Ce que la Russie devrait faire de l'Ukraine
Ce que la Russie devrait faire de l'Ukraine (en russe : Что Россия должна сделать с Украиной) est un article écrit par Timofeï Sergueïtsev et publié par l'agence de presse russe RIA Novosti[1]. L'article appelle à la destruction totale de l'Ukraine en tant qu'État et de l'identité nationale ukrainienne[2] - [3].
Il a été publié le dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022[1], le jour même de la découverte du massacre de Boutcha[2] - [4].
L'article a provoqué la critique et l'indignation internationales. L'article est largement condamné comme une apologie du génocide[2] - [5] - [6] - [7].
Teneur
L'article prône une « censure brutale » de la culture ukrainienne, une « rééducation » et une « désukrainisation » à grande échelle des Ukrainiens sur les territoires occupés par la Russie lors de l'invasion de l'Ukraine en 2022[3] - [8] - [7].
L'auteur insiste sur le fait que l'ethnocentrisme de l'Ukraine est une perversion artificielle[9], que l'existence de l'Ukraine est « impossible » en tant qu'État-nation[8], et que le mot « Ukraine » lui-même ne peut pas exister[2] - [3]. Selon l'auteur, l'Ukraine devrait être démantelée et remplacée par plusieurs États sous contrôle direct de la Russie[10]. Il ajoute que la « composante ethnique de l'auto-identification » de l'Ukraine serait également rejetée après son occupation par la Russie[8].
L'auteur affirme que « très probablement la majorité » des civils ukrainiens sont des nazis[8] - [11] qui « techniquement » ne peuvent pas être punis en tant que criminels de guerre, mais peuvent être soumis à la « dénazification »[12]. Il affirme que les Ukrainiens doivent « assimiler l'expérience » de la guerre « comme une leçon historique et une expiation pour [leur] culpabilité ». Après la guerre, le travail forcé, l'emprisonnement et la peine de mort seraient utilisés comme punition. Après cela, la population serait « intégrée » à la « civilisation russe »[8]. L'auteur décrit les actions prévues comme une « décolonisation » de l'Ukraine[9] - [10].
Auteur
L'auteur du texte, Timofeï Sergueïtsev, en 1998-2000, a conseillé les projets de Viktor Pintchouk et a été membre du conseil d'administration du groupe Interpipe. En 1998, Sergueïtsev a participé à la campagne électorale de Viktor Pintchouk en Ukraine. En 1999, il a travaillé pour la campagne présidentielle de Leonid Koutchma. En septembre 2004, il était consultant auprès de Viktor Ianoukovytch. En 2010, il a travaillé avec Arseni Iatseniouk[13].
En 2012, Sergueïtsev a coproduit le long métrage russe Match qui a été critiqué pour l'ukrainophobie. En 2014, il a été interdit sur le territoire ukrainien à titre de propagande[14] - [15].
Selon Der Tagesspiegel, Sergueïtsev soutient un parti politique pro-Poutine Plate-forme civique, financé par l'un des oligarques du cercle restreint de Poutine[3]. Selon EURACTIV, Sergueïtsev est « l'un des idéologues du fascisme russe moderne »[16].
Détail des mesures
Considérant et partant du postulat non prouvé ni étayé que la population ukrainienne est soit majoritairement nazie ou ayant des liens avec l'idéologie nazie[17], et qu'elle est selon l'idéologie russe, passivement par son soutien aux autorités ou activement dans les forces armées, responsable d'un génocide envers le peuple russe[18], il décrit les mesures devant être adoptées à ses yeux basées sur une rééducation politique, culturelle et une censure[17] :
- -Liquidation des formations armées nazies (nous entendons par là toutes les formations armées d’Ukraine), ainsi que de l’infrastructure militaire, informationnelle et éducative qui assure leur activité ;
- -La formation d’un gouvernement populaire autonome et d’une police (défense et ordre public) dans les territoires libérés afin de protéger la population de la terreur des groupes nazis clandestins ;
- -L’installation d’un espace d’information russe ;
- -Retrait du matériel pédagogique et interdiction des programmes éducatifs à tous les niveaux qui contiennent des attitudes idéologiques nazies ;
- -Des enquêtes de masse visant à établir la responsabilité personnelle pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, la diffusion de l’idéologie nazie et le soutien au régime nazi ;
- -Épuration, divulgation des noms des collaborateurs du régime nazi et de leur travail forcé pour reconstruire les infrastructures détruites en punition de leurs activités nazies (parmi ceux qui ne seront pas soumis à la peine de mort ou à l’emprisonnement) ;
- -Adoption au niveau local, sous l’autorité de la Russie, des principaux actes réglementaires de dénazification « par le bas », interdisant toute sorte et forme de renaissance de l’idéologie nazie ;
- -La création de mémoriaux, de monuments commémoratifs et de monuments aux victimes du nazisme ukrainien et la perpétuation du souvenir des héros qui l’ont combattu ;
- -L’inclusion d’un ensemble de normes anti-fascistes et de dénazification dans les constitutions des nouvelles républiques populaires ;
- -Création d’organismes permanents de dénazification pour une période de 25 ans.
Il indique également qu’une génération entière d’Ukrainiens soit soumise à des mesures de « dénazification » soit pour un durée de 25 ans.
Le texte dont l'intégralité est disponible en français sur le site des humanités se base sur le procédé typiquement totalitaire d’une inversion méthodique du langage[18]. Tout Ukrainien refusant l'invasion russe est en effet désigné comme nazi et complice d’un génocide du peuple russe[19].
Suivis
Quelques jours après la publication, Dmitri Medvedev, le vice-président du Conseil de sécurité de Russie, a réitéré les principaux points de l'article. Selon Medvedev, « une partie passionnée de la société ukrainienne a prié le Troisième Reich »[20]. L'Ukraine est un État nazi comme le Troisième Reich qui doit être « dénazifié », et le résultat sera un effondrement de l'Ukraine en tant qu'État[21]. Medvedev affirme que l'effondrement est une voie vers "l'Eurasie ouverte de Lisbonne à Vladivostok"[21].
Réactions
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré que l'article est la preuve que la fédération de Russie envisage de commettre un génocide contre les citoyens ukrainiens[22]. Il a noté que pour désigner le génocide des Ukrainiens dans l'article, les termes « désukrainisation » et « déseuropéanisation » étaient utilisés. Selon lui, c'est l'une des preuves d'un futur tribunal contre les crimes de guerre russes en Ukraine[23] - [24].
Selon un représentant de l'Ukraine aux négociations de paix russo-ukrainiennes, Mykhaïlo Podoliak, l'article est un appel officiel aux meurtres de masse d'Ukrainiens en raison de leur appartenance ethnique, et sera considéré comme tel par les tribunaux pénaux internationaux[25].
Le ministre ukrainien de la Culture et de la Politique d'information, Oleksandr Tkatchenko, a commenté[23]:
« Cyniquement, l'auteur parle du nazisme ukrainien. Alors que nous voyons exactement le contraire : la Russie assassine en masse des Ukrainiens en raison de leur identité nationale. Comment dois-je l'appeler? Je répondrai tout de suite : c'est un génocide du peuple ukrainien par la Russie. »
Le ministre letton des Affaires étrangères, Edgars Rinkēvičs, a qualifié l'article de « fascisme ordinaire »[26].
Un ancien ambassadeur du Canada en Ukraine, Roman Waschuk, a déclaré que « c'est essentiellement un rhétorique “permis de tuer” des Ukrainiens»[2].
Analyse
Selon Mika Aaltola, directeur de l'Institut finlandais des affaires internationales, l'article montrait que la propagande de guerre russe « évoluait dans une direction inquiétante»[27].
Selon Meduza, l'article est « essentiellement un plan pour le génocide » des Ukrainiens[9].
Selon l'expert d'Oxford sur les affaires russes, Samuel Ramani, l'article « représente la pensée dominante du Kremlin »[20].
L'historien américain Timothy Snyder écrit que le texte « prône l'élimination du peuple ukrainien en tant que tel »[28]. Il a noté plus tard qu'il utilise une définition spéciale du mot « nazi » : « un nazi est un Ukrainien qui refuse d'admettre être un Russe ». Selon lui, l'article révèle l'intention génocidaire des Russes[4].
Pour la maitre de conférence en histoire contemporaine et spécialiste de l'Union Soviétique, Francoise Thom, indique que le plan exposé, loin d'être une simple guerre, vise en réalité à procéder à la liquidation de la nation ukrainienne par russification de sa population[29]. Elle démontre que le territoire de l’ex-État ukrainien sera divisé en « républiques populaires » sur le modèle des entités du Donetsk et de Louhansk. Le recours au travaux forcés indiqué dans le programme signifie également le rétablissement et l’organisation de goulags sur le territoire ukrainien[29].
Elle analyse également que dans les premiers mois de l'invasion russe du territoire ukrainien, des épisodes de terreur de masse, l’enlèvement systématique des élites politiques locales, la déportation des femmes et des enfants en Russie, la création de camps de filtration pour trier les Ukrainiens en distinguant les « russifiables » de ceux qui ne le sont pas ont été mis en place. Elle démontre qu'il ne s'agit pas d'atrocités ou d'exactions dues aux militaires russes, mais bien au contraire la mise en œuvre délibérée d’une politique de rééducation par la terreur du peuple ukrainien[29].
Notes et références
- (en) « Ukraine ‘to be renamed’ after war », The Australian, (consulté le )
- (en) Chris Brown, « A Kremlin paper justifies erasing the Ukrainian identity, as Russia is accused of war crimes », Canadian Broadcasting Corporation, (consulté le )
- (de) Reuter et Stolz, « Russische Nachrichtenagentur ruft zur Vernichtung der Ukraine auf », sur Tagesspiegel,
- « Russia's genocide handbook - The evidence of atrocity and of intent mounts », Thinking about... - Opening the future by understanding the past, Substack, (lire en ligne, consulté le )
- (en) Chris Brown, « A Kremlin paper justifies erasing the Ukrainian identity, as Russia is accused of war crimes », Canadian Broadcasting Corporation, (consulté le )
- (en) « Russian media spins alleged atrocities—"Shot by Nazis" », Newsweek, (consulté le )
- (en-GB) Lock Samantha, « Zelenskiy says more than 300 people killed and tortured in Bucha – as it happened », (consulté le )
- « Russian state media: 'Ukronazism' greater threat to world than Hitler », The Jerusalem Post | JPost.com
- « Russia’s war against Ukraine Daily updates as Moscow’s full-scale invasion enters its second month », Meduza
- NACHRICHTEN, « Russische Nachrichtenagentur ruft zum Völkermord auf », n-tv.de
- « Russian media spins alleged atrocities—"Shot by Nazis" », Newsweek,
- « Killings in Ukraine amount to genocide, Holocaust expert says », The Independent,
- « Державне інформагентство РФ опублікувало текст з обґрунтуванням геноциду в Україні », LB.ua (consulté le )
- Body, « Колумнист РИА "Новости" призвал к "деукраинизации" и репрессиям против украинцев. В соцсетях статью посчитали нацистской — Интернет на TJ », TJ, (consulté le )
- (uk) « Заборонити слово Україна та репресувати ціле покоління – розкрито плани кремлівських нацистів, які здивували б Гітлера », www.segodnya.ua (consulté le )
- Rukomeda, « ‘The whole world can observe the clash of civilization and anticivilization’ », www.euractiv.com,
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- « Wie soll der Krieg in der Ukraine enden? Dieser russische Text lässt Böses erahnen », watson.ch
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- (uk) Котубей, « На державному російському сайті вийшла стаття "Що Росія має зробити з Україною" », Суспільне | Новини, (consulté le )
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- « В ОП напомнили России о международных судах из-за статьи о "перевоспитании" украинцев », Украинская правда
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- (fi) « Venäjän propaganda viestii kansanmurhaa - "huolestuttavaa, kammottavaa" », Verkkouutiset, (consulté le )
- (en) Timothy Snyder (@TimothyDSnyder), « An article in the official state Russian news agency RIA Novosti... », sur Twitter,
- Francois THOM, « Les idéologues russes visent à liquider la nation ukrainienne » , sur Desk Russie (https://desk-russie.eu), (consulté le )
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- (ru) Sergueïtsev, « Что Россия должна сделать с Украиной » [archive du ], MIA Rossiya Segodnya, RIA Novosti, (consulté le )