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Expérience de la goutte d'huile de Millikan

L’expĂ©rience de la goutte d’huile, rĂ©alisĂ©e par Millikan (universitĂ© de Chicago) au dĂ©but du XXe siĂšcle, consiste Ă  pulvĂ©riser de minuscules gouttes d’huile Ă©lectrisĂ©es entre les deux Ă©lectrodes horizontales d'un condensateur plan chargĂ©. Les minuscules gouttes subissent plusieurs forces qui s'Ă©quilibrent rapidement et font que chaque goutte se dĂ©place Ă  vitesse constante, mesurable avec une lunette de visĂ©e et un chronomĂštre.

Dispositif de Millikan pour l'expérience.

L'expérience consiste à sélectionner une gouttelette et à analyser son mouvement sous l'action des forces agissant sur elle à différentes valeurs d'ionisation :

  • son poids vers le bas qui est constant ;
  • la poussĂ©e d’ArchimĂšde, constante et vers le haut, due Ă  l'air entre les deux Ă©lectrodes ;
  • la force Ă©lectrostatique vers le haut proportionnelle Ă  sa charge Ă©lectrique, et qui est proportionnelle au champ et constante dans un champ uniforme ;
  • la rĂ©sultante de ces trois forces est donc constante et est trĂšs rapidement compensĂ©e par le frottement avec l’air ce qui conduit Ă  observer un mouvement de la gouttelette Ă  vitesse limite constante puisque la somme des forces agissantes est nulle.

Au cours de l'expĂ©rience, Millikan dĂ©termine la vitesse d'une gouttelette d'huile ionisĂ©e par irradiation par rayons X, en Ă©valuant le rapport de la distance parcourue sur la durĂ©e mise pour la parcourir. Il en dĂ©duit ensuite les charges des gouttes et constate qu'elles sont toutes multiples entiĂšres d'une charge de valeur 1,592 Ă— 10−19 C, constante que l’on connaĂźt aujourd’hui sous le nom de charge Ă©lĂ©mentaire (avec une valeur mise Ă  jour lĂ©gĂšrement diffĂ©rente : e = 1,602 176 634 Ă— 10−19 C et que l’on note traditionnellement e ; cette expĂ©rience s'est avĂ©rĂ©e ĂȘtre la premiĂšre preuve de la quantification de la charge Ă©lectrique qui est strictement toujours un multiple entier positif ou nĂ©gatif de cette valeur fondamentale e.

Cette expérience et ses conclusions sur la quantification des charges valurent à Millikan le prix Nobel de physique en 1923.

Mise en Ɠuvre

Si un pulvĂ©risateur d'huile fait tomber lentement des gouttelettes d'huile Ă©lectrisĂ©es dans un espace oĂč rĂšgne un champ Ă©lectrostatique uniforme, on constate que la vitesse de chute serait brusquement modifiĂ©e, ce qui manifesterait l'entrĂ©e en jeu d'une force Ă  partir de laquelle Millikan mesura la valeur de la charge Ă©lĂ©mentaire : e=1,6017×10−19 coulomb.

Commentaires de Millikan

Extrait de son exposé de réception de prix Nobel en 1923, Millikan conclut[1] :

Il fut possible de dĂ©charger une gouttelette complĂštement de façon qu'elle parcoure un centimĂštre sous l'effet de la gravitation seule ou sous un champ de 6 000 volts/cm avec exactement le mĂȘme temps.
Il fut possible de charger la gouttelette et de reproduire l'expérience à volonté avec à chaque fois une vitesse minimum identique pour un champ fixé.
Exactement deux fois cette vitesse, trois fois, quatre fois, etc., bref un nombre entier de la vitesse limite minimum et jamais un nombre fractionnaire.
Ainsi, dans cette expérience, une gouttelette insensible au champ électrique est à l'évidence non chargée et si on l'ionise avec un rayonnement elle se déplace dans un champ fixe et uniforme à des vitesses quantifiées , , ... (aprÚs correction de , vitesse de chute sans champ électrique dans le champ gravitationnel et en tenant compte de la poussée d'ArchimÚde).
Ceci dĂ©montre expĂ©rimentalement et de façon Ă©clatante par la simplicitĂ© du dispositif que la charge de la gouttelette ne peut ĂȘtre qu'un nombre entier de la charge Ă©lĂ©mentaire coulomb.

Théorie

Dans le cas d’une modĂ©lisation simple, une gouttelette d’huile est soumise Ă  quatre forces :

  1. son poids : avec r rayon de la gouttelette, ρh la masse volumique de l’huile et g l’accĂ©lĂ©ration de la pesanteur ;
  2. la force Ă©lectrostatique : avec q la charge de la gouttelette et E le champ entre les Ă©lectrodes ;
  3. la poussĂ©e d'ArchimĂšde : avec ρa la masse volumique de l’air ;
  4. la force de traĂźnĂ©e (rĂ©sistance de l’air) dont l'expression la plus simple est probablement la loi de Stokes : avec η coefficient de viscositĂ© de l’air et v vitesse de la gouttelette. Les modĂ©lisations plus poussĂ©es de cette expĂ©rience utilisent souvent d'autres formules.

Le principe fondamental de la dynamique en projection sur un axe vertical s'Ă©crit donc :

En supposant une vitesse initiale nulle, la solution de l'Ă©quation donne :

On pose constante de temps. Celle-ci a un ordre de grandeur trÚs faible donc on peut admettre que le régime permanent est atteint de façon instantanée.

Autrement dit, la gouttelette atteint trÚs vite une vitesse limite ne dépendant plus du temps qui a pour valeur :

Soit la vitesse en champ nul. On peut alors réécrire

Exploitation

On peut mesurer la charge de la gouttelette par différentes méthodes.

MĂ©thode de l'Ă©quilibre

Dans cette méthode, la mesure se fait en deux étapes.

  1. On annule la tension aux bornes du condensateur. Le champ Ă©lectrique E est alors nul, et on mesure la vitesse limite de la goutte. Cette vitesse permet de remonter au rayon inconnu de la goutte :
  2. On fait varier le champ électrique jusqu'à ce que la goutte soit immobilisée. Le champ correspondant à l'équilibre des forces permet de remonter à la charge de la goutte :

En pratique, l'équilibre des forces est difficile à observer en raison du mouvement brownien qui agite la goutte d'huile. Puisque ce mouvement est surtout sensible à basse vitesse, il est plus intéressant de travailler à vitesse importante, ce qui est le cas de la méthode ci-dessous.

MĂ©thode Ă  champ constant

Dans cette méthode, on garde l'amplitude du champ constant et on alterne la polarité du condensateur de sorte que la force électrique soit dirigée vers le haut puis vers le bas.

  1. Force Ă©lectrique vers le haut (vitesse ):

(1)

  1. Force Ă©lectrique vers le bas (vitesse ):

(2)

donc en soustrayant 1 Ă  2



or


donc


On a aussi en additionnant 1 et 2



donc

L'expérience de Millikan et rigueur scientifique

Millikan avait trouvĂ© une valeur de e infĂ©rieure Ă  celle que l’on connaĂźt aujourd’hui. Plus d’une vingtaine d’annĂ©es aprĂšs son expĂ©rience, on a pu comprendre qu’il avait utilisĂ© une mauvaise valeur de la viscositĂ© de l’air. Il avait en effet utilisĂ© un rĂ©sultat qu’il avait fait calculer Ă  un de ses Ă©tudiants. Mais entretemps, de nombreux scientifiques qui avaient refait l’expĂ©rience de Millikan s’étonnaient de se trouver aussi dĂ©calĂ©s et ont, semble-t-il, manipulĂ© un peu leurs rĂ©sultats pour s’approcher de la valeur de Millikan. Ce discours de Richard Feynman lors d’un discours de remise de diplĂŽmes Ă  Caltech en 1974 explique le phĂ©nomĂšne :

« Nous avons beaucoup appris par expĂ©rience personnelle sur les façons par lesquelles on peut s’induire en erreur. Un exemple : Millikan mesura la charge de l’électron Ă  l’aide d’une expĂ©rience faite avec des gouttes d’huile et obtint un chiffre que nous savons aujourd’hui ne pas ĂȘtre complĂštement exact. La valeur Ă©tait un peu dĂ©calĂ©e parce qu’il utilisait une valeur incorrecte de viscositĂ© de l'air. Il est Ă©difiant d’examiner les rĂ©sultats qui ont suivi Millikan. Si on trace les valeurs obtenues en fonction de la date Ă  laquelle elles ont Ă©tĂ© trouvĂ©es, on se rend compte que l’expĂ©rience suivant celle de Millikan donne une valeur lĂ©gĂšrement supĂ©rieure Ă  celle que Millikan avait trouvĂ©, et que celle qui suit donne une valeur encore lĂ©gĂšrement supĂ©rieure, jusqu’à ce qu’on arrive progressivement Ă  une valeur trĂšs supĂ©rieure.

Mais pourquoi n’ont-ils pas trouvĂ© la bonne valeur dĂšs le dĂ©but ? Les scientifiques ont honte des dessous de cette histoire car il semblerait que les choses se soient passĂ©es ainsi : lorsqu’ils obtenaient une valeur bien plus Ă©levĂ©e que celle de Millikan, ils se disaient qu’il devait y avoir une erreur et essayaient de comprendre ce qui avait pu mal tourner. Et lorsqu’ils trouvaient une valeur proche de celle de Millikan, ils ne se posaient pas de questions. Ils ont ainsi Ă©liminĂ© les valeurs trop dĂ©calĂ©es. Nous connaissons ces petites combines de nos jours et nous nous savons immunisĂ©s Ă  ça[2] - [3]. »

Notes et références

  1. Robert A. Millikan, Conférence du prix Nobel, 23 mai 1924, p.58: The results of those changes in charge in a constant field ...were...
  2. (en)Feynman, Richard, "Cargo Cult Science" (adapted from 1974 California Institute of Technology commencement address), Donald Simanek's Pages, Lock Haven University, rev. August 2008.
  3. Richard Phillips Feynman, Ralph Leighton et Edward Hutchings, "Surely you're joking, Mr. Feynman!" : adventures of a curious character, New York, W. W. Norton & Company, , 350 p. (ISBN 978-0-393-31604-9, lire en ligne), p. 342

Sources

Lien externe

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