Charaka Samhita
La Charaka Samhita (IAST : CarakasaáčhitÄ, Dev. :à€à€°à€ à€žà€à€čà€żà€€à€Ÿ)[1] est un traitĂ© mĂ©dical datant de lâantiquitĂ© vĂ©dique attribuĂ© Ă Charaka. ConsidĂ©rĂ© comme un des textes fondateurs de lâÄyurveda, il fut plus tard commentĂ© par CakrapÄáčidatta au XIe siĂšcle. Il s'agirait du plus ancien des trois antiques traitĂ©s de l'Ayurveda, et avec la SuĆruta SaáčhitÄ, cet ouvrage est maintenant identifiĂ© dans le monde entier comme une importante source d'information concernant les premiĂšres connaissances mĂ©dicales de l'Histoire et leur mise en pratique, indĂ©pendamment des sources issues de la GrĂšce antique[2].
Ce texte est une samhita, câest-Ă -dire une « collection qui forme un ensemble ».
Origines
Bien que sa datation soit incertaine, il sâagit dâun texte sanskrit datant vraisemblablement des dĂ©buts de l'Ăšre chrĂ©tienne[3]. Le terme de Charaka dĂ©signe Ă la fois son auteur ainsi qu'un sage errant ou un mĂ©decin ambulant de l'Inde antique, tandis que SaáčhitÄ signifie compilation ou recueil. La source originelle est identifiĂ©e comme Ă©tant le Tantra AgniveĆa sur la base des enseignements de Punarvasu; Charaka est rĂ©putĂ© avoir rĂ©digĂ© cet ouvrage tandis que Dridhabala lâaurait encore dĂ©veloppĂ© au Ve siĂšcle[4].
La forme du texte
Le texte est principalement rĂ©digĂ© en vers (Ćloka) de 32 syllabes. Cette versification est courante, et elle est Ă©galement celle dâautres textes traditionnels comme le MahÄbhÄrata et le RÄmÄyaáča.
Tous les textes en sanskrit qui font autoritĂ© sont insĂ©rĂ©s dans une tradition plus ou moins objective mais dont le rappel introduit le corps de chaque ouvrage. Du dieu jusquâĂ lâhumain qui a transcrit le texte, toute la lignĂ©e est traditionnellement dÄclinĂ©e en avant-propos. Il sâagit du maáč gala ou « paragraphe de bon augure » jugĂ© indispensable pour que lâĆuvre puisse ĂȘtre menĂ©e Ă son terme sans obstacle et pour quâelle soit dite complĂšte.
Le maáč gala contient le nom de lâauteur, le sujet de lâouvrage (vishaya), la motivation de lâouvrage (prayojana), la mĂ©thode dâexposition (samgati) et le public ciblĂ© (adhikarin).
Dans le cas de la Charaka Samhita, la lignĂ©e commence avec BrahmÄ, le crĂ©ateur et se termine par lâauteur. Ce dernier ne se considĂ©rant pas vĂ©ritablement comme « auteur » mais comme « rapporteur » dâune connaissance qui existe depuis toujours. MĂȘme les grands philosophes, comme Shankara, ne se prĂ©sentaient jamais comme des novateurs, mais comme des commentateurs dâune connaissance Ă©ternelle.
Le cadre du texte est une sorte de colloque de sages (Rishi) sur un flanc de lâHimalaya.
Contenu
Ă lâorigine de lâAyurveda, la science mĂ©dicale holistique[5] datant de la civilisation vĂ©dique, on trouve lâAtharvaveda, texte plus ancien, dans lequel sont rĂ©unis des hymnes curatifs. Ă l'origine, les principes de guĂ©rison exposĂ©s dans l'Atharva-VĂ©da reposaient essentiellement sur le son ou la parole. La mĂ©decine Ă©tait alors « vocale », câĂ©tait par le son que lâon soignait. Les hymnes Ă©taient des moyens de guĂ©rison et leur simple rĂ©citation avait, selon le texte, le pouvoir de soigner toute chose. Les mĂ©dicaments, tels qu'on les connaĂźt aujourdâhui, n'Ă©taient pas encore dĂ©veloppĂ©s[6].
La Charaka Samhita offre, quant Ă elle, un second type de mĂ©decine, plus tardive et plus proche de ce que nous entendons par ce terme aujourdâhui (mĂȘme si cette mĂ©decine Ă©tait associĂ©e Ă la quĂȘte du bonheur et de la dĂ©livrance spirituelle, ce qui est absent de la mĂ©decine moderne occidentale).
Le texte comprend 8 sections, soit un total de 120 chapitres, en commençant par Sutrasthan qui traite des principes fondamentaux de la pratique ayurvédique. Les avancées scientifiques originales portées au crédit de la Charaka Samhita sont:
- Une approche rationnelle de la cause et du traitement des maladies
- Lâintroduction de mĂ©thodes objectives dâexamen clinique
« L'observation directe est la caractĂ©ristique la plus remarquable de lâAyurveda, mĂȘme si parfois elle est mĂ©langĂ©e Ă des considĂ©rations mĂ©taphysiques. La SamhitÄ souligne que parmi tous les types d'Ă©lĂ©ments de preuve quâon peut recueillir, les plus fiables sont ceux qui sont directement observĂ©s par les yeux. Dans la mĂ©decine ayurvĂ©dique le traitement dĂ©pend de quatre facteurs: du mĂ©decin, des substances utilisĂ©es (mĂ©dicaments ou diĂ©tĂ©tique), du personnel infirmier et du patient. Les qualitĂ©s du mĂ©decin sont les suivantes : bonne maĂźtrise des donnĂ©es thĂ©oriques de la science, une grande expĂ©rience, des compĂ©tences pratiques et le respect de la propretĂ©. Les qualitĂ©s des mĂ©dicaments ou substances utilisĂ©es sont: lâabondance, la facilitĂ© de mise en Ćuvre, la multiplicitĂ© des usages et la puissance de leur action. Les qualitĂ©s du personnel infirmiers sont: une bonne connaissance des techniques de soins infirmiers, la compĂ©tence, le dĂ©vouement envers le patient et la propretĂ©, tandis que les qualitĂ©s essentielles des patients sont les suivantes : une bonne mĂ©moire, le respect des prescriptions des mĂ©decins, le courage et la capacitĂ© Ă bien dĂ©crire les symptĂŽmes ressentis. »
â Chattopadhyaya D., Studies in the History of Science in India[7].
Soins infirmiers
La Charaka Samhita indique que « les infirmiers devraient avoir une bonne conduite, ĂȘtre dâune puretĂ© remarquable, dotĂ©s d'un haut degrĂ© dâintelligence et de compĂ©tence, habitĂ©s par la bontĂ©, qualifiĂ©s dans tous les soins quâun patient peut exiger, savoir cuire les aliments, donner le bain et laver le patient, frictionner et masser ses membres, le lever du lit et l'aider Ă marcher, savoir faire les lits et les nettoyer, prĂ©parer le patient, ĂȘtre habile Ă deviner les attentes du malade et ne jamais refuser de faire quoi que ce soit qui lui soit ordonnĂ©[8]. »
Les principes de lâAyurvĂ©da
Quelques axes principaux Ă©voquĂ©s par la Charaka Samhita et que lâon retrouve frĂ©quemment dans lâAyurvĂ©da tel quâil est compris aujourdâhui :
- La vie vécue normalement est un état de bonheur
- LâhygiĂšne de vie permet de restaurer lâharmonie de lâhomme avec son environnement
- Lâalimentation, la digestion et lâassimilation sont des questions essentielles pour la santĂ©
- Les mĂ©dicaments sont de nature vĂ©gĂ©tale (341 recensĂ©s dans lâouvrage), animale (177 recensĂ©s) ou minĂ©rale (64 recensĂ©s)
- La parole comme mĂ©thode de soin, prĂ©sente dans lâAtharva-VĂ©da, est associĂ©e Ă ces mĂ©dicaments (Rasayana).
- La médecine est tout autant préventive que curative
- La maladie est considĂ©rĂ©e comme la consĂ©quence d'erreurs diĂ©tĂ©tiques et comportementales, dâune mauvaise comprĂ©hension des lois de lâunivers ainsi que dâune mauvaise harmonie entre le corps et lâesprit.
Le yoga tel quâon le connaĂźt en Occident, câest-Ă -dire le yoga des postures, Ă©tait Ă©galement mentionnĂ© comme faisant partie de la panoplie des remĂšdes.
Le diagnostic mĂ©dical par la prise du pouls (nadipariksha) est un autre Ă©lĂ©ment important de la mĂ©decine (bien que plus tardif) dĂ©crit dans la Charaka Samhita. On y mesure lâĂ©quilibre ou le dĂ©sĂ©quilibre des trois doshas (vata, pitta et kapha), parfois traduits par « humeurs », qui sont associĂ©s aux trois divinitĂ©s de la TrimĆ«rti : Shiva, Vishnu et Brahma respectivement.
Lâhomme, lâunivers et le Soi
L'utilisation du mot Veda, qui signifie Connaissance, indique l'importance de l'Ayurveda en Inde. Ce dernier propose un bien-ĂȘtre durable dans la vie, tant individuelle que familiale et sociale. Elle replace l'homme dans sa dimension Ă la fois physique et spirituelle.
Selon la Charaka Samhita et la philosophie vĂ©dique en gĂ©nĂ©ral, l'homme est comme lâunivers, il est structurĂ© comme lui et constituĂ© des mĂȘmes Ă©lĂ©ments (« Je suis fait de lâunivers et lâunivers est fait de moi »). On parle par exemple du feu en lâhomme, comme on le fait aujourdâhui, par lâinflammation, la fiĂšvre brĂ»lante, ou le feu digestif. Mais de maniĂšre plus fondamentale encore, le corps est considĂ©rĂ© comme un ensemble dâĂ©lĂ©ments matĂ©riels pĂ©rissables qui constituent un vĂȘtement provisoire pour lâÄtman (le Soi) qui, lui, est Ă©ternel.
Références
- The Sanskrit Heritage Dictionary de GĂ©rard Huet
- Valiathan, M.S. (2003) The Legacy of Caraka Orient Longman (ISBN 81-250-2505-7) reviewed in Current Science, Vol.85 No.7 Oct 2003, Indian Academy of Sciences seen at June 1, 2006
- Michel Angot, « L'Ayurveda ancien et contemporain en Asie du sud et en Occident » PDF
- Scientific Basis for Ayurvedic Therapies, Lakshmi C. Mishra, CRC Press, 2003, 656 pages
- Ayurvedic medicine: core concept, therapeutic principles, and current relevance, Arvind Chopra, MD, DNB, and Vijay V. Doiphode, MASc, PhD, in Medical Clinics of North America, Volume 86, Issue 1, p. 75-89
- Voir, par exemple, lâhymne pour se soigner des vers intestinaux Atharva-VĂ©da II 31
- Chattopadhyaya, D. (1982) Case for a critical analysis of the Charak Samhita In Studies in the History of Science in India (Ed. D. Chattopadhyaya). Vol. 1. New Delhi: Editorial Enterprises. p. 209-236. cited in Tiwari, Lalit âA Summary of the Late D. Chattopadhyaya's Critique of Charaka Samhitaâ seen at June 1, 2006
- Vol I, section XV
Bibliographie
- Michel Angot (trad. du sanskrit), Caraka-Samhita : Traité d'Ayurveda : Volume 1 : Le Livre des Principes (Sutrasthana) & Le Livre du corps (Sarirasthana), vol. 1, Paris, BELLES LETTRES, , 768 p. (ISBN 978-2-251-72052-4 et 2-251-72052-9)
- (en) Kaviratna, A.C. and P. Sharma, tr., The Caraka Samhita 5 Vols., Indian Medical Science Series. Sri Satguru Publications, a division of Indian Books Centre, Delhi 81-7030-471-7
- Menon, I A and H F Haberman, Dermatological writings of ancient India Medical History. 1969 October; 13(4): 387â392. seen at The Wellcome Trust Centre for the History of Medicine at University College London June 1, 2006
- Traduction de Jean Papin (en 3 tomes), Paris, Ăditions Almora, 2006 (tome I), 2009 (tome II), 2011 (tome 3).
Lien interne
- De materia medica de Dioscoride ouvrage de référence de la matiÚre médicale européenne et arabo-musulmane jusqu'à l'époque moderne.
Lien externe
- Charaka Samhita, texte sanskrit de la Vedic Society accompagné d'une traduction en anglais.