Borne d'erreur
En mathématiques, et plus précisément en analyse et en analyse convexe, une borne d'erreur[1] est une estimation (le plus souvent une majoration) de la distance à un ensemble par des quantités plus aisément calculables que la distance elle-même (numériquement, celle-ci requiert la résolution d'un problème d'optimisation). Une des premières bornes d'erreur non triviales obtenues concerne la distance à un polyèdre convexe : c'est le lemme de Hoffman, qui date de 1952. Cette estimation a ensuite été généralisée à beaucoup d'autres ensembles.
La borne d'erreur simplissime suivante donnera une première idée de ce que sont ces estimations. Elle concerne l'ensemble singleton formé de l'unique solution du système linéaire où est un opérateur linéaire inversible entre deux espaces normés. Pour un point quelconque, on a , si bien que
On peut donc estimer la distance de à par la norme du résidu , souvent plus simple à calculer que la distance puisqu'elle ne requiert pas la connaissance de la solution du système linéaire.
Les bornes d'erreur sont utiles théoriquement (par exemple, pour établir la convergence d'algorithmes d'optimisation, pour établir le conditionnement et la stabilité lipschitzienne d'ensembles) ou numériquement (par exemple, comme test d'arrêt dans des algorithmes d'optimisation). Les bornes d'erreur sont aussi apparentées aux notions de régularité métrique et de minimum saillant en optimisation. Leur écriture requiert une notion de qualification de contraintes qui peut être différente de celle utilisée pour l'obtention des conditions d'optimalité en optimisation.
Cet article fait le point sur les bornes d'erreur les plus connues et renvoie aux articles spécialisés (de Wikipédia ou de revue) pour plus de détails.
Définitions
Soient un espace métrique et une partie de . Une borne d'erreur pour est une affirmation de la forme
dans laquelle
est la distance de à et la fonction est « plus facile à évaluer que » . Si cette dernière expression est un souhait un peu vague (voir ci-dessous), on requiert en général que vérifie d'autres propriétés précises, telles que
- si, et seulement si, ,
- est continue dans un voisinage de .
Une borne d'erreur peut être globale, comme dans la définition ci-dessus, ou locale si l'estimation n'est vérifiée que pour voisin de ou voisin d'un point spécifié de .
La plupart des bornes d'erreur peuvent se rassembler en deux familles, que nous décrivons ci-après, celle où est l'image réciproque d'un ensemble simple et celle où est un ensemble de sous-niveau d'une fonction à valeurs dans (cas particulier du précédent dans lequel l'image réciproque est associée à une fonction à valeurs dans et où l'ensemble simple est un intervalle ). Nous verrons dans chaque cas ce que l'on entend par une fonction « plus facile à évaluer que » .
Images réciproques
Dans la première famille, l'ensemble est l'image réciproque par une application , une contrainte, d'une partie d'un autre espace métrique (même notation pour les métriques de et ), ce qui s'écrit
En général, est « plus simple » que . Alors, on aimerait pouvoir prendre
où est une constante positive indépendante de . Cette fonction est en effet souvent plus facilement calculable que , en tout cas si l'on peut évaluer et si la distance à se calcule plus facilement que la distance à . La borne d'erreur de Hoffman et les bornes d'erreur de Robinson obéissent à ce modèle.
Polyèdre convexe
La première borne d'erreur non triviale a été obtenue pour la distance à un polyèdre convexe. On suppose donc donné un polyèdre convexe de , écrit sous la forme suivante
où est une matrice réelle et . On note le cône convexe des vecteurs tels que . Pour une norme sur (pas nécessairement la norme euclidienne), on cherche à estimer la distance de à , qui est définie par
Pour , on note le vecteur de dont la composante est . On introduit également une norme sur .
En 1952, Hoffman a démontré le résultat suivant.
Lemme de Hoffman — Il existe une constante (ne dépendant que de , de et de ) telle que
Contraintes convexes
Si l'ensemble considéré est donné par
où est -convexe, en général, on ne peut pas avoir une borne d'erreur du type de celle de Hoffman, c'est-à-dire
sans hypothèses supplémentaires. Des contre-exemples sont donnés par Lewis et Pang (1997[2]), mais on peut aussi considérer le cas du singleton , , avec et , qui est l'intersection de deux disques tangents extérieurement. L'estimation ci-dessus ne peut avoir lieu en des points de la forme , car et , si bien qu'il faudrait trouver un tel que , ce qui ne peut pas avoir lieu pour des arbitrairement petits.
Il s'avère donc nécessaire d'avoir une hypothèse de qualification de contraintes pour avoir une borne d'erreur linéaire, c'est-à-dire de la forme ci-dessus, ou de prendre une borne d'erreur non linéaire, de la forme , avec un .
Bornes d'erreur de Robinson
La borne d'erreur de Robinson (1975[3]) concerne un ensemble convexe défini par des contraintes (ou fonctions) convexes et satisfaisant une condition de Slater. Le cadre est très général, en particulier, la dimension des espaces vectoriels n'est pas supposée finie.
De manière plus précise, on suppose donnés deux espaces normés et , dont les normes sont toutes les deux notées , un ensemble convexe , un cône convexe fermé non vide et une fonction -convexe . On s'intéresse à une borne d'erreur pour l'ensemble
On suppose que satisfait la condition de Slater suivante :
où est la boule unité fermée de . La borne d'erreur de Robinson majore la distance d'un point à dans l'espace par un multiple de la distance
de à dans l'espace .
Bornes d'erreur de Robinson — Dans les conditions et avec les notations ci-dessus, on a
Si, de plus, est borné de diamètre , alors
La première borne d'erreur de Robinson ne fait intervenir dans la définition de , ni par la distance de à , ni par le rayon , mais par l'intermédiaire du point de Slater . Dans la seconde borne d'erreur, c'est le diamètre qui prend en compte la présence de dans . Un intérêt de la seconde borne d'erreur est de ne plus faire intervenir le point de Slater .
Ces bornes d'erreur ont été étendues au cas d'ensembles non convexes (voir ci-dessous).
Contraintes algébriques convexes
Voir Guoyin Li (2013[4]).
Autres bornes d'erreur
Voir Auslender et Crouzeix (1988[5]). Extension à un Banach réflexif par S. Deng (1997[6]).
Borne d'erreur de Robinson
Le cadre est le suivant. On suppose que et sont deux espaces de Banach, que est une fonction Fréchet différentiable et que un convexe fermé non vide de . On s'intéresse à une borne d'erreur pour l'ensemble (non nécessairement convexe) suivant
La condition de qualification de Robinson en s'écrit
où est l'opérateur prenant l'intérieur. On note ci-dessous la distance de à et la distance de à .
Borne d'erreur de Robinson[9] — Si la condition de qualification de Robinson (QC-R) a lieu en , alors il existe une constante positive , telle que pour tout voisin de , on a
Cette borne d'erreur est locale (estimation de la distance pour voisin de ), du fait de la non convexité potentielle de l'ensemble
Ensembles de sous-niveau
Une autre famille de bornes d'erreur concerne l'ensemble de sous-niveau d'une fonction . Sans perte de généralité, on peut supposer qu'il s'agit de l'ensemble sous le niveau zéro :
Le fait que puisse prendre des valeurs infinies permet de prendre en compte la contrainte implicite (le domaine effectif de ). Il est alors courant d'obtenir des bornes d'erreur de la forme avec
où et sont des constantes positives indépendantes de . Cette seconde famille peut être considérée comme un cas particulier de la première dans laquelle la contrainte est la fonction scalaire et l'ensemble est l'intervalle .
Un cas particulier de cette famille est celui où est l'ensemble formé par les solutions d'un problème d'optimisation :
où .
Annexes
État de l'art
On pourra consulter les livres de Zalinescu (2002) et de Auslender et Teboulle (2003), ainsi que les articles de synthèse de Pang (1997) et de Lewis et Pang (1998).
Notes
- Error bound en anglais.
- (en) A.S. Lewis et J.-S. Pang, « Error bounds for convex inequality systems », dans Generalized convexity, generalized monotonicity: recent results, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, coll. « Nonconvex Optimization and its Applications » (no 27), , 75–110 p.
- (en) S. M. Robinson, « An application of error bounds for convex programming in a linear space », SIAM Journal on Control, no 13, , p. 271–273.
- (en) Guoyin Li (2013). Global error bounds for piecewise convex polynomials. Mathematical Programming.
- (en) A. Auslender et J.-P. Crouzeix, « Global regularity theorems », Mathematics of Operations Research, no 13, , p. 243–253.
- (en) S. Deng, « Computable error bounds for convex inequality systems in reflexive Banach spaces », SIAM Journal on Optimization, no 7, , p. 274–279.
- (en) S. Deng et H. Hu, « Computable error bounds for semidefinite programming », Journal of Global Optimization, no 14, , p. 105-115.
- (en) D. Azé et J.-B. Hiriart-Urruty, « Optimal Hoffman-type estimates in eigenvalue and semidefinite inequality constraints », Journal of Global Optimization, no 24, , p. 133–147.
- Robinson (1976)
Article connexe
Bibliographie
- (en) A. Auslender, M. Teboulle (2003). Asymptotic Cones and Functions in Optimization and Variational Inequalities. Springer Monographs in Mathematics. Springer, New York.
- (en) A. S. Lewis, J. S. Pang (1998). Error bounds for convex inequality systems generalized convexity, generalized monotonicity. In: Crouzeix, J.P., Martinez-Legaz, J.E., Volle, M. (eds.), pp. 75–110.
- (en) J. S. Pang (1997). Error bounds in mathematical programming. Mathematical Programming, 79, 299–332.
- (en) S.M. Robinson (1976). Stability theory for systems of inequalities, part II: differentiable nonlinear systems. SIAM Journal on Numerical Analysis, 13, 497-513.
- (en) C. Zalinescu (2002). Convex Analysis in General Vector Spaces. World Scientific, Singapore.