Convention ferroviaire à quatre
La Convention ferroviaire à quatre est un accord international conclu le régissant les liaisons ferroviaires entre l'Autriche-Hongrie, la Serbie, la Bulgarie et l'empire ottoman, afin de faciliter la construction de la ligne de l'Orient-Express, première liaison internationale régulière, et sa circulation entre Vienne et Constantinople.
Contexte
Pressions contradictoires
Depuis le milieu du XIXe siècle, les projets d'édification d'un réseau ferroviaire ottoman sont nombreux et divisent non seulement les responsables ottomans, mais également les États européens.
Ainsi, le gouvernement ottoman est divisé sur l'opportunité d'établir une liaison ferrée directe entre Budapest, et au-delà avec les autres capitales européennes, et Constantinople, sa capitale ; certains se montrent hostiles à toute construction de ligne reliée au réseau occidental, souhaitant simplement la construction de lignes intérieures pour des raisons politiques, d'autres estiment indispensable relier la capitale à l'Europe et d'en faire un outil au service du maintien de l'empire ottoman[1]. Ainsi, face à l'entreprenante politique menée par le gouvernement serbe, autonome depuis 1832, le gouvernement ottoman souhaite empêcher la construction d'un chemin de fer passant par Belgrade et propose deux tracés, évitant soigneusement la Serbie ou plaçant la portion construite sur le territoire serbe sous son strict contrôle[2].
Les Grandes puissances sont également divisées sur la question de l'édification d'une ligne reliant Vienne et Constantinople. Les britanniques proposent des projets de tracés reliant Salonique à Varna ou Scutari à la Mer Noire et des projets de canaux de grande ampleur, notamment dans la vallée du Vardar ; le Reich impérial[alpha 1] et la double monarchie, méfiants à l'égard de la Serbie, soutiennent les projets ottomans visant à éviter le territoire serbe, en dépit de divergences sur le tracé de la ligne entre Autrichiens et Hongrois[3].
Le traité de Berlin
À la suite de guerre russo-turque de 1877, l'empire ottoman se voit imposer un recul territorial important, tout en mettant en place une internationalisation du tracé et de la construction de la ligne reliant Constantinople à l'Europe : la Serbie et la Bulgarie doivent honorer les engagements ottomans en matière ferroviaire sur l'ensemble de leur territoire, l'empire ottoman conservant ses obligations en Roumélie[4].
Dans le même temps, l'abandon de la Serbie par la Russie pousse le gouvernement serbe dans les bras de la double monarchie[5] : le , à la suite d'un accord avec la Serbie, la diplomatie austro-hongroise prend en charge les intérêts serbes à Berlin, moyennant notamment la construction de lignes de chemin de fer reliant l'ensemble du territoire serbe à la double monarchie[5].
Influence austro-hongroise
Une fois ces principes actés, une convention bilatérale austro-serbe est signée le , plaçant définitivement la Serbie sous tutelle austro-hongroise dans le domaine ferroviaire.
Dans ce cadre, le caractère international de ligne est acté par la Serbie, qui doit élaborer avec la double monarchie un tarif commun. Enfin, le point de contact entre les réseaux ferroviaires austro-hongrois et serbe est fixé à Belgrade[4]
Une fois la Serbie totalement sous tutelle ferroviaire de la double monarchie, Les diplomates austro-hongrois imposent à la Bulgarie et à l'empire ottoman la signature d'une convention complétant et étendant les résultats obtenus avec la Serbie[6].
Clauses de la convention
Établissement du tracé de nouvelles lignes dans les Balkans
Les quatre signataires s'engagent à réaliser rapidement, avant le , les lignes destinées à relier directement Vienne et Constantinople[6].
Standardisation
Les négociateurs austro-hongrois imposent à leurs partenaires les normes austro-hongroises en matière de chemin de fer[6], permettant la livraison de matériel ferroviaire austro-hongrois et allemand aux signataires[7].
Ainsi, l'écartement international de 1,436 mètre est adopté dans la convention[6].
De plus, le règlement des chemins de fer austro-hongrois est adopté pour la gestion et l'exploitation des lignes planifiées par la convention[6].
Un moyen au service de la Mitteleuropa
Un accord protectionniste
Quelques années après le déclenchement de la crise économique, en 1873, l'ensemble des pays européens remettent en cause leur politique de libre-échange et privilégient des choix protectionnistes[8].
Ainsi, la mise en place d'un système ferroviaire unifié sous tutelle austro-hongroise permet aux industriels austro-hongrois de disposer d'un marché captif ; cependant, ce marché est également l'objet des appétits de leurs homologues allemands, premiers fournisseurs étrangers de l'industrie métallurgique et mécanique austro-hongroise[9].
Le chemin de fer, vecteur d'influence allemande
Dans ce cadre, l'établissement d'une liaison ferroviaire directe entre le Reich et Constantinople de l'autre, contribuent à renforcer l'influence politique et économique allemande dans l'empire ottoman ; en effet, cette liaison facilite les échanges commerciaux entre les deux empires, les Allemands s'érigeant en partenaire commercial incontournable de l'empire osmanli[10].
Devenir de la convention
Le recul territorial ottoman consécutifs à la Première Guerre balkanique ne remet pas en cause la convention.
Immixtions allemandes
Durant toute la période précédant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, le Reich multiplie les initiatives pour parvenir à s'immiscer dans les Balkans par le biais d'une participation allemande aux échanges entre les quatre signataires de cette convention.
Ainsi, durant l'automne 1917, la négociation d'un tarif douanier entre le Reich et la double monarchie fournit aux négociateurs allemands une nouvelle occasion de tenter de s'intégrer à cette convention quadripartite. En effet l'essentiel du commerce extérieur du Reich à destination des Balkans et de l'Empire ottoman transitant par la double monarchie, les négociateurs allemands tentent de faire accepter par leurs homologues austro-hongrois l'intégration du Reich à la convention, sans succès[11].
Abrogation
Les traités de paix signés à Saint-Germain-en-Laye, à Trianon à Neuilly et à Sèvres oblige trois des quatre signataires, l'Autriche, la Hongrie[alpha 2], la Bulgarie et l'empire ottoman à se retirer de la convention ; ces retraits successifs, sans abroger formellement la convention, remettent en cause son caractère opérationel[12].
Notes et références
Notes
- Entre 1871 et 1945, le nom officiel de l'État national allemand est Deutsches Reich, simplement désigné par le terme Reich par la suite.
- Entre le et l'entrée en vigueur des traités de paix, l'Autriche et la Hongrie, auparavant liées, forment deux États indépendants, mais conservent en commun les obligations internationales héritées de la double monarchie.
Références
- Jacolin 2006, p. 6.
- Jacolin 2006, p. 7.
- Jacolin 2006, p. 9.
- Jacolin 2006, p. 16.
- Jacolin 2006, p. 18.
- Jacolin 2006, p. 19.
- Fischer 1970, p. 27.
- Fischer 1970, p. 22.
- Fischer 1970, p. 31.
- Fischer 1970, p. 28.
- Soutou 1989, p. 606.
- Renouvin 1934, p. 702.
Voir aussi
Bibliographie
- Fritz Fischer (trad. Geneviève Migeon et Henri Thiès), Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale (1914-1918) [« Griff nach der Weltmacht »], Paris, Éditions de Trévise, , 654 p. (BNF 35255571).
- Henry Jacolin, « L’établissement de la première voie ferrée entre l’Europe et la Turquie. Chemins de fer et diplomatie dans les Balkans », Revue d’histoire des chemins de fer, no 35, , p. 1-24 (pagination du document PDF généré à la demande) (lire en ligne)
- Pierre Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Peuples et civilisations » (no 19), , 779 p. (BNF 33152114).
- Georges-Henri Soutou, L'or et le sang : Les Buts de guerre économiques de la Première Guerre mondiale, Paris, Fayard, , 963 p. (ISBN 2-213-02215-1).