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Consentement patriotique

Le concept de consentement, ou de consentement patriotique, désigne l'acceptation d'un conflit armé pour des raisons nationalistes, par les combattants eux-mêmes. Il a notamment été utilisé à propos de la Première Guerre mondiale.

Cette notion a été développé dans les années 1990 par un groupe d'historiens rattachés au Centre de Recherche historique de l'Historial de Péronne parmi lesquels on peut citer les Français Jean-Jacques Becker, Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau. Il est formulé notamment par ces deux derniers dans l'ouvrage 14-18, Retrouver la guerre (Paris, Gallimard, 2000).

Concept

Le concept de consentement patriotique concerne la guerre de 1914-1918. Il soutient que l'attachement à la nation, la volonté de gagner la guerre et de protéger la patrie contre l'ennemi a prévalu au sein des sociétés européennes mais aussi des troupes combattantes sur les souffrances endurées par les combats et les privations.

Cette idée peut expliquer que le déclenchement du premier conflit mondial ait été accueilli sans panique en 1914 dans la plupart des États belligérants, voire ait provoqué des réactions enthousiastes dans certains lieux ou milieux (grandes villes notamment). Il se traduit au niveau politique par la mise en place dans les différents pays concernés de gouvernements d'Union sacrée, où les différends politiques sont mis de côté, l'ensemble de la classe politique faisant front commun.

Peu d'historiens ont diffusĂ© le terme de « consentement patriotique Â» et en font le facteur explicatif dĂ©terminant de la tĂ©nacitĂ© des populations au cours de la guerre, en particulier des combattants. En effet, en première analyse, la guerre se prolonge sans rencontrer d'oppositions organisĂ©es de grande ampleur. Un contre-exemple est cependant celui de la Russie avec la RĂ©volution bolchĂ©vique. Celle-ci est certes liĂ©e au contexte particulier qui a justement toujours Ă©tĂ© un empire bien plus qu'une nation, et oĂą l'Ă©conomie et l'État modernes sont bien plus fragiles qu'ailleurs. Mais on ne peut dĂ©tacher la RĂ©volution du contexte de la Grande guerre qui l'a dĂ©clenchĂ©e.

Dans cette optique, le consentement est dit « patriotique Â» car fondĂ© sur un nationalisme explicitement porteur de haine envers l'ennemi diabolisĂ©, ce que confirmerait un certain nombre de pratiques cruelles constatĂ©es soit sur le front, soit contre les populations civiles envahies (viols, massacres de villages entiers, destructions inutiles, terre brĂ»lĂ©e).

DĂ©bat

Le concept de consentement patriotique, parfois diffusĂ© dans les mĂ©dias et l'enseignement, est reconnu par une partie des historiens français voire europĂ©ens. Toutefois, de nombreux chercheurs ont discutĂ© ce terme (consentement conscient ou inconscient, choix raisonnĂ© ou en raison d'un bourrage de crâne) et la vision des sociĂ©tĂ©s combattantes qu'il vĂ©hicule, dĂ©clenchant une « querelle du consentement Â»[1]. On peut citer parmi eux Antoine Prost, FrĂ©dĂ©ric Rousseau ou encore RĂ©my Cazals. Un groupe d'historiens attachĂ© notamment Ă  nuancer la thèse du « consentement patriotique » a vu le jour en 2005 sous le nom de CRID 14-18.

La discussion historiographique critique, souvent virulente, porte sur plusieurs points :

  • le fait que les sources qui appuient la thèse du « consentement » proviennent majoritairement des Ă©lites, des intellectuels et de l'arrière, sans prendre en compte les très nombreux tĂ©moignages de combattants qui peuvent faire preuve d'indiffĂ©rence envers le patriotisme ;
  • l'aspect rĂ©ducteur d'une thèse qui fait des croyances et reprĂ©sentations des individus (leur patriotisme voire leur autocontrainte[2]) le ressort ultime de leur conduite sans prĂŞter attention aux interactions sociales (discipline, camaraderie, etc.) par lesquelles se construit l'obĂ©issance ;
  • le caractère englobant de la thèse qui assigne Ă  tous les EuropĂ©ens un mĂŞme « consentement » sans prendre en compte les diffĂ©rences nationales :
    • le patriotisme est ainsi nĂ©gligeable ou absent pour les populations slaves de l'Autriche-Hongrie, qui raisonnent en termes de fidĂ©litĂ© traditionnelle Ă  l'Empereur, ou pour la population de l'Italie, très majoritairement hostile Ă  l'entrĂ©e en guerre en 1915 ;
    • ni les origines sociales et la position (au front, Ă  l'arrière) des diffĂ©rents acteurs ;
  • la minimisation des diffĂ©rentes formes de rĂ©sistance (mutinerie, stratĂ©gies d'Ă©vitement (le fait de chercher une affectation Ă  l'arrière par exemple) ou accommodements (fraternisations et accords tacites) qui conduisent frĂ©quemment les combattants Ă  tenter de diminuer la violence du conflit ;
  • l'absence d'analyse des excès de la justice militaire dont l'exemple le plus significatif sont les soldats fusillĂ©s pour l'exemple.

On oppose parfois à l'école du « consentement » (consentement entendu sur le mode d'une acceptation réaliste et parfois désespérée) une école de la « contrainte », représentée par de nombreux historiens et en particulier par les membres du collectif de recherche international et de débat sur la guerre 1914-1918.

Certains travaux ont cependant montré que la genèse de la survenance de la Première Guerre mondiale comporte des éléments objectifs : la caste nobiliaire d'Allemagne et d'Autriche, avec le soutien brutal des milieux pangermanistes de ces deux pays ont clairement agi pendant les mois qui ont précédé le déclenchement de la guerre[3]. C'est la thèse de Fischer.

Le consentement est peut-être nuancé. Les archives (notamment les carnets de guerre, les journaux de tranchées et les chansons d'époque) montrent des sentiments parfois complexes, et un malaise ou de profonds malentendus entre « l'arrière » et combattants poilus du front. Les nombreuses et parfois virulentes allusions d'époque aux « planqués de l'arrière » (présentés comme des civils lâches, des donneurs de leçons, et parfois jugés « extrémistes » dans leur volonté de guerre ; ce qui a choqué Maurice Genevoix). Les poilus critiquent les « embusqués » de l'arrière souvent présentés comme coquets, jouisseurs et noceurs pendant qu'on meurt par milliers dans les tranchées. Ils critiquent aussi les embusqués de l'état-major (grands officiers et leurs intendances, secrétaires, vaguemestres, etc. réputés protégés à l'arrière du front). Un clivage est aussi apparu entre paysans restant au front avec les petits commerçants (hors viticulteurs qui ont bénéficié des grands besoins en vin de l'armée) alors que les ouvriers étaient renvoyés vers l'arrière pour les besoins des usines d'armement et de munition. Le mot « embusqué » a pris une connotation négative dès la fin du XIXe siècle[4].

Des chansons comme La Chanson de Craonne associent des élans patriotique ou au moins une reconnaissance de la nécessité de la guerre, mais souhaitent que l'effort de guerre soit partagé par tous. Cette chanson a évolué au cours de la guerre à partir de La Chanson de Lorette : ce sont des indices d'un consentement. De nombreux mutins faisaient preuve d'une volonté de se battre, mais pas dans les combats inutiles et sans espoirs auxquels certains généraux selon eux les envoyaient. Les soldats du front réclament l'égalité face à l'impôt du temps (3 ans de service militaires en 1913), mais aussi face à l'impôt du sang. Des réseaux frauduleux et des faux certificats médicaux ont existé, mais le nombre de personnes en ayant bénéficié semble finalement peu élevé selon les historiens.

Si les versions extrêmes du consentement (acceptation aveugle, défense joyeuse du territoire, départ « la fleur au fusil ») ou de la contrainte (officiers dégainant leurs armes pour forcer leurs hommes à sortir des tranchées , discipline stricte mais ne s'exprimant dans toute sa rigueur qu'au début de la guerre) se trouvent bel et bien attestés, elles ne peuvent prétendre rapporter toute l'expérience de la guerre, le comportement des soldats étant surtout marqué par de la résignation qui rend difficile de distinguer le degré de consentement et de soumission[5].

L'histoire des représentations montre que des raisons autres que le consentement patriotique ou la contrainte stricte peuvent expliquer que les soldats ont tenu au front : pression du groupe et attachement aux camarades ; sentiment d'honneur envers ses pairs, sa famille, son village, la loyauté étant la moins coûteuse socialement pour la réinsertion après-guerre[6] ; volonté des plus âgés de faire leur devoir pour épargner les générations plus jeunes d'avoir à participer à la guerre [7].

Notes et références

  1. Jean-Yves Le Naour, « Le champ de bataille des historiens », sur La vie des idées, .
  2. Yann Lagadec, « Réinvestir l’expérience de guerre. Les Carnets du lieutenant Cocho (1914-1919) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, no 118,‎ , p. 165-191.
  3. Fritz Fischer (trad. Geneviève Migeon et Henri Thiès, préf. Jacques Droz), Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale (1914-1918), Paris, Éditions de Trévise, (1re éd. 1961), 654 p.. [détail des éditions].
  4. Charles Ridel, Les Embusqués, Armand Colin, .
  5. Christophe Prochasson, 1914-1918 : retours d'expériences, Éditions Tallandier, , p. 126
  6. RĂ©my Cazals, Les mots de 14-18, Presses Universitaires du Mirail, , p. 36
  7. François Cochet, Survivre au front 1914-1918 : les poilus entre contrainte et consentement, 14-18 éditions, , p. 263

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean Birnbaum, « Guerre de tranchĂ©es entre historiens », Le Monde,‎ .
  • Entretiens avec Marcela Iacub par Paul Costey et Lucie Tangy et avec Christian Ingrao par Juliette Denis, « Dossier Consentir : domination, consentement et dĂ©ni », Revue de sciences humaines TracĂ©s, no 14,‎ .
  • François Cochet, Survivre au front 1914-1918 : les poilus entre contrainte et consentement, 14-18 Ă©ditions, , 263 p.

Articles connexes

Liens externes

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