Les colonies vikings en Amérique sont le résultat d'une expansion migratoire des Vikings de Scandinavie vers les côtes nord-ouest de l'océan Atlantique, sur le continent nord-américain. Elle débute autour de l'an 1000 avec Leif Erikson à l'embouchure du fleuve Saint-Laurent et se termine définitivement vers le XVe siècle. Durant toute cette période, les différents postes et établissements répartis sur un grand territoire ne conduiront pas à l'installation d'une réelle colonie permanente. Par conséquent, la notion de « découverte de l'Amérique » bien plus au sud du continent par Christophe Colomb en 1492 ne s'applique qu'aux européens occidentaux de la Renaissance qui ignoraient à l'époque que les Vikings avaient déjà atteint ce continent.
Sommaire
Histoire
Les Vikings sont sans doute la première civilisation européenne à joindre l'Amérique[1]. Vers l'an 1000, Leif Erikson navigue depuis le Groenland jusqu'à un point restant encore à découvrir en Amérique du Nord (peut-être sur le site actuel de Bay St-Lawrence, au nord de Cape Breton) qu'il appelle Vinland, ce qui fait de lui le découvreur nord-européen de l'Amérique. Un peu plus tard, Thorfinn Karlsefni installe un village à Terre-Neuve qu'il appelle Straumfjörðr. Il peut s'agir de l'Anse aux Meadows (aujourd'hui inscrit comme site du patrimoine mondial par l'Unesco) ou d'un autre site non encore découvert. En naquit Snorri, fils de Thorfinn Karlsefni et Gudrid Thorbjarnardottir, premier Européen né au Vinland. Des relations orageuses avec les autochtones ne sont vraisemblablement pas étrangères à l'évacuation du village, quelques années plus tard.
Selon l'historien médiéviste Anders Winroth (en), une des causes principales de cette colonisation est la recherche de bois : « en Scandinavie, les habitants avaient l'habitude non seulement de construire leurs navires et leurs maisons en bois, mais aussi d'utiliser du bois de chauffage et de fabriquer toutes sortes d'outils, de meubles et d'autres objets dans cette matière ». Pour les Vikings vivant au Groenland, les sources d'approvisionnement en bois étaient problématiques (déboisement rapide de l'Islande, Norvège à plusieurs jours de navigation), si bien qu'ils « commencèrent à naviguer vers l'ouest et le sud » et s'approvisionner en bois dans la péninsule du Labrador[2].
Les sources disponibles sont les sagas. Il s’agit de textes en prose rédigés par des clercs, fins lettrés, en Islande entre les XIe et XIVe siècles. Souvent, ces textes mêlent réalité et imaginaire, traditions orales plus ou moins établies et effets de style romanesques. Deux sagas du XIIIe siècle racontent les périples de Leif Erikson et de son père ainsi que de l'autre explorateur du Vinland, Þorfinnr Karlsefni : la saga d'Erik le Rouge et la saga des Groenlandais.
Colonisation du Groenland
Selon les Sagas des Islandais, des Vikings provenant d'Islande s'établissent au Groenland dans les années 980. Il n'y a pas lieu de douter de l'authenticité de l'information de ces récits, mais ils ne peuvent être traités comme preuve évidente car il y existe une part de subjectivité[3].
L'explorateur norvégien Erik le Rouge, forcé à l'exil durant trois ans pour un cas d'homicide en Islande, aurait exploré en premier la côte sud-ouest du Groenland, alors inhabitée[4],[5]. Il baptise l'endroit Grønland, la terre verte, dans l'objectif d'intéresser des colons potentiels à venir s'y établir. Il fonde le village de Brattahlid, au nord du fjord de Tunulliarfik[6]. Erik et ses descendants occuperont le site jusque vers la fin du XVe siècle.
À son apogée, la colonie se compose de deux secteurs soit l'Établissement de l'Est, à la pointe sud de l'île, et Établissement de l'Ouest, sur la côte ouest (près de l'actuelle ville de Nuuk). Sa population varie de 3 000 à 5 000 habitants et opère au moins 400 exploitations agricoles[6]. Elle exporte vers l'Europe de l'ivoire de morse, des fourrures, graisse de phoque, des peaux et même des ours polaires vivants. En 1126, la population demande qu'un évêque s'établisse à Gardhar. En 1261, les colons acceptent la suzeraineté de leur territoire par le Roi de Norvège (et son monopole sur le commerce avec la colonie) en échange d'être visité par deux bateaux par an.
Carte de l'Établissement de l'Est.
Carte de l'Établissement de l'Ouest.
La colonie décline vers le milieu du XIVe siècle. Elle n'échappe pas à la peste noire. Elle connaît aussi des tensions avec les Inuits. La partie ouest de la colonie est abandonnée vers 1350. Le dernier évêque meurt en 1377 et n'est pas remplacé. Un dernier mariage est enregistré en 1408. L'objet le plus récent retrouvé est une robe datant d'environ 1430.
Colonisation du Vinland
Selon la Saga d'Erik le Rouge et la Saga des Groenlandais, les Vikings commencent à explorer les terres à l'ouest du Groenland vers 985. Cette année-là , une flotte composée de 400 à 700 colons islandais navigue jusqu'au Groenland pour s'y établir. Parmi les navires, un marchand nommé Bjarni Herjólfsson bifurque de sa route. Après trois jours en mer, il aperçoit la côte est de ce qui est aujourd'hui le Canada. Cependant, il ne s'y établit pas. Il raconte plutôt sa découverte à Leif Erikson (le fils d'Erik le Rouge, fondateur de la colonie du Groenland). Ce dernier va vouloir explorer la région plus en détail.
Voyage de Leif Erikson
En se référant aux données (points de repère, courants, vents, etc) que Bjarni Herjólfsson lui avait décrits, Leif Erikson part en direction de l'Amérique avec un équipage de 34 personnes avec le knarr de Herjólfsson. Le père du jeune Leif, Erik le Rouge, aurait voulu se joindre à l'expédition et voir Vinland à son tour, mais il en aurait été empêché en raison d'une blessure après être tombé de son cheval. L'équipage réussit à atteindre l'Helluland (ce qu'on suppose être aujourd'hui l'île de Baffin), ce qui signifie « Terre des pierres plates », un endroit stérile, plat et rocailleux. Ils poursuivent vers le sud pour atteindre le Markland (ce qu'on suppose être aujourd'hui le Labrador), ce qui signifie « Terre des forêts ». Voyant le climat s'améliorer plus ils descendaient vers le sud, Leif et son équipage continuent de longer la côte. Ils auraient finalement établi leur camp de base à Leifsbudir près du cap Bauld, à la petite pointe nord de l'île de Terre-Neuve. Comme un de ses hommes y découvre de la « vigne sauvage », Leif nomme la nouvelle terre Vinland, la « Terre des vignes ». L'explorateur et son équipage retourne finalement à la colonie du Groenland. Ce camp sera visité à de nombreuses reprises dans des expéditions successives.
Voyage de Thorvald Eriksson
En 1004, le frère de Leif, Thorvald Eriksson, lève l'ancre avec un équipage de 30 hommes en direction du Vinland. Il y passe l'hiver au camp érigé par Leif. Au printemps, Thorvald attaque neuf indigènes (peut-être des Béothuks) qui dormaient à l'abri sous des canots. L'un d’entre eux s'échappe et revient avec des renforts. Thorvald est tué par une flèche qui réussit à passer à travers la barricade. Quelques autres hostilités suivent dans les mois suivants. Les explorateurs quittent finalement les lieux après l'hiver. Par la suite, un autre frère de Leif, Thorstein, voudra s'y rendre pour récupérer le corps de Thorvald, mais il décède avant de quitter le Groenland.
Expédition de Thorfinn Karlsefni
En 1009, Thorfinn Karlsefni part à son tour pour le Vinland. Selon la Saga d'Erik le Rouge, il part avec trois navires et rassemble 160 colons et du bétail. Selon la Saga des Groenlandais, il part plutôt avec 60 hommes et 5 femmes. Les deux récits divergent énormément.
GĂ©ographie
Les Vikings ont nommé les terres américaines de noms nordiques :
- Grønland = Terre verte = Groenland ;
- Helluland = Terre des pierres plates = Terre de Baffin ;
- Markland = Terre des forêts = Labrador ;
- Straumfjörðr = Fjord des courants forts, L'Anse aux Meadows à Terre-Neuve ;
- Vinland = Terre de la vigne = Cap Breton, littoral méridional de la Nouvelle-Écosse et côte septentrionale de la Nouvelle-Angleterre. Il fut proposé aussi comme traduction « Terre fertile »[7] et « Terre de prairies »[8].
Études et recherches scientifiques
Avant le début du XIXe siècle, l'idée d'une colonisation viking de l'Amérique du Nord fut considérée par les historiens comme relevant du folklore, jusqu'à l'élaboration en 1837 d'une première hypothèse sérieuse par l'historien de la littérature et archéologue danois Carl Christian Rafn dans son ouvrage Antiquitates Americanæ où il concluait, après une étude en profondeur des sagas, ainsi que des lieux potentiels de colonisation de la côte nord-américaine, que le Vinland était un endroit réel en Amérique du Nord qui avait été colonisé par des Norvégiens.
La découverte en 1960 du site de l'Anse aux Meadows par l’explorateur norvégien Dr. Helge Ingstad et sa femme archéologue Anne Stine Ingstad est venu renforcer cette théorie et la crédibilité des sagas. En 2021, une recherche scientifique établit clairement que les Vikings étaient présents à L'Anse aux Meadows en 1021, ainsi que le prouvent de nombreuses datations reposant sur la dendrologie et l'identification du pic de carbone 14 de 993-994[9],[10].
La pierre runique de Kensington découverte au sud des Grands Lacs dans le Minnesota, aux États-Unis, fait toujours l'objet d'études controversées. En effet, le texte gravé révèle la présence d'une expédition d'une vingtaine de Vikings accompagnés d'une dizaine de Goths et le tout daté du milieu de 1362. La plupart des historiens considèrent cette inscription, découverte en 1898, comme fausse ou douteuse. La question est toujours débattue.
Un autre site est découvert à Pointe rosée en 2015[11] mais son caractère viking est depuis considéré comme douteux.
Dans la culture populaire
À la fin de la sixième saison de la série Vikings, les personnages découvrent Terre-Neuve, où vivent les indiens Micmacs qui leur font bon accueil, après des semaines de voyage désespéré.
Le film Le Guerrier silencieux aborde le thème de la découverte des Amériques par des guerriers viking.
Notes et références
- Anders Winroth, The Age of the Vikings, Princeton University Press, (lire en ligne), p. 67 .
- Anders Winroth, The Age of the Vikings, Princeton University Press, , p. 67-68 .
- Grove, Jonathan. 2009. "The place of Greenland in medieval Icelandic saga narrative", in Norse Greenland: Selected Papers of the Hvalsey Conference 2008, Journal of the North Atlantic Special Volume 2, 30–51.
- Rasmus B. Anderson, John Bruno Hare, ed., February 18th, 2004, « Norse voyages in the tenth and following centuries », The Norse Discovery of America, (consulté le ) : « He remained there making explorations for three years and decided to found a colony there. » .
- Reeves, Arthur Middleton and Rasmus B. Anderson, « Discovery and colonization of Greenland », Saga of Erik the Red, (consulté le ) : « The first winter he was at Eriksey, nearly in the middle of the eastern settlement; the spring after repaired he to Eriksfjord, and took up there his abode. He removed in summer to the western settlement, and gave to many places names. He was the second winter at Holm in Hrafnsgnipa, but the third summer went he to Iceland, and came with his ship into Breidafjord. ».
- Wernick, Robert; The Seafarers: The Vikings, (1979), 176 pages, Time-Life Books, Alexandria, Virginia: (ISBNÂ 0-8094-2709-5).
- Graeme Davis, Vikings in America, MPG Books, 2009. L'auteur nous précise que "Vin", avec un i long, veut dire en vieux norrois, la langue dans laquelle sont écrites les sagas, "vigne", alors qu'en vieux haut-allemand cela signifie « prairie ».
- terme retrouvé dans le saxon Winne : « prairie ».
- (en) M. Kuitems, B. L. Wallace, C. Lindsay et al., « Evidence for European presence in the Americas in AD 1021 », Nature,‎ (DOI , lire en ligne) , disponible en accès libre.
- Pierre Barthélemy, « Les Vikings étaient en Amérique il y a mille ans », Le Monde,‎ (lire en ligne)
- http://www.lexpress.fr/actualites/1/culture/la-probable-decouverte-d-un-2e-site-viking-en-amerique-relance-les-speculations_1778880.html L'Express. AFP. 2 April 2016.
Annexes
Bibliographie
- Régis Boyer, Island Groenland Vinland. Essai sur le mouvement des Scandinaves vers l'Ouest, Arkhé, 2011.
- Daniel Lacotte, Les Conquérants de la Terre, Hermé, 1985.
Liens externes
- Lieu historique national de L’Anse aux Meadows sur le site UNESCO World Heritage Centre