Bijection de Joyal
La bijection de Joyal consiste à « déplier », à l'aide de la correspondance fondamentale de Foata, la partie cyclique d'une application de dans pour en faire un arbre de Cayley. La bijection de Joyal permet de donner une démonstration élégante de la formule de Cayley, selon laquelle le nombre d'arbres étiquetés à n sommets, appelés aussi arbres de Cayley, est :
La bijection de Joyal est aussi très utile pour l'étude des propriétés métriques des arbres étiquetés à n sommets.
Une application : une démonstration de la formule de Cayley
Notons l'ensemble des arbres de Cayley à n sommets. Pour calculer le cardinal de une des démonstrations consiste à établir une bijection, appelée bijection de Joyal, entre et l'ensemble des applications de dans , noté usuellement . On a ainsi
Cette démonstration est attribuée à André Joyal par Aigner et Ziegler[1], ou encore par Pitman[2].
On peut voir comme l'ensemble des arbres de Cayley à n sommets, dont deux sommets sont marqués, de deux marques différentes. Le sommet portant la première marque peut être interprété comme la racine de l'arbre. Les deux marques différentes peuvent être portées par le même sommet.
La bijection de Joyal permet aussi de mieux comprendre la topologie d'un arbre de taille n, en étudiant la distance entre 2 sommets au hasard d'un arbre au hasard. En effet, un élément tiré au hasard avec équiprobabilité dans est un arbre de Cayley, avec deux points marqués, tiré au hasard : calculer la loi de différentes statistiques portant sur un arbre de Cayley, avec deux points marqués, tiré au hasard, revient à calculer le cardinal de différentes parties de l'univers Pour cela il peut être plus simple de calculer le cardinal de l'image de ces parties par la bijection de Joyal.
Représentation graphique d'une application
Pour décrire la bijection de Joyal, il est commode d'utiliser une représentation de chaque application ƒ de dans à l'aide d'un graphe orienté dont l'ensemble des sommets est et où les arêtes relient chaque élément à son image par ƒ[3]. Par exemple, pour ƒ = (12, 15, 2, 13, 10, 10, 13, 9, 19, 17, 18, 12, 15, 16, 20, 14, 2, 2, 13, 8), c'est-à-dire pour ƒ(1) = 12, ƒ(2) = 15, ƒ(3) = 2, … on a la représentation graphique ci-contre.
Éléments cycliques et éléments transients
Dans l'ensemble de définition de ƒ on peut distinguer les éléments cycliques (ou récurrents) des éléments transitoires (ou transients) : les éléments cycliques, figurés ci-contre en bleu, sont les éléments x pour lesquels il existe nx > 0 tel que :
Par exemple, ci-contre, n12 = 1, n16 = 2, et n8 = 6. À chaque application ƒ de dans on peut associer la chaîne de Markov dont la probabilité de transition est définie par
Les éléments récurrents et les éléments transitoires de ƒ sont alors exactement les éléments récurrents et les éléments transitoires de cette chaîne de Markov.
Correspondance de Foata
L'ensemble C des éléments cycliques de ƒ est le plus grand sous-ensemble de ayant la propriété suivante:
- la restriction de ƒ à C est une bijection de C dans C.
On peut alors appliquer la correspondance de Foata à la restriction de ƒ à C, que nous noterons τ, et obtenir ainsi un arrangement (une suite ordonnée) ω de tous les éléments de C. La correspondance de Foata consiste à écrire la suite des cycles de la décomposition en cycles disjoints de τ, en prenant bien soin :
- de terminer chacun de ces cycles par son plus petit élément,
- d'écrire les dits cycles dans l'ordre croissant de leurs plus petits éléments.
Le premier et le dernier terme de l'arrangement ω ainsi obtenu sont destinés à être les deux sommets marqués de l'arbre de Cayley produit, à partir de ƒ, par la bijection de Joyal.
Bijection de Joyal
On observe qu'une fois effacées les arêtes entre les éléments cycliques de ƒ, la représentation de ƒ ainsi modifiée devient une forêt (un graphe sans cycles, éventuellement non connexe, dont les composantes connexes sont précisément des arbres), chaque arbre de la forêt pouvant être vu comme enraciné en un des éléments cycliques de ƒ. En « replantant » chacun de ces arbres sur le sommet correspondant du graphe linéaire associé à l'arrangement de tous les éléments de C produit par la correspondance de Foata, on obtient un arbre de Cayley avec deux sommets marqués.
Réciproquement, la donnée d'un arbre de Cayley T avec deux points x et y marqués, éventuellement égaux, l'un marqué « début » et l'autre « fin », par exemple, définit
- une orientation de chaque arête de T (par exemple, chaque arête de T est orientée du sommet le plus éloigné de la fin (y) vers le sommet le plus proche de y) ;
- un unique chemin de longueur minimale de x à y (il existe un chemin car un arbre est un graphe connexe, il existe un seul chemin minimal car un arbre est un graphe sans cycle) ;
- une suite ordonnée de nombres de notée ω : la suite des labels des sommets apparaissant sur le chemin de longueur minimale entre x et y, lorsque ce chemin est parcouru de x à y. La suite ω commence donc par le label du sommet x et se termine donc par le label du sommet y. La longueur de la suite ω peut éventuellement être strictement inférieure à n.
À cette suite ω on peut appliquer la correspondance de Foata, pour trouver une permutation τ des nombres constituant ω, permutation dont le graphe est une collection de cycles. Ces cycles sont délimités par les records vers le bas de la suite obtenue en renversant la suite ω, i.e. les records observés en parcourant le chemin de y vers x.
Sur l'exemple ci-contre, x = 9 et y = 14, et le chemin minimal est ω = (9, 19, 13, 15, 20, 8, 12, 16, 14). Les records de la suite renversée (14, 16, 12, 8, 20, 15, 13, 19, 9) sont successivement 14, 12 et 8, ce qui conduit à la décomposition de τ en cycles disjoints :
On retrouve bien ainsi les cycles de ƒ.
Une fois effacées les arêtes composant le chemin de longueur minimale entre x et y, l'arbre de Cayley T ainsi modifié devient une forêt, chaque arbre de la forêt pouvant être vu comme enraciné en un des sommets du chemin entre x et y. En « replantant » chacun de ces arbres sur le sommet correspondant du graphe de τ, on obtient le graphe de ƒ.
À titre d'exemple, si l'on intervertit les rôles de x et y, on obtient un nouvel élément de Examinons son image réciproque g par la bijection de Joyal : l'ensemble des étiquettes des sommets apparaissant sur le chemin de y à x reste le même, mais la suite η obtenue est la suite inverse de la suite ω observée précédemment. Les records vers le bas de la suite renversée de η (à savoir la suite ω) sont alors 9 puis 8, conduisant à une décomposition en cycles (14, 16, 12, 8) (20, 15, 13, 19, 9) de la partie cyclique de g. On récupère alors, comme attendu, une application g = (12, 15, 2, 13, 10, 10, 13, 14, 20, 17, 18, 8, 19, 16, 13, 12, 2, 2, 9, 15) différente de l'application ƒ qu'on avait au départ (voir ci-dessus).
Distance entre deux points au hasard d'un arbre de Cayley aléatoire
Comme autre application, on peut citer le calcul de la loi de la distance entre deux points au hasard d'un arbre de Cayley aléatoire, qui, en vertu de la bijection de Joyal, est aussi la loi du nombre de points cycliques d'une application de dans . Notons le nombre d'éléments de tels que les deux points marqués soient à distance k l'un de l'autre. Pour on a :
où compte les choix possibles de l'ensemble des étiquettes des k + 1 points sur le chemin entre les deux points marqués, où compte les manières d'ordonner ces k + 1 étiquettes le long du chemin entre les deux points marqués, le facteur restant comptant les forêts de k + 1 arbres comportant au total n – k – 1 sommets (sans compter les k + 1 racines) qu'on pourrait planter le long de ce chemin. Il suit que, toujours pour
Cette loi discrète apparaît aussi dans des problèmes d'allocations (boules et urnes), dont le fameux problème des anniversaires. On peut montrer, par exemple à l'aide du lemme de Scheffé, que converge en loi vers la loi de Rayleigh, ce qui indique que la distance « typique » entre deux points d'un arbre de taille n est de l'ordre de
Voir aussi
Articles connexes
- Permutation
- Loi de Rayleigh
- Preuve combinatoire : différence entre preuve par bijection et preuve par double dénombrement
- Pseudo-forêt
Notes
- (en) Martin Aigner et Günter M. Ziegler, Proofs from THE BOOK, Springer, , 3e éd., 240 p. (ISBN 978-3-540-40460-6), p. 141-146
- (en) Jim Pitman, Combinatorial Stochastic Processes : École d'Eté de Probabilités de Saint-Flour XXXII - 2002, Springer, coll. « Lecture Notes in Mathematics », , 1re éd., 256 p. (ISBN 3-540-30990-X).
- Une telle représentation est décrite dans (en) J. Riordan, « Enumeration of Linear Graphs for Mappings of Finite Sets », Ann. Math. Statist., vol. 33, , p. 178-185 (lire en ligne). Martin Kruskal, dans (en) Martin D. Kruskal, « The Expected Number of Components Under a Random Mapping Function », The American Mathematical Monthly, vol. 61, no 6, , p. 392-397 (lire en ligne), utilise implicitement cette représentation, sans la décrire.