Vie de GĂ©rard Fulmard
Vie de GĂ©rard Fulmard est un roman de Jean Echenoz paru le aux Ă©ditions de Minuit.
Historique du roman
Genèse du roman
Écrivain géographique[1], Jean Echenoz déclare que les bases de l'écriture de ce roman tiennent notamment à son envie d'« aller explorer un quartier de Paris qu’il connaissait mal » (le huppé 16e arrondissement de Paris et en particulier les frondaisons des hameaux et villas privées) à laquelle s'est mêlée la tentation d'utiliser la tragédie classique en détournant l'intrigue de Phèdre de Racine[2] - [3]. S'attachant également une nouvelle fois au genre du polar, ce roman et son héros font aussi échos au personnage d'Eugène Tarpon, le détective créé par Jean-Patrick Manchette qu'Echenoz apprécie tout particulièrement[4].
Selon Jean Echenoz, le titre de son roman est lié à son admiration pour Vies minuscules (1984) de son ami Pierre Michon[3]. Le nom du héros principal, Gérard Fulmard, fait référence – en y adjoignant toutefois un « d » – à l'oiseau marin Fulmar qui présente tout à la fois la particularité de vomir sur son agresseur lorsqu'il est en danger[5] et d'avoir déjà été présent dans un précédent roman échenozien, Je m'en vais (1999), mais aussi chez un autre auteur des éditions de Minuit avec Jean-Philippe Toussaint dans L'Appareil photo (1988)[6] qui en fait le patronyme de l'un des deux moniteurs d'auto-école[7] jouant ainsi sur l'intertextualité de différents romans contemporains.
Ventes et distinctions
Vie de Gérard Fulmard paraît quatre ans après le dernier roman de l'auteur, et constitue l'un des livres les plus attendus de la rentrée de [3] - [8] - [9]. Les Éditions de Minuit en font un premier tirage à 55 000 exemplaires, soit l'un des plus importants en quantité de la saison[10]. Le roman entre la semaine de sa parution à la huitième place des meilleures ventes de livres[11].
En , le roman est retenu dans la liste des trois finalistes du prix Alexandre-Vialatte[12], puis, en , il figure dans la liste des dix livres en lice pour le prix du Livre Inter[13].
Résumé
Ancien steward et fraichement reconverti en détective privé, Gérard Fulmard ouvre un « cabinet d'assistance » sur un coup de tête, à son domicile de la rue Erlanger à Paris, à l'image de l'agence Duluc qui l'a fait rêver. Il est approché par des membres de la Fédération populaire indépendante (FPI) pour s'enquérir des faits et gestes de Louise Tourneur, la belle-fille de Franck Terrail – fondateur et président d'honneur du FPI –, au moment où sa mère et secrétaire générale du parti, Nicole Tourneur, est enlevée et possiblement morte. Le parti, déchiré entre factions concurrentes et ambitions personnelles, peine à trouver un successeur à sa cheffe disparue. Cependant Fulmard est pire qu'un amateur, incapable d'être discret ou méthodique dans ses enquêtes et techniques d'investigations qu'il improvise allègrement. Il échoue lamentablement dans sa surveillance de Louise Tourneur.
La guerre de succession fait rage et la faction Mozzigonacci doit s'organiser pour écarter la jeune Louise Tourneur de l'accession au pouvoir que son beau-père, éperdument amoureux, lui promet au sein de ce parti endogamique. Pour cela, ils décident d'éliminer Terrail et par un jeu de chantage qu'il ne peut refuser, à la suite d'un lourd dossier compromettant, chargent Gérard Fulmard de tuer du président d'honneur du parti. Fulmard concocte donc un plan d'assassinat profitant d'un examen IRM que doit passer Franck Terrail dans les prochains jours.
Dans l'intervalle, Louise Tourneur s'est envolée avec son nouvel amant sur l'île de Sulawesi en Indonésie pour s'éloigner du panier de crabes de son parti mais finir dans la gueule d'un grand requin blanc. La donne politique au sein du FPI bascule alors brusquement et Terrail apparait désormais, dans ce nouveau contexte, comme un point d'équilibre pour les conspirateurs regroupés autour de Mozzigonacci. Surtout que Nicole Tourneur réapparait, bien vivante, après qu'elle a organisé son propre enlèvement pour faire, en vain, parler d'elle dans les médias et remonter sa courbe de popularité. C'est en fait l'indifférence qui l'accueille à son retour, de ses proches (mari inclus) et de l'opinion. La faction Mozzigonacci place alors un homme de main auprès de Terrail afin de le protéger de l'assassinat qu'ils ont eux-mêmes fomenté, ne pouvant joindre Fulmard, disparu dans la nature.
Gérard Fulmard, son plan d'action établi, s'introduit dans le cabinet médical lors de l'examen de Franck Terrail, mais au moment de l'abattre oublie le cran de sécurité de son pistolet, laissant le temps au garde du corps de lui tirer dessus. Fuyant, il finit par s'écrouler, une balle dans le corps, sur le pont Mirabeau sous lequel coule la Seine.
RĂ©ception critique
Pour Livres Hebdo, le roman de Jean Echenoz est « plus sarcastique et noir que jamais »[14]. Jérôme Garcin, dans Le Nouvel Obs, considère que dans ce roman « Jean Echenoz broie du noir avec un plaisir contagieux, un humour méthodique et un sérieux exhilarant » dans ce que le critique littéraire qualifie d'invention d'un nouveau style : le « polar marabout (bout d’ficelle, selle de cheval…) »[15]. Selon Nathalie Crom, dans Télérama, « Jean Échenoz crée un homme sans qualités mais héros de notre temps » dans un roman conçu avec « une précision virtuose[16] ». Pierre Vavasseur du Parisien juge que le roman est écrit avec « l'encre de malice » par « l'un de nos plus grands écrivains », retenant Vie de Gérard Fulmard dans la liste des huit romans de la rentrée de janvier[17]. Enfin, Thierry Gandillot dans Les Échos voit dans le dernier livre du romancier un « polar parodique et ludique, un pur concentré du génie échenozien qu'on quitte trop tôt, trop vite et à regret[5] ».
L'ensemble de la tribune littéraire du Masque et la Plume émet des avis très positifs sur le roman considérant que l'auteur s'autorise de grandes libertés narratives « dev[enant] totalement punk » selon Nelly Kaprièlian, avec « écriture romanesque et comique exemplaire » pour Arnaud Viviant qui souligne aussi la parenté (ancienne) avec les romans de Jean-Patrick Manchette (et en particulier le personnage d'Eugène Tarpon), « une langue géniale [et] poétique » mettant de côté l'intérêt pour l'intrigue et les personnages pour Olivia de Lamberterie avec « un côté SAS, dans le mode exécutoire » selon Jean-Claude Raspiengeas[18].
Plus réservé, Philippe Lançon de Libération, même s'il note la « virtuosité descriptive » de certaines scènes, souligne toutefois « la double tentation de l’auteur : l’abus de procédés linguistiques, faisant du roman une véritable petite encyclopédie du genre, et ce mélange de raffinement et de familiarité » propre au roman échenozien dans lequel « la vie et l’émotion ont de plus en plus de mal à passer [... avec] aucune place pour la foi dans le récit » provoquant désormais chez le lecteur un phénomène de saturation, de satiété[19]. Sur la même ligne, Nelly Kaprièlian dans Les Inrocks juge, malgré certains moments « jubilatoires » du roman, le « refus punk [d'Echenoz] de se prendre au sérieux aussi admirable qu'un brin lassant[20] » tout comme la critique du journal littéraire En attendant Nadeau qui considère qu'« à force de jouer avec son lecteur, d’entretenir cette lecture déceptive qui fait aussi le sel du récit et qui fait son talent, Jean Echenoz entretient une distance qui finit par rendre la lecture elle aussi parfois distante » regrettant in fine « une certaine amertume », nouvelle chez le romancier[7].
Éditions
- Les Éditions de Minuit, 2020 (ISBN 9782707345875)
- Audiolib, lu par Dominique Pinon, 1 CD, durée 4 h 28 min, 2020 (ISBN 9791035402839)
Notes et références
- Petit atlas de la géographique echenozienne, dossier Jean Echenoz, in Balise–Bibliothèque publique d'information, 7 décembre 2017.
- Florence Bouchy, « Jean Echenoz : "J’ai fini par avoir une véritable affection pour mon héros Gérard Fulmard" », Le Monde, 1er janvier 2020.
- [vidéo] d'Hélène Roussel, « Jean Echenoz : "Un livre, c'est chaque fois relancer les dés, on ne sait pas ce qui va sortir" », grand entretien du 7/9, France Inter, 3 janvier 2020.
- « Echenoz, biographe de l’ordinaire », La Grande Table présenté par Olivia Gesbert, France Culture, 15 janvier 2020.
- Thierry Gandillot, « Jean Echenoz : un cauchemar nommé Fulmard », Les Échos, 15 janvier 2020.
- Jean-Philippe Toussaint, L'Appareil photo, Les Éditions de Minuit, coll. « Double » no 45, 2007 (ISBN 9782707320056), p. 43.
- Gabriella Napoli, « Echenoz à distance », En attendant Nadeau, no 94, 2 janvier 2020.
- Thomas Vincy, « La Fnac choisit 20 romans de la rentrée d'hiver 2020 », Livres Hebdo, 26 décembre 2019.
- « Rentrée littéraire de janvier 2020 : voici notre sélection de romans », Télérama, 11 janvier 2020.
- Thomas Vincy, « 481 romans pour la rentrée d'hiver 2020 », Livres Hebdo, 6 décembre 2019.
- « Classement des ventes de livres : Fin de règne pour Astérix et Obélix », La Dépêche, 10 janvier 2020.
- Isabelle Contreras, « Les finalistes du prix Alexandre-Vialatte 2020 », Livres Hebdo, 12 mars 2020.
- « Découvrez les romans en compétition pour le Prix du Livre Inter 2020 », France Inter, 7 avril 2020.
- Olivier Mony, « Le poisson rouge et les piranhas » Livres Hebdo, 13 décembre 2019.
- Jérôme Garcin, « Echenoz s’explose : comment broyer du noir avec plaisir », Le Nouvel Obs, 2 janvier 2020.
- Nathalie Crom, « Dans Vie de Gérard Fulmard, Jean Échenoz crée un homme sans qualités mais héros de notre temps », Télérama, 1er janvier 2020.
- Pierre Vavasseur, « Lemaître, Pennac, Reza… nos 8 coups de cœur de la rentrée littéraire », Le Parisien, 12 janvier 2020.
- « Vie de Gérard Fulmard de Jean Echenoz : un polar "romanesque" et "comique" d'après Le Masque », verbatim de l'émission Le Masque et la Plume, France Inter, 12 janvier 2020.
- Philippe Lançon, « Vie de gérard Fulmard, polar au rayon loser », Libération, 3 janvier 2020.
- Nelly Kaprièlian, « Vie de Gérard Fulmard : Jean Echenoz, écrivain en toute liberté », Les Inrocks, 3 janvier 2020.
Liens externes
- Vie de GĂ©rard Fulmard sur le site des Ă©ditions de Minuit.