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Conseils traditionnels de l'État de Yap

Les conseils traditionnels de l'État de Yap sont deux assemblĂ©es, formalisĂ©es par la constitution de l'État de Yap, dans les États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie, promulguĂ©e en 1992, rĂ©unissant des chefs traditionnels : le Conseil de Pilung pour les chefs des Îles Yap, et le Conseil de Tamol pour les chefs des Ăźles extĂ©rieures de Yap. L'exĂ©cutif, le lĂ©gislatif, le judiciaire et les conseils traditionnels sont les quatre pouvoirs institutionnels de l'État de Yap, mais les conseils, Ă  la diffĂ©rence des autres, transcendent le concept de sĂ©paration des pouvoirs. Ils sont chargĂ©s d'exercer les fonctions qui concernent la tradition et la coutume, dont la consignation dans le droit Ă©crit n'est pas obligatoire. Dans l'État de Yap, les coutumes et traditions priment sur toute interprĂ©tation de la constitution et mĂȘme sur toute dĂ©cision judiciaire. Les conseils disposent ainsi d'un droit de veto sur les textes lĂ©gislatifs qu'ils jugent contraires aux pratiques traditionnelles. La constitutionnalitĂ© de ces conseils et du droit de veto pourrait ĂȘtre remise en cause au regard du droit constitutionnel fĂ©dĂ©ral de MicronĂ©sie, mais elle ne l'a jamais Ă©tĂ© jusqu'Ă  prĂ©sent.

Les chefs des conseils disposent d'une grande influence qui leur permet de pousser Ă  la dĂ©mission des membres de l'administration qu'ils jugent fautifs et de choisir les candidats admis Ă  se prĂ©senter aux Ă©lections aux postes de gouverneur et de lieutenant-gouverneur de l'État de Yap. Les conseils se rĂ©unissent pĂ©riodiquement pour dĂ©battre de questions relatives aux coutumes et aux traditions, formuler des avis Ă  ceux venus les consulter et obtenir leur approbation, organiser des manifestations Ă  vocation culturelle et patrimoniale. Les chefs traditionnels bĂ©nĂ©ficient d'un large soutien au sein de la population qui les considĂšre comme les arbitres lĂ©gitimes de la vĂ©ritĂ© dans les domaines des traditions et des coutumes, et comme des protecteurs du peuple.

Coutumes et traditions : un fragment d'identité

Carte en couleur figurant à l'est un ensemble d'üles constituant l’État de Yap
Situation de l’État de Yap, en vert, au sein des États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie

La constitution des États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie, chacune des constitutions des quatre États du pays, Yap, Chuuk, Pohnpei et Kosrae, et mĂȘme certaines constitutions de municipalitĂ©s telles que Lukunor et Namoluk dans l’État de Chuuk reconnaissent et protĂšgent Ă  des degrĂ©s divers le rĂŽle et le poids des coutumes et traditions dans le droit[1]. Au niveau fĂ©dĂ©ral, la constitution prĂ©voit la possibilitĂ© de crĂ©ation d'une chambre des Chefs constituĂ©e de chefs traditionnels ou de reprĂ©sentants Ă©lus, mais ce projet, impulsĂ© Ă  la fin des annĂ©es 1970 par les États de Pohnpei et de Yap[1] n'a pas Ă©tĂ© couronnĂ© de succĂšs[2].

Les populations de l’État de Yap ont su prĂ©server, malgrĂ© une longue domination Ă©trangĂšre — espagnole, allemande, japonaise puis amĂ©ricaine —, la dĂ©population consĂ©cutive aux maladies apportĂ©es par les europĂ©ens et les influences culturelles extĂ©rieures, un corpus solide de coutumes et de traditions[3]. L’État de Yap est le seul Ă  avoir attribuĂ© une position institutionnelle aux chefs garants de celles-ci[1]. Elle est d'ailleurs unique dans le Pacifique[3]. Traditionnellement, les chefs yapais ont tout pouvoir sur le foncier et autoritĂ© sur quiconque. Ils avaient Ă©galement, dans le passĂ©, pouvoir de vie et de mort[3].

Fabrique constitutionnelle des conseils traditionnels yapais

Carte en couleur figurant les Ăźles Yap et avec des traits violets des limites
FrontiĂšres des nug des Îles Yap avec en tiretĂ© les limites des villages

La constitution des États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie et la constitution de l'État de Yap indiquent et mettent en Ɠuvre l'interdĂ©pendance des dispositions lĂ©gales et traditionnelles en matiĂšre de droits[4], mais la constitution de l'État de Yap reconnaĂźt quatre pouvoirs : l'exĂ©cutif, le lĂ©gislatif, le judiciaire et les chefs traditionnels[3].

La premiĂšre section de l'article III de la constitution yapaise, ajoutĂ©e en 2006 par un amendement, reconnaĂźt le rĂŽle dans les traditions et les coutumes des Dalip pi Nguchol[5], les trois chefs suprĂȘmes des Ăźles Yap, ceux qui y possĂšdent les trois terres de plus haut rang et sous l'autoritĂ© desquels l'ensemble des villages, comportant eux-mĂȘmes des chefs, est rĂ©parti en trois nug[3] - [6] - [7]. Traditionnellement, les Ăźles Yap ont toujours eu un statut plus Ă©levĂ© que les Ăźles extĂ©rieures de Yap, consĂ©quence du systĂšme hiĂ©rarchique inter-Ăźles du sawei, disparu au dĂ©but du XXe siĂšcle[3] - [8]. Dans la sociĂ©tĂ© des Ăźles Yap, c'est le rang de la terre dans la hiĂ©rarchie traditionnelle qui fait de son propriĂ©taire le chef[6] - [8]. Dans les Ăźles extĂ©rieures de Yap, l'homme le plus ĂągĂ©, ou dans quelques cas la femme de la plus ancienne lignĂ©e matrilinĂ©aire, est considĂ©rĂ© comme chef de l'Ăźle ou de l'atoll[8]. Pour veiller au respect et au maintien des traditions et coutumes, la deuxiĂšme section de l'article III de la constitution formalise depuis sa promulgation en 1982 l'existence de deux conseils des chefs : l'un pour les chefs des municipalitĂ©s des Ăźles Yap, le conseil de Pilung et l'autre pour les chefs des municipalitĂ©s des Ăźles extĂ©rieures de Yap, le conseil de Tamol[3] - [5] - [9] - [10]. LĂ©galement, ces derniers sont donc considĂ©rĂ©s comme les Ă©gaux de ceux des Ăźles Yap, alors que traditionnellement ils en sont des subordonnĂ©s[11].

Dans les Ăźles Yap, le terme pilung, qui signifie « plusieurs voix » (pii — plusieurs, lung — voix) en Yap, est utilisĂ© pour dĂ©signer le chef de village, c'est-Ă -dire le propriĂ©taire de la terre au plus haut rang dans un village[7]. Le terme Tamol est dans les Ăźles extĂ©rieures de Yap un terme gĂ©nĂ©rique utilisĂ© pour dĂ©signer un chef[12] - [13] - [14].

Schéma figurant avec des cadres et des flÚches colorés les relations entre les pouvoirs
Les quatre pouvoirs institutionnels de l'État de Yap

La troisiĂšme section de l'article III spĂ©cifie que rien dans la Constitution ne pourra ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme une limitation ou une invalidation de quelque tradition ou coutume reconnue[3]. Les coutumes et traditions priment sur tout texte de loi, toute interprĂ©tation de la constitution et mĂȘme sur toute dĂ©cision judiciaire[3]. Pour l'avocat en droit Brian Z. Tamanaha, « contrairement aux trois autres branches toutefois, les conseils transcendent le concept de sĂ©paration des pouvoirs en exerçant des fonctions quasi lĂ©gislatives, quasi exĂ©cutives et judiciaires, sans oublier les fonctions de chef »[3].

Le mandat juridique des conseils traditionnels est assez opaque et peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© de maniĂšre diverse. Il est communĂ©ment acceptĂ© que leur rĂŽle est de maintenir et de prĂ©server le patrimoine culturel yapais et notamment le yalen u Wa’ab, c'est-Ă -dire les coutumes et les traditions[10]. Les sections 16 Ă  18 de l'article V de la constitution les habilitent Ă  remplir des fonctions qui concernent la tradition et la coutume dans l'État et Ă  examiner et Ă  dĂ©sapprouver un acte de la lĂ©gislature de l'État de Yap s'il enfreint Ă  leur sens les coutumes et les traditions[3] - [9] - [10]. Celles-ci ne sont pas codifiĂ©es mais transmises oralement[4] - [15]. Ce droit de veto, que les conseils utilisent avec parcimonie, ne peut pas ĂȘtre annulĂ©[9]. Le lĂ©gislateur, s'il souhaite poursuivre le cheminement lĂ©gislatif, doit incorporer les objections dans le projet de loi, le renvoyer pour examen Ă  l'assemblĂ©e puis, en cas d'adoption, Ă  nouveau aux conseils pour approbation[9]. Pour Ă©viter un blocage, les projets de loi peuvent ĂȘtre soumis Ă  une lecture prĂ©alable par les conseils[3]. En 1982, au cours de la convention constitutionnelle yapaise, le droit de veto, hĂ©ritĂ© de la Charte du district de Yap de 1978, a fait l'objet d'un intense dĂ©bat. Le ComitĂ© permanent de la convention, organe de proposition, l'Ă©carte au profit d'un texte exigeant que seuls les projets de loi relatifs Ă  la coutume et Ă  la tradition soient transmis aux Conseils et qu'ils ne puissent que commenter et non dĂ©sapprouver un projet de loi[3]. Les dĂ©lĂ©guĂ©s de la convention ont refusĂ© cette recommandation[3].

Constitutionnalité des conseils

La constitution des États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie spĂ©cifie que ses quatre États constitutifs doivent disposer d’un gouvernement dĂ©mocratique, garanti par des Ă©lections pour l'assemblĂ©e lĂ©gislative de l'État de Yap. Toutefois, ce principe fondamental est potentiellement violĂ© par l'inclusion d'un rĂŽle formel des chefs traditionnels et par la primautĂ© des droits traditionnels[3] - [9]. Cette derniĂšre Ă©tait dĂ©jĂ  formulĂ©e dans la Charte du district de Yap, promulguĂ©e en 1978 par l'AssemblĂ©e lĂ©gislative du district de Yap sous l'administration du Territoire sous tutelle des Ăźles du Pacifique[3]. MalgrĂ© tout, une disposition de la constitution des États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie reconnaĂźt les droits et privilĂšges coutumiers des chefs traditionnels et leur droit de gouverner leur peuple[9]. D'aprĂšs l'avocate des droits de l'Homme Tina Takashy, dans ce pays, les droits collectifs et communautaires priment sur les droits individuels, lesquels ne sont envisagĂ©s que tant qu'ils restent nĂ©cessaires ou utiles aux buts ou objectifs fixĂ©s[4].

La constitutionnalitĂ© des deux conseils traditionnels n'a encore jamais Ă©tĂ© remise en cause, que ce soit par les ressortissants japonais qui, selon l'homme d'État micronĂ©sien John Haglelgam, n'oseraient pas le faire, ou par les Yapais qui, d'aprĂšs lui, estiment que le vote est un concept Ă©tranger qui leur est imposĂ© par le monde extĂ©rieur et ne le considĂšrent pas comme un droit de tous[9]. L'avocat Brian Tamanaha pense que si ce droit de veto des conseils Ă©tait dĂ©clarĂ© inconstitutionnel, car en contradiction avec la nĂ©cessitĂ© de pouvoir dĂ©mocratique formulĂ© par la constitution fĂ©dĂ©rale, le pouvoir institutionnel des chefs traditionnels serait considĂ©rablement affaibli[3]. Durant l'Ă©tĂ© 1990, une convention constitutionnelle fĂ©dĂ©rale propose une loi portant sur la crĂ©ation d'une Chambre des Chefs. Elle est rejetĂ©e par les Ă©lecteurs micronĂ©siens en 1991 avec dans le dĂ©tail des rĂ©sultats variĂ©s mais un rejet massif pour l’État de Yap. Le sociologue Glenn Petersen propose comme explication que nombre de micronĂ©siens et particuliĂšrement les Yapais ont pleinement conscience des diffĂ©rences entre chefferie et État, et qu'ils veulent prĂ©server le rĂŽle de protecteurs du peuple des chefs traditionnels, conserver des blocs de pouvoir concurrents et ne pas se laisser imposer le seul pouvoir fĂ©dĂ©ral (pouvoir auquel ils reconnaissent toutefois des mĂ©rites[2] - [16]). Pour nombre d'observateurs, le systĂšme yapais est un systĂšme politique traditionnel viable[2].

Fonctionnement des conseils

Le fonctionnement et les modalitĂ©s de nomination des membres des conseils sont laissĂ©s au bon vouloir de ces assemblĂ©es[17]. Les conseils de Pilung et de Tamol sont composĂ©s des hauts chefs ou leurs reprĂ©sentants de chaque municipalitĂ© des Îles Yap ou district des Ăźles extĂ©rieures de Yap[10]. Au sein de chaque municipalitĂ©, les chefs de village choisissent parmi les chefs de haut-rang celui qui les reprĂ©sente au conseil de Pilung. Dans le cas oĂč plusieurs chefs sont en concurrence, le jeu des influences et des liens de parentĂ© permet de dĂ©signer le vainqueur[8]. La municipalitĂ© de Rull est la seule Ă  organiser une Ă©lection pour choisir son chef au conseil mais ceux en ayant occupĂ© le poste sont des chefs de haut-rang[8]. Pour le conseil de Tamol, le chef de la municipalitĂ© est le chef de l'Ăźle ou de l'atoll qui lui correspond[8]. Chaque changement dans la composition des conseils doit ĂȘtre rapportĂ© Ă  la Cour d'État, Ă  l'AssemblĂ©e lĂ©gislative et au Gouverneur pour enregistrement[17].

Les chefs de chaque conseil se rĂ©unissent pĂ©riodiquement. Ceux du conseil de Pilung se rassemblent toutes les semaines dans leur bureau central Ă  Colonia pour dĂ©battre de questions relatives aux coutumes et aux traditions, formuler des avis Ă  ceux venus les consulter et obtenir leur approbation, organiser des manifestations Ă  vocation culturelle et patrimoniale telles que le Yap day[10]. Les chefs du conseil de Tamol se rassemblent une Ă  deux fois par an sur les Ăźles Yap[8] - [18] - [19]. Chaque annĂ©e, des crĂ©dits sont votĂ©s par l'AssemblĂ©e lĂ©gislative pour le fonctionnement des conseils[17]. Celui de Pilung reçoit depuis 1987 une allocation de 1 000 $ pour ses dĂ©penses dont l'Ă©ventuel emploi d'assistants administratifs tandis que les chefs du conseil de Tamol sont dĂ©frayĂ©s par une indemnitĂ© quotidienne pour chaque jour de rĂ©union et reçoivent au total moins que ceux du conseil de Pilung[8] - [17]. Aucun membre des conseils ne perçoit de salaire[8] - [17].

Exercice du pouvoir par les conseils traditionnels

Carte en couleur figurant des ßles trÚs éloignées les unes des autres
Carte de l’État de Yap

Les conseils ont opposĂ© leur veto Ă  des projets de loi de crĂ©dits car ils violaient Ă  leur sens les coutumes et les traditions[9]. Dans la pratique, la dĂ©finition est trĂšs large : au milieu des annĂ©es 1980, le conseil de Pilung a opposĂ© son veto Ă  une proposition de faire fonctionner un bus dans une certaine municipalitĂ© au motif qu'il n'Ă©tait pas traditionnel de faire passer un bus dans une municipalitĂ© et non dans les autres municipalitĂ©s[8]. Ainsi que l'autorise le Code de l'État de Yap, les conseils peuvent conseiller et faire des recommandations aux dĂ©partements et bureaux de la branche exĂ©cutive du gouvernement de l'État ou apporter leur aide aux municipalitĂ©s et Ăźles[17]. Il leur est reconnu la possibilitĂ© d'organiser des audiences de contrĂŽle, contraignant ainsi le gouverneur de l'État et son cabinet mais aussi l'ensemble de l'administration Ă  justifier leur politique et leurs actes. D'aprĂšs l'ancien prĂ©sident des États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie John Haglelgam l'efficacitĂ© des conseils est limitĂ©e car leurs membres sont relativement peu Ă©duquĂ©s[9]. Ils peuvent tout de mĂȘme contraindre Ă  la dĂ©mission tout ou partie du gouvernement, par exemple en cas de critique Ă  l'encontre des conseils[9].

Les conseils jouent un rĂŽle dĂ©terminant dans l’élection du gouverneur et du lieutenant-gouverneur : leur appui est indispensable. GĂ©nĂ©ralement, les membres du conseil de Tamol travaillent de concert avec les chefs du conseil de Pilung et s'en remettent Ă  eux. Depuis l'application de la constitution en 1984, les postulants Ă  ces deux fonctions ont Ă©tĂ© essentiellement choisis par les conseils et se sont alors toujours prĂ©sentĂ©s sans opposants[9] - [8]. Aucun chef traditionnel ne s'est jamais proposĂ© pour un tel poste. Lors de certaines Ă©lections, des chefs des Ăźles pĂ©riphĂ©riques ont parfois votĂ© Ă  la place des Ă©lecteurs. Peu de Yapais s'opposent Ă  l'influence des conseils et des chefs sur les processus Ă©lectoraux. Une blague populaire affirme que le gouverneur et le lieutenant-gouverneur ne manqueront Ă  aucun Yapais s’ils se perdent en mer[9].

Le soutien des conseils est Ă©galement recommandĂ© pour accĂ©der au poste de sĂ©nateur d’État de Yap. Le seul Ă  s'en ĂȘtre abstenu est John Haglelgam, nĂ© Ă  Eauripik, qui, en 1987, se prĂ©sente face au candidat des conseils pour le CongrĂšs de MicronĂ©sie, prĂ©curseur du CongrĂšs des États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie, et parvient Ă  se faire Ă©lire. Les conseils sont dĂ©savouĂ©s par les Ă©lecteurs[8]. Le conseil de Pilung choisit alors de le soutenir et le conseil de Tamol s'y rĂ©sout plus mollement, ses membres Ă©prouvant du ressentiment. John Haglelgam est Ă©lu prĂ©sident des États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie par ses trois autres confrĂšres sĂ©nateurs d’État le 11 mai 1987[8]. En 1990, une rumeur rapporte que le soutien du conseil de Tamol s'Ă©rode, le prĂ©sident ne leur ayant pas accordĂ© assez de temps lors d'une visite officielle. En 1991, il perd les Ă©lections au poste de sĂ©nateur d’État et ne peut donc pas postuler Ă  un second mandat prĂ©sidentiel[8].

En 1987, les chefs du conseil de Tamol ont Ă©tĂ© Ă  leur demande, sans avoir reçu de formation spĂ©cifique, instituĂ©s juges municipaux[18]. En tant que propriĂ©taires terriens exclusifs ou trĂšs majoritaires des Ăźles dont ils sont les chefs, ils sont des intermĂ©diaires obligĂ©s de l’État lorsque celui-ci veut implanter des services publics[18]. Les conseils traditionnels sont chargĂ©s par le Code de l'État de Yap de promouvoir et prĂ©server les traditions et les coutumes[17]. La manifestation culturelle du Yap day, un Ă©vĂšnement majeur dans l’État, est organisĂ©e par un comitĂ© dont deux des cinq places sont rĂ©servĂ©es Ă  des membres du conseil de Pilung. Dans les faits, le conseil de Pilung contrĂŽle de nombreux aspects de la manifestation et notamment les spectacles de danse. Si le comitĂ© suggĂšre des danses, le conseil exerce l'autoritĂ© en ce qui concerne quelle danse doit ĂȘtre exĂ©cutĂ©e par quel village et dĂ©finit la rĂ©tribution reçue par les danseurs[20].

Fin mars 2019, neuf des dix membres du conseil de Pilung demandent l'expulsion de la journaliste amĂ©ricaine Joyce McClure, rĂ©cemment installĂ©e aux Îles Yap, l'accusant de diffuser de fausses informations risquant de perturber la sĂ©curitĂ© de l'État[21] - [22] - [23]. Celle-ci venait de publier des articles sur des tentatives de corruption par une sociĂ©tĂ© Ă©trangĂšre des gouverneurs et lieutenants gouverneurs de l'État de Yap, rĂ©vĂ©lĂ©s par eux-mĂȘmes[24], et sur des affaires d'octroi de permis de pĂȘche autour d'Ulithi ayant entraĂźnĂ© la destitution d'un membre du conseil de Tamol, le chef Fernando Moglith[25] - [26]. L'expulsion est refusĂ©e par la lĂ©gislature yapaise le 30 avril, ses membres estimant la demande dĂ©placĂ©e et hors des champs de compĂ©tence du conseil. La possibilitĂ© d'une manipulation des chefs par des personnes extĂ©rieures est Ă©voquĂ©e par des membres haut placĂ©s de l'administration[27].

La crĂ©ation des conseils a transformĂ© dans une certaine mesure l'exercice de l'autoritĂ© traditionnelle et la maniĂšre dont il est employĂ© au service de la communautĂ©[10]. En souhaitant protĂ©ger l'autoritĂ© traditionnelle en l'incorporant dans le gouvernement, les Yapais l'ont aussi intrinsĂšquement modifiĂ©e[11]. Il existait par exemple auparavant des protocoles stricts pour les interactions entre chefs et leurs rassemblements[10]. Ainsi que le rapporte l'anthropologue Stefan M. Krause, « Ă  prĂ©sent, les chefs doivent se rĂ©unir rĂ©guliĂšrement dans un bureau central pour percevoir une allocation mineure destinĂ©e essentiellement Ă  des tĂąches administratives exĂ©cutĂ©es au service de l'État. Ils semblent ĂȘtre coincĂ©s dans un arrangement oĂč leur pouvoir est principalement utilisĂ© pour approuver ou dĂ©sapprouver les activitĂ©s et les pratiques de l'État. Ils n'ont ni les ressources Ă©conomiques ni l'autoritĂ© lĂ©gale pour faire beaucoup plus »[10]. Les financements qu'ils demandent pour leurs projets liĂ©s au patrimoine culturel sont systĂ©matiquement refusĂ©s[10]. Pour Stefan M. Krause, l'État s'est appropriĂ© l'autoritĂ© traditionnelle des chefs en les incorporant Ă  leur institution disciplinaire[10]. Il dĂ©plore que l'action des conseils soit limitĂ©e par leur position institutionnelle et pense qu'un renforcement du pouvoir des conseils traditionnels leur permettrait de gĂ©rer plus efficacement les pratiques patrimoniales[10].

Conseil de Pilung dans le débat public

Les conseils traditionnels sont rarement le sujet de dĂ©bats publics. Au dĂ©but des annĂ©es 2010, une large partie de la population s'est opposĂ©e Ă  l'Ă©tablissement d'un gigantesque hĂŽtel casino de 10 000 chambres d'une sociĂ©tĂ© chinoise sur les Ăźles Yap, projet abandonnĂ© depuis. Dans cette affaire, le conseil de Pilung a durant un temps nĂ©gociĂ© avec les investisseurs Ă©trangers et un de ces membres a peut-ĂȘtre reçu un pot-de-vin[28] - [6]. Le dĂ©bat, qui a beaucoup divisĂ© le pays, a abouti Ă  la contestation de l'autoritĂ© traditionnelle de quelques membres du conseil, les critiques souhaitant que seuls les chefs propriĂ©taires des terres des plus hauts rangs y siĂšgent et non des individus choisis pour les remplacer en raison de leur Ăąge ou de leur sagesse en matiĂšre de traditions et de coutumes. MalgrĂ© tout, la grande majoritĂ© de la population considĂšre les conseils comme les arbitres lĂ©gitimes de la vĂ©ritĂ© dans les domaines du yalen u Wa’ab[10].

Notes et références

  1. [PDF](en) Gonzaga Puas, The Federated States of Micronesia’s Engagement with the Outside World: Control, Self-Preservation, and Continuity, Canberra, Australian National University, , 281 p. (lire en ligne), p. 52-54.
  2. (en) Glenn Petersen, « At the Intersection of Chieftainship and Constitutional Government: Some Comparisons from Micronesia », Journal de la SociĂ©tĂ© des OcĂ©anistes, vol. 141,‎ , p. 255-265 (ISSN 1760-7256, lire en ligne).
  3. (en) Brian Z. Tamanaha, « The Role of Custom and Traditional Leaders under the Yap Constitution », University Hawai'i law review,‎ , p. 81-104.
  4. [PDF](en) Tina Takashy, « Federated states of Micronesia : country report on human rights », Victoria University of Wellington Law Review, vol. 25,‎ , p. 25-35 (ISSN 1171-042X, lire en ligne).
  5. (en) Constitution of the state of Yap, Gouvernement des États fĂ©dĂ©rĂ©s de MicronĂ©sie, (lire en ligne), Article 3.
  6. (en) Donald Rubinstein et Clement Yow Mulalap, “Yap Paradise Island”: A Chinese Company's Proposal for Building a 10,000-Room Mega-Resort Casino Complex, Canberra, Australian National University, , 14 p. (lire en ligne), p. 5-6.
  7. [PDF](en) Iwaq Ushijima, « Political Structure and Formation of Communication Channels on Yap Island : A Case Study of the Fanif District », Senri Ethnological Studies, vol. 21,‎ , p. 177-203 (lire en ligne).
  8. (en) Eve C. Pinsker, « Traditional leaders today in the Federated states of Micronesia », dans Geoffrey M. White, Lamont Lindstrom, Chiefs today : Traditional Pacific leadership and the Postcolonial State, Stanford, Stanford university press, , 343 p. (ISBN 0-8047-2849-6), p. 150-182.
  9. [PDF](en) John Haglelgam, « Traditional leaders and governance in Micronesia », State society and governance in Melanesia, vol. 98, no 2,‎ , p. 1-7 (ISSN 1328-7834, lire en ligne). Texte repris dans (en) John Haglelgam, « Big men », dans Brij V. Lal, Kate Fortune, The pacific islands : an encyclopedia, vol. 1, Honolulu, HawaĂŻ, , 704 p. (ISBN 0-8248-2265-X, lire en ligne), p. 273-276.
  10. [PDF](en) Stefan M. Krause, The Production of Cultural Heritage Discourses: Political Economy and the Intersections of Public and Private Heritage in Yap State, Federated States of Micronesia, University of South Florida, , 421 p. (lire en ligne), p. 282-286.
  11. (en) Norman Meller, « On Matters Constitutional in Micronesia », The Journal of Pacific History, vol. 15, no 2,‎ , p. 83-92 (lire en ligne).
  12. (en) William E. Lessa, More tales from Ulithi atoll : A content analysis, Berkeley, University of California press, , 166 p. (ISBN 0-520-09615-0, lire en ligne), p. 17, 20, 32, 52.
  13. (en) Paul D'Arcy, The People of the Sea: Environment, Identity, And History in Oceania, Honolulu, University of Hawai'i, , 312 p. (ISBN 978-0-8248-2959-9, lire en ligne), p. 146, 152, 160.
  14. (en) William H. Alkire, Lamotrek Atoll and Inter-island Socioeconomic Ties, Chicago, University of Illinois Press, , 180 p. (lire en ligne), p. 165.
  15. D'aprÚs Tina Takashy, dans le cadre du foyer, ceci peut entraßner des abus et violations des droits de l'homme lorsque l'objectif est d'assurer la protection de la cohésion sociale et l'harmonie et la survie commune.
  16. (en) Glenn Petersen, « A micronesian Chamber of Chiefs ? The 1990 Federated States of Micronesia Constitutional Convention. », dans Geoffrey M. White, Lamont Lindstrom, Chiefs today : Traditional Pacific leadership and the Postcolonial State, Stanford, Stanford university press, , 343 p. (ISBN 0-8047-2849-6), p. 183-196.
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  18. (en) Brian Z. Tamanaha, Understanding Law in Micronesia : An Interpretive Approach to Transplanted Law, Leide, E. J. Brill, , 214 p. (ISBN 9004097686, lire en ligne), p. 20-24.
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  20. [PDF](en) Toru Aoyama, « Yap day : cultural politics in the state of Yap », Kagoshima University Research Center for the Pacific Islands, Occasional Papers, vol. 34,‎ , p. 1-13 (lire en ligne).
  21. (en) Mar-Vic Cagurangan, « Holding the line; in support of Joyce McClure », sur www.pacificislandtimes.com, (consulté le ).
  22. (en) « Yap’s traditional chiefs seek to expel, gag probing US journalist », sur asiapacificreport.nz, (consultĂ© le ).
  23. (en) « Chiefs in FSM's Yap demand journalist's expulsion », sur www.radionz.co.nz, (consulté le ).
  24. (en) Joyce McClure, « Anonymous gifts left for new Yap leaders revealed », sur www.pacificislandtimes.com, (consulté le ).
  25. (en) Joyce McClure, « Chinese target Yap fish with some local help », (consulté le ).
  26. (en) Joyce McClure, « Traditional Yap chief axed for fishing deals with outsiders », (consulté le ).
  27. (en) « Yap legislature rejects ‘kick out’ demand over US journalist », sur asiapacificreport.nz, Multimedia Investments, (consultĂ© le ).
  28. (en) Bill Jaynes, « Yap legislature calls for cancellation of ETG foreign investment permit », sur www.fm/news, Kaselehlie Press, (consulté le ).

Bibliographie

Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article : document utilisĂ© comme source pour la rĂ©daction de cet article.

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