenĂȘtre d'Overton au sujet de la rĂ©forme de la sĂ©curitĂ© sociale aux États-Unis. La technique utilisĂ©e Ă©tait d'inciter Ă  une « transition volontaire », c'est-Ă -dire un suicide Ă  un certain Ăąge en Ă©change d'avantages, afin de rĂ©duire le coĂ»t de la sĂ©curitĂ© sociale. En fin de compte, l'objectif dĂ©clarĂ© Ă©tait plus modeste et consistait Ă  rĂ©duire le fardeau prĂ©tendument imposĂ© aux plus jeunes pour assumer les coĂ»ts de la sĂ©curitĂ© sociale.

En 2010, un talk-show conservateur et le chroniqueur Glenn Beck ont publiĂ© un roman intitulĂ© La FenĂȘtre d'Overton[17].

L'essayiste Laurent Obertone, dont le pseudonyme est une rĂ©fĂ©rence Ă  la fenĂȘtre, Ă©crit une rubrique intitulĂ©e « La fenĂȘtre d'Obertone » dans le mook d'extrĂȘme droite La Furia, oĂč il dĂ©crypte le discours politiquement correct[18].

Notes et références

  1. « Joseph P. Overton » sur nndb.com, « intelligence aggregator ».
  2. (en) « Joseph Overton biography and article index », Mackinac (consulté le ).
  3. (en) Joseph Lehman, « A Brief Explanation of the Overton Window », Mackinac Center for Public Policy (consulté le ).
  4. « How the Politically Unthinkable Can Become Mainstream », The New York Times, .
  5. Daily Kos diary, « Morning Feature: Crazy Like a Fox? ».
  6. « La fenĂȘtre d'Overton », sur Nos PensĂ©es, (consultĂ© le ).
  7. Daily Kos story, « Why the Right-Wing Gets It--and Why Dems Don't ».
  8. « La fenĂȘtre d’Overton ou le champ de l’acceptable en politique », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  9. Conspiracy theories spread by Geworld.ge based on Russian sources concerning the “The Overton Window”
  10. « La fenĂȘtre d'Overton », sur Nos PensĂ©es, (consultĂ© le ).
  11. (en-US) « The Overton window », sur en.psychologyinstructor.com, (consulté le ).
  12. (es) Luis Segura, « La terrible Ventana de Overton (como legalizar cualquier cosa) », sur Adelante la Fe, (consulté le ).
  13. « Opinions publiques et politiques : qu'est-ce que la fenĂȘtre d'Overton ? », sur PsychomĂ©dia (consultĂ© le ).
  14. BlackPast.org website "(1857) Frederick Douglass, 'If There Is No Struggle, There Is No Progress'".
  15. (en) Daniel Hallin, The Uncensored War : The Media and Vietnam., New York, Oxford University press, , 285 p. (ISBN 978-0-19-503814-9, lire en ligne).
  16. (en) Tine Ustad Figenschou et Audun Beyer, « The Limits of the Debate How the Oslo Terror Shook the Norwegian Immigration Debate », The International Journal of Press/Politics, vol. 19, no 4,‎ , p. 435 (DOI 10.1177/1940161214542954, lire en ligne).
  17. Glenn Beck Web site, Books, The Overton Window.
  18. « La Furia », sur lafuria.fr (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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