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Viande artificielle

La viande artificielle est crĂ©Ă©e Ă  partir d'une biotechnologie permettant de reproduire artificiellement des produits d’origine animale par la culture de microorganismes ou de cellules. Parmi ces produits, on distingue les produits « acellulaires » (lait, blanc d’Ɠuf) des produits « cellulaires » (viandes, poissons et fruits de mer).

Assembly of fibrous muscle, fat, and vascular tissues to cultured steak

Différences avec la viande d'origine animale

La viande, telle qu’elle est dĂ©finie par le Parlement europĂ©en, est un « muscle squelettique avec graisse et tissu conjonctif naturellement inclus ou adhĂ©rents ». C’est un alliage complexe de diffĂ©rents Ă©lĂ©ments, dont des muscles squelettiques, des tissus conjonctifs, des vaisseaux sanguins et des nerfs[1].

A l’inverse, la viande cellulaire reproduit principalement les myocytes, aussi appelĂ©es fibres musculaires, car ce sont les principaux constituants de la viande[2]. Elle se rapproche ainsi davantage d’un « tissu musculaire » que de viande Ă  proprement parler, et le terme d’amas cellulaires semble plus appropriĂ© tant le rĂ©sultat issu des laboratoires est Ă©loignĂ© de la viande[3]. La chercheuse Marie-Pierre Ellies explique quant Ă  elle que « dans le milieu de la recherche, on a plutĂŽt tendance Ă  parler de fibres musculaires en culture »[4].

Une autre Ă©tape incontournable dans la constitution de la viande rĂ©side dans le processus de maturation. AprĂšs l’abattage de l’animal, les muscles se contractent, se rigidifient, et le glycogĂšne est converti en lactate en raison de l’absence d’alimentation en oxygĂšne par le sang. Cette production de lactate conduit Ă  une baisse du pH. Diverses enzymes s’activent alors et coupent les protĂ©ines musculaires, ce qui a pour effet d’attendrir la viande et de lui donner une texture particuliĂšre[5].

Ce phĂ©nomĂšne, pourtant analysĂ© durant des dĂ©cennies par les chercheurs en viande, reste cependant mal compris et donc nĂ©gligĂ© par l’agriculture cellulaire, notamment du fait de sa complexitĂ© et du manque de connaissance qui persistent pour les cellules cultivĂ©es. Cela explique, en partie, l’ajout de nombreux ingrĂ©dients tels que la chapelure, la poudre d'Ɠuf, ou encore le jus de betterave, afin de masquer les dĂ©fauts sensoriels de la viande artificielle[6].

Enfin, la production cellulaire n’est pas considĂ©rĂ©e comme de la viande d’un point de vue rĂ©glementaire car la « viande cultivĂ©e» rentre dans la catĂ©gorie des nouveaux aliments sur un plan rĂ©glementaire[7].

Techniques de production

Lignées cellulaires

Eva et al. expliquent que de telles « lignĂ©es cellulaires » peuvent ĂȘtre obtenues de deux maniĂšres diffĂ©rentes : par induction ou par sĂ©lection de mutations spontanĂ©es [8]. La premiĂšre mĂ©thode consiste en la modification gĂ©nĂ©tique ou chimique de cellules quand la seconde technique consiste Ă  sĂ©lectionner des mutations spontanĂ©es. Dans les deux cas, l’innocuitĂ© n’est pas assurĂ©e puisqu’il s’agit de cultiver des cellules cancĂ©rigĂšnes pouvant avoir des consĂ©quences tumorigĂšnes comme en tĂ©moigne un brevet de Memphis Meats [9] - [10].

Jean-François Hocquette, directeur de recherche Ă  l'INRAE, s’inquiĂšte tout particuliĂšrement des consĂ©quences possibles de l’ingestion de cellules cancĂ©reuses, dans la mesure oĂč elles risquent de ne pas ĂȘtre identifiĂ©es parmi toutes les autres cellules[6]. Il a d’ailleurs Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que l'ADN des cellules vĂ©gĂ©tales gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©es peut ĂȘtre transfĂ©rĂ© dans la microflore du tractus gastro-intestinal humain, ce qui pourrait aussi ĂȘtre le cas avec les lignĂ©es cellulaires. Ce risque fait ainsi dire Ă  Nawaz et ali. qu’une « diligence raisonnable exigerait des recherches supplĂ©mentaires sur les cellules animales gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©es »[11].

En outre, Soice et ali soulignent que « la confirmation de la sĂ©curitĂ© des futurs produits fabriquĂ©s Ă  partir de cellules animales immortalisĂ©es exprimant des oncogĂšnes, que ce soit par immortalisation spontanĂ©e ou par gĂ©nie gĂ©nĂ©tique, reprĂ©sente une lacune dans les connaissances dans ce domaine » et qu‘ « aucune lignĂ©e cellulaire immortelle disponible dans le commerce et pertinente pour l'agriculture n'a Ă©tĂ© confirmĂ©e comme Ă©tant sĂ»re pour les aliments. » [12]. La question de l’innocuitĂ© des cellules souches n'est pas rĂ©solue.

Par ailleurs, quand bien mĂȘme les connaissances scientifiques permettraient d’affirmer que ces techniques sont sans risques, il faudrait encore surveiller les cellules pour Ă©viter toute contamination et dĂ©rive gĂ©nĂ©tique dans la mesure oĂč la contamination des lignĂ©es cellulaires peut ĂȘtre courante en culture cellulaire[13].

La capacité des acteurs industriels de la viande artificielle à assurer la sanité de leurs produits est donc parfois remise en question.

Santé

Il semble aujourd'hui difficile de prévoir les effets, les risques et les dangers possibles qui découlent de cette nouvelle forme de production[14].

Des chercheurs pointent ainsi le fait que la littĂ©rature scientifique soit lacunaire et incomplĂšte sur certains thĂšmes, et qu’elle omette de s’attarder sur certaines critiques. Le nombre d’études scientifiques recensĂ©es en 2020 s’élevait Ă  seulement 300 contre plus de 12 000 articles de presse, ce qui reprĂ©sente un vivier trĂšs peu fourni[15].

Linsay Ketelings, chercheuse à l'université de Maastricht, abonde dans ce sens et souligne que « le manque de recherches approfondies liées à la caractérisation des dangers et des risques de la viande cultivée est considéré comme le plus grand obstacle à l'introduction d'un produit sûr sur le marché »[16].

La communautĂ© scientifique reste donc globalement rĂ©servĂ©e, et ne s’est pas prononcĂ©e sur les nombreuses incertitudes qui planent encore. Une des raisons Ă  ce manque d’études, est l’absence d’un processus de fabrication unique ainsi que l’immaturitĂ© des technologies actuelles[17].

De plus, il est lĂ©gitime de douter de la capacitĂ© de l’agriculture cellulaire Ă  se passer d’antibiotiques[18]. Pour appuyer leur argumentaire, les promoteurs de l’agriculture cellulaire soulignent que « les animaux d’élevage industriel consomment aujourd’hui environ la mĂȘme quantitĂ© d’antibiotiques que les humains »[19]. Et, s’il est vrai que l’agriculture contribue principalement au dĂ©veloppement de l’antibiorĂ©sistance, la prĂ©sentation de cet argument est fallacieuse. Ils omettent en effet de prĂ©ciser que, si certains pays comme les États-Unis encadrent assez peu l’utilisation d’antibiotiques, « les niveaux d'utilisation varient considĂ©rablement d'un pays Ă  l'autre ; par exemple, certains pays d'Europe du Nord utilisent des quantitĂ©s trĂšs faibles pour traiter les animaux. »[20].

Économie

De nombreux pays contribuent Ă  l'Ă©conomie de la viande cellulaire car guidĂ©s par des considĂ©rations de sĂ©curitĂ© alimentaire. C’est notamment le cas de Singapour, qui importe 90% de ses biens alimentaires, tout comme pour IsraĂ«l[21] - [22]. Singapour est ainsi le premier État Ă  autoriser la mise sur le marchĂ© de nourriture cellulaire[23].

Paul AriĂšs, spĂ©cialiste de l’alimentation et de l’élevage paysan ayant publiĂ© plusieurs essais sur le sujet, rĂ©sume ainsi l'enjeu Ă©conomique de la viande artificielle : « Les champions de la viande sale d’aujourd’hui sont les champions de la fausse viande de demain »[24].

Droit

La France a d’ores et dĂ©jĂ  interdit la « viande artificielle » des services de restauration scolaires, universitaires, des Ă©tablissements de santĂ©, des Ă©tablissements sociaux et mĂ©dico-sociaux et des Ă©tablissements pĂ©nitentiaires[25].

Environnement

Les arguments mis en avant par les tenants de l’agriculture cellulaire sont, assez souvent des arguments « largement spĂ©culatifs » sans rĂ©elle valeur scientifique et ne reposant que sur des donnĂ©es dĂ©claratives[26]. Dans ces conditions, les limites techniques et technologiques que l’industrie rencontre pourraient conduire l’agriculture cellulaire Ă  ne jamais tenir ses promesses. Affirmer que l’agriculture cellulaire serait bĂ©nĂ©fique pour l’environnement, car moins polluante que l’agriculture d’élevage, est aujourd’hui remis en cause[27] - [28].

Reste Ă©galement la question du sĂ©rum fƓtal bovin (SFB). En effet, lors de la culture de cellules synthĂ©tiques bovines, un milieu de culture et un sĂ©rum sont nĂ©cessaires pour que les cellules prolifĂšrent et se diffĂ©rencient. La source du milieu et du sĂ©rum est considĂ©rĂ©e comme un dĂ©fi car des rĂ©sidus peuvent se retrouver dans le produit final. L’utilisation de ce sĂ©rum soulĂšve des problĂšmes moraux et Ă©thiques importants car le processus nĂ©cessite de prĂ©lever le sĂ©rum sur des vaches en gestation, ce qui a pour consĂ©quence la mort des fƓtus par suffocation[29].

Références

  1. « Rectificatif au rĂšglement (CE) n° 853/2004 du Parlement europĂ©en et du Conseil du 29 avril 2004 fixant des rĂšgles spĂ©cifiques d’hygiĂšne applicables aux denrĂ©es alimentaires d’origine animale (JO L 139 du 30.4.2004)’. »,
  2. Stephens, N., Di Silvio, L., Dunsford, I., Ellis, M., Glencross, A., & Sexton, A., « Bringing cultured meat to market : Technical, socio-political, and regulatory challenges in cellular agriculture »,
  3. INRAE Institutionnel, « La viande in vitro, une voie exploratoire controversée »
  4. Radio France, « Agriculture cellulaire, viande de synthĂšse : La nourriture de demain ? »
  5. G. Monin, Facteurs biologiques des qualités de la viande bovine, , pp.151-160.
  6. Hocquette, J.-F., « Is in vitro meat the solution for the future? »,
  7. Boler, D. D., & Woerner, D. R., « What is meat? A perspective from the american meat science association »,
  8. Ramboer, E., De Craene, B., De Kock, J., Vanhaecke, T., Berx, G., Rogiers, V., & Vinken, M., « Strategies for immortalization of primary hepatocytes. Journal of hepatology »,
  9. Wang, Y., Chen, S., Yan, Z., & Pei, M., « A prospect of cell immortalization combined with matrix microenvironmental optimization strategy for tissue engineering and regeneration »,
  10. Mosa, « Meat Compositions and methods for increasing the culture density of a cellular biomass within a cultivation infrastructure. »,
  11. Nawaz, M. et ali., « Addressing concerns over the fate of DNA derived from genetically modified food in the human body : A review. Food and Chemical Toxicology »,
  12. Soice, E., & Johnston, J., « Immortalizing cells for human consumption »,
  13. Geraghty, R. J et ali., « Guidelines for the use of cell lines in biomedical research. »,
  14. Bhat, Z. F., Morton, J. D., Mason, S. L., Bekhit, A. E. A., & Bhat, H. F., « Technological, regulatory, and ethical aspects of in vitro meat : A future slaughter‐free harvest. »,
  15. Chriki, S., Ellies-Oury, M.-P., Fournier, D., Liu, J., & Hocquette, J.-F., « Analysis of scientific and press articles related to cultured meat for a better understanding of its perception »,
  16. Ketelings, L., Kremers, S., & de Boer, A., « The barriers and drivers of a safe market introduction of cultured meat : A qualitative study »,
  17. Ketelings, L., Kremers, S., & de Boer, A., « The barriers and drivers of a safe market introduction of cultured meat : A qualitative study. »,
  18. Tomiyama, A. J., Kawecki, N. S., Rosenfeld, D. L., Jay, J. A., Rajagopal, D., & Rowat, A. C., « Bridging the gap between the science of cultured meat and public perceptions »,
  19. Agriculture Cellulaire France, « Les bĂ©nĂ©fices de l’agriculture cellulaire »
  20. European Medicines Agency, « Sales of veterinary antimicrobial agents in 30 European countries in 2015 : Trends from 2010 to 2015  »,
  21. TrĂ©sor, D. gĂ©nĂ©rale du., « Commerce extĂ©rieur de Singapour : Bilan de l’annĂ©e 2020 et du S1 2021 »
  22. Mancini, M. C., & Antonioli, F., « The future of cultured meat between sustainability expectations and socio-economic challenges »,
  23. Le Monde.fr., « Singapour autorise la vente de viande artificielle, une premiÚre mondiale. »
  24. Hadjadji, N., « Google prendra-t-il le contrĂŽle de nos assiettes ? »
  25. « Amendement N°896 à la loi dite de Lutte contre le dérÚglement climatique - (N° 3875) »
  26. Ipes food, « Report | the politics of protein »
  27. Santo, R. E., Kim, B. F., Goldman, S. E., Dutkiewicz, J., Biehl, E. M. B., Bloem, M. W., Neff, R. A., & Nachman, K. E., « Considering plant-based meat substitutes and cell-based meats : A public health and food systems perspective »,
  28. RodrĂ­guez Escobar, M. I., Cadena, E., Nhu, T. T., Cooreman-Algoed, M., De Smet, S., & Dewulf, J., « Analysis of the cultured meat production system in function of its environmental footprint : Current status, gaps and recommendations »,
  29. « Vidéo L214 : vache gestante abattue, sang du foetus de veau prélevé... l'horreur filmée dans un abattoir Bigard », sur midilibre.fr (consulté le )
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