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Apollon et Daphné (Poussin)

Apollon et DaphnĂ© (ou plus gĂ©nĂ©ralement, Apollon amoureux de DaphnĂ©) est un tableau de Nicolas Poussin. Il s'agit d'une huile sur toile rĂ©alisĂ©e entre 1661 et 1664, soit juste avant la mort du peintre. Il mesure 155 x 200 cm et est actuellement exposĂ© au musĂ©e du Louvre Ă  Paris, dans l'aile Richelieu.

Apollon amoureux de Daphné
Nicolas Poussin - Apollon amoureux de Daphné
Artiste
Date
Type
Matériau
Dimensions (H Ă— L)
155 Ă— 200 cm
No d’inventaire
MI 776
Localisation

Histoire du tableau

Apollon et Daphné, peint par Poussin entre 1660 et 1664, a été donné par le peintre au cardinal Camillo Massimi[1] ; le tableau est ensuite entré dans les collections du peintre Guillaume Guillon Lethière. En 1832, il figure dans la vente de Sébastien Érard ; il est acquis par Charles Paillet, commissaire expert des Musées royaux, qui le propose à l'achat sans succès au Musée des beaux-arts de Rouen. Le musée du Louvre l'achète en 1869[2].

Description

Sur la toile sont dépeints, dans un premier temps, un groupe de personnages relativement conséquent réuni au cœur d'un paysage luxuriant (ce genre de paysage est récurrent chez Poussin particulièrement dans la dernière décennie de sa carrière). A gauche, assis et accoudé sur des rochers, se trouve le dieu Apollon. Il est couronné de laurier et porte une toge rouge qui recouvre seulement une partie de son intimité. Autour de lui sont représentées des nymphes ; quatre d'entre elles sont en train de se baigner tandis qu'une autre adopte une pose alanguie dans un arbre, juste au-dessus du dieu. Derrière ce dernier, Mercure, reconnaissable à son pétase, vole discrètement une flèche de son carquois, la scène étant vue par une nymphe vêtue de bleu. L'un des autres personnages les plus notables figurant aux côtés d'Apollon est Cupidon, apparaissant comme un petit amour nu brandissant un arc. Tout en regardant le dieu des Arts, il vise, avec son arme, un personnage situé à l'opposé de la composition. Il s'agit de Daphné, nymphe et fille du dieu Pénée et dans les bras duquel elle semble se réfugier. Le regard d'Apollon est dirigé vers elle.

Ces deux groupes de personnages, l'un à gauche et l'autre à droite, sont séparés par un vide. Un contraste s'opère entre les deux parties, notamment en raison des couleurs émanant des habits des personnages. En effet, la toge rouge d'Apollon ainsi que les robes jaunes et bleues des deux nymphes qui l'entourent tendent à créer une atmosphère plutôt chaude, à l'inverse du côté droit qui peut être perçu comme sombre, se mêlant presque au paysage de l'arrière-plan. Au centre, cependant, le spectateur distingue plusieurs éléments : un troupeau de bœufs accompagné de trois autres personnages (figurés plus petits à cause de la distance à laquelle ils sont censés se trouver), dont l'un est couché par terre, comme mort.

L'ensemble de la toile est rĂ©gi par une composition ovoĂŻdale, dans le sens oĂą tous les personnages sont disposĂ©s de manière Ă  s'inclure dans un cercle allongĂ©. En plus d'ĂŞtre en parfaite harmonie avec le dĂ©cor dans lequel ils se trouvent, le vide du milieu est rempli uniquement par l'Ă©tang, donnant ainsi Ă  tout le tableau un caractère aquatique. Les nymphes essorent leurs cheveux humides, certaines sont nues, prĂŞtes Ă  plonger, et la couleur de l'eau se reflète dans le ciel – qui, par ailleurs, occupe toute la moitiĂ© supĂ©rieure du cadre. Comme dans une grande partie des toiles de Poussin, Nature et Homme se complètent et cohabitent, Ă  la diffĂ©rence, cependant, que l'opposition des deux groupes de personnages semble suggĂ©rer une tension mystĂ©rieuse et bien perceptible.  

Mythe d'Apollon et Daphné

Nicolas Poussin a puisé dans les Métamorphoses d'Ovide pour peindre son tableau d'Apollon et Daphné. Daphné est une nymphe, fille du dieu-fleuve Pénée, lequel se trouve en Thessalie. Apollon, quant à lui, est le dieu des arts, du chant, de la beauté masculine… Le mythe qui lie ces deux personnages est une histoire d'amour.

Apollon se moqua du dieu de l'amour, Cupidon. VexĂ©, Cupidon lança deux flèches : une en plomb faisant naĂ®tre un sentiment d’aversion totale envers son soupirant, l'autre en or qui rend amoureux la personne qui en est touchĂ©e. Il envoya la flèche en or dans le cĹ“ur d'Apollon et celle en plomb dans le cĹ“ur de DaphnĂ©. Apollon, qui a pour don d'ĂŞtre clairvoyant en temps ordinaire, fut totalement aveuglĂ© par son amour pour DaphnĂ© ; il se lança donc Ă  sa poursuite. DaphnĂ©, par rejet, fuyait Apollon. DĂ©sespĂ©rĂ©e, elle pria le dieu son père de l'aider. Il la changea alors en laurier. Depuis lors, Apollon porte une couronne de laurier en souvenir de son premier amour.

Nicolas Poussin choisit de reprĂ©senter l'instant ou Cupidon vole de manière intrĂ©pide les flèches d'Apollon. Cependant, le tableau reste inachevĂ© puisque ni les flèches ni l'arc ne sont reprĂ©sentĂ©s. Il est possible de voir que DaphnĂ© tourne dĂ©jĂ  la tĂŞte dans le sens inverse d'Apollon, se cachant derrière son père. Elle serait donc dĂ©jĂ  sous l'effet de la flèche de Cupidon. MalgrĂ© cela, Apollon regarde DaphnĂ© mais reste très paisible. La flèche d'or a pu dĂ©jĂ  ĂŞtre lancĂ©e mais il aurait choisi de se raisonner. Une prise de distance s'Ă©tablit donc alors par rapport au mythe d'origine. En effet, le peintre utilise la mythologie mais il s'en dĂ©tache pour recrĂ©er les mythes. Anthony Blunt qualifie Poussin de « mythologue Â», liant les mythes entre eux pour former un cycle naturel. Il est possible d'interprĂ©ter l'attitude d'Apollon comme un homme ayant remarquĂ© la femme qu'est DaphnĂ©, sans avoir encore Ă©tĂ© touchĂ© par la flèche en or de Cupidon.

Le tableau prĂ©sente diffĂ©rents groupes de personnages faisant rĂ©fĂ©rence Ă  d'autres mythes. Mercure Ă  gauche du tableau est en train de voler une flèche Ă  Cupidon. En arrière-plan est prĂ©sent un troupeau qui peut faire rĂ©fĂ©rence au troupeau que vole Mercure Ă  Apollon. Cette reprĂ©sentation est aussi tirĂ©e des MĂ©tamorphoses d'Ovide mais pas du mĂŞme mythe, crĂ©ant ainsi une incohĂ©rence. En arrière-plan se trouve Hyacinthe mort, jeune homme rĂ©putĂ© pour ĂŞtre très beau et aimĂ© d'Apollon. Il meurt accidentellement, touchĂ© par un disque lancĂ© par le dieu et de son sang naĂ®t une fleur.

Contexte personnel

Le tableau d'Apollon et Daphné est souvent perçu comme l'œuvre testamentaire de Nicolas Poussin. En effet, elle est la dernière toile qu'aurait réalisée le peintre avant de mourir, lequel l'aurait d'ailleurs laissée inachevée, emporté trop tôt par la mort. Mais le contexte dans lequel la réalisation de ce tableau s'effectue nous permet aussi, aujourd'hui, de voir Apollon et Daphné comme un élément primordial du testament de Poussin.

À la mort de sa femme, Poussin rédige un premier testament qu'il modifiera peu de temps avant son propre décès. L'examen de son ultime testament amène à un constat troublant : le beau-frère de l'artiste, Gaspard Dughet, ne figure plus sur la liste des bénéficiaires. L'hypothèse la plus plausible serait que Poussin aurait fini par cultiver une certaine animosité vis-à-vis de son parent qui, peintre lui aussi, lui volait parfois des sujets ou plus généralement sa touche. Ce conflit à la fois familial et artistique aurait pu avoir un impact majeur sur la conception de la toile d'Apollon et Daphné, notamment sur l'iconographie de celui-ci. En représentant Mercure comme un voleur sournois s'appropriant les flèches d'Apollon, il est possible d'y voir la volonté de Poussin de faire allusion à son beau-frère lui volant le fruit de son art et, par la même occasion, sa renommée (à la mort de Poussin, Gaspard Dughet s'appropriera également son nom en se faisant appeler Gaspard Poussin). La présence du troupeau à l'arrière-plan renforce cette idée, dans le sens où il renvoie à un mythe plus ancien et dans lequel Mercure vole, une fois de plus, Apollon. Si la figure de Mercure renvoie bel et bien à celle de Gaspard Dughet, le reste de la composition, avec ses nombreux personnages, pourrait tout aussi bien symboliser les autres membres de la famille de l'artiste, et particulièrement les héritiers mentionnés dans son testament. Par exemple, les deux chiens seraient en réalité une manière allégorique de faire référence aux deux autres beaux-frères de Poussin, Louis et Jean ; le fait de les apparenter à des chiens signifierait qu'ils sont loyaux et fidèles (ils seront d'ailleurs les exécuteurs testamentaires de Poussin), contrairement à Gaspard. Dans la même optique, les nymphes pourraient renvoyer aux nièces du peintre, Barbe et Catherine. Cette éventualité expliquerait qu'elles soient toutes deux dépeintes aux côtés d'Apollon. Si, enfin, Poussin se peint lui-même au travers d'un Apollon sage mais trompé, Daphné serait par conséquent une évocation à Anne-Marie Dughet, sa femme.

Si toutes ces éventualités s'avèrent véridiques, le tableau d'Apollon et Daphné serait alors un miroir partiel de la vie de Nicolas Poussin, dont les autres personnages renverraient à d'autres de ses proches (le dieu Pénée, par exemple, serait Jacques Dughet, le père d'Anne-Marie). Il serait, par ailleurs, indissociable du contexte personnel dans lequel il a été peint et ne pourrait être lu et interprété qu'en toute connaissance des dernières années de Poussin.

Notes et références

  1. Clélia Nau, « L’aperception des ressemblances. Métaphores filées dans l’Apollon amoureux de Daphné », Tangence, no 69,‎ , p. 27–54 (ISSN 0226-9554 et 1710-0305, DOI https://doi.org/10.7202/008072ar, lire en ligne, consulté le )
  2. Marie Pessiot et Pierre Rosenberg 1998.

Voir aussi

Bibliographie

  • Oskar Bätschmann, « Apollon et DaphnĂ© (1664) de Nicolas Poussin. Le testament du peintre-poète », dans Nicolas Poussin (1594-1665) : : actes du colloque, musĂ©e du Louvre, 19 au , Paris, La Documentation française, 1996, p. 562.
  • Françoise Graziani, « Poussin mariniste : la mythologie des images », dans O. Bonfait et al., dir, Poussin et Rome : actes du colloque de l'AcadĂ©mie de France Ă  Rome 16-, Paris, RĂ©union des musĂ©es nationaux, 1996, p. 367-385.
  • Marie Pessiot et Pierre Rosenberg, « Ă€ propos de la provenance de l'Apollon et DaphnĂ© de Poussin Â», dans La Revue du Louvre et des musĂ©es de France, 1998, vol. 48, n° 4
  • ClĂ©lia Nau, « L’aperception des ressemblances. MĂ©taphores filĂ©es dans l’Apollon amoureux de DaphnĂ© Â», dans Tangence, 2002, n° 69, p. 27–54 Lire en ligne.
  • (en) Adele Tutter, « Metamorphosis and the aesthetics of loss: I. Mourning Daphne – The Apollo and Daphne paintings of Nicolas Poussin Â», dans The International Journal of Psychoanalysis, 2001, vol. 92, n° 2, p. 427-449 Aperçu en ligne.
  • Nicolas Milovanovic, « Chemins de l'invention : la genèse de l'"Apollon amoureux de DaphnĂ©" du Louvre Â», dans Revue de l'art, 2017, n° 198, p. 17-28.

Liens externes

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