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Bicéphalisme en France

Le bicéphalisme est un mode d'organisation du pouvoir exécutif dans lequel les compétences attribuées à l'organe exécutif sont exercées à la fois par le chef d'État et le gouvernement.

Le bicéphalisme a toujours été caractérisé, en France, par son aspect inégalitaire. À de très rares exceptions près, les régimes politiques français sont organisés avec des fonctions de chef d'État et de chef de gouvernement distinctes l'une de l'autre, dans une logique parlementariste. En fonction du régime, c'est soit le chef de l'État (roi puis président de la République), soit le chef du gouvernement (président du Conseil, Premier ministre et autres) qui domine.

Régimes antérieurs à la Cinquième République

La France est historiquement et traditionnellement (depuis les premiers rois francs) un pays où le pouvoir exécutif est monocéphale.

Mais, depuis la chute de la monarchie absolue en 1789, les chefs de l'État français (rois puis présidents) ont perdu leur poids sur le pouvoir exécutif pour ne devenir que des symboles honorifiques.

Lorsque la Constitution de la Seconde république a été rédigée en 1848, ses rédacteurs se sont largement inspirés de la Constitution américaine écrite 60 ans plus tôt, offrant de nouveau au chef de l'État (le président) l'influence du pouvoir exécutif.

Contrairement à la légende historique, la Troisième république était elle aussi (en théorie) un régime présidentiel, puisqu'elle offrait au président de la république le pouvoir exécutif. Mais la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement a peu à peu fait glisser le pouvoir exécutif entre les mains du président du Conseil (fonction qui n'était même pas inscrite dans les lois constitutionnelles de 1875[1]) au détriment du président de la République qui s'est retrouvé sans pouvoir.

La Quatrième République, proclamée en 1946, a repris et officialisé (malgré les avertissements de Charles de Gaulle qui préconisait un régime de séparation stricte des pouvoirs) le fonctionnement officieux de la Troisième République en offrant clairement le pouvoir exécutif au président du Conseil et en ne donnant au président de la république qu'un rôle purement honorifique. Le parlementarisme excessif de la Quatrième république a conduit à sa chute en 1958.

Bien que la Cinquième République soit assimilée au régime présidentiel, elle est aussi un régime parlementaire, puisqu'il y a une responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et une irresponsabilité du Président. En revanche, c'est le Président qui possède le pouvoir de dissoudre la chambre basse du Parlement, et non le Premier Ministre. C'est pour cela que la Cinquième République est qualifiée de régime semi-présidentiel. De Gaulle qualifiera le Président de la République d'arbitre national au-dessus des partis[2].

En résumé, depuis la mort de Louis XVI en 1793, la Seconde république reste, à ce jour, le seul régime à avoir offert à la France un exécutif monocéphale (régime présidentiel sans premier ministre).

Cinquième République

Le rĂ©gime semi-prĂ©sidentiel de la Cinquième RĂ©publique est bicĂ©phale, ce qui veut dire que le pouvoir exĂ©cutif comporte deux « tĂŞtes Â» : le prĂ©sident de la RĂ©publique, chef de l’État, et le Premier ministre, chef du gouvernement. Mais cette expression juridique ne prĂ©juge pas de l’importance respective de chacune de ces tĂŞtes, qui peuvent ĂŞtre Ă©gales ou non, comme c’est le cas en France. Jusqu’aux Ă©lections lĂ©gislatives de 1986, on a pensĂ© que la pratique avait dĂ©finitivement assis la prĂ©Ă©minence du prĂ©sident de la RĂ©publique sur l’exĂ©cutif français, au dĂ©triment du Premier ministre qui n’occupait, de manière fort peu constitutionnelle, qu’une place d’exĂ©cutant. Mais ces dernières Ă©lections ont totalement remis en cause la pratique du pouvoir en permettant une alternance politique au Parlement en plein mandat prĂ©sidentiel. S’ouvrit alors la première « cohabitation Â», qui verra le PrĂ©sident s’effacer et le Premier ministre prendre, en toute indĂ©pendance du chef de l’État, les rĂŞnes de l’exĂ©cutif, avec le soutien indĂ©fectible de l’AssemblĂ©e nationale. Bien que la cohabitation soit aujourd’hui rendue improbable par l’instauration du quinquennat en 2000, mis en application pour la première fois avec Jacques Chirac, on ne peut s’empĂŞcher de constater que jamais, sous la Cinquième RĂ©publique, le bicĂ©phalisme n’a Ă©tĂ© Ă©galitaire, consacrant la prĂ©Ă©minence soit du PrĂ©sident, soit du Premier ministre, en fonction de la majoritĂ© politique siĂ©geant Ă  l’AssemblĂ©e nationale. Les dĂ©bats institutionnels actuels tournent gĂ©nĂ©ralement autour de ce problème de la dĂ©finition des rĂ´les des deux tĂŞtes de l’exĂ©cutif.

Si la Cinquième République souffre aujourd'hui d'une dérive présidentielle, c'est en raison du passage au quinquennat voulu par le Président Jacques Chirac, qui a marginalisé la fonction de Premier ministre qui n'est plus aujourd'hui qu'une sorte de « Vice-président de la République », dépourvu de pouvoir.

Prééminence du président de la République hors période de cohabitation

Depuis Charles de Gaulle, les chefs de l’État français disposent, hors période de cohabitation, d'une large part du pouvoir exécutif. En dehors des périodes de cohabitation, le Président de la République s’impose comme le véritable chef de l’exécutif, au détriment du Premier ministre. Cette situation tient à plusieurs facteurs.

D’une part, le Premier ministre est choisi par le chef de l’État de manière totalement discrétionnaire. Celui-ci fait son choix comme bon lui semble et, bien que le Premier ministre ait besoin de la confiance de l’Assemblée nationale pour gouverner, le Parlement n’a aucun droit de regard sur la nomination de ce dernier. Il n’est ainsi pas rare de voir le Président choisir un de ses proches (Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin sous la présidence de Jacques Chirac, ou encore Édith Cresson et Pierre Bérégovoy sous la présidence Mitterrand), qui pourra exécuter des politiques dont il aura préalablement déterminé les contours, ou encore une personnalité politique capable de faire consensus au sein de la majorité parlementaire (comme Michel Debré sous la présidence De Gaulle, Jacques Chirac sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing ou encore Michel Rocard sous la présidence Mitterrand), qu’une personne jugée sur sa seule compétence. Par le biais du Premier ministre, le Président de la République exerce ainsi l’essentiel du pouvoir exécutif, et les grandes lignes de la politique opérée par le gouvernement émanent de lui plus que du Premier ministre.

D’autre part, depuis 1962, le PrĂ©sident de la RĂ©publique est Ă©lu au suffrage universel direct. BĂ©nĂ©ficiant ainsi d’une lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique on ne peut plus importante que celle du Premier ministre, qui n’est pas Ă©lu et n’émane pas du Parlement, il peut moralement s’imposer comme Ă©tant le vĂ©ritable chef du pouvoir exĂ©cutif. L’AssemblĂ©e nationale, censĂ©e soutenir le gouvernement, est alors amenĂ©e Ă  soutenir le chef de l’État et ses dĂ©cisions. Cette dernière situation a atteint son paroxysme depuis l’instauration du quinquennat, qui rapproche Ă©lections prĂ©sidentielle et lĂ©gislatives sur le calendrier Ă©lectoral. L’enjeu pour les deux scrutins devient ainsi sensiblement le mĂŞme : il serait Ă©tonnant de voir le peuple envoyer Ă  la Chambre basse une majoritĂ© politique s’opposant au PrĂ©sident qu’il vient d’élire. La victoire lĂ©gislative, de ce fait, se fera presque logiquement dans le camp du nouveau PrĂ©sident, Ă©cartant très probablement dĂ©finitivement toute Ă©ventualitĂ© de cohabitation. Dans cette logique, on peut raisonnablement affirmer que, depuis 2001, le seul enjeu des Ă©lections lĂ©gislatives est le soutien ou non Ă  la PrĂ©sidence de la RĂ©publique, et non plus l’élection d’une majoritĂ© politique sur la base d’un vĂ©ritable programme de gouvernement, ce dernier enjeu Ă©chĂ©ant du coup Ă  l’élection prĂ©sidentielle.

Dès l’instauration de la Cinquième RĂ©publique, la pratique purement inconstitutionnelle du pouvoir par le PrĂ©sident de la RĂ©publique a redĂ©fini la responsabilitĂ© du Premier ministre. En vertu de la constitution, ce dernier est censĂ© ĂŞtre responsable devant l’AssemblĂ©e nationale, qui peut le renverser en censurant son gouvernement ou en lui refusant sa confiance. Trop frĂ©quent sous les Troisième et Quatrième RĂ©publique, cet Ă©vènement ne s’est produit jusqu’à maintenant qu’une seule fois dans tout l’histoire de la Cinquième RĂ©publique : en octobre 1962, lorsque le gouvernement Pompidou a Ă©tĂ© censurĂ© par l’AssemblĂ©e nationale, en majoritĂ© hostile Ă  l’instauration de l’élection du PrĂ©sident au suffrage direct envisagĂ©e par De Gaulle. Cela n’a en rĂ©alitĂ© rien de surprenant lorsque l’on sait que le Premier Ministre est choisi par le PrĂ©sident, et par lui seul, comme nous l’avons vu prĂ©cĂ©demment. De facto, ce dernier est alors doublement responsable : devant l’AssemblĂ©e nationale, comme le veut la constitution, mais aussi devant le chef de l’État, auquel il doit sa fonction. Bien que le PrĂ©sident ne puisse pas, en vertu de la constitution, destituer le Premier ministre, on a pu constater que dans de nombreux cas, celui-ci a Ă©tĂ© poussĂ© Ă  la dĂ©mission par le chef de l’État, pour des raisons très diverses. Ce fut le cas de DebrĂ© en avril 1962 puis de Pompidou en juillet 1968, sous la pression de De Gaulle, de Chaban-Delmas en avril 1972 conformĂ©ment aux souhaits du prĂ©sident Pompidou, de MM. Mauroy en juillet 1984, Rocard en mai 1991 et de Mme Cresson en mars 1992, comme le voulait Mitterrand, et enfin de M. Raffarin en mai 2005, poussĂ© Ă  la dĂ©mission par le PrĂ©sident Jacques Chirac.

Hors pĂ©riode de cohabitation, le Premier ministre fait donc plus figure d’exĂ©cutant de la PrĂ©sidence de la RĂ©publique que de vĂ©ritable chef de l’exĂ©cutif comme le voudrait la constitution de 1958. L’instabilitĂ© ministĂ©rielle, si elle ne provient plus du Parlement, provient donc dĂ©sormais du chef de l’État. SurnommĂ© Ă  juste titre « le fusible de la Cinquième RĂ©publique Â», le Premier ministre fait figure de rempart aux critiques formulĂ©es Ă  l’intention du pouvoir en place. L’essentiel du pouvoir exĂ©cutif Ă©tant en rĂ©alitĂ© exercĂ© par la PrĂ©sident de la RĂ©publique, sa fonction perd l’essentiel des prĂ©rogatives que lui confère pourtant la constitution. Comme c’est d’usage sous la Cinquième RĂ©publique, la pratique l’emporte sur le droit.

Prééminence du Premier ministre en période de cohabitation

La cohabitation, survenue pour la première fois en 1986, aura eu des effets considĂ©rables sur la pratique du pouvoir en France. EntraĂ®nant la formation, Ă  la suite d’élections lĂ©gislatives, d’un gouvernement soutenu par une majoritĂ© parlementaire d’une tendance politique diffĂ©rente de celle du PrĂ©sident de la RĂ©publique, elle imposera un retour aux fondamentaux de la constitution, et en particulier Ă  ceux relatifs aux pouvoir du gouvernement et du Premier ministre. Le chef de l’État perdra brièvement son hĂ©gĂ©monie sur l’ensemble du pouvoir exĂ©cutif, au bĂ©nĂ©fice d’un gouvernement reflĂ©tant la majoritĂ© politique siĂ©geant Ă  l’AssemblĂ©e nationale, menĂ© par un premier ministre fort, retrouvant l’entière possession des prĂ©rogatives qu’est censĂ©e lui dĂ©lĂ©guer la constitution. Bien qu’exceptionnelle, cette situation n’induit d’aucune manière que ce soit un changement de rĂ©gime politique, mais plutĂ´t un changement de système politique. La pratique prĂ©sidentialiste du pouvoir disparaĂ®t au profit d’une stricte application de la constitution : le gouvernement et son chef coordonnent la politique intĂ©rieure, le chef de l’État faisant office de contre-pouvoir et de garde-fou aux abus du pouvoir exĂ©cutif, tout en continuant Ă  bĂ©nĂ©ficier de son domaine rĂ©servĂ© en matière de politique Ă©trangère (domaine rĂ©servĂ© qui n'est nullement mentionnĂ© dans la constitution). La Cinquième RĂ©publique ne sera finalement jamais autant elle-mĂŞme que lors des diffĂ©rentes cohabitations, tant le retour aux fondamentaux de la constitution de 1958 qu’elle implique est visible. C’est pourquoi on peut alors raisonnablement affirmer qu’en pĂ©riode de cohabitation, le Premier ministre devient, ou plutĂ´t redevient le vĂ©ritable chef du pouvoir exĂ©cutif.

En 1986, 1993 et 1997, les trois cohabitations ont dĂ©butĂ© dans des contextes relativement similaires : la majoritĂ© sortante, soutenant le PrĂ©sident de la RĂ©publique, Ă©tait battue, supplantĂ©e par une nouvelle majoritĂ© hostile au chef de l’État. Ce dernier ne pouvait alors Ă©videmment plus imposer ses choix en matière de politique intĂ©rieure, courant le risque de voir les diffĂ©rents gouvernements qu’il formerait continuellement renversĂ©s par la Chambre Basse. Il devait alors faire face Ă  la situation de prĂ©caritĂ© dans laquelle le peuple l’avait placĂ©, et opter pour la nomination d’un Premier ministre d’un bord politique diffĂ©rent du sien, capable de recevoir la confiance de l’AssemblĂ©e nationale.

Le Premier ministre devient alors immédiatement le véritable chef du pouvoir exécutif. Bénéficiant du soutien de l’Assemblée nationale sans laquelle rien ne peut se faire, il a désormais toute légitimité pour former son gouvernement comme il l’entend et pour mener des politiques conformes à ses aspirations et à celles de ceux qui le soutiennent au Parlement. Le chef de l’État, écarté en partie du pouvoir et cantonné, comme nous venons de le voir, aux seules fonctions et habilités que lui délègue la constitution, perd pratiquement tout son influence sur la coordination et la menée de la politique de la Nation.

En plus de retrouver l’ensemble de son pouvoir et de ses prérogatives, le Premier ministre n’est en outre plus responsable que devant l’Assemblée nationale. Puisque le Président de la République ne peut plus le choisir de manière discrétionnaire mais en fonction des aspirations de la majorité parlementaire nouvellement élue, le chef du gouvernement ne doit plus sa nomination qu’aux députés, et à eux seuls. Dans la plus stricte application de la constitution de 1958, il ne rend guère plus de comptes qu’à l’Assemblée nationale. Qu’on soit en période de cohabitation ou non, le bicéphalisme en France n’est pas, n’a jamais été et ne sera probablement jamais égalitaire, le Président de la République ou le Premier ministre se retrouvant au Premier plan en fonction du bord politique de la majorité siégeant à l’Assemblée nationale.

Notes et références

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

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