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Extraordinary rendition

Une rendition (qu'on peut traduire par « restitution »[1]) est le transfert d'un prisonnier d'un pays à un autre hors du cadre judiciaire, notamment hors des procédures normales d'extradition[2].

Ce terme a Ă©tĂ© mĂ©diatisĂ© dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », notamment Ă  propos d'opĂ©rations de la CIA de transport clandestin de prisonniers, parfois prĂ©cĂ©dĂ© d'un enlĂšvement. Ces transferts sont rĂ©guliĂšrement associĂ©s Ă  une sorte « d'externalisation » de la torture, les États-Unis faisant torturer des prisonniers dans des pays alliĂ©s tout en l'interdisant sur leur territoire.

Lorsque le sujet est d'abord enlevĂ© au cours d'une opĂ©ration clandestine avant d'ĂȘtre transfĂ©rĂ©, on parle d'extraordinary rendition[3].

Les personnes concernĂ©es sont parfois dĂ©tenues dans des prisons secrĂštes de la CIA hors du territoire des États-Unis (aussi appelĂ©es « black sites »).

Histoire

Des cas de transferts de prisonniers hors cadre judiciaire ont eu lieu avant que le terme de rendition ne soit en usage. Un des cas les plus célÚbres est celui de l'enlÚvement d'Adolf Eichmann en Argentine par les services secrets israéliens en 1960.

DĂ©buts

Dans les annĂ©es 1980, les États-Unis Ă©largissent l'autoritĂ© de leurs services fĂ©dĂ©raux Ă  l'extĂ©rieur de leur territoire pour poursuivre des terroristes ayant attaquĂ© des citoyens ou des biens amĂ©ricains. En , le FBI arrĂȘte dans les eaux internationales Fawaz Younis, accusĂ© d'avoir dĂ©tournĂ© un avion de ligne oĂč se trouvaient deux AmĂ©ricains, et l'amĂšne aux États-Unis oĂč il est jugĂ© et condamnĂ©[4].

En 1990, le prĂ©sident Bush approuve l'enlĂšvement de Humberto Álvarez MachaĂ­n Ă  Mexico par des mercenaires mexicains et son transfert aux États-Unis. Álvarez MachaĂ­n Ă©tait recherchĂ© pour sa participation Ă  la torture et au meurtre d'un agent de la DEA, Enrique Camarena[3].

La rendition comme outil usuel contre le terrorisme

Dans les annĂ©es 1990, les États-Unis commencent Ă  utiliser la rendition de maniĂšre frĂ©quente dans la lutte contre le terrorisme. Ramzi Yousef et Mir Aimal Kansi sont ainsi transfĂ©rĂ©s sans procĂ©dure judiciaire du Pakistan aux États-Unis pour y ĂȘtre jugĂ©s, en 1995 et 1997 respectivement.

En 1995, l'administration Clinton formalise l'utilisation de cette technique comme un de ses outils de lutte contre le terrorisme par la Presidential Decision Directive 39[5].

Plusieurs dizaines de renditions de terroristes présumés ont eu lieu avant le [6]. Le Centre anti-terroriste de la CIA (en) (Counterterrorism Center - CTC) crée une branche dédiée, la Renditions Branch, en 1997[7]. Cette branche est par la suite renommée Renditions Group[8].

En 1997, la CIA collabore avec divers services secrets Ă©trangers pour briser des mouvements islamistes Ă©gyptiens. La CIA transfĂšre des Égyptiens fugitifs de pays comme l'Albanie ou l'AzerbaĂŻdjan Ă  l'Égypte[9].

La rendition aprĂšs le 11 septembre 2001

L'utilisation de la rendition s'intensifie dans le cadre de l'action anti-terroriste postĂ©rieure aux attentats du 11 septembre 2001. La procĂ©dure est alors utilisĂ©e par l'administration Bush comme moyen de dĂ©localiser et de sous-traiter la torture[10]. Un rapport de l'Open Society Foundation de 2013 indique que 54 pays ont participĂ© Ă  ce programme[10]. « En 2007, une rĂ©solution du Parlement EuropĂ©en Ă©voque le nombre impressionnant de 1 245 vols effectuĂ©s par la CIA dans l’espace aĂ©rien europĂ©en pour dĂ©placer des personnes vers des pays tiers comme l’Égypte et la Syrie, oĂč elles n’étaient dĂ©tenues, sans aucune garantie juridique et pour une durĂ©e potentiellement illimitĂ©e, que pour ĂȘtre torturĂ©es et contraintes Ă  avouer des informations considĂ©rĂ©es comme cruciales dans la lutte contre le terrorisme[10].»

Les États-Unis sont accusĂ©s d'avoir pratiquĂ© la rendition sur au moins 250 personnes depuis 2001, dont :

  • Khaled El-Masri, citoyen allemand d'origine libanaise, homonyme d'un Égyptien recherchĂ© pour terrorisme ;
  • Maher Arar, Canadien d'origine syrienne, qui dit avoir Ă©tĂ© apprĂ©hendĂ© le ;
  • deux citoyens suĂ©dois d'origine Ă©gyptienne enlevĂ©s Ă  l'aĂ©roport de Stockholm en dĂ©cembre 2001 ;
  • Mamdouh Habid (en), un Australien d'origine Ă©gyptienne, enlevĂ© au Pakistan en octobre 2001 ;
  • Hassan Moustapha Ossama Nasr, aussi appelĂ© Abou Omar, soupçonnĂ© d'avoir Ă©tĂ© actif dans les milieux islamistes en Afghanistan et en Bosnie-HerzĂ©govine, jusqu'en 1997 oĂč il a eu le statut de rĂ©fugiĂ© politique. Il a Ă©tĂ© enlevĂ© en Italie le et a Ă©tĂ© envoyĂ© en Égypte en . Dans cette affaire, le , un magistrat italien a demandĂ© l'arrestation de 13 personnes, dont un ancien consul des États-Unis Ă  Milan, pour enlĂšvement. Selon le quotidien New York Times qui cite un enquĂȘteur italien, le gouvernement italien aurait pu ĂȘtre mis au courant de l'enlĂšvement, de maniĂšre Ă  ne pas intervenir[11]. D'aprĂšs le Chicago Tribune, l’ancien agent italien Stefano D'Ambrosio, a dit aux procureurs qu’il a Ă©tĂ© informĂ© dans des termes explicites par des agents de la CIA qu’une opĂ©ration conjointe pour kidnapper Abou Omar Ă©tait encouragĂ©e et attribuĂ©e par le chef de la station de la CIA Ă  Rome[12].

Témoignages et éléments concordants

De nombreux Ă©lĂ©ments viennent confirmer ces activitĂ©s ; un recoupement de tĂ©moignages[13] a Ă©tĂ© effectuĂ© avec les plans de vol d'avions appartenant Ă  des sociĂ©tĂ©s n'ayant aucune activitĂ© Ă©conomique telle que la Premier Executive Transport Services Inc. (dont le sigle Pets signifie « animaux de compagnie »), la Bayard Foreign Marketing of Portland et la Keeler and Tate Management qui sont accusĂ©es d'ĂȘtre des sociĂ©tĂ©s Ă©cran de la CIA[14]. Des entreprises commerciales rĂ©elles tels Vision Airlines sont Ă©galement prestataires de services pour la CIA.

Plusieurs journaux américains ont également obtenu des témoignages d'anciens membres des services secrets, ou de membres actuels sous anonymat. De nombreuses associations de défense des Droits de l'homme dénoncent ces pratiques, comme l'Association des avocats new-yorkais[15] ou Human Rights Watch.

ArrĂȘts de la CEDH

À deux reprises, la Cour europĂ©enne des droits de l'homme (CEDH) a dĂ©clarĂ© cette procĂ©dure illĂ©gale[10]. Le premier arrĂȘt concerne Khaled El-Masri (El-Masri c. l’Ex-RĂ©publique Yougoslave de MacĂ©doine, 13 dĂ©c. 2012), affaire qui concerne « une dĂ©tention secrĂšte de cinq mois, accompagnĂ©e de mauvais traitements confinant Ă  la torture, subie par un homme prĂ©sentĂ© Ă  tort comme terroriste. Ceci, dans le cadre d’une « restitution extraordinaire » ou « remise extrajudiciaire secrĂšte » Ă  la CIA [16].» Selon la CEDH, la restitution extraordinaire dĂ©signe le « transfert extrajudiciaire d’une personne de la juridiction ou du territoire d’un État Ă  ceux d’un autre État, Ă  des fins de dĂ©tention et d’interrogatoire en dehors du systĂšme juridique ordinaire » (§ 221 citant Cour EDH, 4e Sect. Dec. , Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 24027/07, § 114 – ADL du ). Or cette « mesure impliqu[e] un risque rĂ©el de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dĂ©gradants » (§ 221) [16].


Notes et références

  1. Plusieurs traductions ont été proposées pour extraordinary rendition :
    • remise extraordinaire ()
    • dĂ©portation extraordinaire ()
    • transfĂšrement exceptionnel (RFI)
  2. (en) Daniel Benjamin, « 5 Myths About Rendition (and That New Movie) », The Washington Post,‎ (lire en ligne) :
    « In fact, the term "rendition" in the counterterrorism context means nothing more than moving someone from one country to another, outside the formal process of extradition »
  3. Daniel Benjamin, « 5 Myths About Rendition (and That New Movie) »
  4. A Byte Out of History, site du FBI
  5. Presidential Decision Directive 39. « Return of suspects by force may be effected without the cooperation of the host government, consistent with the procedures outlined in NSD-77, which shall remain in effect. ». La National security directive 77 (NSD-77) citée date de 1993 (administration Bush) et est toujours classifiée
  6. sur http://www.historycommons.org/
  7. Final Report of the National Commission on Terrorist Attacks Upon the United States p.276
  8. (en) SSCI & HPSCI, Report of the joint inquiry into the terrorist attacks of september 11, 2001 (rapport d'enquĂȘtes sur les attentats), 2002, (ISBN 978-1-4142-5830-0), appendice Counterterrorism Organizations With The Intelligence Community (As of December 31, 2002) p. 2
  9. (en) Steve Coll, Ghost Wars : The Secret History of the CIA, Afghanistan, and bin Laden, from the Soviet Invasion to September 10, 2001, New York, Penguin, , 695 p. (ISBN 1-59420-007-6 et 978-1-59420-007-6, lire en ligne), p. 376-377, 625 note 7
  10. Matteo M. Winkler, « Une autre guerre », La Vie des idées, 30 juin 2016. (ISSN 2105-3030).
  11. Le Monde,
  12. Santa Barbara News-Press
  13. Libération n°7418,
  14. Newsweek, 1re semaine de mars
  15. Torture by proxy : International and domestic laws applicable to « extraordinary renditions », Scott Horton, Association des avocats new-yorkais
  16. Nicolas Hervieu, Les dĂ©tentions secrĂštes de la CIA et les « restitutions extraordinaires » sous l’accablant regard europĂ©en (CEDH, G.C 13 dĂ©cembre 2012, El-Masri c. l’Ex-RĂ©publique Yougoslave de MacĂ©doine), Combats droits de l'homme, sur Le Monde, 28 dĂ©cembre 2012

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