Croatie rouge
La Croatie rouge (latin : Croatia Rubea ; croate : Crvena Hrvatska) est un terme utilisé en histoire pour désigner le sud-est de la Dalmatie romaine augmentée de quelques territoires. Cette désignation comprend des parties du Monténégro, de l'Albanie et de la Herzégovine contemporains et la partie sud-est de la Croatie qui s'étend le long de la mer Adriatique.
Le terme fut employé pour la première fois dans une version de la Chronique du Prêtre de Dioclée, qui date des années 1298–1300. Il fut mentionné plus tard dans différentes langues et à différentes époques et lieux. Au XIXe siècle, à l'ère du nationalisme romantique, il devint un centre d'intérêt et le sujet de recherches. Il faisait souvent partie intégrante du nationalisme croate, dans lequel la Croatie rouge était parfois popularisée en tant qu'état historique pour le peuple croate et qui devait donc logiquement faire partie de la Grande Croatie.
Étymologie
La Croatie rouge fut mentionnée pour la première fois dans la Chronique du prêtre de Dioclée, une œuvre essentiellement fictive écrite par un prêtre catholique romain de la Dioclée. La version originale de la Chronique n'existe plus. On en trouve uniquement des copies remontant aux XVIe et XVIIe siècles. On estime que l’œuvre originale fut écrite entre la fin du XIIIe siècle et le XVe siècle. Une majorité d'historiens s'accordent pour la dater aux environs de 1300. De nombreuses suppositions erronées ont entouré l'identité de l'écrivain, anonyme.
Les recherches les plus récentes l'identifient comme un membre de l'ordre cistercien, connu sous le nom de Rudger et d'origine tchèque. Il aurait travaillé dans l'archevêché de Split pour le Ban croate Paul Šubić. Ce dernier était de 1298 à 1301 l'archevêque de Bar. Si ce prêtre n'a pas emprunté le terme de Croatie rouge auprès d'une source inconnue et qu'il en est l'inventeur, on pense qu'en partie ses motivations répondaient aux ambitions territoriales de la famille Šubić. Cette dernière avait des vues sur toutes les terres croates. Cette hypothèse expliquerait aussi l'absence de ce terme dans la première version de la Chronique, alors centrée sur la Bosnie. La seconde version fut écrite après que Paul Šubić fut devenu le «Seigneur de la Bosnie».
Le linguiste croate Pětar Skôk postula que ce terme était le résultat de la translittération du nom de la région monténégrine de Crmnica ou Crvnica, qui se traduit par «Terre rouge».
Selon le prêtre de Dioclée, le royaume imaginaire des Slaves recouvrait deux régions : d'une part la Maritima (Littoral) située entre les montagnes dinariques et la mer Adriatique, également définie comme la zone où les «rivières des montagnes coulent vers le sud dans la mer» et d'autre part la Serbie, qui englobait la zone entre les montagnes dinariques et le Danube. Cette deuxième région est décrite dans la Chronique comme «la région où les fleuves coulent des montagnes vers le nord dans le puissant fleuve du Danube». Ainsi, la Maritima englobait uniquement les zones du bassin de drainage de la mer Adriatique, tandis que la Serbie englobait des zones du bassin de la mer Noire (Danube). La Maritima était encore divisée en deux zones: les Croatie blanche et rouge. Cette dernière englobait l'Herzégovine actuelle, la partie sud du Monténégro et le nord de l'Albanie. D'autre part, la Serbie de cette Chronique engloberait la majeure partie de la Serbie contemporaine, la partie nord du Monténégro, la majeure partie de la Bosnie et de la Croatie au nord des montagnes dinariques[1].
Références originales
La version latine de la Chronique du prêtre de Dioclée, connue sous le nom de Gesta regum Sclavorum, fut traduite par l'historien latino-croate Ioannes Lucius (Ivan Lučić, le père de l'historiographie croate) en 1666 et imprimée sous le nom De Regno Dalmatiae et Croatiae (Du Royaume de Dalmatie et de Croatie). Ce qui suit est un extrait (en latin):
Post haec secundum continentiam priuiligiorum, quae lecta coram populo fuerant, scripsit priuilegia, diisit prouincias et regiones regni sui ac terminos et fines earum hoc modo: secundum cursum aquarum, quae a montanis fluunt et intrant in mareoc contra meridianam plagam, Maritima ; aquas uero, quae a montanis fluunt contra septentrionalem plagam et intrant in magnum flumen Donaui, uocauit Surbia. Deinde Maritima in duas diuisit prouincias: a loco Dalmae, ubi rex tunc manebat et synodus tunc facta est, usque ad Ualdeuino uocauit Croatium Album, quae et inferior Dalmatia dicitur. . . Item ab eodem loco Dalmae usque Bambalonam ciuitatem, quae nunc dicitur Dyrachium, Croatiam Rubeam. . . [2]
Voici la traduction en français de la partie en gras :
Et du champ de Dalmae (Duvno) à la ville de Dyrrachium (Durrës) se situe la Croatie rouge.
Références dans la chronique de Dandolo
Andrea Dandolo (1300–1354), l'auteur vénitien de sa Chronique de la Dalmatie, qui écrit sur les terres croates (Royaume de Dalmatie), précisa les frontières de la Croatie rouge :
En latin :
Svethopolis rex Dalmacie ... in plano Dalme coronatus est et regnum suum Dalmacie in IIIIor partes divisit. . . Un plano intaque Dalme usque Ystriam, Chroaciam Albam, vocavit, et un dicto plano usque Duracium, Chroaciam Rubeam, et contre montana, un flumine Drino usque Maceodoniam, Rasiam; et un dicto flumine citra Bosnam nominavit. . . Moderni autem maritimam totam vocant Dalmaciam, montana autem Chroatiam. . .
Traduction:
Svatopluk, roi de Dalmatie ... sur le champ de Duvno fut couronné et son royaume de Dalmatie se constituait de 4 régions : du champ appelé Duvno (Tomislavgrad), à Istra s'appelle la Croatie blanche ... et de ce champ à Durrës est appelé Red Croatia ; et le flanc montagneux de la rivière Drina à la Macédoine s'appelle Rascia, et à ce fleuve jusqu'à ici s'appelle la Bosnie. L'ensemble de la côte maritime s'appelle la Dalmatie et ses montagnes sont nommées la Croatie. . .
Références de Flavio Biondo
Un autre écrivain confirme la situation politique de Duvno, la répartition des terres croates ainsi que l'existence de la Croatie rouge. Flavio Biondo (1388–1463) était un humaniste italien. Dans son livre Historiarum ab inclinatione Romani imperii décennies, il confirme mot pour mot ce que Dandolo écrit sur le régime de Duvno et sur les Croatie blanche et rouge[3].
Utilisation aux XIXe et XXe siècles
Crvena Hrvatska ("Croatie rouge") était le nom d'un journal politique hebdomadaire du Parti croate des droits qui diffusait l'idéologie d'Ante Starčević à Dubrovnik (Dalmatie). Il exista entre 1890 et 1899 en Autriche-Hongrie et était édité par Frano Supilo.
Le terme fut également introduit dans l'histoire du Monténégro. L'historien croate Ivo Pilar pensait que la Dioclée était née des terres de la «Croatie rouge» au Xe siècle[4]. L'historien serbe Slavenko Terzić critiqua Savić Marković Štedimlija pour ses références à la Croatie rouge, utilisée selon lui pour séparer les Monténégrins des Serbes[4].
Les références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Red Croatia » (voir la liste des auteurs).
- T.Živković, Regum Slavorum, V.1, Belgrade 2009, 54-58
- Presbyter Diocleas: De Regno Sclavorum; Ioannes Lucius: De Regno Dalmatie et Croatiae (Amsterdam 1666) 287-302; Schwandtner Scriptores rerum hungaricarum III (Vienna) 174; Sl. Mijušković: Letopis Popa Dukljanina (Titograd 1967)
- Flavius Blondus: Historiarum ab inclinatione Romani imperii, dec II, lib II (Venetiae 1483, f. 115 r; ed Basilea 1559) 177.
- (sr) Slavenko Terzić, « Ideological roots of Montenegrin nation and Montenegrin separatism », Project Rastko Cetinje, (consulté le )