Affect
Un affect est un état de l'esprit tel qu'une sensation, une émotion, un sentiment, une humeur (au sens technique d’état moral : déprime, optimisme, anxiété…). Tout état de ce type a un aspect bon ou mauvais (jugement) et ainsi nous influence ou nous motive. Il varie également en force, c'est-à -dire son incidence sur notre motivation à agir ou réagir, et donc sur la conation (effort, volonté). Ces états sont regroupés dans le domaine de l'affectivité, par opposition aux idées abstraites par exemple qui ne sont ressenties ni comme bonnes ni comme mauvaises. Un affect se manifeste soit comme un changement d'état parfois fort mais temporaire (crise), soit au contraire comme un état stable mais de longue durée (stase). Apparu en 1942 [1] dans la langue française, le mot affect n'a longtemps pas été un mot courant mais devient commun de nos jours dans les médias, par américanisme.
De plus en plus, la psychologie et les sciences cognitives découvrent les relations entre dimension affective et d'une part, pensée, compréhension ou cognition, de l'autre, motivation et volonté. L'affectivité est donc un ensemble de phénomènes psychiques qui influencent à la fois l'état propre de l'esprit, l'attitude, la vision du monde, la pensée, et le comportement dans le monde. On l'oppose souvent en une triade majeure de la psyché à la cognition et à la conation.
En philosophie
En grec pathos, désigne ici les perceptions et les émotions provoquées par le monde extérieur, seules réalités crédibles selon le scepticisme : Le sceptique donne son assentiment aux affects qui s'imposent à lui à travers une impression ; par exemple, il ne dira pas, alors qu'il a chaud ou qu'il a froid, « il me semble que je n'ai pas chaud ou que je n'ai pas froid » (Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes - I, 13).
En latin, affectus désigne traditionnellement un état de l'âme, un sentiment. Selon Spinoza, (Éthique III, définition III [2]), il s'agit plus précisément d'une modification du milieu (une cause extérieure) qui influe par les sens, le corps en même temps que dans le mental (mens), modification par laquelle la puissance d'agir est augmentée ou diminuée. Ainsi une modification ou affection (affectio) me laissant indifférent n'est pas un affect au sens de affectus. Les affects "déterminent" donc les individus, ce qui est la base de la philosophie spinoziste, qui tend à se libérer des affects "tristes" (diminuant notre puissance d'agir), en les transformant en affects positifs (augmentant notre puissance d'agir) par la connaissance des rapports de causalité du déterminisme des affects sur l'esprit. Spinoza dénonce ce que nous appelons "libre arbitre" disant que nous ignorons les causes qui déterminent nos actes et nos pensées, et lui oppose la "libre nécessité", qui se comprend comme la compréhension de sa place dans l'ordre universel du monde. L'Homme pourrait alors sortir de l'illusion d'être "un empire dans un empire", s'imaginant comme au-dessus des rapports de causalité en action dans la nature, dans le Tout, ce que Spinoza appelle Dieu.
Martin Heidegger emploie très souvent le terme affect pour signifier la disposition[3].
En sciences cognitives
À l'origine des sciences cognitives et notamment en psychologie, le domaine de l'affectivité a souvent été opposé à la cognition entendue comme les capacités de raisonnement rationnel. Mais les progrès dans l'étude des comportements humain et animaux ont remis en cause cette dichotomie trop simpliste. Il est en effet apparu que dans bien des cas, les processus affectifs contribuaient de façon positive à l'adaptation de l'individu à son milieu et faisaient donc partie intégrante de sa cognition. On est donc venu à parler d'une cognition chaude qui repose à la fois sur la pensée rationnelle et sur les processus émotionnels en l'opposant à la cognition froide qui inspira les premiers travaux en intelligence artificielle, basées sur la métaphore du cerveau-ordinateur qui cherchait à modéliser la pensée humaine comme le résultat d'un pur calcul rationnel, l'affect n'étant vu que comme un dysfonctionnement de ce système.
À la fin du XXe siècle, au sein des sciences cognitives, on a vu émerger un nouveau champ scientifique baptisé les sciences affectives dont l'objectif affiché est de comprendre à la fois les mécanismes sous-jacents à l'affect mais aussi comment l'affect et les émotions contribuent au comportement et à la pensée.
La théorie de l'émotion construite qui reçoit l'appui des preuves empiriques récentes met l'affect aux fondements de ce que sont les émotions, la perception subjective qu'en auraient les êtres humains étant le fruit de réseaux neuronaux séparés agissant en fonction d'un continuum très simple d'affects de base[4].
En psychanalyse
L'affect est en psychanalyse, la deuxième partie de la pulsion (avec la représentation).
Notes et références
- « 1942 affect, psychol. et psychanal. « état affectif élémentaire » (P. J. Jouve, Tombeau de Baudelaire, éd. du Seuil, Paris, p. 14 ds Rheims 1969 : Ces condamnations ont précipité l'affect angoissé de Baudelaire dans un tourment continuel, de révolte inutile, de détachement accompagné d'attachement et de revendication); » affect CNRTL
- Éthique. Partie III, sur Wikisource.
- Voir l'article Affect dans Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 35
- Lisa Feldman Barrett, « The theory of constructed emotion: an active inference account of interoception and categorization », Social Cognitive and Affective Neuroscience, vol. 12, no 1,‎ , p. 1–23 (ISSN 1749-5016, PMID 27798257, PMCID 5390700, DOI 10.1093/scan/nsw154, lire en ligne, consulté le )
Bibliographie
- Philippe Arjakovsky, François Fédier et Hadrien France-Lanord (dir.), Le Dictionnaire Martin Heidegger : Vocabulaire polyphonique de sa pensée, Paris, Éditions du Cerf, , 1450 p. (ISBN 978-2-204-10077-9)
- Frédéric Lordon, La société des affects : pour un structuralisme des passions, Paris, Éditions du Seuil, coll. L'ordre philosophique, 2013.