FĂ©minisation linguistique
La féminisation linguistique est un procédé linguistique qui consiste à inclure le genre féminin dans le langage. Certains pays, dont la SuÚde[1], la Suisse[2] et l'Australie[3], ont officiellement épousé ce type de réforme linguistique. En France, l'Académie française, qui ne dispose que d'un pouvoir consultatif, s'y était opposée avant de s'y résoudre en 2019[4].
Histoire
La deuxiÚme vague féministe dans les années 1960 et 1970 a déclenché un certain activisme linguistique. Les défenseurs de ce mouvement se sont penchés sur la problématique de l'écriture, perçue comme discriminatoire et sexiste[5]. Des articles spécialisés ont révélé qu'il y avait un milieu masculin pour imposer une réglementation linguistique afin de favoriser les formes masculines à travers l'histoire[6] - [7].
Plus récemment, la féminisation linguistique a reçu le soutien de certains pays, dont la SuÚde, la Suisse et l'Australie.
En SuĂšde
En suĂ©dois il n'existait pas de terme neutre ou fĂ©minin pour dĂ©signer le vagin alors que snopp Ă©tait utilisĂ© ainsi pour le pĂ©nis depuis les annĂ©es 1960. Dans les annĂ©es 1990 les mĂ©dias suĂ©dois font remarquer l'absence d'un tel mot. Au dĂ©but des annĂ©es 2000 l'emploi du mot snippa.est encouragĂ© par les autoritĂ©s linguistiques et les mouvements fĂ©ministes, et il entre dans le dictionnaire de lâAcadĂ©mie suĂ©doise en 2006. L'Association suĂ©doise pour l'Ă©ducation sexuelle a encouragĂ© l'usage du mot slidkrans pour remplacer mödomshinna, « hymen » (traduit littĂ©ralement, « membrane de virginitĂ© »). Le mot de remplacement se compose de deux parties : slid, « vaginale » et krans « couronne ». La volontĂ© avec ce nĂ©ologisme Ă©tant d'effacer le lien entre l'hymen et la virginitĂ©[1]. En SuĂšde, le pronom neutre hen a connu une utilisation accrue pour dĂ©signer une personne de genre neutre ou non-bunaire. Le pronom entre dans le dictionnaire en 2015[1].
En Suisse
Le problĂšme de la terminologie prĂ©fĂ©rentiellement masculine dans les textes, dont le caractĂšre discriminant avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© Ă©voquĂ© sous l'influence du fĂ©minisme, est abordĂ©e officiellement aprĂšs l'inscription dans la constitution en 1981 de lâĂ©galitĂ© des droits entre hommes et femme. Un rapport sur le programme lĂ©gislatif « ĂgalitĂ© des droits entre hommes et femmes » recommande en 1986 d'utiliser des termes neutres dans les textes lĂ©gislatifs traitant de charges et fonctions ou de prĂ©ciser les noms de charges et de fonctions aussi bien au fĂ©minin qu'au masculin. En 1991, un groupe de travail interdĂ©partemental publie un rapport final applicable aux trois langues officielles suisses, allemand, français et italien : « La formulation non sexiste des textes lĂ©gislatifs et administratifs ». Pour mettre en Ćuvre ces recommandations, la section allemande des services linguistiques de la Chancellerie fĂ©dĂ©rale publie en 1996 un guide de fĂ©minisation trĂšs complet[8]. En 1995, la Suisse adopte un texte portant sur lâĂ©galitĂ© des droits entre hommes et femme dans sa constitution. D'autres rapports de recommandation similaires sont ensuite publiĂ©s en 1996[9], en 2000[10], et plus rĂ©cemment en 2007 avec la loi fĂ©dĂ©rale sur les langues nationales et la comprĂ©hension entre les communautĂ©s linguistiques qui exige des autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales quâelles tiennent compte de la formulation non sexiste[11] - [8].
Dans un numĂ©ro du Bulletin suisse de linguistique appliquĂ©e publiĂ© en 2000, Marinette Matthey s'appuie sur les progrĂšs rĂ©alisĂ©s en Suisse francophone en matiĂšre de fĂ©minisation de la langue pour opposer une argumentation aux thĂšses qui soutiennent que la langue française est contrainte linguistiquement, de par sa construction mĂȘme, Ă ĂȘtre difficilement fĂ©minisable. Elle avance que ces spĂ©cificitĂ©s ne sont pas suffisante pour expliquer le retard de la France en la matiĂšre et Ă©voque plutĂŽt le dĂ©sengagement des pouvoirs publics et un certain conservatisme vis-Ă -vis de cette langue : « faut-il invoquer l'assimilation langue-nation et le sentiment de propriĂ©taires que bien des Français ressentent envers le français pour expliquer la rigiditĂ© normative de l'Hexagone ? »[12].
L'allemand est la langue la plus parlĂ©e en Suisse (63,7 % de la population parlaient allemand ou suisse-allemand en 2017)[13]. La plupart des mots, dont notamment les substantifs dĂ©signant des professions, sont masculins. Des activistes avancent l'idĂ©e que cet aspect linguistique a des rĂ©percussions sociĂ©tales sur les femmes : celles-ci seraient dĂ©couragĂ©es Ă l'idĂ©e d'exercer certaines professions. Ce dĂ©bat autour de la question de l'aspect linguistique revĂȘt une importance particuliĂšre en Suisse. Du fait de la rĂ©daction de l'article 4 de la Constitution, employant un masculin pluriel dĂ©crit comme neutre, des Suissesses ont jouĂ© sur l'argument pour tenter d'obtenir le droit de vote, ce qui leur a Ă©tĂ© refusĂ© Ă plusieurs reprises pendant un siĂšcle, et jusqu'en 1990, le Tribunal jugeant Ă l'inverse que « les citoyens suisses » ne dĂ©signait que les hommes[14].
Le débat autour de l'écriture inclusive et de la féminisation de la langue a débuté dans les milieux universitaires dans les années 1980. Ces questionnements autour de la langue se sont ensuite développés dans la société dans les années 1990. L'ouvrage de Luise F. Pusch, Das Deutsche als MÀnnersprache (« La langue allemande comme langue masculine »), paru en 1984, symbolise l'éclosion du débat autour de la linguistique féministe[15].
La deuxiÚme langue la plus parlée en Suisse est le français. Tout comme l'allemand, la structure du français repose sur des genres grammaticaux. Cela soulÚve donc des préoccupations similaires à celles citées ci-dessus. Pour répondre à ces inquiétudes, le gouvernement suisse a publié un guide de formulation non sexiste.
Théorie
L'un des objectifs de la fĂ©minisation linguistique est « d'adapter la langue Ă l'accession des femmes Ă des fonctions de plus en plus diverses »[16]. MĂȘme dans les langues, comme l'anglais, qui ne se servent pas de genres grammaticaux, la fĂ©minisation linguistique est encore jugĂ©e nĂ©cessaire[17]. Par exemple, mĂȘme si un titre d'une profession n'a pas de genre grammatical, le mot peut encore faire rĂ©fĂ©rence Ă un genre lexical comme on le voit dans le cas du mot anglais policeman (traduit littĂ©ralement, « police + homme »).
La supĂ©rioritĂ© du genre masculin sur le genre fĂ©minin est une problĂ©matique soulevĂ©e par cette rĂ©forme linguistique. Les exemples sont nombreux : il suffit de la prĂ©sence d'un substantif masculin dans un Ă©noncĂ© pour que ce dernier soit accordĂ© au masculin, et ce, peu importe le nombre de substantifs fĂ©minins se trouvant dans l'Ă©noncĂ©. L'origine de cette rĂšgle grammaticale date du XVIIe siĂšcle et repose sur l'argument de la prĂ©pondĂ©rance du « genre le plus noble »[18]. Un autre exemple de la supĂ©rioritĂ© du genre masculin est l'utilisation du substantif « homme » pour dĂ©signer un ĂȘtre humain ou l'espĂšce humaine en gĂ©nĂ©ral. Ces termes tĂ©moignent de la dominance de la masculinitĂ© sur la fĂ©minitĂ©[17].
Le langage entretient des stĂ©rĂ©otypes sexistes et contribue Ă l'inĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes. L'exemple du rĂŽles de genre[19] est assez Ă©loquent. Certaines expressions, comme « femme ingĂ©nieur », l'illustrerait. Ces exemples ne sont pas uniquement propres Ă la langue française. En anglais, on trouve des expressions telles que male nurse (infirmier) oĂč l'on spĂ©cifie leur masculinitĂ© car le poste est plus frĂ©quemment occupĂ© par des femmes. La fĂ©minisation linguistique vise Ă Ă©liminer ces expressions parce qu'elles contribueraient aux normes sexistes des rĂŽles de genre.
Certains féministes contemporains, dont Sergio Bolaños Cuella, soutiennent qu'il faut renverser le statu quo et créer une forme féminine qui aurait une fonction générique[20].
Voir Ă©galement
Références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Feminist language reform » (voir la liste des auteurs).
- K. Milles, « Feminist Language Planning in Sweden », Current Issues in Language Planning, vol. 12, no 1,â , p. 21â33 (DOI 10.1080/14664208.2011.541388)
- Annabelle Martella, « En Suisse, la fĂ©minisation des noms de mĂ©tiers nâa pas fait dĂ©bat », La Croix,â (lire en ligne)
- (en) Anne Pauwels, « Language planning, language reform and the sexes in Australia3 », Australian Review of Applied Linguistics,â (DOI 10.1075/aralss.10.02pau)
- AcadĂ©mie Française, « La fĂ©minisation des noms de mĂ©tiers et de fonctions », AcadĂ©mie Française,â (lire en ligne)
- (en) Anne Pauwels, « Linguistic Sexism and Feminist Linguistic Activism », The Handbook and Language of Gender,â (DOI 10.1002/9780470756942.ch24).
- (en) Dennis Baron, Grammar and Gender, New Haven, CT, Yale University Press, , 249 p. (ISBN 978-0-300-03883-5, lire en ligne).
- (en) Anne Bodine, « Androcentrism in prescriptive grammar: singular âtheyâ, sex-indefinite âheâ, and âhe or sheâ », Language in Society,â (DOI 10.1017/s0047404500004607).
- Daniel Elmiger, « Féminisation de par la loi: la nouvelle «Loi sur les langues» suisse et la formulation non sexiste » [PDF],
- (de) Bundeskanzlei, « Leitfaden zur sprachlichen Gleichbehandlung im Deutschen », sur Der Bundesrat - Das Portal der Schweizer Regierung,
- Chancellerie Fédérale, « Guide de formulation non sexiste des textes administratifs et législatifs de la Confédération » [PDF],
- Confédération Suisse, « Loi fédérale sur les langues nationales et la compréhension entre les communautés linguistiques »,
- (en) Angelica Mucchi-Faina, « Visible or influential? Language reforms and gender (in)equality », Social Science Information, vol. 44,â , p. 10 (DOI 10.1177/0539018405050466).
- « La Suisse fédérale », sur www.axl.cefan.ulaval.ca (consulté le )
- Elizabeth Dawes, « La fĂ©minisation des titres et fonctions dans la Francophonie », Langue et culture,â , p. 195â213 (ISSN 1708-0401, lire en ligne)
- Quartier Libre, « Lâexpression du genre en allemand », sur Quartier Libre (consultĂ© le )
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- (en) Jennifer Saul et Esa Diaz-Leon, The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Metaphysics Research Lab, Stanford University, (lire en ligne)
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- (en) Eric E. Peterson, « Nonsexist Language Reform and "Political Correctness" », Women and Language, vol. 17, no 2,â (lire en ligne)
- (en) Sergio Bolaños CuĂ©llar, « Women's language: a struggle to overcome inequality », Forma y FunciĂłn,â (lire en ligne)