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Dialogues sur le commerce des blés

Les Dialogues sur le commerce des blés est un essai d'économie, sous forme de dialogues, écrit par Ferdinando Galiani, puis revu et édité sans nom d'auteur par Denis Diderot en janvier 1770.

Dialogues sur le commerce des blés
Auteur Ferdinando Galiani, Denis Diderot
Pays Drapeau du Royaume de France Royaume de France
Genre essai
Lieu de parution Paris
Date de parution janvier 1770

Contexte

Strictement contrôlé par l'État depuis le XVIe siècle (exportations limitée et circulation entre les provinces du Royaume fortement taxées), le commerce du grain est progressivement libéralisé à partir de 1763. Un premier acte législatif, du contrôleur général Bertin, en 1763, libéralise le marché intérieur du grain. Il est complété en par un édit du Roi concernant la liberté de la sortie & de l'entrée des grains dans le Royaume.

Dans un premier temps, les philosophes accueillent favorablement le principe de cette liberté de commerce, progressiste et opposée aux monopoles et aux corporatismes. Mais les conséquences ne tardent pas à se faire sentir. La libéralisation favorise la spéculation, inquiète la population qui voit doubler le prix d'une ressource de première nécessité et coïncide avec quelques mauvaises récoltes (1767-1769) ; politiquement, elle rompt le pacte tacite entre le Roi sa population, qui exigeait du souverain de veiller à la sécurité - alimentaire entre autres - de ses sujets. Une grande agitation s'ensuivit, une partie des esprits du temps se détourne alors des idées défendues par les spéculateurs et les physiocrates et l'État se résigna à reprendre progressivement le contrôle du prix du grain (1768-1770).

Le débat occupera ainsi les années 1770 - et les décennies suivantes -, à la fois sur les terrains économique, financier et politique. Les économistes multiplient les argumentations pour ou contre la libéralisation, les législations se succèdent, tantôt pour, tantôt contre la libéralisation, les famines et la flambée des prix préparent quelques révoltes populaires et alimentent une défiance à l'égard du pouvoir.

Histoire du texte

Galiani, déjà auteur remarqué d'un Traité de la monnaie, séjournait en France depuis 1759. Il se fait remarquer dans les salons, chez d'Holbach entre autres, où il rencontre vraisemblablement Diderot. En novembre 1768, Galiani expose à Diderot ses réserves contre le libre commerce du grain. Convaincu, Diderot insiste pour qu'il publiât ces idées. Galiani rédige ses Dialogues, mais quitte définitivement Paris le 25 juin 1769[1], abandonnant son manuscrit à Diderot et Louise d'Épinay. Diderot revoit[2] le texte et le fait publier en janvier 1770[3].

Synthèse

Les dialogues sont les échanges supposés entre M. le marquis de Roquemaure et le chevalier Zanobi, entre le 16 novembre et 14 décembre 1768. Ce dernier porte les idées de Galiani, contre l'exportation ; le nom de Roquemaure couvre en fait le nom de Marc-Antoine-Nicolas de Croismare[4], effectivement impliqué dans les échanges de Galiani et Diderot[5].

Dans les cinquième et huitième dialogues, un "Président de ***, du P. de B." participe à la discussion. Les présidents étaient des magistrats dirigeant des chambres des Parlements. Il pourrait s'agir ici du Parlement de Bretagne, très réactif, de Besançon, dont la région était très affectée par la famine ou de Bordeaux.

La période choisie se situe entre l'édit de 1764 et la sa première remise en question, à un moment où la famine frappe durement, surtout en province.

Les didascalies mettent en place un climat de discussion informel et détendu.

Premier dialogue (16 novembre 1768, avant dîner)

p. 1 De retour d'Italie, le Chevalier raconte la famine qui touche le pays. Il entame une discussion visant à en dégager les origines. Il l'attribue à de mauvais choix politiques : l'Italie n'a pas adapté sa politique à son temps et gère toujours ses réserves de blé comme au temps de la Rome impériale. Heureusement, pense-t-il, la France a décidé de prendre le parti opposé et d'autoriser la libre circulation du grain.

Le Chevalier discute d'abord sur la forme et conteste la valeur des argumentations par l'exemple ou la similitude et l'argument d'autorité : la France n'est ni l'Italie, ni l'Angleterre.

« Je rends la justice qui est due au mérite de ce grand ministre. Mais si on prend le parti de suivre son plan par la seule raison que c'est le sien, on s'exposera à faire tout aussi mal qu'en imitant l'Angleterre, ou en prenant le contre-pied de ce qui se fait à Rome. Parce que la France d'aujourd'hui ne ressemble pas plus à celle du tems de Colbert ou de Sully, qu'à l'Angleterre ou à l'Italie d'aprésent. »

Le Chevalier aborde alors le fond et affirme que les idées politiques ne doivent pas être formées sans observer la réalité. Par exemple, « Dans les grandes monarchies, toutes les provinces ne sont pas également fertiles en bled ; (...) si la province à bled est placée dans le milieu de la monarchie, il faut encourager l'exportation. Si elle est frontiere, il faut la défendre[6] (...). ». Car, pour être exportée, elle doit forcément traverser une partie du Royaume. Ce n'est donc que la production superflue qui peut atteindre les frontières et être vendue à l'étranger.

Second dialogue (16 novembre 1768, après dîner)

p. 20

Troisième dialogue (24 novembre 1768)

p. 48

Quatrième dialogue (après dîner)

p. 70

Cinquième dialogue (2 décembre, avant dîner)

p. 94

Sixième dialogue (10 décembre)

p. 127

Septième dialogue (12 décembre)

p. 165

Huitième dialogue (14 décembre, chez M. le Marquis)

p. 227

RĂ©ception

Le succès de l'ouvrage ne tarde pas, s'opposant à des idées économiques qui semblent entretenir la famine ; mais le débat sur la libéralisation du commerce s'anime, que de nouveaux textes ne tardent à alimenter.

DĂ©tracteurs[7]

Trudaine de Montigny, directeur du commerce, et Choiseul demandent à André Morellet de publier une réfutation l'ouvrage de Galiani. Ce sera la Réfutation des Dialogues de l'abbé Galliani sur le commerce des blés[8]. Par un curieux hasard, Sartine choisi Diderot comme censeur pour relire l'ouvrage de Morellet ; Diderot dénonce la qualité de l'ouvrage, mais admet qu'il ne contient rien qui dût en interdire la publication. Sartine s'autorisa néanmoins à en retarder la publication jusqu'en 1774.

  • Anonyme (P.-P. Le Mercier de La Rivière), L'intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral de l'Ă©tat ou La libertĂ© du commerce des blĂ©s, dĂ©montrĂ©e conforme au droit naturel (...) avec la RĂ©futation d'un nouveau système, publiĂ© en forme de dialogues sur le commerce des blĂ©s, A Amsterdam et se trouve Ă  Paris, Desaint, 1770 (en ligne).
  • Voltaire, BlĂ©, Dictionnaire philosophique. « Des gens de beaucoup d'esprit et d'une bonne volontĂ© sans intĂ©rĂŞt avaient Ă©crit avec autant de sagacitĂ© que de courage en faveur de la libertĂ© illimitĂ©e du commerce des grains. Des gens qui avaient autant d'esprit et des vues aussi pures Ă©crivirent dans l'idĂ©e de limiter cette libertĂ© ; et M. l'AbbĂ© Galiani, Napolitain, rĂ©jouit la nation Française sur l'exportation des blĂ©s : il trouva le secret de faire mĂŞme en français des Dialogues aussi amusans que nos meilleurs romans et aussi instructifs que nos meilleurs livres sĂ©rieux Si cet ouvrage ne fit pas diminuer le prix du pain il donna beaucoup de plaisir Ă  la nation ce qui vaut beaucoup mieux pour elle. Les partisans de l'exportation illimitĂ©e lui rĂ©pondirent vertement. Le rĂ©sultat fut que les lecteurs ne surent plus oĂą ils en Ă©taient : la plupart se mirent Ă  lire des romans en attendant trois ou quatre annĂ©es abondantes de suite qui les mettraient en Ă©tat de juger. Les Dames ne surent pas distinguer davantage le froment du seigle. »
  • [Anonyme] (P.-J.-A. Roubaud), RĂ©crĂ©ations Ă©conomiques, ou Lettres de l'auteur des "ReprĂ©sentations aux magistrats" Ă  M. le Chevalier Zanobi, principal interlocuteur des Dialogues sur le commerce des bleds, A Amsterdam et se trouve Ă  Paris, Delalain, Lacombe, 1770. Compte rendu dans le Mercure de France, juin 1770, p. 118.

Engagement de Diderot

Face aux critiques, Diderot s'engage concrètement dans la défense de l'ouvrage de Galiani ; c'est même la première fois qu'il s'engage, ouvertement, dans un débat politique et sur le terrain de l'économie. En août 1770, il constatera lui-même les effets de la famine en province, lors de son séjour en Champagne.

Il rédige par ailleurs une Apologie de l'abbé Galiani ; mais ce texte, retrouvé dans le fonds Vandeul en 1951, ne fut manifestement connu de personne à l'époque. En particulier, Louise d'Epinay, en correspondance étroite avec Galiani, lui rendant compte de chaque détail concernant la réception des Dialogues, n'en souffle mot.

Éditions

  • 1770. - [Anonyme], Dialogues sur le commerce des bleds, A Londres, MDCCLXX, [4]-314-[1] p.[9] Voir en ligne sur Gallica.
  • 1795. - Dialogues sur le commerce des blĂ©s, par l'abbĂ© Galiani, nouvelle Ă©dition augmentĂ©e de deux lettres de l'auteur, Ă  Berlin, chez A. Rottmann, 1795. PrĂ©cĂ©dĂ©e de l'article BlĂ©.
  • 1803. - Dialogues sur le commerce des blĂ©s, par l'abbĂ© Ferdinando Galiani Napolitain. In : Scrittori classici di economia politica, parte moderna, tomo V et VI, Milano, Destefanis, 1803.
  • 1848. - Galiani, Dialogues sur le commerce des grains. In : Gustave de Molinari, MĂ©langes d'Ă©conomie politique, II, Paris, Guillaumin, 1848. Cette Ă©dition prĂ©sente l'intĂ©rĂŞt d'ĂŞtre accompagnĂ©e d'un commentaire libĂ©ral, particulièrement opposĂ© Ă  l'esprit du texte.
  • 1984. - Ferdinando Galiani, Dialogues sur le commerce des blĂ©s (1770), Paris, Fayard, 1984, 279 p. Note de lecture par Catherine Larrere, Économie rurale, 1992 (vol. 210), n° 1, p. 51-52. Compte rendu d'Alain Sandrier, Dix-huitième siècle, 2016, n° 48.
  • 2014. - Ferdinando Galiani, Dialogues sur le commerce des blĂ©s, texte prĂ©sentĂ© et annotĂ© par Philip Stewart, Paris, SociĂ©tĂ© Française du 18e siècle, 2014, (ISBN 979-10-92328-03-5), 270 p.

Bibliographie

Sur le texte de Galiani

  • Dialogues sur le commerce des bleds, par l'abbĂ© G. [compte rendu et extrait de l'ouvrage], Journal de l'agriculture, du commerce et des finances, fĂ©vrier 1770, p. 173-192.
  • Philip Koch, The genesis of Galiani's Dialogues sur le commerce des blĂ©s, French Studies, 1961 (vol. XV), n° 4, p. 314-323 (doi:10.1093/fs/XV.4.314)
  • Mauro Azzurra, Du libertinisme aux Lumières : les Dialogues sur le commerce des blĂ©s de l’abbĂ© Galiani, communication Ă  l'UniversitĂ© Toulouse II Le Mirail, 14 dĂ©cembre 2012, publiĂ©e sur Academia.edu, en ligne.
  • Mauro, Azzurra, L’abbĂ© Galiani alias le chevalier Zanobi : un philosophe qui « ne croit rien en rien sur rien de rien », LittĂ©ratures classiques, 2017 (vol. 93), n° 2, p. 155-168.
* Denis Diderot, Apologie de l'abbé Galiani. Ed. Michel Barillon, Apologies : Diderot dans la première bataille du libéralisme économique, Marseille, Agone, 1998  (ISBN 2-910846-07-5), 158 p.
  • Herbert Dieckmann, Apologie de l'abbĂ© Galiani ou RĂ©ponse Ă  la rĂ©futation des dialogues sur le blĂ© par l'abbĂ© Morellet. In : Inventaire du fonds Vandeul et inĂ©dits de Diderot, Genève, Droz, 1951, p. 62.
  • J.-C. Rebejkow, Les notes sur la RĂ©futation des dialogues sur le commerce des blĂ©s de Diderot et leur rĂ©vision par Vandeul, Studi francesi (ISSN 0039-2944), 1995 (vol. 39), n° 117, p. 467-477.
  • Gianluigi Goggi, Galiani et l'Angleterre : sur la genèse des Dialogues sur les blĂ©s, Dix-huitième siècle, 1994 (vol. 26), n° 1, p. 295-316.
  • Eugène Gaudemet, L'abbĂ© Galiani et la question du commerce des blĂ©s Ă  la fin du règne de Louis XV, Paris, Arthur Rousseau, 1899, 233 p.

Sur le contexte Ă©conomique

  • Édit autorisant la libre exportation des grains, 1764.
  • Jean Charles Guillaume Le PrĂ©vost de Beaumont, DĂ©nonciation d’un pacte de famine gĂ©nĂ©rale, au roi Louis XV, ouvrage manuscrit, trouvĂ© Ă  la Bastille le 14 juillet dernier, très-relatif au temps prĂ©sent, & contenant des dĂ©couvertes fort intĂ©ressantes sur les malversations & les dĂ©prĂ©dations secrettes de quelques hommes d’Etat, publ. par M. Thev*** Dany***, .
  • [Anonyme], Objections contre l'exportation des grains, Journal de l'agriculture, du commerce et des finances, fĂ©vrier 1770, p. 3-12.
  • Alain ClĂ©ment, La spĂ©cificitĂ© du fait alimentaire dans la thĂ©orie Ă©conomique. Les fondements historiques et les enjeux, Ruralia, 2000, n° 7, en ligne.
  • DĂ©borah Cohen, Le dĂ©bat sur le commerce du blĂ© (1768-1775) : formes et porteurs lĂ©gitimes de la rationalitĂ© en question, Revolution-francaise.net, 2 dĂ©cembre 2006, en ligne.
  • JoĂ«l FĂ©lix, Finances et politique au siècle des Lumières : le ministère L'Averdy (1763-1768), Vincennes, Institut de la gestion publique et du dĂ©veloppement Ă©conomique, ComitĂ© pour l’histoire Ă©conomique et financière de la France, 1999, (ISBN 9782110900906) (lire en ligne, doi:10.4000/books.igpde.1982).

Notes

  1. Officiellement rappelé à Naples par son gouvernement, Galiani est en fait chassé de France par Choiseul auquel Naples était hostile.
  2. L'intervention de Diderot sur le texte reste mal définie. De son propre aveu, il n'y a apporté que peu de changement, mais la modestie et la discrétion de Diderot au sujet de ce type d'intervention a été quelques fois démentie.
  3. Voir Gerhardt Stenger, Diderot : le combattant de la liberté, Paris, Perrin, 2013.
  4. Voir la lettre de Galiani à Louise d'Épinay du 28 août 1769 et la lettre de celle-ci celui-là du 9 septembre 1769, par exemple dans l'édition proposée par Georges Dulac et Daniel Maggeti, Paris, Desjonquères, 1992.
  5. « Ceux qui ont trouvé le marquis bête, dans ces dialogues, n’ont pas fait preuve de goût et de discernement. La bêtise du marquis de Roquemaure dans ces dialogues est du même type que celle d’Alcibiade avec Socrate dans les dialogues de Platon.» : Correspondance littéraire, t. 10, Paris, Garnier Frères, 1879 (OCLC 491299915, lire en ligne [archive]), p. 46-50.
  6. L'interdire.
  7. On ne reprend ici que les publications qui répondent directement à l'ouvrage de Galiani au début des années 1770.
  8. Voir les MĂ©moires de Morellet en ligne.
  9. En février 1770, le Journal de l'agriculture, du commerce et des finances, p. 173 - voir ci-dessous - rend compte d'une édition attribuée à l’abbé G. et adressée A Londres et se trouve à Paris, chez Merlin, vol. in-8° de trois cens quatorze pages.
  10. A considérer avec prudence : des parties du texte semblent manquer.
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