Chronobiologie cutanée
La chronobiologie est lâĂ©tude des rythmes biologiques soumis aux ĂȘtres vivants. Chez les mammifĂšres, les horloges pĂ©riphĂ©riques sont mĂ©diĂ©es par un stimulateur circadien central situĂ© dans le noyau suprachiasmatique (NSC) de lâhypothalamus. Le NSC synchronise et rĂ©gule lâensemble des mĂ©canismes des tissus pĂ©riphĂ©riques par l'intermĂ©diaire d'hormones et de neurones. Lâhorloge centrale est modulĂ©e par lâexpression de gĂšnes circadiens tels que CLOCK et BMAL1. Le NSC influence lâhorloge circadienne de la peau agissant sur la physiologie cutanĂ©e tel que la prolifĂ©ration cellulaire ou lâhydratation [1] - [2].
La peau agit telle une barriĂšre contre les agressions externes de lâenvironnement et les changements de tempĂ©rature, et joue un rĂŽle important dans le contrĂŽle de lâinflammation. Celle-ci est composĂ©e de trois couches : lâĂ©piderme, le derme et lâhypoderme. LâĂ©piderme, couche superficielle de la peau, est constituĂ© de quatre strates : la couche basale au contact de la lame basale, la couche Ă©pineuse, la couche granuleuse et la couche cornĂ©e. Elle est majoritairement composĂ©e de kĂ©ratinocytess, des cellules constamment en mouvement Ă travers les diffĂ©rentes strates jusquâĂ atteindre la derniĂšre couche, la couche cornĂ©e, oĂč elles deviennent des cornĂ©ocytes, des cellules mortes assurant son rĂŽle de barriĂšre impermĂ©able Ă lâenvironnement.
Lâhorloge pĂ©riphĂ©rique de la peau contrĂŽle divers caractĂ©ristiques tels que lâhydratation du tissu, la prolifĂ©ration des kĂ©ratinocytes, la tempĂ©rature, le pH, etc⊠[3].
Lors de pathologies cutanĂ©es liĂ©es Ă une mutation dâun gĂšne contrĂŽlĂ© par le stimulateur central, lâhorloge endogĂšne cause une oscillation rythmique de lâintensitĂ© des symptĂŽmes en suivant le rythme de ces caractĂ©ristiques de la peau.
Protéines contrÎlées par l'horloge endogÚne
Hydratation de la peau par AQP3
La couche cornĂ©e, la couche la plus externe de lâĂ©piderme, est essentielle pour le maintien dâune barriĂšre contre la perte dâeau et dâautres substrats[4]. LâĂ©piderme vivant, dont fait partie la couche granuleuse, contient 70% dâeau. En revanche, la couche cornĂ©e constituĂ©e de kĂ©ratinocytes morts, prĂ©sente seulement 20% dâeau[5]. Cette diffĂ©rence nette en teneur dâeau est appelĂ©e jonction cornĂ©o-Ă©pidermique. La teneur en eau de la couche cornĂ©e dĂ©finie lâapparence hydratĂ©e de la peau, une peau saine a une teneur en eau supĂ©rieure Ă 10%[6]. Lâhydratation est possible grĂące Ă deux mĂ©canismes principaux : dâune part, le passage dâeau et de glycĂ©rol de la couche granuleuse Ă la couche cornĂ©e, mais aussi par la capture de molĂ©cules dâeau prĂ©sentes dans lâenvironnement[7] , et d'autre part, le maintien de lâhydratation via des facteurs hydratants.
En plus de la prĂ©sence de l'eau, l'hydratation de la peau dĂ©pend de la prĂ©sence de composĂ©s hygroscopiques dans les cornĂ©ocytes, plus communĂ©ment appelĂ©s NMF (natural moisturizing factors)[8], produits dans les kĂ©ratinocytes[5]. Les NMFs sont un mĂ©lange de diverses molĂ©cules hygroscopiques, permettant la capture de lâhumiditĂ© de lâair et aidant Ă maintenir lâhydratation de la couche cornĂ©e, ils agissent comme humectants [9]. Les NMF reprĂ©sentent environ 20 Ă 30 % du poids sec de la couche cornĂ©e [10]. Le glycĂ©rol est un NMF efficace qui aide Ă maintenir lâhydratation normale de la couche cornĂ©e.
Lâaquaporine-3, AQP3, est une protĂ©ine transmembranaire, de la famille des aquaglycĂ©roporines, formant un pore qui facilite lâentrĂ©e de lâeau et de certains solutĂ©s comme le glycĂ©rol ou l'urĂ©e Ă travers la membrane[11]. Lâaquaporine-3 possĂšde 6 rĂ©gions transmembranaires, reliĂ©es par 5 boucles (A-E) et contiennent deux motifs NPA (Asparagine-Proline-Alanine) dans les boucles B et E. Ces motifs NPA sont trĂšs conservĂ©s et permettent la sĂ©lectivitĂ© du pore AQP3[12]. En facilitant le passage dâeau et de glycĂ©rol, lâAQP3 permet une augmentation de lâhydratation de lâĂ©piderme. LâAQP3 est exprimĂ©e dans les strates de cellules vivantes de lâĂ©piderme, de la couche basale Ă la couche granuleuse, selon un gradient ayant une concentration maximale au niveau de la couche basale. La couche cornĂ©e, quant Ă elle, nâexprime pas lâAQP3. La distribution dâAQP3 Ă travers lâĂ©piderme explique la jonction cornĂ©o-Ă©pidermique entre la couche cornĂ©e et le reste de lâĂ©piderme[13].
Lâexpression dâAQP3 diminue dans la peau ĂągĂ©e, indiquant que la protĂ©ine est impliquĂ©e dans le vieillissement intrinsĂšque[14].
Le gĂšne circadien CLOCK est exprimĂ© dans les kĂ©ratinocytes, les mĂ©lanocytes et les fibroblastes dermiques[15]. Lâexpression dâAQP3 est influencĂ©e par le gĂšne CLOCK, ce gĂšne a son importance dans lâhydratation de la peau[16]
Chez la souris, les gĂšnes circadiens CLOCK et BMAL1 vont permettre lâexpression de la protĂ©ine AQP3 par deux moyens :
- En activant lâexpression de AQP3 : CLOCK et BMAL1 activent la transcription de Dpb qui va activer Ă son tour lâexpression de AQP3
- En inhibant lâinhibiteur de lâexpression de AQP3 : CLOCK et BMAL1 activent la transcription de REV-Erb qui va alors agir comme rĂ©presseur de la transcription de E4BP4. Cette derniĂšre est une inhibitrice de lâexpression de AQP3
Lâexpression de AQP3 est donc doublement stimulĂ©e par les gĂšnes circadiens CLOCK et BMAL1[16]. Chez lâhomme, la voie semble plus simple : CLOCK et BMAL1 semblent activer directement lâexpression de lâAQP3, sans passer par la protĂ©ine Dbp[16]. Selon diffĂ©rentes Ă©tudes, lâhydratation de la peau ne prĂ©sente pas de rythmes rĂ©guliers au cours du temps. Le rythme dĂ©pend du type de tissu et de diffĂ©rents paramĂštres tels que le rĂ©gime alimentaire, le sexe, lâĂąge, le poids, etc⊠[3] - [17].
Prolifération des kératinocytes par Klf9
Dans les kĂ©ratinocytes, Klf9 (facteur 9 de type KrĂŒppel) est un facteur de transcription circadien Ă©pidermique en doigt de zinc, exprimĂ© diffĂ©rentiellement selon lâheure de la journĂ©e[18]. Il est impliquĂ© dans la diffĂ©renciation et la prolifĂ©ration des tissus Ă©pithĂ©liaux[19]. Klf9 a un effet antiprolifĂ©ratif sur les kĂ©ratinocytes en ciblant certains gĂšnes spĂ©cifiques[20].
Le cortisol contribue au processus de synchronisation des oscillations pĂ©riphĂ©riques. En effet, il y a une forte diminution des niveaux de cortisol tout au long de la journĂ©e avec un pic en fin de nuit, contrĂŽlĂ© par lâhorloge. Le cortisol induit lâexpression de Klf9[20]. Ainsi, Klf9 a un pic dâexpression au dĂ©but du jour et diminue tout au long de la journĂ©e dĂ©pendamment du cortisol. Cela provoque un effet antiprolifĂ©ratif durant le jour. A contrario, durant la nuit, lorsque Klf9 nâest pas synthĂ©tisĂ©, la peau peut se rĂ©gĂ©nĂ©rer efficacement.
Des taux de cortisol anormalement élevés à un moment de la journée, comme par exemple en fin de soirée, peuvent inhiber une réparation cutanée efficace la nuit[20].
Pathologies cutanées
Psoriasis
La chronobiologie cutanĂ©e peut Ă©galement ĂȘtre observĂ©e dans les pathologies associĂ©es Ă cet organe. Comme câest le cas du psoriasis soit une maladie inflammatoire chronique caractĂ©risĂ©e par la prolifĂ©ration excessive de kĂ©ratinocytes au niveau de la couche cornĂ©e pouvant ĂȘtre causĂ©e par des facteurs environnementaux tel que le stress ou lâalcool ainsi que par des facteurs gĂ©nĂ©tiques. Ces derniers sont alors intimement liĂ©s avec les gĂšnes dĂ©crits plus haut. En effet, les kĂ©ratinocytes semblent avoir des fonctions fondamentales dĂ©rĂ©glĂ©es dans les Ă©pisodes de psoriasis. Leurs fonctions Ă©tant intimement liĂ©es aux aquaporines AQP3, il nâest pas Ă©tonnant que de nombreuses maladies de peau tel que le psoriasis soient corrĂ©lĂ©es avec le dysfonctionnement de cette aquaporine[21].
La corrĂ©lation entre le dysfonctionnement de AQP3, elle-mĂȘme liĂ©e au gĂšne CLOCK, et le psoriasis est appuyĂ©e par lâĂ©tude sur des souris ayant les gĂšnes CLOCK mutĂ©s, montrant une moindre sĂ©vĂ©ritĂ© de maladies de peau tel que le psoriasis en nâayant pas une rĂ©action auto-immune aussi forte que les souris non mutĂ©es. Cela sâexplique par le fait que le gĂšne CLOCK est un des facteurs clĂ©s du facteur de croissance VEGF-A, lui-mĂȘme a son maximum la nuit, surexprimĂ© dans les tissus Ă©pithĂ©liaux et dans le plasma des patients atteints de psoriasis[22].
Chronothérapie
Il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que la peau effectue des fonctions bien distinctes Ă diffĂ©rents moments de la journĂ©e, en se concentrant soit sur un rĂŽle de prolifĂ©ration et de rĂ©paration durant la nuit ou un rĂŽle protecteur quant aux dommages dâADN que les cellules Ă©pidermiques subissent quotidiennement pendant le jour[3]. En se basant sur ce principe, si le moment oĂč un traitement cutanĂ©e est administrĂ© correspond au pic dâactivitĂ© de la cible de ce mĂ©dicament, cela pourrait permettre dâoptimiser les rĂ©sultats cliniques et ainsi augmenter lâefficacitĂ© du traitement[22]. Par exemple, lâutilisation de protecteur solaire comme la vitamine D topique (augmente la photoprotection et diminue le risque de coups de soleil) possĂšde une rĂ©ponse optimale durant la journĂ©e puisque câest le rĂŽle protecteur de la peau qui est mis de lâavant Ă ce moment du cycle oscillatoire[23]. Une telle application permettrait de minimiser les risques liĂ©s au dĂ©veloppement d'un cancer cutanĂ©. Les meilleurs candidats pour la chronothĂ©rapie sont les mĂ©dicaments avec une courte demi-vie, comme le mĂ©thotrexate pour traiter lâinflammation du psoriasis, puisque lâinfluence du moment dâadministration sur leur action est plus grande[22] - [24] .
Notes et références
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