Faits alternatifs
« Faits alternatifs » (en anglais : alternative facts) est une expression utilisĂ©e en janvier 2017 par Kellyanne Conway, conseillĂšre du prĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump lors d'une rencontre avec la presse, afin de dĂ©crire les arguments de Sean Spicer, lui-mĂȘme porte-parole de la Maison-Blanche, relatifs Ă l'importance de la participation publique lors de l'investiture du prĂ©sident, qui s'est dĂ©roulĂ©e la veille[2] - [3] - [4] - [5].
Contexte
Contexte du moment
L'histoire se déroule en deux temps :
- Samedi 21 janvier 2017, Sean Spicer tient sa premiĂšre confĂ©rence de presse. Accusant l'ensemble des mĂ©dias d'avoir dĂ©libĂ©rĂ©ment sous-estimĂ© l'importance de la foule lors de la cĂ©rĂ©monie d'investiture du prĂ©sident Trump, il prĂ©tend qu'elle a attirĂ© « la plus grande audience Ă avoir assistĂ© Ă une investiture, point final. » Or toutes les donnĂ©es disponibles dĂ©montrent que ses affirmations sont fausses[6] - [7]. Spicer dĂ©clare Ă©galement que les revĂȘtements de sol blancs ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour la premiĂšre fois et que leur effet visuel a donnĂ© l'impression que l'audience Ă©tait faible. En rĂ©alitĂ©, ces revĂȘtements ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© utilisĂ©s en 2013, quand Barack Obama a prĂȘtĂ© serment pour son second mandat[8]. Spicer tourne alors les talons, sans rĂ©pondre aux journalistes qui lui demandent de se justifier[9].
- Le lendemain, lors d'une autre rencontre avec la presse, le journaliste Chuck Todd (NBC News) prie Kellyanne Conway d'expliquer pourquoi Spicer a recouru Ă un « mensonge manifeste ». Elle lui rĂ©pond alors : « ne soyez pas trop dramatique Ă ce sujet, Chuck, vous dites que c'est un mensonge [âŠ], notre porte-parole, Sean Spicer, a donnĂ© des faits alternatifs[10] - [11] », Ă savoir que l'audience participant Ă l'investiture de Trump ne pouvait ni ĂȘtre prouvĂ©e ni quantifiĂ©e[12]. Todd lui rĂ©torque alors : « les faits alternatifs ne sont pas des faits. Ce sont des mensonges[13]. »
Les choses ne s'arrĂȘtent pas lĂ . Le 23 janvier, Sean Spicer tient son premier point presse quotidien. Alors que des dizaines de rĂ©actions moqueuses ou enflammĂ©es ont fusĂ© dans la presse et les rĂ©seaux sociaux (cf. infra), il revient sur ses propos et ceux de Conway :
« Notre intention est de ne jamais vous mentir. [âŠ] Je veux avoir une relation saine avec la presse. »
Il répond cette fois aux questions d'une quarantaine de représentants des médias[14] mais, le lendemain, peu aprÚs que le président Trump a affirmé à différents responsables du CongrÚs, qu'entre trois et cinq millions de personnes en situation irréguliÚre ont voté aux élections du 8 novembre et l'ont privé d'un succÚs populaire, Sean Spicer n'est pas en mesure d'apporter des éléments de preuve à plusieurs journalistes qui le lui demandent[15].
Aux Ătats-Unis, les commentaires sur les dĂ©clarations de Spicer et Conway sont si nombreux, notamment sur Twitter, que le roman 1984 connaĂźt un regain de popularitĂ©[16]. Dans cette Ćuvre de dystopie publiĂ©e en 1949, l'Ă©crivain George Orwell dĂ©crivait un monde totalitaire oĂč le pouvoir contrĂŽle les mĂ©dias, ce qui lui permet de vĂ©hiculer des faits totalement imaginĂ©s par lui afin d'assurer sa propagande et, Ă l'inverse, de faire retirer des archives le recensement de faits rĂ©els susceptibles de nuire Ă sa rĂ©putation.
Contexte général
Les propos de la conseillĂšre du prĂ©sident interviennent aprĂšs que la plupart des commentateurs politiques ont soulignĂ© que, durant toute sa campagne, Trump a recouru Ă des mensonges grossiers et des propos calomnieux Ă l'Ă©gard de sa rivale (Hilary Clinton), du prĂ©sident en titre (Barack Obama), de la majoritĂ© des mĂ©dias, de l'establishment, etc. ; ce qui ne l'a pas empĂȘchĂ© d'ĂȘtre Ă©lu.
Ce changement radical de ton, ainsi que le fait qu'un homme politique puisse ouvertement et réguliÚrement remettre en cause la probité des journalistes, est généralement décrit à travers le concept « post-vérité ».
RĂ©actions
DĂšs les heures qui ont suivi la confĂ©rence de presse de Spicer et la dĂ©claration de Conway, des rĂ©actions ont fusĂ© dans la presse et les mĂ©dias sociaux, notamment aux Ătats-Unis.
Aux Ătats-Unis
Le journaliste Dan Rather a vivement critiqué l'administration présidentielle américaine sur sa page Facebook[17] - [18] :
« Nous ne vivons pas une Ă©poque normale. Ce sont des temps extraordinaires. Le porte-parole du prĂ©sident des Ătats-Unis utilise un mensonge orwellien. [âŠ] Lors de sa premiĂšre apparition devant les journalistes, il menace, intimide, ment, et puis sort de la salle, sans avoir eu « les couilles » de rĂ©pondre Ă une seule question[19]⊠Les faits et la vĂ©ritĂ© ne sont pas partisans. Ils sont le socle de notre dĂ©mocratie. Et soit vous ĂȘtes avec les faits, avec nous, avec notre Constitution, avec notre histoire et l'avenir de notre nation, soit vous ĂȘtes contre. »
AprÚs vérification, le New York Times a réagi[20] en publiant deux photos et en invitant à les comparer : l'une montre la foule présente lors de la cérémonie d'investiture de Barack Obama en 2009, l'autre le public présent huit ans plus tard pendant celle de Donald Trump.
Les propos de Conway ont été brocardés par des dizaines d'anonymes et de célébrités. Ainsi la rockeuse et actrice Courtney Love, connue pour ses postures publiques sulfureuses, a publié plusieurs messages sur son compte Instagram, dont ceux-ci :
« Je n'ai JAMAIS pris de drogue dans ma vie, ou n'ai jamais juré en public, ou fumé une cigarette. - #alternativefacts » et « on me compare souvent à Grace Kelly ou Jackie O pour mes maniÚres et ma politesse. - #alternativefacts[21]. »
En France
Laurence Nardon, de lâInstitut français des relations internationales, estime que « lâadministration Trump nâa plus honte de ses mensonges. Pour (ses membres), la vĂ©ritĂ© factuelle nâa plus dâimportance. Elle passe au second plan derriĂšre lâidĂ©ologie. » Mais lâengagement affichĂ© de nombreuses rĂ©dactions risque dâentamer leur crĂ©dibilitĂ© : « Il y a, dâun cĂŽtĂ©, les mĂ©dias prodĂ©mocrates ou anti-Trump, comme le New York Times, le Washington Post ou MSNBC, et de lâautre Fox News ou Breitbart, que lâon qualifierait dâextrĂȘme droite en France. Au milieu, il nây a plus de mĂ©dias fĂ©dĂ©rateurs. Cela dessert leur cause et nâapaise pas les esprits[22]. »
Au Québec
Le linguiste Lionel Meney souligne le cĂŽtĂ© Ă©quivoque de l'expression : « (le terme « alternatif ») est largement entrĂ© dans l'usage. Donc l'expression « faits alternatifs » n'est pas Ă rejeter absolument, Ă moins d'ĂȘtre trĂšs puriste. Maintenant, si l'on veut faire comprendre de quoi il s'agit, on peut dire que ces alternative facts sont des « faits qui infirment » ce que les medias ont dit, des « faits opposĂ©s » Ă ceux des medias, des « faits en contradiction avec » ce qu'ont dit les mĂ©dias, d'« autres faits ». Ce sont, en quelque sorte, des « contre-faits ». Mais, par son cĂŽtĂ© Ă©quivoque, l'expression est assez amusante dans la mesure oĂč les « contre-faits » ont peut-ĂȘtre Ă©tĂ© « contrefaits »[23]⊠»
Entrée dans le langage courant
L'expression « fait alternatif », qui avait surpris par son caractÚre équivoque lorsque Kellyanne Conway l'a utilisé, entre par la suite dans le langage courant pour signifier un mensonge grossier. La presse l'utilise notamment en France lors du scandale Fillon. Le 7 février, le journal Libération publie un article titré « Les faits alternatifs de François Fillon » sans jamais problématiser l'expression[24] à la différence par exemple de France Info, qui utilise des guillemets et rappelle l'historique de la formule[25].
En effet, le au journal 20h de France 2, François Fillon, candidat Ă la prĂ©sidentielle de 2017 et soupçonnĂ© d'avoir fait profiter son Ă©pouse d'un emploi fictif, a affirmĂ© que des mĂ©dias avaient annoncĂ© le suicide de celle-ci, sans toutefois Ă©tayer ses dires[26] - [27]. Le jour-mĂȘme, il affirme que 200 000 personnes avaient participĂ© Ă un rassemblement au soutien Ă sa candidature au TrocadĂ©ro alors que la place ne peut contenir plus de 40 000 individus[28]. Et le 8, il affirme qu'une jeune fille habitant le Vaucluse lui aurait envoyĂ©, Ă l'Ă©poque oĂč il Ă©tait Ă la tĂȘte du gouvernement, une lettre dĂ©nonçant un jeu consistant à « envoyer des lames de rasoir au lance-pierres dans les jambes des filles qui portaient des jupes courtes[28]. »
Le , sur France 2, le dĂ©putĂ© socialiste JĂ©rĂŽme Guedj, soutien de BenoĂźt Hamon Ă la prĂ©sidentielle, affirme que « François Fillon est comme Donald Trump, il manie des faits alternatifs », prĂ©cisant : « on a (affaire Ă ) quelque chose qui frise avec le pathologique »[29]. Le 20 avril 2017, Ă©galement sur France 2, lors d'une Ă©mission rĂ©unissant les onze candidats Ă la prĂ©sidence de la RĂ©publique, et alors qu'un attentat vient de viser un groupe de policiers sur les Champs-ĂlysĂ©es, François Fillon dĂ©clare que « d'autres violences sont en cours Ă Paris », ce qui est aussitĂŽt dĂ©menti par la prĂ©fecture de police[30] et dĂ©clenche une polĂ©mique[31]. La presse affirme alors que François Fillon rĂ©pand des « rumeurs »[32].
Notes et références
- (en) [vidéo] Kellyanne Conway: Press Secretary Sean Spicer Gave 'Alternative Facts' sur YouTube
- Eric Bradner CNN, « Conway: Trump White House offered 'alternative facts' on crowd size », CNN,â (lire en ligne).
- David Graham, « 'Alternative Facts': The Needless Lies of the Trump Administration », The Atlantic, (consulté le ).
- Jon Swaine, « Trump presidency begins with defense of false 'alternative facts' », The Guardian, (consulté le ).
- Alexandra Jaffe, « Kellyanne Conway: WH Spokesman Gave âAlternative Factsâ on Inauguration Crowd », NBC News, (consultĂ© le ).
- (en) « White House press secretary attacks media for accurately reporting inauguration crowds », CNN.com,â (lire en ligne).
- (en) « Trumpâs Inauguration vs. Obamaâs: Comparing the Crowds », New York Times
- (en) « President Trumpâs Spokesman Just Lied About The Size Of The Inauguration Crowd », BuzzFeed, .
- (en) Chris Cillizza, « Sean Spicer held a press conference. He didnât take questions. Or tell the whole truth », Washington Post,â (lire en ligne, consultĂ© le ).
- (en) Aaron Blake, « Kellyanne Conway says Donald Trumpâs team has âalternative facts.â Which pretty much says it all. », Washington Post, (consultĂ© le ).
- (en) « Conway: Trump spokesman gave âalternative factsâ », New York Post, .
- (en) Brian Bennett, « Trump aides defend inflated inauguration figures as 'alternative facts' », Los Angeles Times, (consulté le ).
- (en) Dylan Stableford, « Kellyanne Conway cites âalternative factsâ in tense interview with Chuck Todd over false crowd size claims », Yahoo! News, .
- « Le nouveau porte-parole de la Maison Blanche tient son premier point presse quotidien », Le Monde,â (lire en ligne).
- Gilles Paris, « Le porte-parole de la Maison Blanche au supplice des « faits alternatifs », Le Monde,â (lire en ligne).
- « Les âfaits alternatifsâ boostent les ventes de 1984 », Courrier international,â (lire en ligne).
- « Dan Rather takes to Facebook to blast President Trump's 'alternative facts' », Tampa Bay Times, (consulté le ).
- Jennifer Calfas, « Dan Rather on Trump: 'These are not normal times' », The Hill, (consulté le ).
- Dan Rather, « Dan Rather Facebook post », sur Facebook.com, (consulté le ).
- Nicholas Fandos, « White House Pushes Alternative Facts. Here Are the Real Ones », sur nytimes.com, (consulté le ).
- Courtney Love s'amuse beaucoup avec les "faits alternatifs" de la conseillĂšre de Donald Trump, Ludivine Trichot, Le Huffington Post, 23 janvier 2017.
- « Donald Trump aux journalistes : la vérité si je mens », Aude Massiot, Libération, 23 janvier 2017.
- Doit-on traduire "alternative facts" par "faits alternatifs"? Lionel Meney, Carnet d'un linguiste, 7 février 2017.
- Les faits alternatifs de François Fillon, Emmanuel Fansten, Libération, 6 février 2017.
- LâĂ©quipe de François Fillon Ă la dĂ©couverte des "faits alternatifs", France Info, 8 mars 2017.
- « "Suicide" de Penelope Fillon et autres erreurs de François Fillon », sur L'Obs (consulté le ).
- Les médias ont-ils annoncé le suicide de Penelope Fillon ? Le Parisien, 6 mars 2017.
- « Lancer de lames de rasoir, suicide de Penelope annoncé à la télévision, nombre de manifestants⊠Quatre intox de François Fillon », sur Franceinfo (consulté le ).
- https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/attaque-de-policiers-sur-les-champs-elysees/attentat-des-champs-elysees-la-polemique-sur-les-autres-violences-dans-paris-lancee-par-fillon-en-quatre-actes_2156455.html, France 2, 21 avril 2017.
- Fillon assure quâil y a eu «âdâautres attaques jeudiâ», la police dĂ©ment, Ouest France, 21 avril 2017.
- Attentat des Champs-Elysées : la polémique sur les "autres violences dans Paris" lancée par Fillon en quatre actes, France Info, 21 avril 2017
- Attentat des Champs-Elysées: sur France 2, Fillon propage des rumeurs, L'Express, 21 avril 2017.
Voir aussi
Bibliographie
- (en) Matthew d'Ancona, Post-Truth : The New War on Truth and How to Fight Back, , 176 p. (ISBN 978-1-78503-687-3)
- (en) William Goodspeed, Alternative Facts : Fake News, Tweets & the 2016 Election Paperback, Satirical Press International, , 288 p. (ISBN 978-0-9988853-0-8)
- (en) Abrams Noterie, Alternative Facts Journal, Harry N. Abrams, , 160 p. (ISBN 978-1-4197-2884-6)
Articles connexes
Liens externes
- Donald Trump aux journalistes : la vérité si je mens, Aude Massiot, Libération, 23 janvier 2017
- Investiture : Donald Trump "ne ment pas", il présente des "faits alternatifs", France 24, 23 janvier 2017
- Ni vrai ni faux : l'Ă©quipe Trump invente les "faits alternatifs", Agathe Ranc, L'Obs, 23 janvier 2017
- Sean Spicer, porte-parole des "faits alternatifs" pour la Maison Blanche, L'Express, 23 janvier 2017
- Les alarmants âfaits alternatifsâ du prĂ©sident Trump, Gabriel Hassan, Courrier international, 23 janvier 2017
- Dans sa bataille contre la presse, lâadministration Trump sort des « faits alternatifs », Le Monde, 22 janvier 2017
- Le premier débriefing de Sean Spicer, porte-parole de la Maison Blanche, en a abasourdi plus d'un, Jade Toussay, Le Huffington Post, 22 janvier 2017