« L'armée vendéenne, continue D'Obenheim, était à Baugéj. le lendemain de son arrivée, les- chasseurs républicains se présentent; ils sont facilement repoussés-, mais leur attaque n'est point infructueuse; car elle fatigue l'année entière qui, comme on l'a dit, ne savait point se mouvoir par section.
» Le jour suivant, les soldats vendéens s'attendaient à marcher sur Saumur. Us s'étaient assemblés sur la route; mais, sans que l'on ait pu en deviner le mo tif, l'ordre fut changé et toute l'armée se porta sur La Flèche (i).
(i) Le motif était la marche de la division de Kleber sur la levée ,. dont les chefs vendéens eurent avis.
» Déjà , depuis quelque temps, les soldats se persuadaient que c'était uniquement de leurs chefs que la république voulait avoir la vie, et que, par un des derniers décrets, il n'était plus nécessaire de passe-ports pour voyager dans l'intérieur de la France. Dans cette persuation, plusieurs bandes formaient le projet de se retirer chacune de son côté. Beaucoup de Vendéens s'étaient débarrassés de leurs fusils, et croyaient qu'en s'en allant seulement un bâton à la main, les républicains leur donneraient l'hospitalité. Us n'avaient plu» l'air de suivre leur armée qu'en attendant une occasion favorable pour s'en échapper.
» Au moment où la tête de l'armée approche de La Flèclie, les chasseurs républicains l'attaquent en queue et y mettent le désordre. S'ils avaient été plus nombreux, l'armée était perdue, car le pont de La Flèche était rompu, et la ville défendue par quelques républicains munis de canon. Les -chasseurs républicains à raison de leur petit nombre, ne peuvent inquiéter que la queue. Pendant ce temps, les braves de la tête démontent, à coups de fusil, les canonniers chargés de la garde du pont et passent la rivière un demi-quart de lieue plus haut, près d'un moulin, dans deux petits bateaux qu'on y avait oubliés. Un détachement de républicains s'était montré de l'autre côté de la rivière, un peu en deçà , mais il avait été obligé d'abandonner sa position, parce que les Vendéens le canonnèrent et le fusillèrent vivement par-dessus la rivière j d'ailleurs la nuit approchait. Deux ou trois cents Vendéens, conduits par la Rochejaquelein, se font apercevoir de l'autre côté: les républicains se retirent avec précipitation et il ne tombe guère sous le fer des Vendéens que ceux qui, placés au pont, avaient eu moins de temps pour échapper.
» La Rochejaquelein se voyant maître de la ville, se porte sur-le-champ à l'attaque de la queue; sa présence y ranime les esprits; le grand nombre à la fin prend le dessus; les chasseurs se retirent dans un village. Pendant ce temps-là , le pont de La Flèchese rétablit et les Vendéens y font passer leurs canons à la pointe du jour.
» Vers le milieu de ce jour, pendant que les Vendéens se livrent au repos, les chasseurs républicains reparaissent et ont même le temps de piller deux ou trois voitures laissées hors la ville. On crie aux armes; la Rochejaquelein, à la tête des premiers prêts, repousse les chasseurs à plus d'une lieue et demie, mais en perdant bien du monde. Le reste de l'armée Vendéenne ne suivait qu'avec une peine incroyable et de fort loin. La tête, voyant qu'elle n'est pas soutenue, perd courage, tandis que la même raison le fait reprendre aux chasseurs. Us ont bientôt le dessus, et, moyennant leur artillerie à cheval, ils ramènent, pour ainsi dire, en poste ceux qui viennent de les poursuivre. La déroute se communique à une partie de leur armée, et elle serait devenue générale, s'il y avait eu un peu moins de disproportion dans le nombre des combattans. Les chasseurs sont enfin dans la nécessité de rétrograder; mais après avoir détruit un grand nombre de Vendéens et avoir laissé dans leur esprit une impression profonde du sort qui les attendait, lorsque l'armée ennemie serait réunie.
» Plus de trente malades ou anciens blessés, restés sur les charrettes qu'on n'avait pu faire entrer en ville pendant la nuit précédente, y étaient morts de froid, et présentaient à leurs camarades un spectacle qui mettait le comble à leur désolation.
» Dans la soirée, on crie aux armes sur la route du Mans et sur celle d'Angers; en effet, un corps de républicains se présentait sur la première (i), il était trop faible ; sa résistance fut presque nulle; mais il acheva de mettre les Vendéens sur les dents par la nouvelle fatigue qu'il leur occasiona. Si les chasseurs qui s'étaient rendus si redoutables, ou un corps semblable, étaient revenus à la charge un moment après, nul n'aurait eu la force d'aller à leur rencontre.
» Les chefs s'étaient aperçu du désarmement volontaire de leur monde dès Baugé. En conséquence, ils firent, en arrivant à La- Flèche, une proclamation par laquelle il était défendu de laisser prendre des vivres à ceux qui ne seraient pas armés d'un fusil. »
Cependant Kleber, ainsi qu'on l'a vu, s'était mis en marche avec sa colonne, se dirigeant vers Saumur, pour couvrir la Loire. Il ne quitta cette direction que lorsqu'il apprit que les Vendéens,
(i) Le petit corps du ge'ne'ral Chabot. — Les chasseurs republicains claient ceux de Wcstermann.
qui paraissaient avoir formé le projet de se porter de Baugé sur Saumur, s'étaient décidés à se diriger sur La Flèche.
Le 10, Kleber se rendit à Baugé, où étaient les représentans Prieur et Bourbotte avec le général Marceau. A son arrivée, on décida qu'il marcherait le lendemain sur le Mans.
« Les chefs vendéens, continue D'Obenheim, ne savaient de quel côté tourner. Les uns voulaient tenter le passage de la Loire entre les ponts de Ce et Saumur; les autres voulaient aller passer cette rivière à Blois ; les autres, sans rejeter absolument ces deux projets, voulaient avant tout procurer du repos et des vivres aux soldats. Le Mans leur paraissait favorable pour cet effet; ils espéraient en outre y faire beaucoup de recrues.
» Cette dernière opinion l'emporte ; les Vendéens rompent leur pont provisoire de La Flèche, et, dans le même jour, se portent au Mans et s'en rendent maîtres[5]. »
— D'Obenheim.