Eurodollars
Les eurodollars étaient des dépôts financiers effectués en dollars américains dans des banques situées en dehors des États-Unis. Principalement placés dans les banques de la City de Londres, ces dollars y étaient placés afin d'éviter l'imposition qui frappe les profits entrant sur le territoire des États-Unis, ainsi que pour éviter de tomber sous le coup du droit américain. Les eurodollars ont eu cours à partir des années 1950 et se sont surtout développés dans les années 1970 après le premier choc pétrolier.
Concept
L'emballement pour les placements en eurodollars naît du déficit commercial des États-Unis qui devient effectif peu avant 1970. Mécaniquement, les importations américaines payées en dollars aux pays européens provoquent un transfert de dollars des entreprises américaines aux comptes en banque des entreprises européennes. Les pays qui détiennent des dollars américains inondent alors les marchés financiers européens de cette devise[1]. Les banques commerciales européennes voient les dépôts libellés en dollar se multiplier. Le phénomène s'emballe du fait dès la fin 1973, des chocs pétroliers conséquents, qui, en faisant exploser le prix du pétrole, provoquent un influx de dollars dans les pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole. Ils placent alors des dollars dans les banques européennes[2].
Le système de l'eurodollar a eu plusieurs utilités. Premièrement, les banques européennes ont pu se servir de ces nouvelles réserves en dollar pour payer des banques étasuniennes lorsqu'elles avaient obtenu des avances d'elles dans le cadre du fonctionnement régulier du marché interbancaire. Ensuite, les eurodollars stockés dans les coffres des banques européennes ont servi à ces dernières à financer des multinationales ou des banques d'investissement qui avaient besoin de dollars. Enfin, les eurodollars permettaient aux banques européennes, via des accords de swap, d'échanger des dollars contre des devises locales plus rares lorsqu'elles en avaient besoin[2].
Ainsi, des pays en développement qui découvraient des gisements pétroliers, comme le Mexique, le Venezuela, l'Indonésie ou le Nigeria, ont pu obtenir des eurodollars pour financer les prospections et les extractions. D'une manière plus globale, les eurodollars ont permis à des États de garantir une stabilité financière. En effet, certains pays européens avaient besoin d'attirer des capitaux étrangers pour lutter contre les sorties de capitaux qui mettaient en danger le Serpent monétaire européen[3].
Le système des eurodollars a été notamment utilisé par l'Union des républiques socialistes soviétiques pendant la Guerre froide afin de réutiliser des dollars américains qu'elle avait obtenus. Ils passent notamment par la City à Londres et par la Banque commerciale pour l'Europe du Nord à Paris[4].
Il est à noter que les prêts d'eurodollars par les banques ne génèrent pas d'inflation. En effet, étant basés la possession de dollars existant préalablement, ils ne provoquent pas une expansion de la masse monétaire[5]. Aussi, les eurodollars ne constituent-ils pas une devise à part entière, mais sont appelés ainsi en référence à leur origine (le dollar américain) et à leur lieu de placement (l'Europe)[6].
Histoire
Les dépenses publiques américaines gonflent dès le début des années 1960. Le déficit de la balance commerciale devient effectif une première fois en 1968, du jamais vu depuis 1935. Ce déficit deviendra chronique à partir de 1976. La guerre du Viêt Nam, qui dure plus longtemps que prévu, provoque un emballement budgétaire et des tensions inflationnistes, au même moment où le dollar glut rend impossible pour le pays d'assurer la libre convertibilité du dollar en or. Le président des États-Unis Richard Nixon décide donc de suspendre les accords de Bretton Woods en août 1971. Pénalisés par une baisse de leurs recettes, libellées en dollars, et en réaction à la guerre du Kippour, les pays producteurs de pétrole provoquent fin 1973 une augmentation brutale des prix du baril de pétrole par une baisse de la production. Le baril passe de 1,9 dollar à 9,76 dollars : c'est le premier choc pétrolier[3].
Cette nouvelle donne permet la mise en place du système de pétrodollar, par lequel les États-Unis, exigeant des pays exportateurs de pétrole que tous les contrats pétroliers soient libellés en dollars, créent un circuit macroéconomique qui transforme ses déficits commerciaux en des réserves de dollars au sein des pays de l'OPEP, qui eux-mêmes les réinvestissent aux États-Unis[7].
Seulement, une partie des dollars ne sont pas réinvestis dans l'économie américaine. Ces dollars, qui sont déposés dans les banques européennes, sont appelés eurodollars. Ils financent les marchés financiers européens. Entre 1970 et 1982, le montant des dépôts bancaires en dollars effectués par des non-Américains a été multiplié par 40, pour atteindre 2 000 milliards de dollars[8].
En décembre 1985, le marché de l'euromonnaie était estimé par J.P. Morgan & Co. comme ayant une valeur totale nette de 1 668 milliards de dollars, dont 75 % d'eurodollars[9]. Cependant, comme les marchés ne sont responsables devant aucun organisme gouvernemental, sa croissance est difficile à estimer. Le marché des eurodollars est à cette époque la plus grande source de financement mondial. En 1997, près de 90 % de tous les prêts internationaux ont été accordés de cette façon[10].
Références
- (en) Paolo Savona et George Sutija, Eurodollars and International Banking, Springer, (ISBN 978-1-349-07120-3, lire en ligne).
- (en) Suk H. Kim et Seung H. Kim, Global Corporate Finance: Text and Cases, John Wiley & Sons, (ISBN 978-1-4051-5224-2, lire en ligne)
- George Soros, La crise du capitalisme mondial, Plon, p. 159.
- Bruno Fuligni (dir.), Dans les archives inédites des services secrets, Paris, Folio, (ISBN 978-2070448371)
- (en) Federal Reserve Bank of St Louis, Review, The Bank, (lire en ligne)
- Max Crochat, Le Marché des eurodevises, Éditions de l'Épargne, (lire en ligne)
- Ali Laïdi, Les États en guerre économique, Éditions du Seuil, (ISBN 978-2-02-102638-2, lire en ligne).
- Dominique Barjot (dir.) et Christophe Réveillard (dir.), L'Américanisation de l'Europe occidentale au XXe siècle : mythe et réalité, Université Paris-Sorbonne, , p. 149.
- (en) Harold G. Vatter and John F. Walker (ed.), History of the U.S. Economy since World War II, Sharpe, 1996.
- (en) Nicholas Shaxson, Treasure Islands, London, The Bodley Head, (ISBN 978-1-84792-110-9)