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Culture talayotique

La culture talayotique (ou période talayotique) est une culture préhistorique qui s'est développée dans la partie orientale des îles Baléares (Majorque et Minorque) à partir de la fin du Ier millénaire av. J.-C., durant l'âge du bronze et l'âge du fer. Elle tient son nom du mot « talayot », désignant une construction emblématique de cette période. Les travaux archéologiques se sont longtemps focalisés sur l'étude de cette seule période historique au point de lui attribuer dans l'historiographie officielle des îles Baléares une place prépondérante.

Culture talayotique
Description de cette image, également commentée ci-après
Talayot tronconique de Cornia Nou Ă  Minorque.
DĂ©finition
Caractéristiques
Répartition géographique Majorque et Minorque
PĂ©riode Ă‚ge du bronze, Ă‚ge du fer
Chronologie Ier millénaire av. J.-C.
Signe particulier société peu ou pas hiérarchisée

Subdivisions

proto-talayotique, talayotique, post-talayotique

Étymologie

Cette culture tient son nom du mot « talayot » en raison de la prédominance de ce type de construction : 274 ont été à ce jour inventoriées, exclusivement sur les îles de Majorque et de Minorque. Elles sont semblables aux nuraghes de Sardaigne et aux torre de Corse. D'autres monuments, de type mégalithique, sont emblématiques de cette culture mais ils sont exclusifs à l'île de Minorque : des édifices à usage funéraire appelés navetas et des édifices probablement à usage symbolique appelés taulas.

Historiographie et variabilité des chronologies

Les travaux archéologiques se sont longtemps focalisés sur la seule étude des grands villages préhistoriques incluant un type d'édifice emblématique, le talayot, au point de leur attribuer dans l'historiographie officielle des îles Baléares une place prépondérante. Durant la première moitié du XXe siècle, on ne distinguait ainsi que deux périodes distinctes pour décrire le Néolithique des Baléares : la « culture des grottes » et la « culture talayotique ». La « culture des grottes » se définissait par l'usage de grottes naturelles et artificielles comme habitat et comme espaces funéraires alors que la « culture talayotique » se serait distinguée par la construction d'édifices ouvragés (talayots, navetas et taulas) . En 1965, G. Rosseló Bordoy et G. Llompart conservent cette bipartition chronologique et rebaptisent les deux périodes « pré-talayotique » et « talayotique ». Selon cette classification, qui deviendra la chronologie classique, le basculement d'une période à l'autre s'opère avec la construction des talayots, dont on fixe alors les premières apparitions autour de 1500 av. J.-C., résultant de l'arrivée dans l'archipel d'une nouvelle population. Toutes les constructions préhistoriques sont alors classées selon cette chronologie : les dolmens, les navetas et constructions naviformes, et quelques hypogées sont attribués au « pré-talayotique », tandis que les talayots, taulas, habitats en cercles et les grandes nécropoles à hypogées sont attribués au « talayotique »[1].

A la fin des années 1990, les fouilles archéologiques menées sur plusieurs sites préhistoriques de Minorque et l'utilisation de la datation par le radiocarbone conduisent à une remise en question de la chronologie classique et plusieurs auteurs ont proposé chacun à leur tour une nouvelle chronologie :

  • selon LluĂ­s Plantalamor, un important changement culturel se produit vers 1500 av. J-C. avec l'arrivĂ©e de populations Ă©trangères sur l'Ă®le de Minorque et les bouleversements induits sont Ă  l'origine de l'essor de la culture talayotique oĂą il distingue quatre pĂ©riodes : le « talayotique I » (1500-1000 av. J.-C.), le « talayotique II » (1000-700 av. J.-C.), le « talayotique III » (700-300 av. J.-C.) et le « talayotique IV (300-123 av. J.-C.) ».
  • V. Lull et de l'universitĂ© de Barcelone considèrent que les premiers talayots apparaissent vers - 1000 av. J.-C. et proposent en consĂ©quence une chronologie reposant sur les principaux monuments prĂ©historiques emblĂ©matiques de l'archipel, distinguant ainsi cinq pĂ©riodes chronologiques : le « DolmĂ©nique » 2100-1600 av. J.-C.), le « Naviforme » (1600-1050 av. J.-C.), le« Proto-talayotique » (1050- 850 av. J.-C.), le « Talayotique » (850 -550 av. J.-C.) et le « Post-talayotique » (550 -123 av. J.-C.)[1].
  • V. Guerrero et l'universitĂ© des ĂŽles BalĂ©ares suggèrent que les premiers talayots apparaissent vers 900 av. J.-C. et que la culture talayotique rĂ©sulte de l'Ă©volution interne des sociĂ©tĂ©s de l'Ă‚ge du bronze (1750 -900 av. J.-C.) au contact d'Ă©lĂ©ments extĂ©rieurs (notamment puniques) ; ils en font en consĂ©quence une culture uniquement de l'Ă‚ge du fer qui disparaĂ®tra avec la conquĂŞte romaine (en 123 av. J.-C.).

PĂ©riode proto-talayotique (1050- 850 av. J.-C.)

Talayot de Trebaluger (Minorque).

Durant cette période, les villages naviformes sont abandonnés au profit de nouveaux sites d'habitat avec des concentrations plus grandes[2]. C'est une période de gestation, précédant l'apogée des talayots, mais les premières constructions de ce type apparaissent vers 1000/900 av. J.-C.[3] (talayot de Trebalúger). C'est surtout une période de bouleversements sociaux, dont on ignore l'origine[4], qui se traduit notamment par l'abandon des sites côtiers (vers 800 av. J.-C.) et des échanges entre les îles de Minorque et de Majorque, qui vont désormais évoluer différemment[2].

L'évolution des rituels funéraires est symptomatique de ces bouleversements. A Minorque, les navetas atteignent leur apogée architecturale (Es Tudons, Rafal Rubí, Biniac-l'Argentina)[5] mais les grottes naturelles sont encore pnctuellement utilisées (Es Pas)[6]. Les crânes sont traités à part, séparés du corps après décomposition et placés le long des parois de la tombe[7]. Certains corps font l'objet de traitements spécifiques, notamment pour leurs cheveux : coupés, tannés en rouge et placés dans des récipients cylindriques (Es Càrritx)[7], ornés de petites tresses et de barrettes (en bois, bronze et étain) et embellis avec des teintures et des huiles (Es Pas). Ces pratiques suggèrent qu'une plus grande attention est portée à certaines sépultures[7]. Au niveau vestimentaire, les boutons en os caractéristiques des époques précédentes disparaissent alors que les perles en bronze biconiques se généralisent. Plusieurs objets trouvés dans un état exceptionnel de conservation dans les grottes d'Es Pas, d'Es Càrritx et d'Es Mussol évoquent une bonne maîtrise du travail du bois, des fibres végétales et des peaux[2].

PĂ©riode talayotique (850 -550 av. J.-C.)

Paradoxalement, les données archéologiques de la période sont pratiquement inexistantes[3] et cette période proprement talayotique est moins bien connue que celle qui la précède et que celle qui lui succède. Il en est ainsi de l'habitat de la période talayotique sur lequel on ne dispose que de peu d'informations[3]. A Minorque, l'étude des habitats est compliquée du fait que la plupart des sites connus ont été réutilisés et recouvert par de nouvelles constructions au post-talayotique. A Majorque, les maisons sont rectangulaires, uniformes et ont perdu tout caractère monumental. Vers 850 av. J.-C.[3], le talayot devient le monument caractéristique du paysage architectural mais on n'observe pas d'organisation urbanistique spécifique en lien avec celui-ci. A Minorque, le territoire se couvre de talayots, parfois isolés, parfois associés avec quelques structures annexes et quelques villages peuvent comporter de deux à trois talayots[8].

L’acquisition d'objets de prestige (bracelets, torques, armes en fer) importés[3], traduit peut être la volonté de certains individus de se démarquer du reste de la communauté[9] mais selon V. Lull la société talayotique ne correspondait pas à une organisation sociale hiérarchisée. Les habitats domestiques sont très semblables, seule la construction du talayot revêt un caractère plus monumental correspondant vraisemblablement à une fonction communautaire qui demeure incertaine[8].

La période talayotique est une période assez courte (300 ans), aussi bien à Minorque qu'à Majorque. Elle s'achève dans la confusion et les destructions par incendie, principalement à Majorque, des talayots[3] comme des maisons privées[10].

PĂ©riode post-talayotique (550 -123 av. J.-C.)

Les villages de la période précédente sont toujours utilisés mais les talayots sont abandonnés. A Minorque, le monument principal devient l'enceinte entourant la taula et l'habitat évolue vers des maisons monumentales appelées « cercles ».

Cercles 6 et 7 de Torre d'en Galmés.

Les constructions en cercles ont Ă©tĂ© reconnues comme Ă©tant des structures d'habitats grâce aux fouilles menĂ©es par Maria LluĂŻsa Serra sur le site de Sant Vicenç d’AlcaidĂşs. Les cercles sont gĂ©nĂ©ralement adossĂ©s par paires mais dans quelques cas ils sont isolĂ©s. Il s'agit de constructions, dont le plan est standardisĂ©, ayant en moyenne entre 10 m et 15 m de diamètre, de forme circulaire ou rectangulaire avec des angles arrondis, entourĂ©es par un grand mur pĂ©riphĂ©rique. L'architecture de ce mur est double : cĂ´tĂ© extĂ©rieur, il est constituĂ© d'une première asise, constituĂ©e de pierres plates posĂ©es horizontalement, sur laquelle repose une seconde rangĂ©e constituĂ©e de grandes dalles verticales et tous les rangs suivants sont formĂ©s avec des pierres de petites dimensions posĂ©es Ă  l'horizontale ; cĂ´tĂ© intĂ©rieur, toutes les pierres sont de petites tailles et posĂ©es Ă  l'horizontale et le mur intègre des pilastres. On accède Ă  l'intĂ©rieur du cercle par le sud, via une porte Ă©troite, ornĂ©e d'un linteau et encadrĂ©e par deux petites pièces couvertes de dalles, prolongĂ©e par un petit couloir. Les pilastres intĂ©rieurs ont peut-ĂŞtre une fonction stabilisatrice mais, en tout Ă©tat de cause, ils contribuent Ă  donner un caractère monumental Ă  l'ensemble. Le pilastre ouest est toujours le plus grand et le mieux travaillĂ© et son traitement rappelle celui des taulas. Il est probable que chaque pilier Ă©tait Ă  l'origine surmontĂ© d'un chapiteau, mais aucun n'a Ă©tĂ© retrouvĂ© en place, sur lequel venait s'appuyer la toiture, probablement constituĂ©e de poutres en bois recouvertes d'une couche constituĂ©e d'argile et de petites pierres. Le sol est gĂ©nĂ©ralement constituĂ© directement par la roche sous-jacente, Ă©ventuellement nivelĂ©e et recouverte de terre battue. L'intĂ©rieur du cercle se compose d'une cour au centre, entourĂ©e de plusieurs pièces dĂ©limitĂ©es par un cloisonnement : au nord-est, la cuisine, au nord une grande plate-forme surĂ©levĂ©e faisant probablement office de chambre Ă  laquelle on accèdait par un portail Ă  linteau, Ă  l'ouest deux petites pièces quadrangulaires pouvant ĂŞtre fermĂ©es et interprĂ©tĂ©es comme des entrepĂ´ts ; le coin sud-est du cercle est le seul espace dont la fonction demeure incertaine[11].

L'agriculture occupe une place centrale dans l'économie. Meules, broyeurs, céramiques, textiles et produits manufacturés se retrouvent en grande quantité à l'intérieur des cercles[12]. La petite industrie métallique devient plus fréquente : hameçons en bronze, cuillères, épées et ornements personnels en fer[13].

Les défunts sont enterrés dans de grandes nécropoles constituées d'hypogées, creusés à proximité des villages dans un affleurement rocheux ou dans une falaise surplombant la mer, élaborés selon un plan complexe et intégrant de nombreux aménagements intérieurs[14]. Le matériel d’accompagnement devient de plus en plus riche (poteries locales ou importées, objets en fer et en bronze, perles en pâte de verre)[14] et personnalisé. Les modes d'inhumation sont variés : dépôts des corps à même le sol, sur des brancards ou dans un cercueil, sous une couche de chaux. La société semble plus hiérarchisée. Les contacts avec l'extérieur sont plus fréquents et la société post-talayotique adopte de nouvelles techniques et croyances venant de l'étranger[12].

Les échanges commerciaux entre les îles du nord, Minorque et Majorque, et la colonie punique d'Ybšm (Ebusus, Ibiza) sont réguliers. A partir du VIe siècle av. J.-C., Minorque est passée dans la sphère d'influence punique[3]. Minorque et Majorque importent du vin, des ornements, des armes, des céramiques mais on ignore ce qu'elles exportent en contrepartie : leur potentiel agricole est assez limité alors même qu'Ebusus dispose d'un accès aisé vers le sud de la péninsule ibérique et les côtes d'Afrique du Nord. Peut-être s'agit-il des fameux frondeurs des Baléares, qui bénéficient d'une certaine renommée dans les armées étrangères (carthaginoise puis romaine) où ils s'engagent comme mercenaires. C'est d'ailleurs la guerre entre Carthage et Rome qui mettra fin à l'indépendance des îles : en 123 av. J.-C., l'archipel des Baléares est conquis par Quintus Caecilius Metellus Baliaricus et passe sous domination romaine[13].

Inscription au patrimoine mondial

En 2013, l'Espagne a proposé les vint-cinq sites suivants au titre de la « culture talayotique de Minorque » sur la liste indicative de l'UNESCO, préalable à une possible inscription au patrimoine mondial[15] :

Site Municipalité Coordonnées Photo
1 Dolmen de Ses Roques Llises et Na Comerma de Sa Garita Alaior 39° 53′ 51″ nord, 4° 06′ 45″ est
2 Son Mercer de Baix (ca) Ferreries 39° 57′ 16″ nord, 4° 00′ 22″ est
3 HypogĂ©e de Torre del Ram (ca) Ciutadella de Menorca 40° 00′ 21″ nord, 3° 48′ 34″ est
4 Cala Morell (ca) Ciutadella de Menorca 40° 03′ 27″ nord, 3° 52′ 58″ est
5 Navetes de Biniac Alaior 39° 55′ 09″ nord, 4° 10′ 21″ est
6 Naveta d'Es Tudons Ciutadella de Menorca 40° 00′ 11″ nord, 3° 53′ 30″ est
7 Navetes de Rafal RubĂ­ Alaior 39° 54′ 30″ nord, 4° 11′ 23″ est
8 Grotte de s'Aigua Es Migjorn Gran 39° 55′ 18″ nord, 4° 03′ 11″ est
9 NĂ©cropole de Cales Coves Alaior 39° 51′ 52″ nord, 4° 08′ 46″ est
10 Salle hypostyle de Galliner de Madona (ca) Es Migjorn Gran 39° 55′ 54″ nord, 4° 01′ 47″ est
11 Talayot de TrebalĂşger Es Castell 39° 51′ 20″ nord, 4° 16′ 27″ est
12 Talayots de Binicodrell (de) Es Migjorn Gran 39° 56′ 36″ nord, 4° 02′ 47″ est
13 Torralba d'en Salort et Na PatarrĂ  (de) Alaior 39° 54′ 45″ nord, 4° 09′ 48″ est
14 Cornia Nou Port Mahon 39° 52′ 53″ nord, 4° 14′ 01″ est
15 Sa Torreta de Tramuntana Port Mahon 39° 57′ 55″ nord, 4° 14′ 41″ est
16 TalatĂ­ de Dalt Port Mahon 39° 53′ 34″ nord, 4° 12′ 55″ est
17 Talayot de TorellĂł Port Mahon 39° 52′ 51″ nord, 4° 13′ 14″ est
18 TrepucĂł Port Mahon 39° 52′ 26″ nord, 4° 15′ 56″ est
19 Torre d'en GalmĂ©s (ca) Alaior 39° 54′ 09″ nord, 4° 06′ 54″ est
20 So na Caçana Alaior 39° 53′ 08″ nord, 4° 09′ 39″ est
21 MontefĂ­ (ca) Ciutadella de Menorca 40° 00′ 21″ nord, 3° 51′ 50″ est
22 Son Catlar (ca) Ciutadella de Menorca 39° 57′ 14″ nord, 3° 52′ 30″ est
23 Torretrencada (de) Ciutadella de Menorca 39° 59′ 23″ nord, 3° 55′ 32″ est
24 Torrellafuda (de) Ciutadella de Menorca 39° 59′ 56″ nord, 3° 55′ 21″ est
25 Binissafullet Sant LluĂ­s 39° 50′ 45″ nord, 4° 14′ 05″ est

Notes et références

Annexes

Bibliographie

  • (en) Joan J. Gomila, Minorca, An Architectural Guide, Minorque, Col·legi Oficial d'Arquitectes de les Illes Balears, , 257 p. (ISBN 978-84-930439-1-9)
  • (es) SimĂłn GornĂ©s Hachero, « Talayots y taulas. La evoluciĂłn de la arquitectura simbĂłlica en la Prehistoria de Menorca entre los siglos XI al II cal ANE », Trabajos de Prehistoria,‎ , p. 99-114 (ISSN 0082-5638, DOI https://doi.org/10.3989/tp.2022.12289)
  • (en) Sylvia Gili, Vicente Lull, Rafael Mico, Cristina Rihuete et Roberto Risch, « An island decides : megalithic burial rites on Menorca », Antiquity, no 80,‎ , p. 829-842 (lire en ligne)
  • (es) Victor M. Guerrero Ayuso, Manuel Calvo Trias et SimĂłn GornĂ©s Hachero, Historia de las Islas Baleares, vol. 1 : El poblamiento prehistorico de las Islas Baleares, , 241 p. (ISBN 9788495473806, lire en ligne)
  • Elena Sintes Olives, Guide Minorque talayotique : La PrĂ©histoire de l' Ă®le, Sant Lluis, Triangle, , 319 p. (ISBN 9788484786405), p. 219-221

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