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Effondrement de la pĂȘcherie de morue de Terre-Neuve

DĂ©couverte au dĂ©but du XVIe siĂšcle[1], la pĂȘcherie de morue de Terre-Neuve fut rapidement exploitĂ©e par les marins français, basques, espagnols, anglais et portugais, puis plus tard par les Canadiens. Les prises augmentĂšrent progressivement pour atteindre 500 000 t en 1950. Durant prĂšs de 500 ans la pĂȘche Ă  la morue a largement structurĂ© la vie et le dĂ©veloppement de la cĂŽte Est du Canada, rĂ©gion isolĂ©e aux conditions de vie difficiles et pauvre en activitĂ©s Ă©conomiques en dehors de la pĂȘche et de l'exploitation forestiĂšre[2], mais a aussi contribuĂ© Ă  l'activitĂ© Ă©conomique de nombreux ports de pĂȘche europĂ©ens. À la fin des annĂ©es 1950, les techniques de pĂȘche traditionnelles sont abandonnĂ©es au profit de puissants chalutiers[3]. Le volume des prises explose, atteignant mĂȘme 800 000 t pour le stock du Labrador et de l’est de Terre-Neuve et prĂšs de 1 800 000 t pour l'ensemble de la zone atlantique nord ouest[4] en 1968. Cette pĂȘche miraculeuse est de courte durĂ©e, les captures s'effondrent dans les annĂ©es 1970 entraĂźnant dans un premier temps la mise en place d'une ZEE en 1977 excluant les pĂȘcheurs Ă©trangers et de TAC au dĂ©but des annĂ©es 1980.

AprĂšs un rĂ©tablissement partiel au dĂ©but des annĂ©es 1980, ces mesures ne parviendront pas Ă  rĂ©guler efficacement la pĂȘche et se solderont par un second effondrement des captures Ă  la fin des annĂ©es 1980 : la biomasse de morue dans la principale zone de pĂȘche tombe Ă  1 % de son niveau originel[5]. Le gouvernement canadien n'aura d'autre choix que d'imposer un moratoire presque total sur la pĂȘche de la morue en 1992, ne laissant que des TAC rĂ©siduels Ă  quelques communautĂ©s locales. Le moratoire met fin Ă  l'industrie de la pĂȘche Ă  la morue de Terre-Neuve. Aujourd'hui les prises de morue dans l'ensemble de la zone atlantique nord ouest sont de l'ordre de 40 000 t par an.

L'effondrement de la pĂȘcherie de morue provoque de profonds changements dans la structure Ă©cologique, Ă©conomique et socio-culturelle de l'est du Canada. Ces changements sont particuliĂšrement visibles Ă  Terre-Neuve oĂč toute l'industrie de la morue Ă©tait installĂ©e, entraĂźnant la disparition d'un trĂšs grand nombre d'emplois[6]. L'importance considĂ©rable de la pĂȘcherie de morue dans la vie des communautĂ©s cĂŽtiĂšres de Terre-Neuve, mais aussi de nombreux ports de pĂȘche français, basques espagnols et portugais, l'abondance initiale de la morue[7] considĂ©rĂ©e Ă  tort comme inĂ©puisable et l'incroyable succession d'erreurs de gestion de la ressource font de cet Ă©vĂ©nement un cas particuliĂšrement emblĂ©matique de l'Ă©chec des politiques de gestion des ressources halieutiques.

Les phases de l'exploitation

Capture de morue de l'atlantique en millions de tonnes [8].

Quatre phases se sont succédé :

  • entre 1500 et 1950, la morue est exploitĂ©e avec des techniques trĂšs sĂ©lectives (palangre, filet maillant cĂŽtier), de nombreuses zones trop profondes ou trop Ă©loignĂ©s de la cĂŽte ne sont pas explorĂ©es, 150 000 Ă  500 000 t de morue sont capturĂ©es chaque annĂ©e ;
  • Entre 1950 et 1968, la pĂȘche au chalut permet d'exploiter la totalitĂ© des zones, notamment les plus profondes, oĂč vivent les morues, les captures augmentent rapidement et culminent Ă  1 800 000 t en 1968 ;
  • aprĂšs ce pic de production, les prises s'effondrent pour passer sous les 500 000 t en 1977, le gouvernement canadien rĂ©agit via la mise en place de quota et d'une ZEE[9] qui expulse les navires Ă©trangers. Ces mesures permettent un rĂ©pit de 5 ans et un rĂ©tablissement partiel de la pĂȘcherie;
  • au cours des annĂ©es 1980, la flotte canadienne, qui bĂ©nĂ©ficie alors d'importants investissements, monte en puissance et rĂ©alise des captures supĂ©rieures Ă  500 000 t par an. Le stock de morues constituĂ© de jeunes poissons est rapidement liquidĂ©, l'effondrement final en 1992 ne laisse pas d'autre solution que la fermeture de la principale zone de pĂȘche;

La surpĂȘche est donc un phĂ©nomĂšne rĂ©cent qui a mis fin Ă  une pĂȘche qui, du fait des limitations techniques, Ă©tait restĂ©e durable pendant plusieurs siĂšcles, permettant nĂ©anmoins des captures massives de plusieurs centaines de milliers de tonnes par an.

Description des stocks concernées

La pĂȘcherie de Terre-Neuve est en fait constituĂ©e de 4 stocks de morue distincts :

  • Morue du nord du Labrador- 2GH
  • Morue du sud du Labrador et de l’est de Terre-Neuve - 2J3KL
  • Morue du sud de Terre-Neuve - 3Ps
  • Morue du nord du Golfe - 4RS3Pn

Ces diffĂ©rents stocks n'ont pas eu la mĂȘme dynamique d'exploitation et ne sont pas dans le mĂȘme Ă©tat biologique :

Morue du nord du Labrador-2GH

Peu exploitĂ© (moins de 5 000 t) avant les annĂ©es 1960[10], l'activitĂ© intense des chalutiers porte Ă  60 000 - 90 000 t les captures entre 1965 et 1969. L'effondrement qui suit est trĂšs brutal, les prises tombent Ă  moins de 5 000 t dans les annĂ©es 1970 puis Ă  moins de 1 000 t dans les annĂ©es 1980. Aucune capture n'est rĂ©alisĂ©e dans cette zone aprĂšs 1991. Le TAC de 1974 accordant 20 000 t n'a jamais Ă©tĂ© atteint. La pĂȘcherie est officiellement fermĂ©e en 1996, mais elle fut en rĂ©alitĂ© abandonnĂ©e par les pĂȘcheurs dĂšs les annĂ©es 1980.

L'état du stock est mal connu, il n'est pas certain qu'il soit vraiment distinct du stock 2J3KL, la biomasse n'a jamais été estimée. Les campagnes scientifiques entre 1996 et 2001 se sont traduites par des captures négligeables, ce qui laisse penser que l'effondrement est quasi total. Le rétablissement de ce stock semble intimement lié au stock 2J3KJ.

Morue du sud du Labrador et de l’est de Terre-Neuve-2J3KL

Ce fut le principal stock exploitĂ©. Atteignant prĂšs de 300 000 t au dĂ©but du XXe siĂšcle[11], les captures dans cette zone ont brusquement augmentĂ© dans les annĂ©es 1950 pour atteindre un pic Ă  810 000 t en 1968. La pĂȘcherie s'effondre ensuite Ă  140 000 t en 1978. Le mise en place de ZEE rĂ©duisant l'effort de pĂȘche Ă  partir de 1977 permet de rĂ©tablir les captures Ă  240 000 t au dĂ©but des annĂ©es 1980. L'effondrement final eut lieu Ă  la fin de cette dĂ©cennie, une fois la flotte canadienne montĂ©e en puissance. En le gouvernement met en place le moratoire. Une tentative limitĂ©e de rĂ©ouverture eut lieu entre 1998 et 2002, avec des TAC entre 9000 et 4 000 t. Depuis 2003 la pĂȘcherie est fermĂ©e.

Capture dans le stock de morue de Terre Neuve 2J3KL.

La biomasse totale fut estimĂ©e Ă  trois millions de tonnes en 1960, 500 000 t Ă  la fin des annĂ©es 1970, un million de tonnes au milieu des annĂ©es 1980 puis s'est complĂštement effondrĂ©e entre la fin des annĂ©es 1980 et 1992. Le stock de biomasse de reproducteur est passĂ© de 1.5 million de tonnes en 1962 (soit 50 % du total) Ă  seulement 125 000 t en 1977 (soit seulement 25 % de la biomasse, ce qui traduit un impact particuliĂšrement aigu sur les gĂ©niteurs). AprĂšs un court rĂ©tablissement Ă  400-500 000 t dans les annĂ©es 1980 le stock de gĂ©niteurs s'effondre aprĂšs 1988, au milieu des annĂ©es 1990 il ne restait que 4000 Ă  10 000 t de gĂ©niteurs. En 2005 elle serait comprise entre 10 000 et 20 000 t, ce qui reste extrĂȘmement faible par rapport aux valeurs historiques.

Morue du sud de Terre-Neuve-3Ps

Les captures historiques dans cette zone sont de 50 000 t par an[12], elles tombent Ă  30 000 t au dĂ©but des annĂ©es 1970, puis remontent au milieu des annĂ©es 1980 sous l'effet de l'effort de pĂȘche des Français Ă  59 000 t. En 1992 les captures sont de 36 000 t, la pĂȘcherie est fermĂ©e en 1992. Elle est rouverte en 1997 avec un TAC de 10 000 t, rehaussĂ© Ă  20 000 t en 1998 puis 30 000 t en 1999. Le TAC est corrigĂ© Ă  20 000 t en 2000 puis 15 000 t depuis 2001.

La biomasse totale et la biomasse de gĂ©niteurs de ce stock a diminuĂ© de la fin des annĂ©es 1950 jusqu'en 1977. Elle atteint 120 000 t en 1977 dont 40 000 t de gĂ©niteurs (30 %) puis 250 000 t en 1985 dont 120 000 t de gĂ©niteurs (50 %), elle s'effondre ensuite Ă  70 000 t en 1993-1994 dont 40 000 t de gĂ©niteurs (57 %), et remonte Ă  140 000 t en 1998-1999. Elle serait d'environ 100 000 t aujourd'hui avec une proportion exceptionnellement Ă©levĂ©e de jeunes gĂ©niteurs produisant peu d’Ɠufs : depuis 15 ans elle ne produit que peu d'individus par classe d'Ăąge, ces derniers atteignent leur maturitĂ© plus vite signe d'un stress Ă©volutif. La rĂ©ouverture de la pĂȘche de 1997 Ă  2000 a stoppĂ© le rĂ©tablissement de la pĂȘcherie, les poissons des classes de 1997-1998 qui assuraient la production du stock se font plus rares. Les prĂ©lĂšvements actuels sont trop importants pour permettre de reconstituer le stock et ne sont pas durables Ă  long terme.

Morue du nord du Golfe-4RS3Pn

De 1964 Ă  1985, les captures annuelles de ce stock se sont chiffrĂ©es en moyenne Ă  environ 82 000 t, culminant Ă  plus de 100 000 t en 1983. Elles ont ensuite rapidement diminuĂ© jusqu'au 1993, entrainant un moratoire entre 1994 et 1996. Un TAC de 6 000 t fut accordĂ© en 1997 pour des engins de pĂȘche fixe (filets maillants, palangres et lignes Ă  main), ce TAC varia de 3 000 t (1998) Ă  7 500 t (1999) avant qu'un second moratoire ne commence en 2003. La pĂȘche reprend en 2004 avec un quota de 3 500 t puis 5 000 t l'annĂ©e suivante.

Entre 1974 et 1985 la biomasse totale moyenne du stock se chiffrait Ă  467 000 t. Elle a chutĂ© Ă  300 000 t en 1974 puis atteint un somment en 1983 Ă  603 000 t. Elle s'effondre ensuite brutalement Ă  26 000 t en 1994. Entre 1995 et 2005 elle augmente pĂ©niblement pour atteindre 50 000 t dont 38 000 t de gĂ©niteurs. MĂȘme si le moratoire a permis de doubler le stock en place, la biomasse reste dix fois infĂ©rieur aux donnĂ©es historique, les TAC de 1999-2002 semble avoir considĂ©rablement handicapĂ© la reconstitution du stock.

Les causes de l'effondrement

Pour comprendre comment une exploitation vieille de 500 ans a pu finir aussi brutalement Ă  cause de la surpĂȘche[13] - [14], des universitaires ont mis en Ă©vidence les trois facteurs contribuant pour expliquer l'effondrement de la pĂȘche Ă  la morue et l'Ă©chec des mesures de gestions.

Les techniques de pĂȘche

Le premier facteur majeur expliquant l'effondrement de stock de morue au large de Terre-Neuve est l'utilisation de technologies qui ont permis d'augmenter le volume de capture. Pendant des siĂšcles les techniques traditionnelles, notamment la pĂȘche Ă  la ligne, limitaient les captures en volume, Ă©pargnaient certaines zones trop profondes et permettaient de viser des espĂšces et tailles spĂ©cifiques[15]. À partir des annĂ©es 1950, l'introduction de puissant chalutiers, Ă©quipĂ©s de radar, de sonars et de systĂšmes de navigations Ă©lectroniques, a multipliĂ© le volume prĂ©levĂ© par trois et a changĂ© la nature et l'impact de la pression de pĂȘche.

Ces nouvelles technologies ont affecté la population de morue du Nord de deux façons : en augmentant la superficie et la profondeur d'exploitation. La population de morue décrut jusqu'à ce que les poissons survivants ne puissent plus reconstituer le stock perdu chaque année d'une part[16]; et d'autre part les chalutiers ont pris d'énormes quantités de prises accessoires, qui étaient sans valeur commerciale mais avec un rÎle écologique trÚs important : ces captures massives sapaient l'ensemble de l'écosystÚme, épuisant les stocks de proies et de prédateurs. Avec la morue, d'importantes quantités de capelan - une proie importante pour la morue - ont été capturées comme prises accessoires, minant davantage la survie du stock de morue restante.

Le non-respect des TAC et du maillage des filets par les pĂȘcheurs, notamment espagnols, est aussi montrĂ© du doigt[13] : dans les annĂ©es 1980 ces derniers rĂ©alisĂšrent des prises massives de poissons trĂšs jeunes (2 - 3 ans). En dehors de la ZEE, ils ne seront jamais inquiĂ©tĂ©s.

L'incertitude de l'Ă©valuation

Un autre facteur important Ă  considĂ©rer dans la comprĂ©hension de l'absence de politique de gestion efficace est l'incertitude dans l'Ă©valuation de la ressource. La gestion d'une ressource halieutique est une tĂąche extrĂȘmement complexe avec une multitude d'intĂ©rĂȘts, de perspectives et de sources d'information Ă  prendre en compte. Quand les connaissances sur la ressource sont limitĂ©es, ou imprĂ©cises, la gestion devient encore plus difficile. C'est aussi une science relativement jeune : la ressource ayant Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme illimitĂ©e pendant des siĂšcles, il fut difficile d'imposer les avis scientifiques aux pĂȘcheurs et aux dĂ©cideurs politiques. Les inconnues les plus courantes sont :

  • Le niveau de la ligne de base : la biomasse initiale du stock est trĂšs rarement connue, puisque les Ă©valuations commencent bien aprĂšs le dĂ©but de l'exploitation de la ressource. Les modĂšles mathĂ©matiques et les objectifs de gestion doivent justement s'appuyer sur cette rĂ©fĂ©rence. Une ligne trop basse signifie que le stock sera exploitĂ© en dessous de son optimum biologique[17] car le capital de gĂ©niteurs ne sera pas complĂštement reconstituĂ©, ce qui est une perte Ă©conomique et provoque un dĂ©sĂ©quilibre rĂ©current dans l'Ă©cosystĂšme.
  • Les traits d'histoire de vie de l'espĂšce sont rarement bien maitrisĂ©s, notamment la survie des larves et l'effort de reproduction rĂ©el. En particulier dans le cas de la morue, il est exponentiel avec l'Ăąge de l'animal. La jeunesse du stock de gĂ©niteur est ainsi une des causes de l'effondrement du stock de morue au dĂ©but des annĂ©es 1990[18].
  • La perte de sĂ©lectivitĂ© qui accompagne l'usage du chalut de fond rend caduques les anciennes rĂ©fĂ©rences de capture durables : le niveau du RDM varie grandement en fonction de la sĂ©lectivitĂ©, la diffĂ©rence peut atteindre 80 %, ce qui est considĂ©rable[19]. Si le TAC n'est pas ajustĂ© en prenant en compte la sĂ©lectivitĂ© des captures, il peut ĂȘtre trĂšs largement surĂ©valuĂ©.
  • Des phĂ©nomĂšnes climatiques provoquent des variations naturelles du recrutement et donc de l'abondance des classes d'Ăąges. Il est alors difficile d'estimer en temps rĂ©el si les captures sont responsables d'une baisse de la population ou si l'augmentation de la population observĂ©e n'est pas le rĂ©sultat de conditions exceptionnellement favorables qui masquent des captures au-delĂ  du Rendement Ă©quilibrĂ© maximal (MSY).
  • La sensibilitĂ© Ă  la surpĂȘche est forte : un stock peut s'effondrer en quelques annĂ©es si les captures sont lĂ©gĂšrement supĂ©rieure Ă  sa capacitĂ© : le capital de gĂ©niteurs est peu Ă  peu entamĂ©, rĂ©duisant sa capacitĂ© de production, et par effet boulet de neige il s'effondre irrĂ©mĂ©diablement si les captures sont maintenues en augmentant l'effort de pĂȘche.
  • Le rendement du stock semble faible : la biomasse totale aurait culminĂ© Ă  un peu plus de 4 millions de tonnes, et le stock ne semblait pas affectĂ© tant que les captures ne dĂ©passaient pas 500 000 t par an. Ce rendement de 12,5 % est particuliĂšrement faible, la plupart des pĂȘcheries sont durables avec des prĂ©lĂšvements de 20 Ă  30 % de la biomasse par an.

La gestion des pĂȘches est donc associĂ©e Ă  un degrĂ© particuliĂšrement Ă©levĂ© d'incertitude en raison de problĂšmes inhĂ©rents Ă  la nature mĂȘme de la ressource. La pĂȘche Ă  la morue de Terre-Neuve n'y a pas fait exception : une comprĂ©hension imparfaite de l'Ă©cosystĂšme ocĂ©anique, des dĂ©fis techniques et environnementaux liĂ©s aux techniques d'observation ont conduit Ă  des donnĂ©es incomplĂštes sur la ressource. Les variations naturelles Ă©levĂ©es de la population en raison de la dynamique des facteurs environnementaux (tels que la tempĂ©rature de l'ocĂ©an) accroissent la difficultĂ© Ă  discerner les effets de l'exploitation[20]. Ces incertitudes sont souvent exploitĂ©s par les politiciens pour imposer des TAC Ă©levĂ©s contre l'avis des scientifiques. Pour la morue de l'atlantique c'est avant tout l'absence de prise en compte de la faible capacitĂ© de reproduction des jeunes poissons qui formaient l'essentiel de la biomasse dans les annĂ©es 1980 qui explique l'Ă©chec des quotas imposĂ©s aprĂšs 77.

Les enjeux socio-Ă©conomiques

Au-delĂ  de ces considĂ©rations Ă©cologiques, les dĂ©cisions concernant l'avenir de la pĂȘche ont Ă©galement Ă©tĂ© influencĂ©es par des facteurs sociaux et Ă©conomiques. Tout au long de la cĂŽte Atlantique du Canada, mais surtout Ă  Terre-Neuve, la pĂȘche Ă  la morue fut une source d'identitĂ© sociale et culturelle[6]. Pour de nombreuses familles, elle reprĂ©senta leur gagne-pain : la plupart Ă©taient reliĂ©es directement ou indirectement Ă  la pĂȘche : pĂȘcheurs, travailleurs des usines de poisson, vendeurs de poissons, transporteurs de poisson, ou employĂ©s dans des entreprises liĂ©es. En outre, de nombreuses entreprises, tant Ă©trangĂšres que nationales ainsi que des particuliers, ont massivement investi dans des bateaux, des Ă©quipements et des infrastructures de la pĂȘche, et se sont mobilisĂ©s contre les politiques de restriction d'accĂšs Ă  la ressource. Cette situation est typique de la tragĂ©die des communs : ce qui est dans le meilleur intĂ©rĂȘt de l'individu n'est pas toujours dans le meilleur intĂ©rĂȘt de l'ensemble de la sociĂ©tĂ©. L'accĂšs libre, maximisant le profit individuel, aboutit ainsi Ă  une ruine collective.

Lorsque le gouvernement a finalement agi, il Ă©tait trop tard. Le moratoire de 1992 ne devait durer que deux annĂ©es, on espĂ©rait que la population de morue du Nord se rĂ©tablirait rapidement et avec elle la pĂȘche. Malheureusement, les dommages causĂ©s Ă  l'Ă©cosystĂšme cĂŽtier de Terre-Neuve Ă©taient irrĂ©versibles, et mĂȘme aprĂšs dix neuf ans, la population de morue du Nord n'a pas rebondi[21] et la pĂȘche demeure interdite.

MĂ©canisme de l'effondrement

L'effondrement et l'absence de recouvrement rapide malgrĂ© le moratoire s'expliquent par une synergie entre des Ă©pisodes climatiques peu favorables aux morues, peut-ĂȘtre liĂ©s au changement climatique anthropique[22], mais avant tout par la surpĂȘche chronique depuis les annĂ©es 1950. Les caractĂ©ristiques de la dynamique des populations de l'espĂšce explique le dĂ©roulement de l'effondrement en lui-mĂȘme. En effet, la morue possĂšde des traits d'histoire de vie spĂ©cifique qui la rendent particuliĂšrement sujette Ă  des effondrement brutaux de sa population, associĂ©s Ă  une trĂšs faible dynamique de rĂ©tablissement :

  • Sa croissance et sa maturitĂ© sont lentes : la premiĂšre reproduction a lieu entre 5 et 8 ans, la production d’Ɠufs augmente beaucoup plus vite que la taille : les plus gros (et donc vieux) poissons sont de bien meilleurs gĂ©niteurs que les petits[23] : on estime qu'une jeune morue produit 3 millions d’Ɠufs contre 11 millions pour une gĂ©nitrice plus ĂągĂ©e. Or le taux de survie des larves n'est que de une sur un million : les jeunes gĂ©niteurs sont donc Ă  peine capables de maintenir la population[24].
  • Une durĂ©e de vie longue, sans doute supĂ©rieure Ă  15 ans : la biomasse, trĂšs importante, est constituĂ©e d'un grand nombre de classes d'Ăąges, il est donc trĂšs long de rĂ©gĂ©nĂ©rer l'ensemble de la population, surtout quand les vieux gĂ©niteurs sont absents ;
  • Une tendance au regroupement en banc : comme tous les gadidĂ©s les morues sont grĂ©gaires, ce qui renforce l'impact de la pression de pĂȘche et masque la rarĂ©faction de la ressource, jusqu'au point de rupture[14] : mesurer les volumes capturĂ©s par effort de pĂȘche renseigne assez mal de la dĂ©gradation rĂ©elle de la population, ce phĂ©nomĂšne n'est connu que depuis le dĂ©but des annĂ©es 1980[25];
  • Les proies des morues adultes sont aussi des prĂ©dateurs des larves : la quasi-disparition des morues a favorisĂ© la pullulation de petits organismes marins comme les harengs et le capelan qui rĂ©duisent la survie des larves.

Ces caractĂ©ristiques expliquent pourquoi la morue est une espĂšce vulnĂ©rable[26] dont la surexploitation a durĂ© jusqu'Ă  la quasi-disparition de la population. Les pĂȘcheurs ont exploitĂ© cette manne pendant 450 ans sans provoquer de surpĂȘche : les limites des techniques traditionnelles, notamment Ă  base de palangres ou de filets maillants de petite taille, permettaient de maintenir un rĂ©servoir important de vieux gĂ©niteurs capables d'assurer une bonne reproduction. Les techniques de pĂȘche au chalut introduites Ă  la fin des annĂ©es 1950 ont brisĂ© l'Ă©quilibre en permettant de capturer massivement les gĂ©niteurs vivant dans des zones plus profondes et au large[27], aboutissant rapidement Ă  une rĂ©duction de la biomasse de gĂ©niteurs et surtout de leur taille. Pour autant la chute de la biomasse n'a pas dĂ©gradĂ© de façon proportionnelle le rendement de la pĂȘche, ce qui a entretenu l'illusion sur l'Ă©tat du stock. En rĂ©alitĂ© la population faussement rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e des annĂ©es 1980 n'Ă©tait constituĂ©e que de jeunes poissons qui sont de moins bons reproducteurs. La population avait perdu sa capacitĂ© Ă  compenser la mortalitĂ© liĂ©e Ă  la pĂȘche. La gestion mise en place au dĂ©but des annĂ©es 1980 visant Ă  reproduire le rendement de la pĂȘche traditionnelle, autour de 250 000 t par an dans la zone principale 2J3KL, fut un Ă©chec total. Ces TAC, logiques Ă  l'Ă©poque, Ă©taient en rĂ©alitĂ© largement surĂ©valuĂ©s car la structure de la population de morue ne permettait plus le rendement qu'elle avait pourtant assurĂ© pendant plusieurs siĂšcles sans montrer de signes d'effondrement.

Un rétablissement trÚs lent

Le rĂ©tablissement de la population sera long, des premiers signes encourageants ont Ă©tĂ© confirmĂ©s en 2011[28] soit 19 ans aprĂšs la fermeture de la pĂȘcherie. Au-delĂ  des caractĂ©ristiques de l’espĂšce, plusieurs facteurs expliquent la lenteur de cette reconstitution :

  • Le manque de nourriture : de nombreux poissons sous-alimentĂ©s ont Ă©tĂ© observĂ©s dans le Golfe du Saint-Laurent[29], les scientifiques pensent que les changements de l'environnement, notamment la multiplication des phoques et la substitution des morues par d'autres prĂ©dateurs expliqueraient ces observations.
  • La dĂ©rive gĂ©nĂ©tique pourrait aussi dĂ©favoriser le rĂ©tablissement de la pĂȘcherie : soumises Ă  l'Ă©norme pression de pĂȘche, les morues auraient Ă©voluĂ© plus vite vers une rĂ©duction de leur taille et l'accĂ©lĂ©ration de leur maturation sexuelle, au dĂ©triment de la quantitĂ© d’Ɠufs[30]. Or, ces reproductions plus prĂ©coces doublent le risque de dĂ©croissance de la population Ă  chaque gĂ©nĂ©ration[31].
  • La biomasse rĂ©siduelle du stock principal est extrĂȘmement faible et a Ă  peine doublĂ© en 15 ans : au rythme actuel il faudra prĂšs de 80 ans pour atteindre la biomasse de gĂ©niteurs de rĂ©fĂ©rence de 1 500 000 t.

Compte tenu du besoin d'une population solide de vieux gĂ©niteurs, la croissance annuelle de la biomasse reste modeste (5 Ă  10 % par an) malgrĂ© le moratoire[32], il faudra sans doute de nombreuses annĂ©es avant que la pĂȘcherie puisse de nouveau ĂȘtre exploitĂ©e Ă  son rendement Ă©quilibrĂ© maximal.

En 2015, des chalutages scientifiques ont permis de constater une hausse de la population de morues. Celle-ci pourrait ĂȘtre liĂ©e Ă  un rĂ©chauffement des eaux Ă  partir de la deuxiĂšme partie de la dĂ©cennie 2000, provoquant le retour du capelan dont la morue se nourrit[33].

En 2020, le stock de morue est à un « creux critique » en raison d'une hausse de la mortalité naturelle. Ce creux doit se prolonger jusqu'en 2023[34].

Voir aussi

Notes et références

  1. http://www.canadiangeographic.ca/wildlife-nature/articles/pdfs/atlantic-cod-cabot-cod-and-the-colonists.pdf
  2. Now, Whose Fault is That? The Struggle for Self-Esteem in the Face of Chronic Unemployment. Cato Wadel. 1973
  3. http://www.canadiangeographic.ca/wildlife-nature/articles/pdfs/atlantic-cod-net-losses.pdf
  4. (en) « FAO Fisheries & Aquaculture », sur fao.org (consulté le ).
  5. Hamilton, Lawrence, and Melissa J. Butler. “Outport Adaptations: Social Indicators through Newfoundland’s Cod Crisis.” Human Ecology Review 8.2 (2001): 1-11.
  6. Gien, 121.
  7. Hutchings, 943.
  8. Based on data sourced from the FishStat database FAO.
  9. http://www.dfo-mpo.gc.ca/fm-gp/initiatives/cod-morue/strategie-nl-fra.htm#a1.1
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