Affaire de la proscynèse
L’affaire de la proskynèse est une affaire d’opposition des élites grecques et macédoniennes face à Alexandre III le Grand, en rapport avec l’orientalisation de son pouvoir.
Présentation générale
Entre 328 et 327 av. J.-C., Alexandre le Grand, devenu grand roi, se juge l'égal des dieux et exige un culte se manifestant par des gestes et un rituel oriental qui implique l'agenouillement devant le roi, jusque-là réservé aux dieux. On accepte difficilement cette exigence considérée comme déplacée et il en sort des tensions dans la population grecque.
Cette affaire est notamment relatée par Arrien de Nicomédie (env. 90 - 161/80 de notre ère) dans son Anabase[1], par Quinte-Curce dans le livre VIII de son Histoire d’Alexandre[2], par Plutarque dans ses Vies Parallèles ainsi que par Charès de Mytilène dans son Histoire d’Alexandre.
Dans son Anabase, Arrien fait le récit de ce que Callisthène, neveu d’Aristote, reproche à Alexandre le Grand au sujet de la prosternation. En effet, Alexandre le Grand souhaite que les Grecs et les Macédoniens se prosternent devant lui comme le font les Perses nouvellement conquis mais cela suscite l’indignation des grecs et des Macédoniens qui refusent de s’adonner à ce rituel. L’affaire de la proskynèse est liée à la question de la divinisation d’Alexandre et à l’orientalisation de son pouvoir.
Utilisation des sources
La plupart des historiens relatant cet évènement sont postérieurs au règne d'Alexandre le Grand. Arrien, bien que largement postérieur aux évènements, s’appuie sur deux sources contemporaines à Alexandre le Grand, Aristobule et Ptolémée[3]. Ces sources sont considérées comme fiables par l’auteur, mais il peut être noté qu’Arrien de Nicomédie est un grand admirateur d’Alexandre[4] et que ses sources elles-mêmes sont issues de personnes relativement proches d’Alexandre III. Les propos d’Arrien doivent donc être abordés avec un certain recul quant à leur objectivité.
DĂ©roulement
Contexte dans le règne d'Alexandre le Grand
En 327 av. J.-C., Alexandre passe la frontière orientale de l’empire Perse. Il cherche à reconstruire l’autorité achéménide pour intégrer les régions les plus lointaines (Bactriane, Sogdiane) dans son empire. La même année, il se marie avec Roxane, princesse bactrienne, notamment dans le but de pacifier la situation impériale. L’affaire de la proskynèse a lieu à Bactres peu après ce mariage. Cette période est d’ailleurs caractérisée par la mise en avant de l’origine divine d’Alexandre : celui-ci se dit fils d’Ammon et fait par ailleurs de plus en plus référence à ses origines divines dans ses discours afin de légitimer son pouvoir sur un empire qui s’agrandit.
Charès de Mytilène, témoin oculaire du début de l’affaire de la proskynèse, précise que l’origine de la discorde entre Callisthène et Alexandre est un symposium restreint entre Alexandre et son entourage. Selon Charès de Mytilène, les participants, alcoolisés, se seraient adonnés à une proskynèse envers Alexandre III et auraient tous reçu un baiser en récompense[5]. Callisthène, tentant d’échapper au rituel, se voit refuser le baiser d’Alexandre de Grand et part s’isoler.
L'affaire de la proskynèse
Dans un contexte plus officiel et public que le symposium, Alexandre ordonne que « tout comme les Perses, les Macédoniens le saluent en l’adorant prosternés contre terre »[3]. Or, si la prosternation est pour les Perses un rituel répandu qui permet de reconnaître le pouvoir terrestre du roi, celle-ci a une signification bien différente pour les Grecs et les Macédoniens. En effet, le roi Perse a le statut de lieutenant du dieu Ahura-Mazda sur Terre : la prosternation représente donc pour les Perses une marque plus d'obéissance au monarque que de reconnaissance du pouvoir divin car le roi n'a qu’un rôle de lieutenant (il a donc une nature pleinement humaine). En revanche, pour les Grecs et les Macédoniens, la proskynèse est un rituel réservé à l’adoration des dieux, particulièrement dans le cadre des rituels religieux : ainsi, la demande d’Alexandre choque. De plus, le rituel de la proskynèse est, aux yeux des Grecs, un « motif illustrant le despotisme perse »[6].
Si quelques Grecs de l'entourage d'Alexandre se plient à la pratique, la large majorité des Grecs et des Macédoniens refuse de se soumettre de cette manière à Alexandre. Selon Callisthène, le neveu d'Aristote, Alexandre viole le nomos (la loi) des Grecs en tentant de leur imposer le rituel de la prosternation. Callisthène manifeste une vive opposition au principe de la proskynèse appliquée à Alexandre à travers un discours relaté par différents écrivains et historiens postérieurs comme Arrien de Nicomédie dans son Anabase, Quinte-Curce ou encore Plutarque.
Il peut d’ailleurs être noté que, dans les analyses actuelles de cet évènement, le terme « proskynèse » comporte plusieurs traductions différentes et peut donc être synonyme de « se jeter à terre », « baiser », « faire une révérence » etc. La question de la prosternation dans l'affaire de la proskynèse revêt donc à la fois des aspects historiques et linguistiques.
Conséquences directes
À la suite du discours de Callisthène, Alexandre III paraît se plier au refus grec et macédonien et fait interdire toute mention de la proskynèse. Il fait néanmoins arrêter puis emprisonner Callisthène en le faisant passer pour complice dans la conspiration des Pages. Callisthène est probablement crucifié en Inde après plusieurs années d’emprisonnement[3].
Bibliographie
Sources
- Arrien (trad. Pierre Savinel), Histoire d’Alexandre : L'Anabase d’Alexandre le Grand et l'Inde, Paris, Les Éditions de minuit, (ISBN 9782707306739, présentation en ligne)
- Quintus Curtius Rufus (trad. Annette Flobert), Histoire d’Alexandre, Paris, Gallimard,
- Plutarque (trad. Robert Flacelière), La Vie d'Alexandre, Paris, Éd. Autrement, (ISBN 9782862604572, présentation en ligne)
Ouvrages généraux
- Pierre Briant, Alexandre le Grand, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », , 128 pages (ISBN 9782715401846)
- Pierre Briant, Histoire de l'empire perse : de Cyrus Ă Alexandre, Fayard, (ISBN 2-213-59667-0, 978-2-213-59667-9 et 90-6258-410-1, OCLC 411170687, lire en ligne)
- David M. Lewis, The Cambridge Ancient History : The Fourth Century B.C., vol. 6, Cambridge, Cambridge Univ. Press, , 2e Ă©d. (OCLC 457145004)
Ouvrages spécialisés
- Pascale Giovannelli-Jouanna, « Arrien de Nicomédie », dans Les Perses vus par les Grecs. Lire les sources classiques sur l’empire achéménide, Paris, Armand Colin, (DOI 10.3917/arco.lenfa.2011.01.0048, lire en ligne), p. 48-64