Crise politique pakistanaise de 2009-2012
La crise politique pakistanaise de 2009-2012 ou conflit politico-judiciaire est une crise politique caractérisée par une suite d'affaires judiciaires visant des hauts postes politiques, dont le président de la République et le Premier ministre.
La crise dĂ©bute peu aprĂšs le mouvement des avocats qui se conclut par le rĂ©tablissement en de nombreux juges rĂ©voquĂ©s en 2007. Le , la Cour suprĂȘme annule l'ordonnance nationale de rĂ©conciliation qui amnistiait de nombreux hommes politiques, pour des faits de corruption surtout, dont le prĂ©sident de la RĂ©publique Asif Ali Zardari. La Cour suprĂȘme enjoint alors le gouvernement pakistanais de demander aux autoritĂ©s suisses la rĂ©ouverture des enquĂȘtes pour dĂ©tournement de fonds prĂ©sumĂ©s contre le prĂ©sident Asif Ali Zardari. Cependant, le Premier ministre Youssouf Raza Gilani refuse, rĂ©torquant l'immunitĂ© dont bĂ©nĂ©ficie le prĂ©sident. AprĂšs de nombreuses demandes, la Cour suprĂȘme inculpe Youssouf Raza Gilani pour outrage Ă la justice le , puis il est reconnu coupable le 26 avril, et le 19 juin il est reconnu inapte et dĂ©mis de ses fonctions. Le nouveau Premier ministre, nommĂ© le 22 juin, Raja Pervez Ashraf, refuse Ă©galement les injonctions de la cour, et risque d'ĂȘtre inculpĂ© Ă son tour.
Cette affaire discrĂ©dite le gouvernement civil et accroit les critiques contre le prĂ©sident Asif Ali Zardari. Pour certains, cette crise est favorable au pouvoir militaire, qui profiterait de l'affaiblissement des autoritĂ©s civiles. Certains accusent mĂȘme le pouvoir militaire de chercher le dĂ©part du prĂ©sident, en reprĂ©sailles par rapport Ă l'« affaire du mĂ©mo ». Le principal parti d'opposition, la Ligue musulmane du Pakistan (N) et le Mouvement du Pakistan pour la justice demande des Ă©lections anticipĂ©es, alors que le scrutin est thĂ©oriquement prĂ©vu pour mars 2013.
Contexte : le mouvement des avocats
Le , le prĂ©sident Pervez Musharraf, arrivĂ© au pouvoir suite un coup dâĂtat militaire, promulgue une « ordonnance nationale de rĂ©conciliation » qui amnistie plus de 8 000 personnes, dont 34 hommes politiques, surtout membres de l'opposition, pour des accusations de corruption, dĂ©tournement de fonds, blanchiment d'argent, meurtres et terrorisme, entre le 1986, et le coup dâĂtat du [1]. Pervez Musharraf justifie cette ordonnance dans un objectif de rĂ©conciliation nationale, et arguant que beaucoup de procĂ©dures judiciaires en cours depuis prĂšs de dix ans n'avaient abouti Ă aucun jugement. Toutefois, cette ordonnance est surtout vue comme une mesure pour permettre Ă Benazir Bhutto, la dirigeante de l'opposition, de rentrer au Pakistan en vue des Ă©lections lĂ©gislatives prĂ©vues dĂ©but 2008. L'ordonnance amnistie Ă©galement son Ă©poux, Asif Ali Zardari.
Il faut souligner que le Pakistan est l'un des pays les plus corrompus au monde, classé au 42e rang parmi 180 pays en 2009 par Transparency International[2].
Le , le prĂ©sident de la Cour suprĂȘme Iftikhar Muhammad Chaudhry suspend l'ordonnance nationale de rĂ©conciliation, ouvrant un conflit entre l'autoritĂ© judiciaire et le pouvoir exĂ©cutif.
Le , le prĂ©sident Pervez Musharraf dĂ©crĂšte lâĂtat d'urgence, suspend la Constitution, et peut ainsi rĂ©voquer de nombreux juges de la Cour suprĂȘme, dont son prĂ©sident, et des Hautes Cours, qui sont normalement irrĂ©vocables, selon la Constitution. Le , le nouveau prĂ©sident de la Cour suprĂȘme rĂ©instaure l'ordonnance nationale de rĂ©conciliation. Ces mesures provoquent le dĂ©but du « mouvement des avocats », mouvement populaire lancĂ© par les juges et avocats du pays, qui rĂ©clame le rĂ©tablissement des juges, et plus largement le renforcement de lâĂtat de droit et de la dĂ©mocratie. Il est soutenu par plusieurs partis d'opposition, dont le Parti du peuple pakistanais de Benazir Bhutto.
Les Ă©lections lĂ©gislatives du 18 fĂ©vrier 2008 aboutissent Ă la dĂ©faite de la Ligue musulmane du Pakistan (Q) qui soutenait Pervez Musharraf, et ce dernier dĂ©missionne le 18 aoĂ»t. Cependant, le nouveau gouvernement ne rĂ©instaure pas les juges rĂ©voquĂ©s, alors que le nouveau prĂ©sident de la RĂ©publique, Asif Ali Zardari, profite de l'ordonnance nationale de rĂ©conciliation. Le mouvement des avocats se poursuit donc, et sâintensifie dĂ©but 2009, avec le soutien du chef de l'opposition Nawaz Sharif. Finalement, les juges rĂ©voquĂ©s sont tous rĂ©tablis en mars 2009, et le , la Cour suprĂȘme annule Ă nouveau l'ordonnance nationale de rĂ©conciliation
Ainsi, c'est cette derniĂšre dĂ©cision de la Cour suprĂȘme qui provoque la crise politique, puisque la rĂ©ouverture des procĂ©dures judiciaires est ainsi possible contre le prĂ©sident Asif Ali Zardari.
DĂ©roulement de la crise
Injonctions de la Cour suprĂȘme
La Cour suprĂȘme enjoint alors le gouvernement pakistanais de demander aux autoritĂ©s suisses la rĂ©ouverture des enquĂȘtes pour dĂ©tournements de fonds prĂ©sumĂ©s contre le prĂ©sident Asif Ali Zardari. La justice suisse avait lancĂ© une enquĂȘte concernant les comptes bancaires que Zardari dĂ©tenait en Suisse. Cependant, le Premier ministre Youssouf Raza Gilani refuse, rĂ©torquant l'immunitĂ© dont bĂ©nĂ©ficie le prĂ©sident.
Poursuites pour outrage Ă la justice contre Gilani
AprĂšs de nombreuses demandes, la Cour suprĂȘme inculpe Youssouf Raza Gilani pour outrage Ă la justice (Contempt of court) le [3]. Le 12 fĂ©vrier, il avait prĂ©venu qu'en cas d'inculpation, il perdrait automatiquement son poste de Premier ministre[4] mais il continue pourtant de rester en poste et reçoit notamment le soutien de ses partenaires de coalitions au Parlement. Le 26 avril, il est reconnu coupable d'outrage et est condamnĂ© Ă une peine symbolique, c'est-Ă -dire ĂȘtre retenu environ trente secondes dans la Cour suprĂȘme le temps de la lecture de l'acte[5], alors que la peine maximale possible Ă©tait de six mois de prison. AprĂšs de nouvelles injonctions de la Cour ignorĂ©es par le Premier ministre, le 19 juin il est reconnu inapte et dĂ©mis de ses fonctions. Le Parti du peuple pakistanais accepte cette dĂ©cision, et cherche donc un nouveau Premier ministre[6].
Nouveau Premier ministre
Le président de la République accepte la révocation du Premier ministre et choisit donc d'en nommer un nouveau. Ahmad Mukhtar, ministre de la défense, et Makhdoom Shahabuddin figurent alors parmi les favoris. Le président choisit Makhdoom Shahabuddin comme candidat le 20 juin, mais celui-ci est immédiatement soupçonné par la justice de trafic de drogue, ayant accordé à un laboratoire de Multan des quotas illégaux d'éphédrine[7]. Raja Pervez Ashraf est désigné comme nouveau candidat le 21 juin, puis il est élu grùce au soutien de la coalition au Parlement le 22 juin avec 211 voix contre 89 voix pour le candidat de l'opposition, de la Ligue musulmane du Pakistan (N).
Cependant, le nouveau Premier ministre se voit lui aussi enjoint par la Cour d'Ă©crire la lettre aux autoritĂ©s suisses, et refuse Ă nouveau au nom de l'immunitĂ© du prĂ©sident. Le gouvernement fait alors voter au Parlement une loi garantissant au Premier ministre une immunitĂ© pour les outrages Ă la justice, cependant la loi est jugĂ©e anti-constitutionnelle par la Cour et annulĂ©e le 3 aoĂ»t. Le , la Cour suprĂȘme demande Ă Raja Pervez Ashraf de comparaitre devant la Cour le 27 aoĂ»t[8].
Références
- (en) List of 8041 NRO beneficiaries issues sur Geo TV, le 21 novembre 2009.
- (en) Corruption in Pakistan increases: Transparency International sur Daily Times, le 18 novembre 2009
- Le premier ministre du Pakistan sera inculpĂ© pour outrage Ă la Cour suprĂȘme Le monde, le 02 fĂ©vrier 2012
- (en) If charged with contempt, I will automatically lose office: Gilani sur The Express Tribune, le 12 février 2012.
- (fr) Pakistan : Gilani emprisonné trente secondes sur Le Figaro, le 26 avril 2012.
- (en) Accepting verdict, PPP begins hunt for new PM sur The Express Tribune, le 20 juin 2012
- (en) Ephedrine case: Non-bailable arrest warrant issued for Shahabuddin sur The Express Tribune, le 21 juin 2012.
- (en) Contempt of court: SC issues show-cause notice to PM Ashraf sur The Express Tribune, le 8 août 2012.