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Embusqué

Un embusqué est, en France pendant la Première Guerre mondiale, un homme valide en âge d’être mobilisé éloigné des postes de combat.

L'ensemble des embusqués englobe des catégories variées : les exemptés et ajournés pour raison de santé sauf les infirmes évidemment inaptes, les militaires de l’arrière, les hommes des services auxiliaires et de l’armée territoriale, les ouvriers affectés aux industries d’armement, les sursitaires fonctionnaires. Préservés du danger, les embusqués étaient généralement méprisés et, en même temps, souvent enviés. Diverses mesures destinées à instaurer l’égalité de l’impôt du sang et à récupérer des effectifs pour le front furent prises au cours de la guerre. La haine des combattants et d'une grande partie des civils de l'arrière à l'égard des embusqués, l’embuscomanie, déclina à partir de 1917.

Blessé par un porte-plume. Le Pêle-Mèle du 2 janvier 1916

Étymologie et signification

Embusqué du verbe embusquer vient de l’italien imboscare caché dans un bois (bosco = bois) et signifie se cacher dans un lieu pour surprendre le gibier et par extension l’action de se poster pour attaquer l’ennemi. Dans ce sens resté en usage l’embusqué, celui qui tend une embuscade, est un combattant astucieux. Par une inversion, l’embusqué désigne également depuis le milieu du XIXe siècle celui qui fuit le danger. Embusqué était avant 1914 un mot d’argot de caserne dont l’emploi s’est généralisé pendant la guerre. Au cours de la Grande guerre, l’embusqué désigne le non-combattant qui, généralement, se cache peu. En effet, contrairement au déserteur, à l’insoumis hors la loi qui reste dans la clandestinité pour échapper aux forces de l’ordre et éviter ainsi les sanctions pénales, l’embusqué, sauf dans le cas exceptionnel de manœuvres frauduleuses, est dans une situation légale. Victor Dalbiez auteur de la loi d’avril 1915 de désembuscation définit les embusqués comme « ceux qui par habilité personnelle, par relations ou par le hasard, ont obtenu, depuis le jour de la mobilisation, des emplois, des travaux pour lesquels ne les désignaient ni leur affectation régulière, ni leur profession, ni même pour certains leurs aptitudes »[1]. Cette définition imprécise qui permet des interprétations variées extensives ou restrictives ne concerne pas les déserteurs. Outre débusquer anciennement utilisé, le mot a connu de nombreuses dérivations, embusquage, débusquage, rembusquer (après s’être fait débusquer), désembuscation, embuscomanie, embuscophobie, l’embuskéol (un médicament pour se faire débusquer) etc[1].

Catégories d’embusqués

Si les insoumis sont peu nombreux à la mobilisation (1,5 %) et les déserteurs qui s’échappent du front ou qui ne reviennent pas de permissions très minoritaires (bien qu’aucune évaluation n’ait été proposée par les historiens) et peu visibles, les embusqués tels qu’ils sont perçus par les soldats du front forment une part importante de l’ensemble des hommes en âge de combattre.

Les embusqués peuvent être classés dans les catégories suivantes.

D’après leur situation militaire ou leur affectation

  • Les hommes exclus du service armĂ© pour raison de santĂ© ou infirmitĂ©, soit provisoirement, les ajournĂ©s soumis Ă  des examen annuels au terme desquels ils sont exemptĂ©s ou versĂ©s dans l’armĂ©e, soit dĂ©finitivement, les exemptĂ©s dispensĂ©s d’obligation militaire et les rĂ©formĂ©s invalides Ă  la suite d'opĂ©rations de campagne, sont considĂ©rĂ©s par beaucoup de combattants comme des imposteurs qui se sont inventĂ©s des infirmitĂ©s, au moins pour une partie d’entre eux[2]. Leur nombre qui s’élevait Ă  près de 3 000 000 (2 692 000 cas examinĂ©s auxquels il faut ajouter les dispenses de visites pour les infirmitĂ©s graves) fut rĂ©duit de moitiĂ© par les rĂ©cupĂ©rations de 1 455 000 hommes Ă  la suite des examens mĂ©dicaux effectuĂ©s au cours de la guerre[3]. Ce nombre relativement Ă©levĂ© s’explique par un Ă©tat de santĂ© en moyenne assez mauvais en 1914 si on le compare Ă  celui du XXIe siècle. Bien qu’en voie d’amĂ©lioration lente depuis un siècle, les classes populaires souffraient de conditions de vie difficiles (longueur des journĂ©es de travail, alimentation peu variĂ©e) et se soignaient mal en l'absence de couverture d'assurance maladie gĂ©nĂ©ralisĂ©e.
  • Les sursitaires en position de sursis d’appel : hommes mobilisables dont les emplois sont considĂ©rĂ©s utiles Ă  la DĂ©fense, ce qui concerne des professions diverses de l’industrie, du commerce, de l’agriculture au nombre de l’ordre de 100 000 Ă  150 000 et de la fonction publique soit environ 400 000 fonctionnaires[4].
  • Les ouvriers des usines d’armement rĂ©quisitionnĂ©s parmi les mobilisĂ©s dans les mois qui suivirent la paralysie Ă©conomique causĂ©e par la mobilisation gĂ©nĂ©rale d’aoĂ»t 1914. La loi Dalbiez du 17 aoĂ»t 1915 leur donne un statut d’affectĂ© spĂ©cial. Les affectĂ©s spĂ©ciaux bĂ©nĂ©ficient de l’ensemble de la lĂ©gislation ouvrière mais sont soumis aux règlements de police applicables aux militaires mobilisĂ©s et restent Ă  la disposition du ministre de la guerre qui peut les renvoyer au front. Leur nombre est d’environ 500 000[5].
  • Les militaires de l’arrière dans les dĂ©pĂ´ts et les services auxiliaires. Au , sur 4 889 000 mobilisĂ©s, 2 031 990 Ă©taient dans la zone de l’intĂ©rieur dont 1 481 207 dans les dĂ©pĂ´ts. Les dĂ©pĂ´ts ont pour but d’assurer des rĂ©serves aux armĂ©es de l’avant. Ces casernes de l’intĂ©rieur comprennent des camps d’instruction en pĂ©riphĂ©rie de la ville pour la formation des nouvelles recrues. Ils comprennent des blessĂ©s de retour de convalescence et des hommes en attente de dĂ©part. Des listes de dĂ©part sont Ă©tablies par critères de prioritĂ©, d’abord ceux qui sont dĂ©jĂ  allĂ©s sur le front, les blessĂ©s qui ont payĂ© l’impĂ´t du sang placĂ©s en fin de liste, ensuite la situation de famille (nombre d’enfants) et l’âge. Ceux qui sont en tĂŞte de liste sont les jeunes cĂ©libataires n’ayant jamais Ă©tĂ© au feu[6]. Les dĂ©pĂ´ts comprennent de nombreux emplois permanents : personnels d’entretien, secrĂ©taires, comptables, officiers et sous-officiers instructeurs Ă©valuĂ©s Ă  251 000 en aoĂ»t 1916. Les services auxiliaires emploient les hommes, non exemptĂ©s, atteints d’une infirmitĂ© relative qui les exclut du service armĂ©. Ces hommes sont pour beaucoup affectĂ©s dans des services sĂ©dentaires proches de leur domicile oĂą ils peuvent loger et ils sont autorisĂ©s Ă  continuer leur activitĂ© professionnelle sur leur temps libre[7].
  • Les militaires non exposĂ©s au feu. Pour les combattants de première ligne, les embusquĂ©s, ne sont pas seulement ceux de la zone de l’arrière mais tous ceux qui ne sont pas en permanence dans les tranchĂ©es : le ravitaillement, les agents de liaison, cyclistes et automobilistes, le gĂ©nie, les bureaucrates, les postes fixes de sergents-fourriers, de comptables, cordonniers, magasiniers, ordonnances, les officiers et le personnel du quartier gĂ©nĂ©ral. Le vĂ©ritable combattant est celui qui risque sa vie. L’arrière commence au-delĂ  de 4 ou km du front. Ainsi, les artilleurs, particulièrement ceux de l’artillerie lourde, moins exposĂ©s que ceux des canons de 75 aux tirs de l’ennemi sont Ă©galement considĂ©rĂ©s comme faisant partie de l’arrière. Le sigle de l'artillerie lourde Ă  grande portĂ©e ALGP est dĂ©tournĂ© en Artillerie de Luxe pour Gens PistonnĂ©s.

Une cascade de l’embuscade

On est toujours l’embusqué de quelqu’un. Le Pêle Mêle du 4 juin 1916

Les artilleurs ou les agents de liaison considèrent eux-mêmes comme embusqués ceux des services de l’arrière. Pour le poilu des tranchées, l’arrière commence à 4 ou km du front dans une zone où l’on est à l’abri du danger. Il existe donc tout une hiérarchie de l’embuscade. La perception de l’échelle de danger est validée par le pourcentage de pertes de chaque arme. L’infanterie paie en effet un prix du sang plus élevé de 22,9 % de mobilisés morts au combat au cours de la guerre, contre 7,6 % dans la cavalerie, 6,4 %, dans le génie, 6 % dans l’artillerie, 3,5 % dans l’aviation et 1,7 % dans le service automobile[8]. À l’intérieur de la zone de l’avant, il existe encore toute une gradation du risque entre la position des hommes qui surveillent ou attaquent l’ennemi et des zones de demi-arrière plus ou moins éloignées. Le temps de présence dans la zone de danger est un autre critère[9].

Catégories d’après les causes de leur position

  • L’embusquĂ© malgrĂ© lui est celui qui est dans un poste protĂ©gĂ© sans l’avoir voulu, par exemple un marin en rade de Brest, un artilleur. Certains en ont honte et se morfondent de leur inactivitĂ©[7].
  • D’autres ont obtenu un poste Ă  l’arrière par relation : des bourgeois, intellectuels, avocats, notaires mobilisĂ©s ont obtenu des postes d’ouvriers Ă  la demande de chefs d’entreprise.
  • Les administrations ont su protĂ©ger certains de leurs agents en invoquant une prĂ©sence indispensable au fonctionnement du service.
  • Des manĹ“uvres diverses ont permis Ă  des mobilisĂ©s prĂ©sents dans les dĂ©pĂ´ts de diffĂ©rer leur rappel au front par corruption, recherche de stages d'instructeurs, faux en Ă©critures pour falsifier les listes de dĂ©part[7].
  • Les automobilistes de l’armĂ©e relativement peu exposĂ©s au danger Ă©taient considĂ©rĂ©s comme des embusquĂ©s ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un privilège particulier. En effet, lors de la rĂ©quisition des automobiles, leur propriĂ©taire a Ă©tĂ© souvent mobilisĂ© comme chauffeur de leur propre voiture, le permis de conduire Ă©tant peu rĂ©pandu.
  • Certains ont Ă©vitĂ© leur envoi au combat par des manĹ“uvres frauduleuses notamment par des certificats mĂ©dicaux de complaisance. Une officine, l’agence Lombard s’est spĂ©cialisĂ©e dans cette activitĂ© en 1915 en organisant moyennant rĂ©munĂ©ration des hospitalisations prolongĂ©es et l’organisation de changements d’adresse. Les organisateurs de ce rĂ©seau d’embusquage furent condamnĂ©s en 1916 Ă  dix ans de travaux forcĂ©s et les candidats-embusquĂ©s Ă  des peines relativement lĂ©gères, amendes ou peines de prison de moins de 2 ans[7].

Cas des députés

En aoĂ»t 1914, 148 des 291 dĂ©putĂ©s mobilisables (sur 602) rejoignent leur corps, dans l’armĂ©e territoriale ou les services de l’arrière, aucun dans l’armĂ©e d’active. Ă€ l’approche de la rentrĂ©e parlementaire de janvier 1915, apparaĂ®t un dilemme : l’absence des dĂ©putĂ©s mobilisables aurait faussĂ© la reprĂ©sentation nationale mais une exemption militaire pourrait ĂŞtre perçue comme une mesure de favoritisme. Dans une note du 12 fĂ©vrier 1915 adressĂ©e aux gĂ©nĂ©raux en chef des armĂ©es, Joffre propose aux parlementaires le choix entre un congĂ© pour la durĂ©e de la guerre pour siĂ©ger ou de conserver leur poste aux armĂ©es. 36 (12 % des dĂ©putĂ©s mobilisables) choisissent de rester sous les armes ou alternent prĂ©sences au Parlement et pĂ©riodes militaires. Dix dĂ©putĂ©s meurent au front[10].

L’embuscomanie

L’embusqué est à la fois méprisé et jalousé. Il est considéré comme un lâche, un égoïste, un inutile et un imposteur. Les soldats en permission dans les grandes villes éprouvent le sentiment étrange de retrouver un monde où la vie continue son cours normal d’avant-guerre et ont l’impression que leur sacrifice n’est pas reconnu.

Allez toujours au front. Le PĂŞle MĂŞle du 9 juillet 1916
Les héros de l'arrière

Les embusqués leur semblent avoir un air heureux parfois goguenard. Leur tenue est soignée et élégante contrairement à celle des poilus pour qui la fonction d’un vêtement est de protéger du froid et de la pluie. Les embusqués sont présentés comme des êtres efféminés ou au contraire comme des hommes bien portants en pleine possession de leurs moyens dont la place serait au combat.

Le soldat du front qui craint l’infidélité de sa femme est rassuré par les journaux qui présentent les réparties des femmes vainement courtisées par les embusqués. Certains admettraient même l’adultère patriotique, ainsi dans le dialogue polysémique publié par le journal Le Télé Mail entre un embusqué : « J’en ai assez ! je t’ai vue avec ton filleul ; j’étais embusqué » et son épouse marraine de guerre qui lui rétorque : « Justement…il n’est pas embusqué, lui »[11]. La culpabilisation de l’embusqué est cultivée par la plus grande partie de la presse dans un climat d’exaltation patriotique. Dans cet esprit sont publiés des romans tels que L’embusqué de Paul Margueritte, des nouvelles, des comédies telles que la Guerre en pantoufles[11]. Le sentiment d’un partage inégal et injuste de l’impôt du sang est partagé par les soldats du front et par l’opinion. Cette injustice semble aller à l’encontre des principes républicains de service militaire égal et universel mis en œuvre depuis 1872 avec la suppression des dispenses et du tirage au sort[12]. La colère qui s’exprime s’accompagne de fractures, sociales, géographiques et générationnelles dans la nation. Ainsi, les embusqués seraient plus nombreux dans les régions du Midi moins patriotes que celles de l'Est, la CGT et les socialistes sont accusés par la droite de défendre les ouvriers embusqués dans les industries de guerre, les personnes d’âge mûr et chargées de famille estiment que les jeunes manquent à leur devoir. Ce dernier reproche est infondé car les pertes des classes les plus jeunes sont supérieures à la moyenne et les célibataires qui représentent environ 50 % des mobilisés comptent 58 % des morts de la guerre[13].

Les fonctionnaires sont particulièrement visĂ©s. Cette dĂ©nonciation apparaĂ®t abusive au regard de l’importance de la mobilisation qui dĂ©sorganise le fonctionnement des administrations et des pertes subies. Ainsi, la mobilisation enlève Ă  l’administration centrale du ministère des finances la moitiĂ© de ses agents, la majoritĂ© des rĂ©dacteurs, des sous-chefs de bureau, n’épargnant que l’encadrement supĂ©rieur Ă  partir du grade de chef de bureau en fonction de la règle de l’avancement Ă  l’anciennetĂ©. Le dĂ©part de ces agents des Ă©chelons infĂ©rieurs et moyens transforme cette administration en armĂ©e mexicaine vieillissante. La guerre prive l’administration d’une main d’œuvre qualifiĂ©e et provoque l’effondrement du système comptable central. Les services extĂ©rieurs des trĂ©soreries, des bureaux des contributions directes et indirectes sont Ă©galement dĂ©cimĂ©s. Il apparaĂ®t donc que le ministre des finances Alexandre Ribot prĂ©voit de demander plus Ă  l’emprunt qu’à l’impĂ´t pour financer la guerre. Certains agents des finances affectĂ©s en fonction de leurs compĂ©tences Ă  l’intendance ou Ă  la TrĂ©sorerie des armĂ©es sont relativement Ă  l’abri du danger mais d’autres sont en première ligne. 3 907 agents des finances meurent au combat sur environ 20 000 mobilisĂ©s soit un pourcentage de pertes proche de la moyenne mais ce taux est plus Ă©levĂ© parmi les agents de l’administration centrale[14].

La dénonciation des embusqués devient une obsession désignée sous le néologisme d’embuscomanie. Des altercations se produisent entre permissionnaires et embusqués. Ce comportement est légitimé par des textes dans les journaux de tranchées, tel celui paru dans Les Boyaux du 95e [15]:

« Eh ben, froussard, ton heure est v'nue.
A nous deux, mon gars, Ă  nous deux;
Faut t'battre avec moi dans la rue;
Oui faut régler c'compte là, mon vieux
...Et j'lui tape'rai dans la vitrine
Et j'lui collerai des tourlouzines
Jusqu'Ă  c'qui gueul': assez assez.
Alors, j'dirai : Bonsoir vieux frère,
Que cet' leçon t'rende moins poltron
Car, je n't'ai mis là su'l'derrière
Qu' pour t'apprendr' à aller su' l'front »

Une ligue nationale contre les embusqués est créée en novembre 1915[16].

Le pouvoir politique est sommé de réagir, d’autant plus qu’une incorporation anticipée de deux ans de la classe 1917 soit la mobilisation des jeunes de 18 ans, est prévue en 1915 en raison des demandes d’effectifs de l’armée. Le ministre de la guerre Alexandre Millerand obtient un compromis : cette incorporation anticipée n’aura lieu qu’après le vote d’une loi organisant l’utilisation des ressources en hommes en bref une chasse aux embusqués[16].

La chasse aux embusqués

Ls PĂŞle MĂŞle du 18 juin 1916. Loi de la pesanteur

Un dĂ©cret du 9 septembre 1914 soumet Ă  des visites mĂ©dicales les ajournĂ©s, exemptĂ©s et rĂ©formĂ©s sont dispensĂ©s de cette visite obligatoire, les infirmes ayant perdu un membre ou le pouce, les borgnes et les aveugles, les atrophiĂ©s d’un membre ankylosĂ© d’une articulation majeure et les obèses de plus de 100 kg. Le dĂ©putĂ© Fernand Merlin affirme dans un dĂ©bat de fĂ©vrier 1917 qu'on « ne vit jamais en France autant de poids lourds, d'ankylosĂ©s et de paralytiques »[17]

Les 2 692 000 examens ont permis de rĂ©cupĂ©rer 955 000 hommes pour le service armĂ© et 501 000 pour les services auxiliaires en fonction de l’importance des affections ou handicaps. Le but de ces visites très rapides (1 minute 30 en moyenne) Ă©tant d’augmenter les effectifs, des hommes en mauvaise santĂ© ou souffrant de handicap ont Ă©tĂ© versĂ©s dans l’armĂ©e. Pour limiter ces abus, un amendement d’une loi du 20 fĂ©vrier 1917 prescrit une sĂ©lection par des examens plus approfondis ce qui diminue la proportion de rĂ©cupĂ©rĂ©s pour le service armĂ©[17]. Cependant, ainsi que l’exprime Jean Galtier-Boissière dans son roman Loin de la Riflette citĂ© par Charles Ridel :« Il est tout Ă  fait superflu de se porter Ă  merveille pour recevoir un shrapnell dans le ventre. […] Tous les fantassins conviendront qu’il est totalement inutile d’avoir bon pied, bon Ĺ“il pour participer Ă  une attaque de tranchĂ©es.[…] Le problème est d’un tout autre ordre. Étant donnĂ© cent hommes Ă©mergeant d’un parallèle de dĂ©part, il s’agit d’en faire arriver quarante Ă  la première tranchĂ©e ennemie distante de quelques dizaines ou centaines de mètres, les soixante autres guerriers Ă©tant fatalement mis hors de combat par les mitrailleuses et les tirs de barrage. » [3].

Pour récupérer des hommes pour le front, en continuant d’assurer leur fonctionnement, les services auxiliaires suppriment des postes inutiles tels que les gardes dans les gares secondaires, devant les petits magasins d’approvisionnement, rationalisent leur organisation (par exemple en installant des clôtures électrifiées ou des portes renforcées), et les remplacent également par du personnel civil, retraités, main d’œuvre féminine[3].

La loi Dalbiez du 17 août 1915 vise à augmenter les effectifs combattants, à répondre aux reproches de favoritisme et aussi à rationaliser les affectations. Cette loi vise les fonctionnaires en sursis, les hommes des dépôts, des services auxiliaires, administratifs sédentaires et les ouvriers mobilisés. Des commissions sont instituées, chargées de contrôler les militaires détachés dans le service sanitaire et dans les services militaires de l’intérieur et d’examiner l’emploi et l’utilité des mobilisés affectés dans les usines pour statuer sur le maintien dans cette position[18].

La loi Mourier du 17 août 1917 complète la loi Dalbiez en visant plus particulièrement les officiers et soldats non combattants de la zone des armées, non plus seulement les services de l’intérieur mais aussi ceux de l’arrière-front. Cette loi prévoit le remplacement des jeunes spécialistes des usines par des soldats plus âgés des unités combattantes et celui des sursitaires (principalement des fonctionnaires) par des mutilés, des réformés, des femmes ou des retraités. Ces 2 lois prévoient des exceptions pour ceux considérés comme indispensables dans l’industrie ou dans les services. Par ailleurs des affectations préférentielles sont prévues pour les pères de familles nombreuses et pour les soldats ayant perdu plusieurs frères au combat[19].

Tranchée de chemin de fer. Le Pêle Mêle du 13 février 1916

Les effectifs rĂ©cupĂ©rĂ©s pour le combat par la loi Dalbiez, moins importants que ceux rĂ©sultant des visites mĂ©dicales des ajournĂ©s et exemptĂ©s, ne sont pas nĂ©gligeables. ÉvaluĂ©s au 1er septembre ils portent sur 345 889 hommes, principalement des hommes du service auxiliaire, des dĂ©pĂ´ts et services divers de la zone de l’intĂ©rieur. Sur ce total, le nombre de fonctionnaires sursitaires rĂ©cupĂ©rĂ©s est particulièrement faible (13 586), les administrations ayant considĂ©rĂ© comme indispensable au bon fonctionnement du service la grande majoritĂ© de leur personnel. L’administration des chemins de fer qui ne remplace que 301 agents sur 190 564 avait certainement des raisons valables compte tenu du caractère vital des transports en temps de guerre. L’importance de la fabrication d’armement explique Ă©galement le faible nombre d’ouvriers travaillant pour la DĂ©fense nationale relevĂ©s de leur emploi (17 000)[20]. Les effets de la loi Mourier sont plus modestes. Cette loi a permis de rĂ©cupĂ©rer pour les unitĂ©s combattantes 21 503 hommes non combattants, 5 943 ouvriers et 61 426 hommes des services auxiliaires.

Le déclin de l’embuscomanie

Les excès de la chasse aux embusqués d'après L’humanité du 6 décembre 1915

Le rôle délicat du pouvoir politique était de répondre aux demandes d’effectifs de l’armée, de donner satisfaction à l’opinion par une répartition sinon égale, au moins plus équitable des sacrifices, sans compromettre le bon fonctionnement de l’industrie de guerre et de la logistique des armées. Or, l’armée a un besoin croissant de munitions et d’équipements militaires. L’innovation technique joue un rôle de plus en plus important avec l’apparition des tanks, le perfectionnement de l’aviation, le développement de la flotte de camions. Le maintien des services de l’État dont le fonctionnement avait été perturbé par la mobilisation apparaissait également nécessaire. La loi Dalbiez fut critiquée par beaucoup pour son insuffisance et son inefficacité, ainsi Vincent Auriol dans un discours en octobre 1916 « La loi Dalbiez a eu pour objet de faire changer de place les embusqués : ils ont obtenu dans l’arrière-front de la zone des armées une place très confortable car à l’abri des invectives de leurs compatriotes et de leurs concitoyens »[21]. Cette loi a cependant apaisé dans une certaine mesure la colère de l’opinion et plus encore la loi Mourier[22].

Le déclin de l’embuscomanie est surtout dû à la prise de conscience de l’importance de la production d’armements déjà présente en 1915 ce qui est exprimé dans des articles du journal L’Humanité « C’est une guerre de matériel, c’est une guerre de munitions. Deux armées doivent collaborer pour vaincre les Allemands : les soldats sur les champs de bataille et les ouvriers sur les champs de travail ». Le sénateur Charles Humbert intervient dans ce sens au cours des débats sur la loi Dalbiez par des éditoriaux dans Le Journal, ainsi celui du 2 juin 1915 : « C’est l’armée des métallurgistes qu’il faut renforcer, et sans inutile discussion sur l’âge de ceux qui doivent y être affectés.[…] Il n’est pas de soldats indispensables au front ; mais tous les spécialistes sont indispensables aux usines. Ce qui triomphera, ce n’est point la France, d’ailleurs admirable, qui sait souffrir et qui sait mourir, c’est la France, non moins belle, qui sait produire, inventer, travailler »[23]. La nécessité de la production d’armements apparaît de plus en plus comme une évidence au cours des années de la guerre. L’importance de l’arrière pour la conduite de la guerre ne se limite pas aux usines mais s’étend aux services logistiques de l’armée qui utilise des compétences très variées. Ainsi, des artistes-peintres sont utilisés par la section de camouflage[24]. L’armée de fantassins où l’infanterie était considérée comme la reine des batailles se transforme en armée industrielle où se développent l'artillerie les armes modernes, chars, aviation et les services auxiliaires. La part de l'infanterie dans les effectifs baisse de 60,5 à 32 % de 1915 à 1918.

Combattants %%
Infanterie1 526 00060,5851 00032
Cavalerie100 000468 0002,5
Artillerie394 00015,6601 00022,7
GĂ©nie104 0004 ,1117 0004,4
Aviation8 0000,351 0002
Logistique390 00015,5965 00036,4
Total2 522 0001002 653000100

Pour le soldat des tranchées la nécessité d’une logistique efficace et de fournitures d’armements devient une évidence. Alors que les hôpitaux étaient considérés au début de la guerre comme des refuges de planqués, les poilus sont reconnaissants au personnel soignant de l'amélioration de la médecine.

L’amélioration du régime des permissions, une conduite de la guerre moins meurtrière limitant les attaques inutiles et l’arrivée des renforts américains qui redonnent un meilleur moral aux combattants à la fin de la guerre contribuent au déclin de l’embuscomanie. À partir de 1917, les principales préoccupations sont autres. Elles portent surtout sur les propositions de paix, les conséquences de la révolution russe[25].

Enfin l’action du gouvernement Clemenceau contre les embusqués donne satisfaction à l’opinion et aux militaires[26].

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Charles Ridel, Les embusquĂ©s, Paris, Armand Colin, , 348 p. (ISBN 978-2-200-34747-5)Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article

Références

  1. Les embusqués, p. 14.
  2. Les embusqués, p. 26.
  3. Les embusqués, p. 196.
  4. Les embusqués, p. 321.
  5. Les embusqués, p. 315.
  6. Les embusqués, p. 156.
  7. Les embusqués, p. 320.
  8. Les embusqués, p. 41.
  9. Les embusqués, p. 36.
  10. Les embusqués, p. 103.
  11. Les embusqués, p. 50.
  12. Les embusqués, p. 78.
  13. Les embusqués, p. 72 à 74.
  14. Florence Descamps, Finances publiques en temps de guerre. 1914-1918Les finances dans les tranchées, Paris, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, , 278 p. (ISBN 978-2-11-129404-2), p. 78 et suivantes
  15. Emmanuelle Cronier, Permissionnaires dans la Grande guerre, Paris, Bellin, , 349 p. (ISBN 978-2-7011-4762-8)
  16. Les embusqués, p. 80.
  17. Les embusqués, p. 197.
  18. Les embusqués, p. 164, 165.
  19. Les embusqués, p. 171.
  20. Les embusqués, p. 199 et 200.
  21. Les embusqués, p. 201.
  22. Les embusqués, p. 204.
  23. Les embusqués, p. 121.
  24. Les embusqués, p. 124.
  25. Les embusqués, p. 145.
  26. Les embusqués, p. 145 à 149.
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