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Crise des ordures au Liban

La crise des ordures au Liban (aussi appelĂ©e crise des poubelles, et surnommĂ©e Tala’at Rihatkum, « Vous puez Â») dĂ©signe une sĂ©rie de manifestations survenues en 2015 pour protester contre l'Ă©chec du gouvernement libanais Ă  traiter les ordures accumulĂ©es aprĂšs la fermeture de la plus grande dĂ©charge du Liban Ă  la mi-juillet 2015. Les protestataires dĂ©filent en scandant « Ash-shab yurid isqat an-nizam » (« le peuple veut renverser le rĂ©gime Â»). Ce mĂȘme slogan avait prĂ©cĂ©demment Ă©tĂ© utilisĂ© dans toute la rĂ©gion pendant le Printemps arabe.

Crise des ordures au Liban
Informations
Date Depuis le
(7 ans, 10 mois et 8 jours)
Localisation Drapeau du Liban Liban
Caractéristiques
Organisateurs Le peuple Libanais
Revendications ProblÚme des ordures, sectarisme et dysfonctionnement politique, corruption, chÎmage, coupures d'électricité.
Nombre de participants 130 000 (29 août)
45 000 (23 août)
20 000 (22 août)
4 000 (8 août)
Types de manifestations Manifestation, Sit-in
Bilan humain
Morts 1
Blessés 402 (manifestants)
31 (services de police)

QualifiĂ©e de « ras-le-bol Â», la crise des ordures cristallise en effet toutes les revendications accumulĂ©es par la population contre la corruption endĂ©mique, le dysfonctionnement de l'État et la paralysie des institutions politiques[1].

Contexte et historique

AprĂšs la fermeture Ă  la mi-juillet 2015 de la principale dĂ©charge qui accueillait jusqu'alors les dĂ©chets de Beyrouth et de ses environs, la collecte des ordures a cessĂ© et ces ordures se sont accumulĂ©es et ont commencĂ© Ă  pourrir du fait de la tempĂ©rature Ă©levĂ©e des mois d'Ă©tĂ©. La promesse du gouvernement, le 24 juillet, d’acheminer les ordures vers des sites d’enfouissement s'est montrĂ©e d'autant plus insuffisante qu'enfouir des dĂ©chets ne veut pas dire les traiter ni les recycler[2].

L'origine de la désorganisation des infrastructures remonte en fait à la guerre civile, qui a ravagé une grande partie de ces infrastructures ; mais la situation s'est encore dégradée depuis, et des déchets dangereux, chimiques et médicaux, se sont depuis accumulés dans les décharges publiques[2] ; en décembre 2014, le ministre libanais de l'environnement signalait déjà le risque posé par les déchets médicaux[3].

DĂ©jĂ , dans les annĂ©es 1990, la citĂ© portuaire de SaĂŻda Ă©tait devenue tristement connue pour sa montagne d'ordures non traitĂ©es de 58 mĂštres de haut, au point que l'odeur Ă©mise par la ville pouvait ĂȘtre sentie Ă  des kilomĂštres[2].

Si SaĂŻda a depuis su rĂ©soudre son problĂšme, il n'en est pas de mĂȘme pour le reste du Liban ; de plus, le faible espace dont dispose le petit pays qu'est le Liban se traduit par la proximitĂ© dangereuse de la population par rapport aux centres d'enfouissement[2].

Évolution et revendications

Manifestation place des Martyrs à Beyrouth contre la corruption du gouvernement, en août 2015.

Le samedi 22 aoĂ»t 2015, puis le dimanche 23 aoĂ»t, deux manifestations rassemblent des milliers de personnes Ă  Beyrouth pour contester l'incompĂ©tence du gouvernement du Premier ministre Tammam Salam : l'entassement prolongĂ© des ordures cristallise le mĂ©contentement face Ă  la corruption et Ă  l'incurie gĂ©nĂ©rale du pouvoir, Ă  l'origine des pĂ©nuries d'eau, des coupures d'Ă©lectricitĂ©, et mĂȘme du blocage des institutions Ă©cartelĂ©es entre deux coalitions, l'une dirigĂ©e par le Hezbollah chiite, et l'autre par le « Courant du futur Â» sunnite[4].

Le mardi 1er septembre, la police Ă©vacue manu militari des dizaines de militants pacifiques qui occupaient le ministĂšre de l'Environnement pour rĂ©clamer la dĂ©mission du ministre Mohammad Machnouk, avec un ultimatum dont l'Ă©chĂ©ance Ă©tait prĂ©cisĂ©ment ce mardi. Certains reçoivent des coups, car ils Ă©taient assis par terre et refusaient de quitter les lieux. Les militants rĂ©clament en mĂȘme temps de nouvelles Ă©lections lĂ©gislatives, accusant les dĂ©putĂ©s d'avoir prolongĂ© Ă  deux reprises leur propre mandat depuis les Ă©lections en 2009, en mettant en avant les divisions politiques, tout en montrant leur incapacitĂ© Ă  Ă©lire un nouveau prĂ©sident alors que le poste est toujours vacant, depuis mai 2014[5].

Au tout dĂ©but de septembre 2015, plus d'une dizaine de jeunes militants du collectif « Vous puez Â» commencent une grĂšve de la faim pour protester contre l'impuissance du gouvernement Ă  rĂ©soudre la crise des ordures, et pour rĂ©clamer leurs «  droits les plus basiques Â»[6].

Le 10 septembre 2015, le gouvernement libanais annonce la mise en place d'un plan de gestion de crise qui comprend l'ouverture de deux nouvelles décharges et la réouverture temporaire de la décharge de Naamé[7].

Cependant, en janvier 2016, les manifestations reprennent et une crise bactĂ©riologique se dĂ©clare dans les eaux et les airs. Le gouvernement dĂ©clare vouloir exporter les dĂ©chets mais ce projet trop coĂ»teux (de l'ordre de 125 dollars par tonne) est abandonnĂ©. En fĂ©vrier 2016, aprĂšs des grandes pluies, une vidĂ©o diffusĂ©e en ligne montre un "fleuve" de deux millions de tonnes de sacs-poubelles s'Ă©coulant prĂšs de JdeidĂ©[8].

Des décharges introuvables

Le 12 mars 2016, le Conseil des ministres ordonne la rĂ©ouverture de la dĂ©charge de NaamĂ© ; le 19 mars des camions commencent Ă  enlever une petite partie des dĂ©chets accumulĂ©s Ă  JdaidĂ©[9]. La rĂ©ouverture de NaaamĂ© n'est prĂ©vue que pour deux mois. Deux autres sites, Costa Brava et Bourj Hammoud, doivent ĂȘtre amĂ©nagĂ©s pour recevoir les dĂ©chets. Le mĂȘme jour, 3 000 manifestants rĂ©clament une solution durable tandis que le collectif "Vous puez !" menace de paralyser le pays ; le 14 mars, ils tentent, sans succĂšs, de faire obstruction au passage des camions d'ordures[10].

Le 18 mai 2016, la dĂ©charge de NaamĂ© est dĂ©finitivement fermĂ©e. Le 12 juin, la justice reporte Ă  une date indĂ©finie le procĂšs de Sukleen et autres sociĂ©tĂ©s accusĂ©es de malversations dans la gestion des dĂ©chets. Le 29 juin, les appels d'offres pour les deux nouvelles dĂ©charges sont annulĂ©s ; un nouvel appel doit ĂȘtre examinĂ© pour fin juillet[10]. Les dĂ©charges de Costa Brava et Bourj Hammoud, Ă  peine ouvertes, sont bloquĂ©es par un sit-in du parti KataĂ«b et par les plaintes des municipalitĂ©s ; elles doivent fermer fin aoĂ»t. La rĂ©gion d'Akkar, Ă  majoritĂ© sunnite, refuse de recevoir les dĂ©chets de la banlieue sud de Beyrouth, Ă  majoritĂ© chiite. La municipalitĂ© de Ghosta, dans le Kesrouan, propose d'accueillir une usine de traitement des dĂ©chets solides mais le projet tarde Ă  aboutir[8].

Au début de 2017, les déchets non triés sont dirigés vers deux décharges, Bourj Hammoud et Costa Brava. Celle de Costa Brava, prÚs du fleuve Ghadir au sud de Beyrouth, accueille la moitié des ordures de Beyrouth et du Mont-Liban. Elle est contestée par des associations qui ont intenté un recours en justice car elle provoque un rassemblement massif d'oiseaux marins qui constitue un danger pour le trafic de l'aéroport de Beyrouth. Le week-end des 14-15 janvier, les autorités ont permis aux chasseurs d'abattre les mouettes. Le tribunal a ordonné le maintien en service provisoire de la décharge jusqu'au 31 janvier 2017[11].

En avril 2017, deux dĂ©charges sont en service en bord de mer dans la banlieue nord de Beyrouth. Celle de la Quarantaine reçoit 1 200 tonnes de dĂ©chets par jour. La sociĂ©tĂ© Khoury Contracting est chargĂ©e de gĂ©rer ces deux sites et son contrat, estimĂ© Ă  105 millions d'euros, prĂ©voit d'ici Ă  2020 la crĂ©ation d'un site d'enfouissement de 250 000 mÂČ entre les municipalitĂ©s de Bourj Hammoud et Jdeideh. Ce projet devrait permettre le traitement des ordures accumulĂ©es Ă  Bourj Hammoud depuis les annĂ©es 1970. Les associations critiquent son manque de transparence et l'absence d'Ă©valuation des retombĂ©es environnementales ; elles font remarquer que l'entrepreneur Dany Khoury, directeur de Khoury Contracting, est plus connu pour ses amitiĂ©s politiques que pour son expĂ©rience de la gestion des dĂ©chets[12].

Une gestion toujours contestée

En dĂ©cembre 2017, l'ONG Human Right Watch a publiĂ© un rapport, intitulĂ© « As If You’re Inhaling Your Death: The Health Risks of Burning Waste in Lebanon »[13] (Comme si vous respiriez votre mort : les risques sanitaires en brĂ»lant les dĂ©chets, au Liban) qui accuse le gouvernement libanais de mauvaise gestion et de manque de transparence dans le traitement des dĂ©chets. Cette publication indique que 77% des ordures sont jetĂ©es dans des dĂ©charges Ă  ciel ouvert et que, chaque semaine, le feu ravage 150 dĂ©charges, provoquant la libĂ©ration d'importantes quantitĂ©s de dioxines dans l’air pouvant provoquer des cancers et d'autres maladies graves[14].

À la suite de la publication de ce rapport, l'ONG a dĂ©cidĂ© du lancement, le 19 janvier 2018, d'une campagne afin de sensibiliser la population. Une pĂ©tition a Ă©tĂ© mise en ligne appelant les autoritĂ©s libanaises Ă  adopter un plan national de gestion des dĂ©chets[15].

En janvier 2018, les tempĂȘtes qui ont touchĂ© le Liban provoquent d'importantes pollutions le long du littoral libanais. Les experts indiquent que cette vague d'ordures proviendrait de la dĂ©charge de Bourj Hammoud[16]. Le Conseil de DĂ©veloppement et de Reconstruction Ă  l'origine de la mise en place de cette dĂ©charge cĂŽtiĂšre dĂ©ment cette information, estimant que ces accusations de personnes proches du parti KataĂ«b sont politiques[17].

Pour garder mémoire de cette mobilisation collective, des tee shirts marqués du slogan "You stink" et des objets conçus pour les manifestations publiques à Beyrouth ont été versés dans les collections du Mucem à Marseille en 2018[18].

Références

  1. « Cette mobilisation illustre le ras-le-bol de la population face Ă  la corruption endĂ©mique, au dysfonctionnement de l'État et Ă  la paralysie des institutions politiques. Â», sur lepoint.fr du 1er septembre 2015.
  2. La crise des dĂ©chets du Liban couve depuis 40 ans, sur middleeasteye.net du 11 aoĂ»t 2015 (consultĂ© le 5 septembre 2015).
  3. (en) Lebanon's environment minister raises alarm over hazardous medical waste, sur dailystar.com du 3 décembre 2014 (consulté le 5 septembre 2015).
  4. « En deux rassemblements, samedi 22 puis dimanche 23 aoĂ»t, cette campagne s’est Ă©rigĂ©e en opposant numĂ©ro un au gouvernement du premier ministre Tammam Salam Â», sur lemonde.fr du 25 aoĂ»t 2015.
  5. « Des militants qui occupaient, ce mardi, le ministĂšre de l'Environnement ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s de force Â», sur lepoint.fr du 1er septembre 2015.
  6. Crise des déchets : deuxiÚme jour de grÚve de la faim pour une poignée d'activistes, sur lorientlejour.com du 6 septembre 2015 (consulté le 6 septembre 2015).
  7. Le gouvernement libanais approuve un plan pour mettre fin à la crise des déchets, Le Monde, 10 septembre 2015.
  8. Déchets au Liban : plus d'un an de crise, par Mathilde Rouxel, Les Clés du Moyen-Orient, 14 octobre 2016
  9. Des camions poubelle s'attaquent au "fleuve" de déchets autour de Beyrouth. RTS, 20 mars 2016.
  10. Liban : retour sur un an de crise des déchets, L'Orient-Le Jour, 18 juillet 2016
  11. La dĂ©charge de Costa Brava restera ouverte jusqu’au 31 janvier, L'Orient-Le Jour, 25 janvier 2017.
  12. Beyrouth : Lie double avec vue sur mer, Libération, 10 avril 2017.
  13. (en) « “As If You’re Inhaling Your Death” | The Health Risks of Burning Waste in Lebanon », Human Rights Watch,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  14. « Liban : La crise des dĂ©chets menace la santĂ© | Newsdesk Libnanews | Libnanews », Libnanews,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  15. « Liban: Human Right Watch lance une campagne contre l'incinĂ©ration des dĂ©chets | Newsdesk Libnanews | Libnanews », Libnanews,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  16. « Lebanon’s waste crisis rears its ugly head - Georgi Azar and Zeina Nasser », An-Nahar,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  17. « Crise des ordures: polĂ©mique au sujet des dĂ©chets qui ont envahi les plages », Libnanews,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  18. « Casquette - Casquette du mouvement You Stink », sur Mucem — MusĂ©e des civilisations et de la MĂ©diterranĂ©e (consultĂ© le )

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