Aujourd'hui, maman est morte
« Aujourdâhui, maman est morte. Ou peut-ĂȘtre hier, je ne sais pas. » est l'incipit du roman L'Ătranger (1942) d'Albert Camus.
Analyse
Les premiĂšres phrases du roman sont les suivantes[1] :
« Aujourdâhui, maman est morte. Ou peut-ĂȘtre hier, je ne sais pas. Jâai reçu un tĂ©lĂ©gramme de lâasile : ââMĂšre dĂ©cĂ©dĂ©e. Enterrement demain. Sentiments distinguĂ©s.ââ Cela ne veut rien dire. CâĂ©tait peut-ĂȘtre hier. »
La narration est ancrĂ©e sur le moment d'Ă©nonciation plutĂŽt que sur l'Ă©vĂ©nement lui-mĂȘme, plongeant le lecteur dans l'actualitĂ© de la conscience du narrateur. Les phrases courtes donnent Ă©galement l'impression que Meursault choisit de se confier Ă nous, oralement[2]. La phrase manque d'informations, et rĂ©siste Ă l'analyse, ne fournissant d'indicateurs ni de temps, « aujourd'hui » Ă©tant un marqueur relatif[3], ni d'un autre type. D'emblĂ©e, ce narrateur paraĂźt dĂ©tachĂ© au lecteur, en montrant un certain agacement qui correspond mal Ă la gravitĂ© du moment. Cette impression sera encore, par la suite, celle qu'il fera devant la cour d'assises oĂč il comparaĂźtra, annonçant dĂ©jĂ l'Ă©pilogue tragique.
Postérité
ConsidĂ©rĂ©e comme l'une des plus cĂ©lĂšbres de la littĂ©rature française[4] - [5], la phrase est l'objet de plusieurs Ă©tudes linguistiques ou analytiques[1] - [6], et est utilisĂ©e de maniĂšre intertextuelle par plusieurs auteurs. Ainsi, en 1997, dans Je ne suis pas sortie de ma nuit, Annie Ernaux y fait allusion en Ă©voquant en ces termes la mort de sa mĂšre : « La premiĂšre fois que j'ai Ă©crit âmaman est morteâ. L'horreur. Je ne pourrai jamais Ă©crire ces mots dans une fiction. »[7] De mĂȘme, en 2002, dans le court roman Aimer Ă peine de Michel Quint, le narrateur français est dĂ©sarçonnĂ© par une Allemande qui prononce cette phrase par rĂ©fĂ©rence Ă Camus, mais que lui ne reconnaĂźt pas et prend au premier degrĂ© comme une confidence[8]. Enfin, en 2011, Charles Berling publie un roman intitulĂ© Aujourd'hui, maman est morte[9] et, en 2015, commence le tournage d'une adaptation au cinĂ©ma, avec une distribution composĂ©e de François Damiens, Ludivine Sagnier, Emmanuelle Riva et lui-mĂȘme[10] - [11].
Traduction
En 2012, le New Yorker publie un long article sur les difficultés de la traduction anglaise d'une phrase en apparence trÚs simple[12] - [13] - [14] : quel mot utiliser pour maman, et dans quel ordre placer les mots, sans parler du choix du temps.
Notes et références
- Furukawa 2005.
- Jean-Luc Riffault, « Lettres : Lecture analytique 1 », sur lettres.ac-orleans-tours.fr, Académie d'Orléans-Tours (consulté le ).
- Jean-François Jeandillou, L'analyse textuelle, Armand Colin, , 192 p. (ISBN 978-2-200-25846-7, présentation en ligne).
- Bloom 2012, passage : « For the modern American reader, few lines in French literature are as famous as the opening of Albert Camusâs âLâĂtrangerâ » (« Pour le lecteur amĂ©ricain moderne, peu de phrases dans la littĂ©rature française sont aussi cĂ©lĂšbres que l'incipit de L'Ătranger de Camus »).
- (de) Anne-Catherine Simon, « âGegendarstellungâ: Ein Araber kontert Camus », Die Presse, , passage « Wenige RomananfĂ€nge der Literatur sind so berĂŒhmt wie dieser » (« Peu de premiĂšres phrases sont aussi cĂ©lĂšbres que celle-ci »).
- Cornille 1976.
- Yves Reuter, L'analyse du récit, Paris, Armand Colin, , 3e éd., 126 p. (ISBN 978-2-200-61389-1, lire en ligne).
- Annie Coppermann, « L'amour au rendez-vous de l'Histoire », Les Ăchos, .
- Françoise Dargent, « Charles Berling : les secrets de ma mÚre », Le Figaro, (consulté le ).
- « Charles Berling, son fils Emile : 'Un jeune homme doit se confronter à son pÚre' », sur Pure People, , d'aprÚs Version Femina, .
- Marc-André Lussier, « Ludivine Sagnier dans Tristesse Club: triangle familial », La Presse, .
- Bloom 2012.
- Glanert 2019.
- BérengÚre Viennot, « Aujourd'hui, mother est morte », sur Slate, .
Annexes
Bibliographie
- Naoyo Furukawa, Pour une sĂ©mantique des constructions grammaticales : ThĂšme et thĂ©maticitĂ©, Bruxelles/Paris, De Boeck SupĂ©rieur, coll. « Champs linguistiques / Recherches », , 197 p. (ISBN 978-2-8011-1360-8), chap. 10 (« Aujourd'hui, maman est morte : localisateur temporel ou Ă©lĂ©ment thĂ©matique ? »), p. 165â180 [lire en ligne].
- Jean-Louis Cornille, « Blanc, semblant et vraisemblance sur l'incipit de L'Ătranger », LittĂ©rature, no 23 « Paroles du dĂ©sir »,â , p. 49â55 (DOI 10.3406/litt.1976.1121).
Sur la traduction en anglais de la premiĂšre phrase :
- (en) Ryan Bloom, « Lost in Translation: What the First Line of âThe Strangerâ Should Be », The New Yorker, .
- Simone Glanert, « 'Aujourdâhui, maman est morte' : Traduction littĂ©raire et droit comparĂ© », Revue Droit et LittĂ©rature, no 4,â (lire en ligne), premiĂšre partie (p. 1â10).
Article connexe
- « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » : incipit de Du cÎté de chez Swann de Marcel Proust
Lien externe
- « Albert Camus lit un extrait de "L'étranger" », Pages françaises, sur SoundCloud, Institut national de l'audiovisuel, .