CĂ©phalophorie
Une cĂ©phalophorie est un Ă©pisode oĂč un personnage, gĂ©nĂ©ralement un saint dĂ©capitĂ©, dit cĂ©phalophore, porte la tĂȘte dans les mains et se met en marche.
Ătymologie
Une cĂ©phalophorie, du grec kĂ©phalĂȘ (tĂȘte) et phorein (porter), est un Ă©pisode oĂč un personnage dĂ©capitĂ© se relĂšve et prend la tĂȘte entre les mains avant de se mettre en marche. Le personnage lui-mĂȘme s'appelle cĂ©phalophore. Le terme cĂ©phalophore a Ă©tĂ© utilisĂ© pour la premiĂšre fois par Marcel HĂ©bert, dans son article « Les martyrs cĂ©phalophores Euchaire, Elophe et Libaire », in Revue de l'UniversitĂ© de Bruxelles, v. 19 (1914). Depuis ce terme a Ă©tĂ© repris par les pays anglo-saxons.
Saints céphalophores
C'est un thĂšme courant de l'hagiographie chrĂ©tienne. Le cĂ©phalophore est gĂ©nĂ©ralement un saint, martyr par dĂ©capitation. Dans ce cas, l'aurĂ©ole de saintetĂ© peut ĂȘtre placĂ©e soit sur le cou (Ă l'emplacement oĂč la tĂȘte aurait dĂ» se trouver), soit autour de la tĂȘte que le saint tient dans ses mains, soit un halo double, sur le cou et autour de la tĂȘte. Aussi bien les hommes que les femmes peuvent ĂȘtre cĂ©phalophores, mais la grande majoritĂ© des cĂ©phalophores sont masculins.
Il y a aussi des thĂšmes proches. L'un de ces thĂšmes est celui des tĂȘtes qui restent vivantes et parlent aprĂšs la dĂ©capitation, mais sans que le corps les dĂ©place. Il existe plusieurs exemples comme celui de saint Nicaise, qui continue de rĂ©citer aprĂšs avoir Ă©tĂ© dĂ©capitĂ©. On peut aussi mentionner saint Juste de Beauvais : quand ce garçon se fait dĂ©capiter, il se lĂšve et donne sa tĂȘte Ă son pĂšre en lui demandant de la remettre Ă sa mĂšre pour qu'elle puisse l'embrasser. Il est retenu dans les cĂ©phalophores parce qu'il continue de prĂȘcher aprĂšs dĂ©capitation. Il attend aussi son pĂšre avec sa tĂȘte entre ses mains. Cependant, il n'a pas rĂ©ellement accompli de dĂ©placement ; c'est son pĂšre qui a ramenĂ© sa tĂȘte Ă Auxerre.
Un autre thĂšme proche est celui de saint Paul l'apĂŽtre, dans La LĂ©gende dorĂ©e. Pour prouver que le chef trouvĂ© est le sien, son corps le rejoint. On peut le reprĂ©senter la tĂȘte Ă ses pieds.
Saint Cuthbert de Lindisfarne est parfois reprĂ©sentĂ© avec deux tĂȘtes, une sur son cou et une entre ses mains, mais il n'est en aucun cas cĂ©phalophore ; il tient la tĂȘte de saint Oswald.
De nombreux saints cĂ©phalophores faisaient l'objet d'un culte. Leurs reliques, et en particulier leur chef, Ă©taient rĂ©putĂ©es guĂ©rir les maladies mentales (liĂ©es Ă la « tĂȘte ») ou des maux de tĂȘte.
Le chemin des saints
Les cĂ©phalophores semblent suivre un schĂ©ma pour leurs dĂ©placements[1] - [2]. Souvent, ils traversent ou suivent une riviĂšre, un cours d'eau ou un lac. Ă l'endroit oĂč ils entrent dans l'eau, ou dans une source proche, ils y lavent leur tĂȘte. Une trace de ce passage sera laissĂ©e dans le paysage ; ils posent la tĂȘte parfois sur une pierre qui sera marquĂ©e de leur sang, ou alors leur pas (ou genou) restera gravĂ© dans la pierre... Ensuite, ils gagnent un lieu Ă©levĂ©, comme une colline, oĂč ils trouvent le repos Ă©ternel. Souvent, une Ă©glise, une cathĂ©drale ou une chapelle est bĂątie Ă cet endroit en leur mĂ©moire. Ce schĂ©ma est par exemple suivi par saint Denis, saint Wyllow, saint Lucain et saint Gohard de Nantes.
Grande-Bretagne
- Devon : saint Nectan
- Dorset : saint Juthwara
- Essex : sainte Osgyth (aussi Sythe, Othith et Ositha).
France
- Aquitaine : sainte Quitterie, saint Maurin d'Agen, saint Aventin de Larboust, saint Sever
- Auvergne : saint Principin, sainte Procule
- Beauce : saint Lucain
- Berry : saint GĂ©nitour du Blanc, sainte Solange de Bourges
- Bourgogne (NiÚvre) : saint Révérien
- Bretagne : sainte Noyale, saint Gohard, sainte Tréphine, saint Trémeur, saint Miliau, sainte Haude
- Champagne : saint Nicaise, Sainte Tanche (prĂšs de Troyes)
- Franche-Comté : Ferréol de Besançon, Ferjeux de Besançon
- Haute-Marne: Didier de Langres
- Ăle-de-France : Denis de Paris, Nicaise et Egobille allĂšrent de Vaux-sur-Seine sur une Ăźle dans la riviĂšre Epte, Saint Ayoul de Provins
- Languedoc-Roussillon : saint Aphrodise de BĂ©ziers qui dĂ©posa sa tĂȘte place Saint-Aphrodise Ă BĂ©ziers
- Limoges : sainte Valérie
- Lorraine : saint Ălophe, sainte Libaire, saint Livier
- Midi-Pyrénées : saint Gaudens, saint Aventin de Larboust, saint Frajou, saint Hilarian d'Espalion, sainte Spérie
- Nord-pas de Calais : saint Chrysole, Sainte Saturnine de Sains-lĂšs-Marquion
- Normandie : Saint Clair de Normandie (Saint-Clair-sur-Epte)
- Picardie : sainte Maxence, saint Juste, saint Lucien, saint Fuscien, saint Victoric
- Provence : saint Mitre
Espagne
- Jaca (Aragon) : sainte Orosia
- Saragosse (Aragon) : saint Lambert
Suisse
- Valais : saint Maurice
- Zurich : saints Felix, Regula et Exuperantius
Allemagne
- Saint Theonistus de Mayence (aussi Theonist, Teonesto, Thaumastus, Thaumastos, Theonestus, Thonistus, Onistus, Teonisto, Tonisto). Compagnon de saint Ours. FĂȘtĂ© le 23 ou
Italie
- Saint Gemolo ou Gemolus (XIe siĂšcle). Avec son frĂšre saint Himerius (Imerio, Imier) de Bosto, ils se sont lancĂ©s Ă la poursuite de brigands qui avaient attaquĂ© leur oncle, Ă©vĂȘque, lors d'un pĂšlerinage. Ils sont dĂ©capitĂ©s par les brigands. Gemolo ramasse sa tĂȘte, monte sur son cheval et rejoint son oncle avant de mourir. FĂȘtĂ© le .
- Saint Minias de Florence
- Saint Emygdius (aussi Emidius, Ămedius, Emigdius, Hemigidius) (IIIe siĂšcle) dĂ©capitĂ© par Polymius. FĂȘtĂ© le 5 ou le .
Irlande / Pays de Galles
- Saint Wyllow, il a traversĂ© un cours d'eau et dĂ©posĂ© sa tĂȘte Ă un endroit oĂč on lui a bĂąti une chapelle.
- Sainte Winefride de Treffynnon est céphalophore dans le folklore du Pays de Galles.
En littérature
- Dans la littĂ©rature grecque antique, toute une discussion se fait autour de la crĂ©dibilitĂ© des tĂȘtes parlantes que l'on retrouve dans la mythologie grecque. Cette discussion est, entre autres, lancĂ©e par Aristote[3] qui chante la tĂȘte d'OrphĂ©e et de HomĂšre qui semblent encore parler. Cette discussion est reprise dans le De Bello Troiano de Joseph d'Exeter (XIIe siĂšcle) : Hector agite la tĂȘte de Patrocle, qui susurre « Ultor ubi Aeacides » (« oĂč est Achille mon vengeur ? »). On ne peut pas encore parler de cĂ©phalophorie.
- Dans la Divine ComĂ©die de Dante, Bertran de Born est dĂ©capitĂ© au huitiĂšme cercle de l'Enfer, mais il tient sa tĂȘte par les cheveux. On ne peut donc pas parler de cĂ©phalophorie.
- Dans Sire Gauvain et le Chevalier vert, roman de chevalerie du XVIe siÚcle, le chevalier vert est un céphalophore.
Notes et références
- Philippe GABET, « La céphalophorie », Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 140.
- Philippe GABET, « Recherche sur les Saintes "Céphalophores" », Bulletin de la Société de mythologie française n° 119, et Mélanges de mythologie française, Paris, Maisonneuve et Larose, 1980.
- De partibus animalium 3.10.
Voir aussi
Bibliographie
- Henri Moretus Plantin, Les Passions de saint Lucien et leurs dĂ©rivĂ©s cĂ©phalophoriques, Namur : secrĂ©tariat des publications des FacultĂ©s universitaires & Louvain : Ăditions Nauwelaerts & Paris : J. Vrin, 1953.
- Henri Fromage, Légende et paysage, dans le Colloque franco-espagnol : La Légende, anthropologie, histoire, littérature, Madrid : Casa de Velåzquez, 1989.